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Détente - amitié - rencontre entre nous - un peu de couleurs pour éclaircir le quotidien parfois un peu gris...
 
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 LA BELLE ROCHELAISE

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JeanneMarie
Martine
MARCO
epistophélès
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epistophélès

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyVen 23 Sep - 15:52

"Une semaine après que Chloé fut partie, Annibal poussa la porte de Combe-Meille. C'était une nuit de lune.
- Tu es là Question
Personne ne répondit.
Annibal avança. Ses yeux s'accoutumaient à l'obscurité. Il aperçut, devant la cheminée éteinte, la silhouette de Bramefaim.
- C'est moi... dit Annibal.
Bramefaim ne broncha pas. Annibal saisit un fagot et disposa des brindilles entre les chenets. Il craqua une allumette de contrebande. Les flammes crépitèrent, léchèrent les bûches.
Annibal se tourna vers Bramefaim et le dévisagea. Il sortit une bouteille tout en bois de la poche de sa veste.
- Tiens, dit-il. C'est bon pour ce que nous avons...
Puis il approcha une chaise de la cheminée.
- Raconte-moi, dit-il. Perler décharge le ventre et la tête. Bramefaim prit la bouteille que lui tendait le garçon.
- Chloé est partie. Domestique. Pour toujours.
Un silence s'établit.
- Moi, c'est pareil, finit par dire Annibal. Tout le monde me fuit. Junon ne veut plus me recevoir. Ma mère prétend que j'ai déshonoré notre nom...
Les deux hommes s'échangèrent la bouteille. Bramefaim jeta un coup d'oeil sur son compagnon et remarqua qu'il portait une entaille à hauteur de la tempe. C'était une méchante plaie.
- Ils m'ont coincé à Gioux, expliqua le jeune homme. Les coqs de là-bas voudraient toues les poulettes pour eux. Mais celles qui ont goûté au bel Annibal sont dures à garder. Que veux-tu... J'aime le chaud des femmes. Elles le savent.
Le jour se levait sur les pentes de Combe-Meille. D'un coup de groin, le marcassin poussa la porte et fila vers le chêne.
- Nous deux, personne ne nous veut, reprit Annibal. Moi, je suis un coureux (un séducteur), un scieur de lont. Et toi aussi, tu es un mangeur solitaire. Ces espèces-là ne sont guère aimées. Mais eux, qui sont-ils Question Là, accrochés à leurs bruyères, à leurs vaches, à leurs peurs, à leurs sous Question On dirait qu'ils n'ont jamais vu le monde.
Il se redressa et saisit Bramefaim par le col.
- Viens Exclamation Viens voir Exclamation
Il tira le colosse vers le seuil. Lorsqu'ils furent dehors, ils reçurent comme une gifle, le froid du jour. Le soleil irisait les crêtes pelées entre l'Ousseline et le puy d'Ardet.
- Regarde Exclamation dit Annibal en tendant le bras. Regarde... On croirait un plateau. Mais c'est un océan. Moi je l'ai vu, l'océan. La première fois, c'est mon père qui me l'a montré. Ici, sur le plateau de Millevaches. En 1809, avant de repartir au fort Boyard. Tu crois que je plaisante Question
Annibal secoua l'épaule de Bramefaim.
- Les huissiers rôdaient autour de notre petite ferme de Féniers. Pour les payer, père limousinait au fort Boyhard. L'Empereur pressait le chantier, mais les hommes tombaient de la fièvre tierce. Père nous a écrit régulièrement. Et puis, plus rien...
Bramefaim demeurait les yeux mi-clos. Annibal fixait l'horizon."
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptySam 24 Sep - 8:03

"- Depuis, dit-il, je ne peux m'empêcher de croire que là-bas, au-delà du point où portent nos yeux, plus loin que les rivages où il est mort, il y a un monde à saisir... Et partir à la scie, c'est s'approcher de ce monde.
Ils restèrent immobiles et muets. Soudan, Annibal agrippa Bramefaim par le revers de sa blaude (blouse de grosse toile).
Bien que de belle taille, il arrivait tout juste à la gorge du colosse.
- Viens avec moi à la scie Exclamation Tous les deux, nous ferons une belle équipe. Personne n'est plus ferme que moi sur la rectitude du trait. Je peux scier quatorze heures sans m'interrompre. Personne, te dis-je, ne sciera mieux que nous Exclamation
- Non, dit Bramefaim.
- Viens... Je te conduirai aux limites de la terre ferme, quand le sol devient marais. Quand la vase se fait vague. Je te mènerai au rivage.
Bramefaim secoua la tête.
- Là-bas, les corbeaux sont blancs...
- Blancs Question
- Les barques ressemblent à des charrues qui glissent sur les eaux... Non, je ne peux pas quitter Combe-Maille...
Annibal s'approcha du colosse. Ses yeux verts brillaient.
- A la fin de la campagne de sciage, tu rapporteras cent vingt francs. Au bas mot (plus ou moins) Exclamation De quoi sortir Chloé de la servitude. De quoi la garder à tes côtés. Cent cinquante francs peut-être Exclamation Et la petite sera heureuse.
- Chloé..., dit Bramefaim.
- Tope là Exclamation cria Annibal. Je savais que tous deux nous ferions la meilleure équipe qui partirait cet automne pour la Saintonge.
Dès que la décision de partir en campagne fut prise, Bramefaim conduisit le marcassin (petit du sanglier) dans les forêts de la Jarousse et l'y abandonna. De son côté, Annibal s'absenta cinq jours pleins afin de trouver une équipe qui prenait le chemin d'Aunis et de Saintonge. Tout le pays bruissait de préparatifs. Les hommes affûtaient (aiguisaient les haches ou les couteaux) et emmaillotaient leurs cognées (les haches), réparaient leurs scies, rassemblaient deux ou trois paires de sabots pour aller jusqu'au "bon pays" ainsi qu'ils nommaient les Charentes."


Un p'tit coup de kawa et j'reviens Exclamation
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptySam 24 Sep - 9:01

"Mi-octobre, bien qu'il fût tôt en saison, des maçons revinrent de Paris. La crise était si cruelle que le gouvernement de Casimir Perier, peu soucieux de garder dans la capitale un peuple d'ouvriers désoeuvrés, allouait à ceux qui rentraient au pays trente centimes par myriamètre parcouru (unité de longueur égale à dix mille mètres).
Le bâtiment était arrêté (la construction de maison et autres). Rien n'allait plus. Les spasmes de la révolution de 1830 continuaient à agiter Paris.
De retour à PIgerolles, Annibal alla chez le maire afin qu'il lui rédigeât un passeport de l'intérieur. Mais celui-ci était absent. Après avoir beaucoup hésité, le jeune homme se rendit auprès du père Troubert, et lui fit sa demande, d'une voix blanche (une voix sans timbre, unie, basse).
- Je suis persuadé que lorsque tu reviendras au printemps, dit le prêtre, ta mère et ta soeur seront dans de meilleurs disposition à ton égard. Admets qu'il est encore trop tôt pour pardonner. Mais le temps vient à bout des chagrins les plus forts.
- Je leur présenterai ma promise (ma future femme), mon père, et vous nous marierez, répondit Annibal d'une voix mal assurée.
Le père Troubert rassembla de l'encre, une feuille, une plume.
- A combien de campagnes de sciage as-tu déjà participé Question demanda-t-il.
- Cinq. Trois dans la forêt de la Braconne, en Angoumois, un hiver en Saintonge et la dernière près de La Rochelle.
Le curé acquiesça (approuva de la tête). Il trempa la plume dans l'encrier et dit à haute voix en même temps qu'il écrivait :
- Je soussigné abbé Troubert, de la paroisse de Pigerolles, certifie qu'Annibal Freyssanges, scieur de long natif de Féniers, est de bonnes moeurs, s'est toujours comporté en honnête garçon... Est de religion catholique...
Le prêtre s'interrompit. Annibal attendait que le crissement de la plume reprît.
- Et que nulle maladie épidémique ne règne dans le pays au moment de son départ, poursuivit-il plus rapidement. En foi de quoi je lui ai délivré ce présent pour lui servir de passeport et, en conséquence, prie tous ceux qui sont à prier de laisser passer librement ledit Annibal et qu'il ne lui soit fait aucun trouble.
Au moment de signer, le prêtre se ravisa et dit :
- Te rends-tu compte, Annibal, de la confiance que je te témoigne Question
- Si vous ne voulez pas signer ce passeport, gardez-le Exclamation s'écria Annibal, livide. Ce ne sera pas la première fois que je sortirai du département sans papier.
Il tourna les talons et marcha vers la porte du presbytère.
- Calme-toi, lui dit le prêtre. Reviens Exclamation Tu es plus orgueilleux qu'n pou dévoré de puces. Annibal, tu dois accepter de recevoir sans te sentir humilié. (Annibal fit demi-tour). Tu dois pouvoir entendre des choses désagréables sans t'enfuir. ( Annibal le dévisageait sans baisser le regard. Il chassa de son front une mèche de cheveux, d'un geste arrogant). Tu dois devenir un homme, Annibal Exclamation
Le père Troubert signa et tendit le passeport. Lorsque Annibal le saisit, le prêtre le retint entre ses doigts.
- N'oublie pas ta promesse...
Annibal eut envie d'avouer : "Je ne reviendrai pas, mon père. Tout ça, c'est des mensonges, c'est du passé. Oubliez moi..." Mais il se tut."


