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 LA BELLE ROCHELAISE

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JeanneMarie
Martine
MARCO
epistophélès
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epistophélès

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyVen 18 Nov - 13:27

DIX jours plus tard, Sénoueix réapparut avec la réponse du commandant, qui acceptait sa proposition. Le coût du voyage d'Ester serait pris sur les gages du médecin, à qui Annibal reverserait une partie de son propre salaire. Les journées à Rochefort étaient désormais comptées.
Trois jours avant leur départ, Clément avait demandé à Annibal de passer chez lui. Ursule était absente. Le charpentier de marine, après s'être raclé la gorge, lâcha :
- En vieillissant, le coeur devient plus tendre.
Il détourna les yeux, intimidé par cet aveu, et tapa dans ses grosses mains, qui avaient la douceur et la fermeté des bois auxquels elles s'étaient usées.
- Ce n'est pas tout, reprit-il, d'une voix cassée, mais il est d'usage pour que le maître fasse un cadeau à son apprenti...
Il s'accroupit au pied du lit, et il sortit un coffre qu'il tira sur le carrelage. Il ôta la poussière sur le couvercle.
- Voilà, dit-il, en portant la caisse sur la table.
Avant de l'ouvrir, Clément regarda le coffre. Annibal jeta un coup d'oeil à son profil régulier de vieil homme aux favoris (poils sur les côtés du visage) argentés, à la moustache gauloise. Le jeune homme ressentait un sentiment de piété filiale, né au fil des mois d'un travail en commun. Clément souleva le couvercle de bois. Il avança les mains, froissa un velours rouge et fit apparaître dans la pénombre ce qu'Annibal cherchait à voir. Ses doigts tremblaient lorsqu'il saisit le beau manche de cornouiller d'un marteau à panne recourbée en forme d'arrache-clou.
- Je l'ai acheté en 92..., à Brest.
Les mains de Clément replongèrent. Il sortit une ragasse, un rabot (outil pour lisser le bois) plat pour être poussé à deux mains, un autre rabot à corne acheté à Paris et qui datait d'un siècle, une varlope, deux herminettes, un bouvier, des rainettes, des planes tranchantes, un vilebrequin sculpté et festonné, un jeu de six presses, des ciseaux à bois et même un pot à colle forte tout en cuivre rouge, ainsi que des compas, des trusquins des équerres et des pointes sèches.
- C'est beau, dit Annibal.
- Non, répondit Clément. Là, sous mon lit, c'est mort. Il faut que ça travaille pour que ce soit beau. Je te les donne.
- Clément...
- Tais-toi, dit le vieil homme en fermant les yeux. Ne me fait pas injure. S'it te plaît, ajouta-t-il en posant la main sur l'avant-bras d'Annibal.
Ils restèrent à regarder la caisse au contenu vidé sur la table.
- Prends garde à ce rabot, reprit Clément. Son manche est fendu. Il faudra que tu le remplaces. Maintenant, il faut partir.
Il referma le coffre et se détourna.
- Allez, souffla-t-il. Prends-le et rentre chez toi.
Ce furent les derniers mots qu'il prononça. Annibal saisit la caisse et poussa la porte. Peut-être Clément le regarda-t-il partir au long de la rue gagnée par l'obscurité de l'hiver. C'est immobile et tournée vers la fenêtre qu'Ursule le découvrit en rentrant.
Deux jours plus tard, au matin, Annibal et Ester prirent la voiture publique qui menait à La Rochelle. Ange Sénoueix les y avait devancés afin de régler les dernières formalités de son départ. Le soir, lorsqu'il rentra chez lui, Clément se dirigea vers la cage du chardonneret. Il ouvrit la croisée et se saisit de l'oiseau qu'il lança dans l'air glacé de l'hiver.