Retour cet après-midi... pirat
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MORGANE

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptySam 24 Sep - 13:03

Merci Episto
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyDim 25 Sep - 0:01

Excusez-moi, mais j'ai eu des imprévus cet après-midi :
à 13 heures appel d'une voisine qui me demande de passer chez elle pour récupérer la tarte tatin qu'elle avait préparée pour moi et Emmanuelle (une voisine, 48 ans, atteinte de schlérose en plaques).
Donc récupération du gâteau et direction chez Manu. Dégustation avé café, pour ensuite jouer au scrabble.
18 h 30, apéro., avé Emma et son compagnon Ciro (italien).
Retour à la maison à 19 h 15. Appel à ma mère. Dîner. Et........... programmes nullards à la télé, alors Chassés croisés (reconstitution de textes littéraires à partir de définitions.
Pas autre chose à faire ; car Kourosh passe ses soirées à jouer au tarot sur Internet. ... Rolling Eyes

Walà, walà... tongue

Bibizzzzzz flower ries. ...
I love you
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyLun 26 Sep - 8:12


En ce mois d'octobre 1831, des équipes de scieurs de long se constituaient par tout le haut pays. Annibal s'associa à des hommes de Féniers qu'il connaissait pour leur réputation de gros travailleurs. L'un d'eux, nommé Vilatte, avait reçu un courrier d'un marchand de bois de Charente-Inférieure. L'adjudicataire lui demandait de rassembler des scieurs afin d'oeuvrer sur un lot acquis dans la commune de Beurlay, au sud de Rochefort.
Un matin, ils se retrouvèrent à l'aube devant l'église de Pigerolles. Chacun était coiffé d'un immense chapeau de feutre souple, signe distinctif de la corporation des scieurs de long. De lourds bissacs, dans lesquels tintaient des chaînes, chargeaient les épaules. Les cadres des scies, rectangles de hêtre d'un mètre cinquante sur un mètre, avaient été soigneusement démontés et liés afin d'être portés par la poignée.
Annibal avait présenté Bramefaim.
- Avec lui, la scie devrait mordre.
Les autres ne bronchèrent pas. Vilatte était un homme d'une quarantaine d'années à qui sa faible taille avait valu la réforme (c'est à dire qu'il avait évité le service militaire).
Petite propriétaire à la Rebeyrolle, veuf trois fois, il avait sept enfants à charge. Travailleur acharné et économe, Vilatte parvenait, au retour de chaque campagne, à agrandir son bien de quelques arpents. Son expérience était reconnue par tous.
Vilatte faisait équipe avec Branche-d'or, un cousin, célibataire noiraud tout aussi sec et musclé, encore plus large d'épaules, Branche-d'or devait son nom au fait d'être né, en mai, dans des genêts fleuris. Liés par le sang et l'intérêt, les deux hommes, qui tamisaient (limitaient) chacune de leurs paroles, s'entendaient parfaitement.
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyLun 26 Sep - 9:00

Un des scieurs, qui dans le dos portait une marmite, avança vers Bramefaim et lui tendit la main. Le gaillard était crotté comme un barbet (race de chien utilisé autrefois dans la chasse aux canards), et les épaules recouvertes d'une limousine luisante de crasse (de saleté). Une odeur à se voir interdire l'enfer émanait de sa personne (il puait, sentait très mauvais).
- Elie Coutençon, dit l'homme d'un air jovial.
La main d'Elie était aussi ferme qu'un noeud de châtaignier, toute en fibres et en dureté. Se son être émanaient une force nerveuse et une agilité d'élagueur.
- C'est moi qui m'occupe de la soupe. Si la cuillère ne tient pas debout dedans, tu peux être certain que le travail n'avancera pas (si la soupe n'est pas épaisse elle ne suffira pas à la faim des travailleurs).
- Lui, c'est Jean, dit Annibal à Bramefaim.
Bramefaim reconnut un des fils Coergne, de la ferme de Sarcena. L'homme approchait de la cinquantaine. Sa stature, ses énormes favoris (barbe qui part des tempes jusqu'à mi-joues) argentés, sa moustache en croc, son nez aquilin, la fixité de son regard, une raideur dans son port, tout en lui trahissait l'ancien soldat. Jean Coergne avait épousé une fille du Mas d'Artige et, trois mos après ses noces, s'était retrouvé à galoper sous la mitraille dans les rangs, sans cesse éclaircis des grenadiers de la Garde. Seize fois blessé, il était de ceux qui, sous les ordres de Cambronne, purent regagner la France et échapper au carnage de Waterloo (défaite de Napoléon Ier... Twisted Evil ).
Un dernier homme composait le groupe. Il s'agissait du doleur qui équarissait (coupait) les billes sur leurs quatre faces à l'aide d'une lourde hache à blanchir. Son rôle était essentiel dans la bonne marche du chantier, et Vilatte s'était inquiété de prendre le plus habile du canton. Son choix s'était porté sur un certain Lagrange, dont l'unique passion était le braconnage (chasse illégale du gibier). Irrémédiablement fâché avec les gardes-chasse (ceux qui "protègent" le gibier contre les braconniers... tongue ), soupçonné d'avoir participé à l'assassinat de l'un d'entre eux, l'individu était secret. Le corps noué de muscles, il avait la mine assez farouche pour que personne ne vînt jamais lui chercher querelle.
Le groupe de sept hommes prit la direction de Gentioux. Chacun, le coeur serré, songeait à son exil qui ne s'achèverait qu'à la fon d'avril. Déjà, ils étaient d'ailleurs, étrangers dans leur propre pays, gens d'étrange comme les appelleraient bientôt ceux qui, restés sur le seuil des maisons, les regarderaient passer.
Une heure avant que le sunny ne se lève, ils étaient en vue de Pallier. Bramefaim dit brusquement à Annibal :
- Je mont sur la Chabanne.
- La Chabanne Question
- C'est là qu'est Chloé. Je vous rattraperai à Eymoutiers.
- Je les ferai attendre à l'auberge du champ de foire, dit Annibal à voix basse. Va Exclamation Cela me coûtera cinq francs de vin, mais nous ne quitterons pas la ville sans toi.
Bramefaim arriva en vue des bâtiments de la ferme. C'était une grosse bâtisse, aux murs nord épaulés d contreforts montés dans un granit bleu. Un chien s'élança vers lui en grondant. L'homme mit un genou en terre.
- Tch...tch, souffla-t-il entre les dents, sur un ton chanté.
L'animal s'immobilisa puis vint à lui, en remuant la queue.
Après l'avoir caressé, Bramefaim se releva et alla vers les étables, dont il poussa la porte. A son entrée, les vaches tournèrent la tête et leurs cornes heurtèrent les poutres du cornadis. Sous les solives basses maculées de nids d'hirondelle vides, une chaleur tiède luttait contre le glacé du matin.
Dans un angle de pierre tapissé de toiles d'araignées, Chloé dormait une une botte de paille, un jeune chien de berger dans les bras. Elle était écrasée par un sommeil si lourd que son souffle était imperceptible. Sur une lauze scellée dans le mur, seul aménagement dont disposât la gamine, un sifflet en frêne était posé.
Dans son inconscience, la fillette parut sourire et elle tourna la tête en soupirant.
Lorsque Bramefaim referma doucement la porte des étables, le chien maigre vint à sa rencontre et l'accompagna en boitant jusqu'au bord du chemin.

Fin du chapitre 2. ... Very Happy


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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyLun 26 Sep - 10:30

3

Les gens d'étrange

Le soir même à Eymoutiers, Bramefaim retrouvait ses compagnons. Les hommes, éprouvés par une journée de marche sous la pluie et après une nuit passée dans une grange, prirent la direction de Limoges. Ils évitèrent Limoges par le sud et s'engagèrent au long de la Vienne. Depuis les berges, ils aperçurent des merrains (des morceaux de bois) de chêne destinés aux tonnelleries de la Charente qui flottaient dans le courant.
- Nous allons vers le bon pays, dit Annibal en montrant à Bramefaim la futaille qui dérivait. Sens-tu déjà comme le froid est moins mordant Question

Jusqu'à Chasseneuil, les Creusois avaient avancé d'un bon pas, dépassant des troupeaux de boeufs du Cantal destinés aux foires de l'Ouest et des convois de mulets descendus de la Brenne, chargés de fer du Berry. Cette grande remue d'hommes et de bêtes qui progressaient vers l'océan dans un emportement de jurons, de cris et d'abois ajoutait à l'exaltation de la marche.
Bramefaim n'en croyait pas ses yeux. Lui qui n'était jamais allé au-delà de Féniers, il découvrait avec délice le pays charentais.
Sous un ciel clément, malgré la saison, les fermes se faisaient plus avenantes (plus agréables aux regards). Les façades aux linteaux guirlandés d'un cordon de vigne, avaient la blancheur des oiseaux annoncés par Annibal. Sur les flancs de vallonnements réguliers, les vignes accrochaient une lumière douce. Ici, une paix, inconnue sur le plateau de Millevaches, touchait les êtres.
Jean Coergne, devant l'étonnement muet de Bramefaim, avait dit :
- Jamais vu un pays si feignant. Pourquoi crois-tu qu'ils nous font venir Question Pardine Exclamation Pour faire le travail de galérien dont ils ne veulent pas.
Neuf jours après leur départ d Pigerolles, les sept hommes arrivèrent en vue de Beurlay, un bourg de sept cents habitants entre la Charente et l'Arnoult. L'adjudicataire les attendait là. L'homme, un ancien scieur de long dénommé Richeboeuf tenait la région dans ses filets depuis qu'il avait épousé la fille d'un blatier (commerçant négociant de blé et de grains) de Saint-Porchaire.

Kawa Exclamation ... Wink
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JeanneMarie

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyLun 26 Sep - 14:34

Je viens lire ca après le marché ! 
Merci
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyLun 26 Sep - 19:41

"Après avoir discuté avec Vilatte des conditions du travail à la tâche, il avait conduit l'équipe de Creusois dans une clairière de la forêt de Beurlay où baraquaient (habitaient dans une baraque) une brigade de bûcherons auvergnats ainsi que plusieurs familles de charbonniers, de sabotiers (fabricants de sabots) de fagoteurs et d'élagueurs. En tout vivaient là une cinquantaine d'hommes, de femmes et d'enfants, tous occupés à l'exploitation des bois livrés en adjudication à Richeboeur.
Dès qu'ils eurent choisi pour y loger, deux culs-de-loup abandonnés la saison précédente par une équipe d'élagueurs, les Limousins s'organisèrent pour tuer un cochon acheté la veille en chemin. Une fois l'animal conduit près d'un grand feu, Jean Coergne tira brusquement la corde qui entravait une de ses pattes arrière. Le porc s'écroula, tentant de se relever et balayant le sol de ses pattes avant. Les baraquins firent cercle en silence Branche-d'or, le couteau en main, s'approcha et se découvrit (enleva son chapeau).
- Pardonne-nous. C'est pour survivre.
Il pointa sa dague vers la gorge de l'animal.
- Du proc, on ne perd que le cri, murmura Elie Coutençon.
Le sang coula, par ondées brusques et noires, dans une gamelle approchée par un vaque-à-tout de dix ans (un garçon à tout faire), qui suivait la brigade des bûcherons auvergnats. Les Creusois, après avoir brûlé les soies (les poils du cochon), tirèrent la carcasse sur une échelle de gaulis grossièrement assemblés, inclinée contre un chêne. Branche-d'or ouvrit la bête à coups de tue-bois. Les entrailles se répandirent dans un écroulement fumant et sombre. Soudain, Vilatte, qui était resté en arrière, bouscula son cousin et plongea la main dans la carcasse. Il en ressorti le foie. La consternation grisa les visages.
- La douve Exclamation s'exclama Vilatte en tendant le foie couvert d'abcès blanchâtres.
- Cet animal à deux pieds nous a vendu un cochon malade Exclamation cria Branche-d'or, en faisant allusion au fermier.
Un silence s'abattit sur les scieurs de long. Les bûcherons auvergnats, les charbonniers et les sabotiers tournèrent les talons et laissèrent les Creusois à leur désolation.
- Nous aurions dû nous méfier. Je le trouvais bien fine langue, dit Lagrange.
- Je suis de ton avis, reprit Annibal. Voilà trente francs de perdus avant de la avoir gagnés.
Après avoir enterré le cochon, il resta aux Creusois, pour leur première nuit au bois, à réparer les culs-de-loup où ils avaient décidé d'élire domicile.
Les hommes ravaudèrent (réparèrent) la toiture de la plus endommagée des deux baraques. Il fallait faire vite. La nuit, précédée d'une brume pénétrante, gagnait la clairière.
Il faisait noir lorsqu'ils s'interrompirent. Ce fut alors qu'ils virent des ombres approcher.
- Nous avons pensé que vous n'aviez pas eu le temps de faire la soupe, dit une voix fluette.
Fontanes, le chef de la brigade des bûcherons auvergnats, surgit de l'ombre. Une femme suivit. Un couple de sabotiers arriva avec une potée de soupe. Des charbonniers, noirs de la tête aux pieds, le sourire éclatant de blancheur, apportaient du vin. Les baraquins de la clairière se rassemblaient autour des Creusois.
Une vieille sabotière, du nom de Lucile, disposé des tisons devant les culs-de-loup.
- Va chercher des fagots Exclamation cria-t-elle à une gamine.
Les flammes crépitèrent, montèrent vers les étoiles et lâchèrent mille braisons qui filaient au ciel."