FIN DU 19
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyVen 18 Nov - 16:48

20

Petite musique

APRES s'être présenté au commandant du Sainte-Elodie, Annibal, en qualité de charpentier, eut à prendre toutes les dispositions en vue de la traversée. Il rassembla le sapin nécessaire à édifier des cloisons dans la cale en fonction des denrées transportées. Il choisit des pièces de mâture de remplacement et tous les madriers de chêne susceptibles de permettre des réparations qui ne manquaient jamais dans un voyage au long cours. Il fut conseillé dans cette tâche délicate par Fleury, le tonnelier du bord, dont l'importance était reconnue avec tant d'évidence qu'il touchait le même salaire que le lieutenant. Fleury était originaire de Charente et, depuis son premier embarquement, voilà quinze années, rêvait de réaliser assez d'économies pour s'installer dans son Cognaçais natal et y cultiver la vigne.
Deux jours avant l'embarquement, Annibal inspecta une dernière fois la Sainte-Elodie. C'était une flûte jaugeant trois cent cinquante tonneaux, à l'allure massive des navires bien nés dans les chantiers nantais. Destiné au négoce de caravane entre un chapelet de mouillages africains le Sainte-Elodie, s'il n'avait rien d'un coursier, donnait une impression de sécurité.
Annibal se présenta à la Maison de la marine, où il fit connaissance avec l'équipage, fort d'une vingtaine d'hommes. Le capitaine Champlain était un Rochelais qui avait toute la confiance de ses armateurs. Le second était un Malouin taciturne, expérimenté, qui ne se départissait jamais d'un calme qui en imposait à ses hommes. Venait ensuite le lieutenant, homme qui se situe entre le monde des officiers et celui des simples marins et qui, pour cette raison, ne jouit de l'estime d'aucun. Obligé de grimper dans la mâture au côté des matelots ou de souiller ses mains aux tâches les plus salissantes tout en conservant une dignité obligée, sa condition n'était guère enviable. Sur le Sainte-Elodie, le lieutenant était un certain Larivière, de Bordeaux, issu d'une famille de négociants ayant connu des revers de fortune. Fleury le tonnelier, un voilier, Raoul le cuisinier, seize hommes et un mousse, gamin sournois que les hommes appelaient le Singe, composaient le reste de l'équipage. Ce jour-là, Annibal apprit que cinq passager, en plus d'Ester, avaient été admis sur la Sainte-Elodie
.
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyVen 18 Nov - 18:40