Vais manger. Miammmmmmmm Exclamation
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyMar 27 Sep - 20:09

"- Place cette bûche, là, dit la vieille à la fillette. Ce n'est pas le bois qui manque ici, Dieu merci Exclamation
Le feu lui obéissait. Elle le flattait d'un  souffle, l'endormait d'un geste, le faisait renaître d'un regard, n'hésitant pas à laisser lécher aux flammes ses vieilles mains décharnées. "Elle a le secret", songèrent respectueusement les Creusois.
Bramefaim tendait son écuelle d'airain (mélange de cuivre, d'étain et autres métaux) à une femme de sabotier, qui la remplit d'une potée au cochon sentant bon la palette, le chou et les oignons.
- C'est du bon, celui-là, dit la femme. Une façon de Sologne. Vous pouvez y aller en confiance.
Elie Coutençon se resservait une troisième fois de soupe. Des rires fusaient. Coste, un bûcheron rugueux, s'entretenait à voix basse avec Lagrange. Vilatte acquiesçait aux paroles de Fontannes. Annibal plaisantait, penché à l'oreille d'une cueilleuse de simples (plantes médicinales) aveyronnaise qui avait suivi les charbonniers et que les baraquins nommaient Perce-neige.
Depuis trois semaines, la jeune fille portait ses récoltes de bruyère et de bourdaine à la poudrerie de l'arsenal de Rochefort. Assise sur des feuilles les genoux ceints de ses bras emmitouflée dans une cape déchirée, elle écoutait les paroles du plus jeune homme avec une expression d'amusement résigné. Un garçon nommé Mejasson, venu de Saint-Préjet en Haute-Loire, et qui affirmait avoir suivi les bûcherons pour échapper au grand recensement de 1831, la regardait sans rien dire.
Ils étaient une poignée d'hommes, de femmes et d'enfants, ainsi jetés comme sur une île. Le rivage commençait aux premières vieilles écorces qui encerclaient leurs loges, à peine plus confortables que des bauges de sanglier. Par-delà, c'était le lieu des secrets, où même ces compagnons des loups-garous, ces hommes du bois, ces maîtres du feu, ne plongeaient qu'avec appréhension et par désespoir. Pour ne pas mourir de faim.
Vilatte apprit de la bouche de Fontannes la tension qui régnait entre la population des villages et le comte d'Arnoult.
- Arnoult a concessionné des lots à Richeboeuf. Les villageois pensaient avoir droit d'affouage sur ces parcelles. Ils ont continué à venir glaner les bois de chique, les bois morts et les morts-bois. Mais Richeboeuf et Arnoult ont envoyé leurs Saint-Hubert (des chiens).
- Ils sont mauvais Question demanda Lagrange.
- Je les ai vus faire des bassesses à dégoûter une truie, répondit Coste."

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyJeu 29 Sep - 17:48

"Coste, qui braconnait tout autant que Lagrange, n'avait pas tardé de tâter des gardes qui appliquaient avec poigne (avec fermeté) le Code forestier de 1827. Il avait déjà eu affaire à l'un d'entre eux qui vivait en forêt, à une demi-heure de marche de la clairière, et qu'il surnommait, par dérision, Tournebride. La rixe (la bagarre) s'était produite par ue nuit sans lune, si noire que le garde n'avait jamais pu reconnaître son agresseur. Depuis le camp des baraquins était étroitement surveillé.
- Ces gardes-chasse sont des demi-solde (des moins que rien), ajouta-t-il en crachant dans le brasier.
Jean Coergne dressa l'oreille.
- Mordieu Exclamation Ne crache pas sur les demi-solde. Je suis une vieille culotte de fer de Napoléon.
- Je ne parlais pas pour blesser (vexer).
Fontannes poursuivit :
- Les villageois sont allés à plusieurs reprises protester de leurs droits auprès du comte. Arnoult leur a répondu que ces terres faisaient partie de ses domaines depuis que Charles X lui avait restitué ses biens saisis sous la Révolution.
- Le milliard des émigrés... grogna un sabotier de Mende.
- Est-ce qu'ils continuent à monter au bois ? demanda Vilatte.
- Bien sûr Exclamation Il ne se passe pas une semaine sans qu'un verbal (une amende) ne soit dressé.
Les conversations se poursuivirent. Un homme, à la suite de l'incident qui avait opposé Jean Coergne et Coste, s'était approché du Creusois. C'était un bûcheron blond, taciturne (peu communicatif) et un regard bleu, sous un front clair, lui donnait une allure différente de celle de ses compagnons.
- Tu étais à Abensberg Question demanda l'homme avec un fort accent.
- Et à Landshut et à Eckmühl et à Ratisbonne et à Essling et à Wagram et... Si je te disais où j'étais, compagnon, je te réciterais la géographie de l'Europe Exclamation
- Moi aussi, j'étais à Wagram, dit l'autre. En face. C'est là que je fus blessé et fait prisonnier, le 6 juillet.
- Mordieu Exclamation s'exclama Jean Coergne, très ému.
Le Creusois se leva. Et les deux hommes tomèrent dans les bras l'un de l'autre.
- Je m'appelle Mathias Cohache, natif d'Arad, en Transylvanie, dit l'ancien soldat.
- Je m'appelle Jean Coergne, natif de Féniers, en Creuse.
Tard dans la nuit, Mathias expliqua à Jean Coergne les conditions dans lesquelles de nombreux prisonniers prussiens et austro-hongrois avaient été regroupés dans la région de Cognac. Certains de ces hommes modestes et sans racines avaient refait leur vie en Angoumois ou en Saintonge.
- J'ai épousé une veuve de Mazeray, non loin de Saint-Jean-d'Angely, dit Mathias.
- Tu es français Question s'inquiéta Jean Coergne.
- Naturalisé à ma demande. Mais, au pays, je suis toujours un rapporté, un horsain (un étranger), comme ils disent.
Le Hongrois indiqua les baraquins.
- Eux, c'est différent. Au bois, je suis Danube, c'est ainsi qu'ils m'appellent. Et c'est bien.
Jean Coergne et Danube veillèrent plus tard que les autres. Ils avaient en commun tant de charges de cavalerie, de maraudes chez l'habitant, de peurs indicibles, de camarades morts dans leurs bras et de bonnes fortunes qu'il fut clair qu'entre les deux hommes était née un amitié irrévocable."

Je reviens.

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyJeu 29 Sep - 22:03

"A Huit heures, les Creusois partirent sur le lieu de la coupe.
Une vingtaine de chênes de haute futaie gisaient au sol. Chaque équipe débita un tronc d'environ cinq mètres de long dans lequel des encoches furent aillées, qui serviraient de marches. Chaque tronc fut assemblé à l'oblique avec deux pieux en faisceau, rentrés en force, et hauts de deux mètres environ. L'ensemble, une fois établit, faisait songer à un insecte géant, dressé sur deux pattes avant. Les scieurs roulèrent des pierres à l'extrémité de la queue de l'assemblage et l'enchaînèrent afin qu'il ne basculât pas. En fin d'après-midi, les chèvres étaient installées face au vent, au plus près des arbres abattus. En force, les Creusois hissèrent des troncs équarris sur les chevalets et les arrimèrent horizontalement à l'aide de coins et de chaînes, de moitié en porte à faux sur le vide, à deux mètres de hauteur."


Bon, j'envoie cette partie avant qu'elle ne disparaisse comme il y a 5 minutes. Je joue la prudence.
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyJeu 29 Sep - 22:15

Le lendemain, à l'aube, les hommes empoignèrent leurs scies. L'imminence du travail était oppressante (lourde, angoissante).
- Scier n'est pas un métier, c'est un crève-corps, gronda Branche-d'or.
Annibal éclata de rire. Il avait posé ses brodequins (ses souliers) et dansait pieds nus sur le tronc.
- Aujourd'hui journalier, demain chevalier Exclamation s'écria-t-il, les bras levés au ciel.
Bramefaim, à l'aplomb, les jambes écartées, cramponnait déjà le cadre de l'immense scie. Vilatte qui faisait le chevreau sur le chevalet voisin, avançait avec précaution tandis que Branche-d'or graissait sa lame ne la frottant sur un nombril de cochon. Debout sur la bille, Annibal sourit. Ce matin, il avait noué ses longs cheveux en un catogan.
Annibal empoigna le manche de la scie. Vilatte regarda le sunny , dont le halo perçait difficilement la brume au-dessus des cimes. Un silence s'établit. D'abord lentement, comme si les dents des lames hésitaient à entrer dans le bois, les grandes scies montèrent et descendirent. Les épaules des renards se couvrirent de sciure. Les chevreaux soulevaient à bout de bras la grande poignée. Les dents d'acier grises sifflaient à un doigt de leurs orteils.
Bientôt le rythme s'accéléra. La sueur coulait sur les fronts. Les lèvres se tordaient, mauves et ouvertes sur des ahans (cris d'effort) comme des râles. Les bras des hommes montaient et descendaient à raison de cinquante coups par minute. Tous allaient chercher profond le souffle qui tend les muscles, tirant vers le sol ou soulevant au ciel la grande scie inhumaine. Les gestes prirent alors le rythme des gestes fécondants, allant et venant dans l'air glacé avec cette violence dont sont seuls capables les misérables condamnés au bagne."


Fin du 3
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyJeu 29 Sep - 23:03

"Le pouce de Mejasson

Les scieurs marchaient en sous-bois depuis une heure lorsqu'ils aperçurent les premières maison de Sainte-Radegonde.
- La forêt me pèse, dit Annibal.
Bramefaim ne répondit pas. Depuis trois semaines pleines il manoeuvrait la scie, dix heures par jour. Et, le crépuscule venu, il fallait encore user longtemps du passe-partout pour débiter les billes. Le chantier s'était rapidement révélé ingrat (épuisant). Vilatte avait appris que les chênes n'avaient pas été abattus en lune accordée mais montant et par vent de matinal. Rarement les Creusois avaient eu à tirer leurs scies dans un bois aussi serré qui crassait autant (salissait).
Pour aggraver la difficulté, le tanin mangeait les affûtages et, tous les jours. Lagrange devait jouer de la queue-de-cochon pour rendre leur mordant aux lames (affûter, aiguiser). Vilatte enrageait contre Richeboeuf et jurait par saint-Simon, le patron des scieurs de long, de ne plus jamais faire confiance à un marchand de bois.
Heureusement, Annibal et Bramefaim s'entendaient parfaitement. Annibal, vif comme un chevreau juché (perché) sur sa bille. Bramefaim, puissant et muet sous une pluie de sciure, cédaient les derniers à la fatigue. La force du colosse faisait la différence.

PASSE les premières maisons de Sainte-Radegonde, les hommes aperçurent deux jeunes filles qui s'en revenaient d'un lavoir. A la vue des scieurs, les deux lavandières échangèrent quelques mots et pouffèrent de rire. Annibal regarda ses compagnons et dit :
- Ces charmantes demoiselles doivent s'ennuyer ferme pour nous accueillir avec d'aussi beaux sourires. (Il s'avança et s'écria Smile
Ne vous désespérez plus d'ennui, mignonnes Exclamation Les scieurs de long sont là Exclamation
- Pas d'histoires avec les villageois, grogna Branche-d'or. Nous sommes chez eux pour travailler. Nous achetons notre pain, nous allons chez le forgeron et nous filons.
Mais déjà Annibal se dirigeait d'un pas chaloupé (dansant) vers l'unique auberge du bourg. Bramefaim hésita et, malgré le regard noir que lui jetèrent les autres, il suivit Annibal.
Dans l'auberge, une dizaine d'hommes et quelques femmes étaient attablés. Au fond de la grande pièce, une vaste cheminée brûlait d'un feu ardent derrière deux gros landiers (chenets) coiffés de boules de cuivre. L'aubergiste, petit homme rond et chauve, jeta un regard peu amène (pas aimable) sur les deux arrivants.
- Bonjour la compagnie Exclamation cria Annibal.
Un silence accueillit ses paroles.
- Aubergiste Exclamation poursuivit le jeune homme, en s'installant à une table. Apporte deux verres de ton meilleur coupe-figue (casse figure, à cause de l'alcool).
Les conversations reprirent. L'aubergiste apporta un alcool fort. La chaleur monta au visage des deux Creusois. Annibal tourna la tête et découvrit, dans un angle de la pièce, un homme aux manières solennelles vêtu d'un costume de garde-chasse, justaucorps (maillot) vert et bandoulière en travers, pantalon de gros drap de Parthenay pris dans des bottes. Il avait posé son chapeau à la française sur la table, et Annibal remarqua son fusil appuyé contre la muraille.
Posant le regard sur Bramefaim, Annibal lui demanda :
- Qu'est-ce que tu as Question Tu regrettes de m'avoir suivi à la scie Question
- Non...
Bramefaim baissa les yeux. Annibal dévisagea son compagnon.
- Tu n'as pas confiance Question ajouta-t-il.
Bramefaim serrait dans ses grosses mains le petit verre d'alcool. Ses lèvres bougeaient sans qu'il articulât une parole.
- On n'est pas bien ensemble Question demanda Annibal.
- Des fois, je voudrais reparti, sortir Chloé de la Chabanne.
Annibal posa la main sur l'avant-bras de Bramefaim. Les deux hommes restèrent silencieux.
Alors qu'ils étaient perdus dans leurs pensées, le garde se leva. En franchissant la porte de l'auberge, il croisa Branche-d'or et les autres, qui s'esquivèrent (s'écartèrent) pour le laisser passer.
Les scieurs prirent place à côté d'Annibal et de Bramefaim.
Coste commanda du Sauvignon (vin blanc). Elie Coutençon, Danube et Jean Coergne demandèrent qu'on leur servît une trempée au vin avec du pain. Lagrange et Mejasson se firent apporte une part de petit gras (couenne de porc) mis sous la cendre. Lagrange se pencha vers Coste.
- C'est lui Question
- Tu parles, si c'est lui Exclamation C'est Tournebride. Le comte d'Arnoult est son maître.
Jean Coergne montra un morceau de pain et dit :
- Voilà un bien mauvais pain noir de baillarge.
- Il est immangeable, confirma Danube.
Du pain blanc était proposé aux hommes qui déjeunaient près de l'entrée."

Juste une p'tite clope et je reviens. ... Wink
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyVen 30 Sep - 0:05