La veille du départ, le commandant Champlain indiqua à Annibal qu'il aurait en plus de ses activités de charpentier à s'employer comme matelot. En fait, il avait en vue un autre charpentier et tenait grief à Annibal d'avoir été imposé.
Le départ du Sainte-Elodie eut lieu un samedi, dans la première semaine de février 1832. Fleury fit acheter à Annibal des nippes
(habits) correspondant à sa nouvelle condition de matelot. Le Creusois fut affublé d'un pantalon de toile grossière, d'une veste de coton gris et d'une paire de bas de laine. Pour la circonstance, les passagers étaient montés sur le tillac (pont supérieur d'un navire) et regardaient le spectacle toujours saisissant de l'appareillage. Du coin de l'oeil, Annibal observait Ester, qui le temps du voyage, lui serait inaccessible. Annibal prit garde de ne rien faire qui trahit le lien l'unissant à la jeune femme. Car si le commandant pouvait admette qu'un médecin, recommandé par l'armateur, lui imposât une passagère noire, le fait que cette femme fût mariée à un homme de l'équipage aurait relevé de l'inacceptable.
Un ordre claqua, aboyé d'une voix rauque :
- Tout le monde sur le pont, paré à virer l'ancre Exclamation
Annibal se trouva au coeur d'une mêlée furieuse. Autour de lui, les matelots se démenaient, précis, rapides, efficaces. Les voiles furent larguées. Un mouvement ample et régulier saisit doucement le navire. Le vent gonfla les voiles. Annibal entendit soudain ce jaillissement inoubliable de l'eau qui claque sous l'étrave. Le jeune homme songea à laa lettre écrite la veille à sa soeur et à sa mère, dans laquelle il leur disait adieu en même temps que l'infini de son amour. La gorge serrée, il épongea la suée qui inondait son front.
Le commandant Champlain, le premier soir, alors que la côte n'était qu'une ligne sombre à l'horizon, réunit les passagers à sa table. Entouré de sa maistrance et du médecin de bord, il dit en matière d'excuse :
- Je ne suis qu'un vieux marin irascible, aussi, ce dîner sera le dernier que nous prendrons ensemble. Dorénavant, Raoul le cuisinier vous servira. Pour ce qui me concerne, j'ai des habitudes, prises dans la Royale, qui vous lasseraient.
Le dîner fut des plus agréables. Le groupe des passagers comptait un pasteur suisse et son épouse, les Ollenberg, qui se rendaient en compagnie de leur fille, âgée de treize ans, prendre la charge d'un ministère dans un temple du Cap. En face d'eux, un autre couple, originaire de Lyon, Pierre et Joane Marceau, rallait un poste de comptable général à la Compagnie à Pondichéry. Pierre Marceau possédait l'épaisseur le quant-à-soi des hommes de quarante ans gagnés par les soucis, une trop grande fréquentation des chiffres et cette mauvaise graisse qui afflige les bureaucrates. Joane, à peine âgée de trente ans, exprimait tout au contraire une fragilité et une fraîcheur qui aiguisaient l'intérêt.
Aucune des personnes ne fit, au cours du dîner, de réflexion sur le compte d'Ester. La jeune femme, à qui Ange Sénoueix avait offert à La Rochelle une robe élégante, avait magnifiquement tenu son rang. Elle s'était inventé une vie dans une de ces nouvelles plantations de canne (à sucre) qu'on tentait de créer au Dahomey.
Le lendemain, lorsque Annibal s'éveilla, après une nuit particulièrement agitée, Fleury était penché sur son cadre et le ragardait en souriant.
- On dirait que tu as le mal de mer.
Annibal hocha la tête.
- La mort est une délivrance.
L'autre acquiesça.
- Viens, dit-il. Il faut que je te présente à Raoul.
Fleury conduisit Annibal aux cuisines. Autant Fleury était rond, autant Raoul était maigre et long. Son air maussade (boudeur) cachait un esprit volontiers espiègle (blagueur). En fait, Raoul avait ses têtes. Ceux qu'il portait en affection avaient l'immense privilège, en passant devant sa cuisine, de pouvoir avaler un bouillon chaud. A ceux-là encore, il permettait de faire sécher leurs vêtements trempés devant ses fourneaux. Aux autres, rien. Quand il vit arriver Annibal en si piteux état, Raoul eut un sourire qui signifiait que le jeune homme ne lui déplaisait pas.
- Voilà un bleu qui supporte mal la promenade en mer, dit Fleury en riant. Est-ce que tu peux quelque chose pour lui Question
Raoul posa le chat qu'il tenait dans ses bras. Il se disait à bord que personne ne mangeait d'un plat auquel le chat Bibi n'avait goûté. Et si quelqu'un s'était avisé de lui en faire reproche, Raoul se serait mis en colère, ce qui chez lui était d'autant plus dangereux que rare.
- Il m'a l'air de s'être bien nettoyé, dit Raoul en jetant un regard sur les vêtements souillés d'Annibal.
Les deux hommes sourirent. Raoul s'approcha d'Annibal.
- Ecoute-moi, mon vieux. Je vais te donner un bon conseil... Maintenant, tu t'es vidé de toute ta pissette de terrien. Tu es comme un enfant qui vient de naître. Tout neuf.
Annibal opina .
- Pour affronter ta nouvelle condition, il n'y a qu'une solution. Jamais de sucrerie. Rien que du bon boeuf salé et du pain de bord. Et là, tu as une chance de devenir un vrai gabier.
Annibal se tourna vers Fleury, qui cligna de l'oeil.
- Il t'a à la bonne (il t'aime bien), dit celui-ci en donnant un coup de coude à Annibal pendant que Raoul puisait dans ses réserves.
- Tiens, dit le cuisinier en tendant une demi-livre de boeuf salé froid. Installe-toi, et mange.
Annibal obéit. Lorsqu'il eut l'estomac chargé comme avec du plomb, une énergie qu'il croyait perdue circula de nouveau dans ses membres. Il leva les yeux vers Raoul et le remercia.

PAUSE
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptySam 19 Nov - 18:02

LES jours passèrent avec la monotonie qui régit les voyages maritimes. Aucun travail de charpente n'étant pressant, Annibal fut mis à contribution comme un simple gabier Sur le Sainte-Elodie, le commandant Champlain détestait l'oisiveté.
Ester passait l'essentiel de son temps en compagnie de la famille Ollenberg, discutant des heures avec leur fille. Helen Ollenberg était une adorable adolescente, aux cheveux aussi blonds que ceux de Junon et eux yeux bleus. Eperdument éprise de musique, d'une nature passionnée, elle avait obtenu de son père que fût embarqué le piano familial, auquel elle rendait visite chaque jour dans la cale. L'obligation faite aux deux amants de vivre sur le même navire sans pouvoir se retrouver donnait leur voyage un caractère étrange. La nécessité de ne pas trahir leur intimité les contraignit à s'interroger sur le lien qui les unissait. Celui-ci s'en trouva renforcé.