"- Aubergiste Exclamation Cria Danube. (Un silence s'abattit sur la salle.)
Aubergiste, reprit Danube avec son fort accent. Tu nos sers du pain tiré d'un méchant maïs mal bluté ( mélangé avec du son) alors qu'aux autres tables je vois du pain de froment.
Le gargotier (l'aubergiste) jeta un regard à la tablée des scieurs de long. Jugeant de leur air sombre, il répondit :
- C'est une erreur, messieurs. Je vais le remplacer.
L'aubergiste tournait les talons lorsque, à la table voisine, un des hommes s'exclama :
- Toi qui te plains, retourne donc chez toi goûter si le pain y est meilleur Exclamation D'où viens-tu pour oser chapitrer un aubergiste que nous, nous connaissons depuis toujours Question
Les scieurs de long cessèrent de mastiquer.
- Allons, messieurs... Cela n'est rien, dit l'aubergiste, livide.
- Je t'ai posé une question, espèce d'horlope (une insulte) Exclamation reprit l'homme près de l'entrée.
- Je suis français. C'est écrit sur mes papiers.
- Des papiers Exclamation Ai-je besoin de papiers, moi, pour prouver que je suis français Question
- Prends garde, dit Jean Coergne. J'ai tué plus de cosaques que tu n'attraperas jamais d'étourneaux (petits oiseaux). N'insulte pas mon ami car c'est m'insulter pareillement.
- Toi, el tireur de table, ne te même pas de notre conversation.
Annibal, qui avait écouté sans rien dire, se leva et marcha droit vers la table.
- Tu me sembles avoir une belle jactance (jacter = parler ((en argot)) pour oser parler ainsi à des scieurs de long, dit-il.
Bien qu'enrobé d'une mauvaise graisse, l'homme qui avait apostrophé Danube était taillé en hercule. Il se leva.
- Mais peut-être vas-tu me renseigner, poursuivit Annibal sur un ton dégagé. Nous ne sommes pas du pays et nous souhaiterions acheter un porc. N'en aurais-tu pas un à vendre Question Bien sûr, nous ne voudrions pas d'un cochon trop gras parce que nous n'apprécions pas le tremblant (la gélatine) dans nos assiettes. Nous cherchons un goret nourri aux glands de chêne.
Annibal était à moins de deux pas du colosse.
- Recule-toi, mangeur de chien Exclamation
- Non Exclamation mangeur de porc. (Annibal se tourna vers ses compagnons. Dans ses yeux brillait cette joie irrépressible qui avait séduit Bramefaim le jour où il fuyait la noce). Nous ne sommes pas riches, reprit-il. Ca non Exclamation Quand on achète un porc, il faut qu'il soit en bonne santé. Il faut qu'une langayeur (vétérinaire autodidacte qui exerçait autrefois sur les marchés) vérifie qu'il n'est pas ladre.
Il était face à l'homme désarmant de bonne volonté, les deux mains tendues, les paumes en l'air. L'autre, décontenancé, cherchait à comprendre. Annibal ne lui en donna pas le temps. Il lui décocha un coup au foie.
Les compagnons de l'homme se levèrent et se jetèrent sur Annibal, qui disparut sous la mêlée. Jean Coergne fut le premier à suivre. La rixe était furieuse. Bramefaim, ne voyant plus Annibal qui avait cédé sous les assauts, fonça sur les agresseurs et, d'emblée, en assomma deux. Pris de panique, les autres s'enfuirent en hurlant à l'assassinat.
- Partons vite Exclamation cria Coste. Ces gueux sont déjà en route pour chercher les tristes à pattes (policiers). Il ne faut pas qu'ils nous trouvent ici.
L'aubergiste geignait en relevant ses chaises brisées."


Vais pioncer, dormir, morphéer ... tongue
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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyVen 30 Sep - 7:13

Je viendrai lire ce soir 
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyVen 30 Sep - 17:54

"- Voilà pour toi, dit Annibal en plaçant une pièce. La prochaine fois, sers le même pain à toutes les tables.
Dès le lendemain soir, Richeboeuf se présenta au campement. Il demanda à s'entretenir avec Vilatte et Fontannes, le patron des bûcherons.
- Vous n'ignorez pas la rixe qui s'est produite à l'auberge, hier Question demanda-t-il, très monté (en colère).
- Mon cousin Branche-d'or m'a tout dit, répondit Vilatte. Ce sont les gens d'ici qui ont cherché.
- Et alors Question interrompit Richeboeuf. Êtes-vous assez stupides pour ne pas comprendre la vraie raison de leur colère Question Ils sont en butte avec le comte d'Arnoult. Ils s'estiment spoliés de leurs droits de glanage des ramilles et d'affouage. Je vous jure bien qu'ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour ralentir l'exploitation des parcelles que le comte m'a concessionnées.
Les deux autres marquèrent le coup.
- Il ne faut plus vous rendre à Sainte-Radegonde, dit Richeboeur. J'ai provoqué le mécontentement des paysans de là-bas en vous confiant le chantier. Ils voulaient que je fasse appel à eux. Mais comme bûcherons et comme scieurs, ils ne valent rien.
- En somme, nous leur avons pris leur travail Question demanda Fontannes.
- Je paie Exclamation s'exclama Richeboeuf. Qui me contestera le droit de choisir ceux qui oeuvrent pour moi Question
- Nous l'ignorions, dit Vilatte, visiblement contrarié.
- Pour la bagarre, j'ai réussi à convaincre les gendarmes de ne pas se rendre ici afin de vérifier vos passeports et vos livret d'ouvrier, reprit Richeboeuf. Et, croyez-moi, ce ne fut guère aisé; Alors, tenez-vous tranquilles Exclamation Sinon, je ne pourrai rien pour vous.
Il serra les mains et remonta lestement dans sa voiture. Au moment de lancer son cheval, il se ravisa (changea d'avis) :
- Par contre, j'ai appris que les gendarmes ne lâcheront pas un garçon qui s'est joint à votre équipe. Un certain Mejasson de Saint-Préjet, dans la Haute-Loire. Il a tiré un mauvais numéro et il est bon pour le service militaire. Vous devriez lui conseiller de se rendre. Tôt ou tard, ils le coinceront. Je préférerais que ce ne soit pas ici."

A de suite...
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyVen 30 Sep - 18:59

"Lorsque Mejasson sut qu'il avait été identifié, il n'eut pas la force de retourner travailler avec les bûcherons. Deux jours entiers il erra dans le campement, prêtant la main aux femmes, faisant la bricole, suivant Perce-neige qui ne le repoussait pas - bien qu'elle retrouvât Annibal chaque nuit. Un soir, Mejasson se présenta aux Creusois et leur dit :
- Je n'ai plus guère espoir d'échapper aux lapins ferrés (les gendarmes).
Il regarda les scieurs. Malgré ses vingt ans, ils emblait déjà usé, les joues creusées, le regard brillant. Il faisait peine à voir.
- Je ne veux pas fuir toute ma vie. Mes jambes ne me porteraient pas assez loin. Aussi, j'ai pensé...
- Qu'as-tu pensé, Mejasson Question demanda Annibal.
- J'ai entendu dire que si on n'avait plus ses deux dents de devant en haut, on ne partait pas soldat. A cause des cartouches qu'on ne peut plus déchirer. Seulement... Les dents, ça ne me dit trop rien de les perdre.
- Pour sûr que c'est utile, remarqua Elie Coutençon.
- Alors ? demanda Annibal.
Mejasson tendit lentement le bras droit à hauteur des yeux d'Annibal, le poing serré, et le va le pouce.
- Plus de pouce, plus de possibilité d'armer le chien de son fusil, plus de service, plus de...
Le jeune garçon se tut avant d'ajouter en regardant sa main :
- Et puis, je m'en servais pas beaucoup d'ce pouce-là.
Les Creusois le regardaient, consternés.
- Qu'attends-tu de nous Question demanda Annibal.
- Je demande que l'un d'entre vous m'écrase le pouce sous sa masse. Parce que le faire moi-même, ça je n'y arriverai pas.
Mejasson guettait une réponse. Annibal le premier, lui dit :
- Ce que tu nous demandes là est impossible, Mejasson. Il n'y a pas un Creusois ici qui voudra te rendre ce service.
- Surtout le pouce, dit Branche-d'or. Les dents, passe encore. Mais le pouce... Le pouce, c'est pas chrétien Exclamation
- Ne m'abandonnez pas, supplia Mejasson. Je n'y arriverai pas. La main droite tout entière va y passer. La gauche est trop malhabile pour ça. Et j'ai besoin de ma main Exclamation
- Mordieu. Ne compte pas sur moi, dit Jean Coergne.
- Ni sur moi, reprit Elie Coutençon.
- Je vais te l'écraser ton pouce, moi Exclamation
Les hommes se tournèrent. Perce-neige s'avança. Elle avait déjà saisi une grosse masse de cinq livres et attendait, bien campée sur ses deux jambes, tout de noir vêtue.
- C'est parce qu'il ne t'aiment pas assez, mon pauvre Mejasson, ajouta-t-elle. Viens...
Mejasson se retourna vers les scieurs. Il tremblait.
- Qu'est-ce que tu attends Question cria Perce-neige.
Mejasson la suivit. Les hommes virent les deux silhouettes disparaître en lisière de la clairière. Chacun attendait, immobile.
Un hurlement monta de la forêt. Après un temps qui parut interminable, Mejasson réapparut, appuyé sur l'épaule de Perce-neige, ma main droite ensanglantée portée à hauteur du coeur.
- De l'eau Exclamation cria Perce-neige.
Les hommes se couchèrent dans les culs-de-loup sans échanger un mot. Un cri, qui n'avait plus rien d 'humain, monta dans le camp silencieux. Les baraquins eurent la chair de poule. Perce-neige, aidée de la vieille Lucile, venait, après l'avoir ébouillant, d'arracher l'ongle du pouce de Mejasson."


Fin du 4
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MORGANE

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyDim 2 Oct - 14:18

Je lis doucemant
merci  I love you
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Martine

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyLun 3 Oct - 8:38

study
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyMar 4 Oct - 15:53

5

Le visage d'Ange

Au cours de la semaine qui précéda Noël, les baraquins ne reçurent que la visite de rouliers qui emportaient les planches, les poutres et les limons de charpente sur de grands chevaux ferrés à glace. Mejasson et Perce-neige ne se quittaient plus. Le garçon attendait l'arrivée des gendarmes. Son doigt mutilé, bandé dans un droguet usé et oint d'une préparation de la vieille Lucile, lui accordait enfin le sommeil. Et le jeune homme, touché par la force que donne l'amour, reprenait son métier d'élagueur.
Les seules informations qui parvenaient du monde, étaient rapportées par les sabotiers qui, tous les dix jours, allaient en colportage vendre leur production. Au soir de leur retour, les baraquins se pressaient aux nouvelles, et c'était l'occasion de veillées autour de feux immenses. Tout ce mois de décembre 1831, les chausseurs de bois n'entendirent que de bien sombres rumeurs. La grève menée par les chiffonniers de Paris avait été terrible. De Lyon était arrivé l'écho de la révolte des canuts. Plus près de là, les colporteurs de sabots avaient appris la grève des scieurs de long et les tailleurs de pierre à Bordeaux. Le mouvement s'était étendu au Sud-Ouest, et on le diait prêt à enflammer les Charentes et la Vendée.
Depuis près de deux mois, les chevalets des Creusois restaient campés (stoppés) au même endroit. Le plancher de coupe était à présent recouvert d'une épaisseur de sciure qui souillait (salissait) la neige.
Peu de jours avant Noël, Richeboeuf était passé constater l'avancée des travaux. Il avait vérifié la qualité du travail et s'en était montré satisfait au point de donner une avance, que Vilatte avait redistribuée aux membres de la brigade.

Vais faire une course. Je reviens. ... Wink

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyMar 4 Oct - 19:57

Au moment du départ, Richeboeuf avait commandé aux Creusois d'abattre un bi-ancien, chêne âgé d'un siècle et demi, dont le négociant espérait tirer deux mètres cubes de bois. Mejasson fut adjoint à l'équipe afin d'élaguer le tronc, destiné à la grande charpenterie de marine.
Au matin du 24 décembre, Mejasson arriva au pied de l'arbre.
Le jeune homme ressentait toujours, en ce moment qui précédait l'attaque des bûcherons, l'appréhension commune devant l'imminence de la mort. Pire que l'exécuteur, l'élagueur est celui qui mutile, qui déshonore. Mejasson posa la main sur l'écorce.
- Ca me fait deuil (ça me rend triste) de devoir te traiter ainsi, bel arbre, murmura le garçon en prenant garde de ne pas être entendu.
Mejasson vérifia la grosse courroie de cuir qui le retiendrait par la taille contre le tronc et lia à ses brodequins une paire de griffes forgées. Il prit sa cognée (sa hache) et passa un doigt sur le fil de la lame afin de vérifier qu'elle n'était pas écornée. Il accrocha sa scie à un mousqueton et boucla sa ceinture. Autour, les Creusois poursuivaient leur sciage avec une régularité d'automates.
A grands coups de reins, Mejasson parvint à une hauteur de quinze pieds. Lorsqu'il atteignit une branche, il l'entaillait à la hache en prenant garde de n'être pas accroché au moment de la chute. Puis il grimpait plus haut, avec agilité. Ainsi élagué, le chêne ne ressemblait plus qu'à un mât couronné d'un bouquet. Tout près de la cime, à vingt et un pied du sol, le garçon attaqua la base d'une des dernières branches. L'entaille était bien avancée lorsque se produisit un craquement. Au moment d'esquiver la ramure qui basculait dans le vide, Mejasson heurta le tronc avec son pouce mutilé. La douleur lui fit lâcher sa hache. Un instant d'inattention, le temps d'épier la dégringolade de l'outil, et la branche toujours retenue au tronc, s'affaissa lourdement sur lui. Mejasson, coincé par sa ceinture, avait l'épaule et la poitrine broyées. Au hurlement qu'il poussa, les Creusois levèrent la tête.
- Si la courroie lâche, il est perdu Exclamation cria Vilatte.
- Il faut monter là-haut, passer une corde derrière ses reins, couper la branche et trancher la ceinture, dit Coutençon.
Un sentiment d'impuissance gagnait les scieurs. Chacun songeait que les autres élagueurs du camp étaient partis avec les équipes de bûcherons auvergnats aux bois du Châtelet, à une heure de marche de la coupe.
- Il nous faudrait des griffes pour monter dit Vilatte...
- Mejasson en a deux jeux. Il en laisse toujours un dans sa loge Exclamation s'écria Annibal. Bramefaim, cours au camp et rapporte l'autre paire.

Vais souper. Bon appétit à vous aussi Exclamation ...
pirat
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyMer 5 Oct - 13:43