LE navire tirait sa route avec régularité lorsque, trois jours après avoir doublé les îles du Cap-Vert, un calme plat s'installa brutalement. Les visages se tournèrent vers le ceil avec sinon de l'inquiétude du moins de l'agacement. On eût cherché en vain le moindre souffle marin. Au milieu de l'après-midi, un cri monta de la cuisine.
- Bibi a disparu Exclamation
Annibal, perché tout en haut d'un mât qu'il graissait, se pencha sur le vide. Il aperçut sur le pont la silhouette de Raoul qui criait :
- Où est Bibi Question Où est le chat Question
Le cuisinier s'engouffra par l'écoutille, remonta le mousse à grands coups de gifles et lui ordonna de retrouver l'animal. Des matelots occupés à raidir le gréement s'interrompirent et se dévisagèrent d'un air sombre. Deux matelots qui grattaient les ancres, malgré l'apparition du lieutenant, partirent à la recherche du chat. Le soir, il fallut se rendre à l'évidence, Bibi avait disparu.
Cet événement plongea l'équipage dans un abattement profond. Le soir, Annibal interrogea Fleury :
- Un chat qui disparaît sur un navire est toujours le signe de grands malheurs.
- C'est une superstition, dit Annibal en haussant les épaules.
- Ne te moque pas Exclamation reprit Fleury. Tu ne connais pas la mer. Moi, j'ai voyagé toute ma chienne de vie. Je sais.
- Au pays, je n'ai jamais cru aux sorciers, répondit Annibal.
- Sur terre, c'est facile, trancha Fleury avec véhémence. Mais, ici, notre sort, c'est de boire à la grande tasse. Et quand bien même tu serais amiral, tu ne me ferais pas changer d'avis Exclamation D'ailleurs, j'observe déjà des signes...
- Quels signes Question
Fleury resta muet.
La nuit engloutit le Sainte-Elodie, porteuse d'une tiédeur inconnue. Peu avant que le soleil ne s'enfonce à l'horizon, un banc de poissons volants avait frôlé l'étrave. Annibal s'était précipité pour admirer ce prodige. Puis le calme plat avait effacé toute manifestation de vie marine. Le Sainte-Elodie était aussi immobile que s'il fût à l'ancrage.

Pause Exclamation ...
Wink
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyDim 20 Nov - 11:36

LE jour se leva sur le Sainte-Elodie sans qu'un souffle de vent n'ait gonflé les voiles brassées en pointe. Le voilier était toujours en panne. Au cours de la journée, aucun incident ne troubla l'ennui et le découragement de l'équipage. Puis une nouvelle nuit passa, sans que le moindre souffle de vent ne vînt arracher le Sainte-Elodie au maléfice qui le tenait rivé au large des côtes d'Afrique, sans même n bruit de clapot sur son étrave.
Le lendemain, le sunny se leva sur un ciel d'une pureté absolue. Les hommes de quart descendirent sur les cadres, hébétés par une nuit d'attente.
Alors qu'Annibal était dans la cambuse, un bruit violent se produisit sur le pont. Le Creusois se précipita. Le lieutenant Larivière gisait dans une mare de sang, la tête fracassée par un épissoir mal arrimé dans la hune (plateforme élevée sur les mâts). L'épissoir lui avait fait éclater la cervelle, qui maculait le plancher. La vision du jeune homme, les membres encore agités de spasmes, plongea les passagers su Sainte-Elodie dans l'effroi et la consternation.
- Le chat, grommela Fleury, qui ne décolérait pas.
Le tonnelier avait d'autres sujets d'inquiétude. Depuis le passage au large des îles Canaries, il n'avait cessé de déplorer que le commandant ne prît pas la peine de ravitailler en eau douce, en fruits et en viandes fraîches. A présent, une boue rougeâtre contaminait l'eau dans les futailles. Fleury usait d'un filtre de terre poreuse, mais le liquide trouble qu'il fallait absorber n'avait plus guère à voir avec l'eau embarquée. Les effets débilitants de cette boisson se faisaient sentir, et Ange Sénoueix dut expédier trois matelots sur les cadres. La seule consolation d'Annibal, épuisé et en proie à la dysenterie, fut d'apprendre de la bouche d'Ange Sénoueix qu'Ester était en bonne condition physique. Par contre, la gentille Joane Marceau se trouvait très affaiblie. Son mari la veillait jour et nuit. Et Ange Sénoueix doutait qu'elle se rétablît si le Sainte-Elodie ne rallait pas au plus tôt la côte.
Les obsèques de Larivière eurent lieu l'après-midi même. Devant le matelotage aligné, la maistrance et les passagers, le commandant Champlain organisa les funérailles dans un silence pesant. Le catafalque fut placé à l'horizontale sur la lice du plat-bord, sous le vent. Le corps du jeune Bordelais, dont chacun, en cet instant, se remémorait la discrétion et la gentillesse, fut posé sur un caillebotis dans un linceul blanc. Champlain prononça les paroles d'usage, recommandant à Dieu l'âme du lieutenant. Deux matelots inclinèrent la plate-forme et le corps glissa à la mer.
La fièvre obligea le capitaine à regagner sa cabine et à se laisser tomber sur sa couchette, tremblant de la tête jusqu'aux pieds. Il y avait vingt-deux jours que le Sainte-Elodie avait appareillé de La Rochelle.