"Tout là-haut, Mejasson ne gémissait plus. Le corps brisé, ses bras pendaient dans le vide.
Un quart d'heure plus tard, Bramefaim déboula par une traverse, portant une paire de griffes.
Les Creusois se regardèrent. Le plus avisé en élagage était, à n'en pas douter, Elie Coutençon. Malheureusement, le Creusois, âgé de cinquante-deux ans, avait perdu de son agilité.
- Je suis le plus jeune, j'y vais Exclamation dit Annibal en nouant autour de ses reins la corde qu'il avait enroulée à la base du tronc.
- Prends ma hache de rais, dit Vilatte. Elle est plus trempée que ta charbonnière. Pour couper le noeud.
Annibal saisit l'outil qui, entre hommes du bois, ne se prêtait jamais.
Une fois les griffes fixées à ses souliers, le jeune homme entreprit l'escalade. Malgré les conseils de Coutençon, il cherchait ses gestes, donnant pour rien des coups de reins violents. Une demi-heure plus tard, il arrivait enfin à hauteur de Mejasson.
- Est-ce qu'il vit Question cria Vilatte.
Annibal ne répondit pas. Il s'était penché vers le garçon. Il saisit une corde, conservée à l'épaule, et, après bien des manoeuvres, parvit à ceindre d'un même enroulement le tronc, les reins de Mejasson et lui-même. Les autres le virent vérifier les noeuds et saisir sa hache. Il attaqua la branche et la désolidarisa (la détacha) de l'arbre. Puis, d'un coup précis et vif, il trancha la courroie qui retenait Mejasson, tout en agrippant son corps inerte. La ceinture de cuir céda. Le garçon, retenu par Annibal et par la corde, resta suspendu dans le vie alors que la ramure chutait en dévoilant la trace d'une longue pourriture noire.
Lorsque les deux baraquins touchèrent le sol, les derniers rayons de sunny éclairaient la clairière.
- Il est à sang, dit Vilatte en se penchant sur l'élagueur.
Une blessure profonde entaillait le bras gauche de Mejasson. Jean Coergne, qui avait vu tant de blessés à la guerre, s'agenouilla.
- Il faut le conduire chez un chirurgien, finit-il par dire. Sinon, ce printemps, Perce-neige cueillera ses fleurs toute seule.
Elie Coutençon et Branche-d'or revenaient du campement avec une carriole à bras, une couverture et une gourde emplie d'eau-de-vie (alcool très fort). Lagrange souleva Mejasson toujours inconscient et posa le goulot sur ses lèvres. La brûlure de l'alcool entrouvrit la bouche du garçon qui regarda autour de lui. Il eut un bref rictus (un sourire crispé) et perdit connaissance (s'évanouit). Vilatte, aidé de Jean Coergne, garrotta son bras, entre l'épaule et le coude. Le sang coula plus doucement. Puis les Creusois étendirent le malheureux sur la paille de la carriole et jetèrent des couvertures sur son corps.
- Nous allons le conduire à Trizay, dit Annibal. Bramefaim tirera la charrette. De là, nous trouverons une voiture attelée et on nous indiquera un médecin.
Les scieurs regardèrent l'équipage filer par le chemin qui menait au nord.
- On n'a pas pensé à lui retirer ses griffes, dit Branche-d'or en ramassant la hache de Mejasson."

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 2 EmptyMer 5 Oct - 14:53

"Les deux Creusois allaient depuis près d'une heure au-devant de la nuit lorsque un brouillard épais barra leur route.
Les deux hommes regardèrent autour d'eux. Ils étaient au coeur d'une aulnaie (végétation des bois). Une eau stagnante remplissait les talus. Dans le ciel, veinée de ramures, une lune rougeâtre s'était levée.
- Nous sommes plus sur le chemin de Trizay, dit Annibal.
Sur le plateau de la carriole, le blessé s'agitait. Bramefaim approcha un fanal (grosse lanterne éclairante). Mejasson jetait la tête par côté en murmurant des mots incohérents (incompréhensibles). Le sang, de nouveau, sourdait (coulait) de la plaie.
Ils repartirent dans la nuit. Le brouillard épaississait. Depuis plusieurs minutes, le chemin était d'une étrange et parfaite rectitude. Les deux Creusois couraient au-devant d'une odeur nauséabonde (puante, désagréable) qui imprégnait la nuit. Le souffle de forge (bruyant) de Bramefaim, toujours dans les brancards comme une bête fantastique balançant des épaules, était effrayant. Soudain, le grondement d'une galopade ponta dans leur dos. Bramefaim se retourna. Le roulement de la charge s'amplifiait. Les deux Creusois entendaient distinctement les bêtes haleter, trembler le sol, cliqueter des fers. Bramefaim tira violemment la charrette dans le talus (petite bosse au bord des routes de campagne) Une tête énorme de cheval, les yeux exorbités, le mors couvert d'écume, creva la brume. Annibal se jeta sur le côté. Dix cavaliers, en rangs serrés, portant des chapeaux droits, des capes volant à leur traîne, passèrent à plein galop, sans la moindre expression sur le visage.
Livides (blancs de peur), les jambes tremblantes, Bramefaim et Annibal se dévisagèrent (se regardèrent mutuellement). Déjà, l'écho de la charge diminuait. Annibal s'approcha de Mejasson et constata que sa respiration avait repris de la régularité.
Ce furent les cloches qui les sauvèrent. Ils entendirent leurs volées claires, jetées du lointain à la rencontre des voyageurs perdus. Lentement le brouillard s'effilocha (si dissipa).
- Un village Exclamation s'écria Annibal.
- Bon sang, ça fait du bien d'entendre ça, dit Bramefaim.
La lune guida leurs pas, et, bientôt, ils aperçurent des toitures au ras de l'horizon. Ils étaient au coeur des marais. Une odeur de vase les enveloppait. Sur leur droite, une roselière bruissait dans des eaux stagnantes (calmes, immobiles), qui brillaient à la lune comme de l'ardoise.
Le bourg semblait posé sur l'eau. Les maisons basses, aux murs blanchis et aux toits bruns, conservaient, pour la plupart, un air de cabane de pêcheur. Et cétait un grand prodige de voir en un lieu si déshérité, (pauvre) si rongé par le sel, qu'une église avait été édifiée là. En cette nuit de Noël, le village était désert. Annibal et Bramefaim traversèrent la place.
Annibal ouvrit le vantail, (la grande porte). Jamais intérieur d'église ne lui parut plus hospitalier, plus beau. Les cierges dispensaient une lumière dorée après laquelle les yeux cherchaient à s'apaiser. Dans les travées, les femmes chantaient. Tourné vers l'autel, le prêtre priait. Annibal ordonna à Bramefaim de tirer la carriole à l'intérieur de l'église. Le bruit métallique des roues sur les dalles fit se retourner les fidèles. Un murmure parcourut les bancs. Le curé leva la tête et avança vers les Creusois.
- Pour quelle raison, mon fils, troubles-tu notre messe Question
- Si nous ne trouvons pas un médecin, mon père, cet homme va mourir. Un soir de Noël, Dieu ne voudrait pas cela.
- D'où venez-vous Question s'inquiéta le prêtre.
- Nous nous sommes perdus, dit Annibal. Dans la forêt de Beurlay. Nous sommes scieurs de long, Creusois fidèles. Nous souhaitions nous rendre à Trizay...
- A Trizay Exclamation dit le prêtre en joignant les mains. Mais vous êtes à Moëze, mes enfants. Au nord des marais de Brouage.
Le prêtre les regarda. Sortis comme des diables de la nuit de Noël, les deux inconnus ressemblaient à ces traîne-penailles (traîne-misère, mendiants) que personne n'aime voir rôder. Et leur manière de dévisager, sans baisser les yeux, était tout aussi dérangeante.
Le prêtre se décida à jeter un regard sur le blessé.
- La dernière maison du village, en direction de Soubise, est celle de notre médecin. Il est absent. Cependant il a trouvé un remplaçant. Allez vers lui de ma part, bien que je doute de l'effet de cette recommandation sur un mécréant (un non-croyant) qui n'a pas daigné se rendre à la messe de minuit.
- Bénissez-nous, mon père, dit Annibal en mettant un genou en terre.
Ils étaient à peine arrivés à l'autre bout de la place que les chants reprirent, plus légers encore comme si la mort et la misère du monde n'avaient jamais frappé aux portes de cette église.
Derrière un mur surmonté de ferronneries, la maison du médecin inspirait la paix des demeures de notables construites pour durer. Annibal escalada le perron et cogna à la porte.
- Hola Exclamation du secours pour un blessé qui hésite à vivre Exclamation
- Alors qu'il n'hésite plus Exclamation La vie n'est pas digne de nous, cria une voix d'homme.
La lueur d'un bougeoir passa derrière une fenêtre et chut brusquement. Un juron claqua. Enfin, la poignée de la porte tourna. Une silhouette apparut dans l'encadrement. L'homme pouvait avoir vingt-huit ans. Tout aussi noir de cheveux qu'Annibal pouvait être clair, il avait des yeux brillants, des hanches pincées (minces) d'officier, une chandelle à la main, dans l'autre une bouteille de rhum, et il vacillait comme si le vestibule (couloir d'entrée) fût le ponton d'un navire secoué par la tempête."

La suite dans 5 minutes. ... Wink

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