PAUSE Exclamation
sunny
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MARCO

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyDim 20 Nov - 16:35

study
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyDim 20 Nov - 19:48

Au cours des heures qui suivirent, comme si la mort du lieutenant avait marqué un signal, trois nouveaux marins furent relégués sur les cadres, en proie à des coliques qui les laissaient pour morts. Ange Sénoueix ne cessait de leur prodiguer des soins. Mais lui-même perdait des forces tandis que le commandant s'affaiblissait et que Joane Marceau était entre la vie et la mort. Le pasteur Ollenberg priait des heures pour le salut du navire et de ses occupants sous les yeux pleins de larmes de son épouse alitée. Le calme plat s'acharnait à tenir le Sainte-Elodie immobile sur l'océan. Dans l'après-midi, Raoul découvrit que la quasi totalité des réserves de viande salée était avariée (n'était plus consommable). Les esprits les plus solides commençaient à s'égarer (à perdre la tête).
Le lendemain, devant l'aggravation de son état, Champlain remit son commandement au second. Annibal, brisant le tabou qui réglait son comportement depuis l'embarquement, avait retrouvé Ester dans sa cabine.
- Comment vas-tu Question demanda-t-il en la prenant dans ses bras.
Ester l'embrassa et murmura :
- Tu as bien fait de venir. A deux, il ne peut rien nous arriver.
Ils étaient assis sur la couchette lorsque Ange Sénoueix frappa à la porte de la cabine.
- Tu es là Question dit-il distraitement à Annibal. C'est bien.
Il s'assit sur une chaise et sortit de sa poche une fiole (une petite bouteille).
- Rincez-vous la bouche avec ce jus de citron. Deux ou trois fois par jour. Quant au reste...
Il eut un geste d'impuissance. Ils se dévisagèrent. Sénoueix avait le visage ravagé par la fièvre. Ses yeux si éclatants de vie étaient recouverts d'un voile d'émail brouillé.
- Je n'ai jamais rien vécu de pire, murmura-t-il. Ce bateau est un pourrisoir sur lequel nous allons tous partir en lambeaux si le vent ne se lève pas.
Il se tourna vers le hublot et regarda machinalement le ciel.
- Joane Marceau a deux jours devant elle... Tout au plus. Son mari est plus touché qu'il ne le croit. Mme Ollenberg aura bien besoin des prières de son époux. Le commandant est perdu... J'ai sept hommes sur les cadres et je me demande comment les autres pourraient manoeuvrer si par miracle le vent se levait. Ah Exclamation ça Exclamation Crever (mourir) ainsi, je ne me voyais pas partir de cette manière.
- Nous ne sommes pas encore morts, dit Annibal.
- Regarde-nous Exclamation Trois semaines que nous mangeons de viande avariée et buvons de l'eau à laquelle ne s'abreuverait pas un cheval. Aucun organisme ne peut résister à ça. (Il eut un sourire.) Le plus terrible, vois-tu, c'est d'être un soldat blessé avant d'avoir combattu. (Il se leva et dit Smile N'oubliez-pas de vous rincer les gencives...
Et il referma la porte.
Le pont du Sainte-Elodie, écrasé de sunny , resta vide. Un navire qui eût croisé le bateau rochelais l'eût pris pour un navire fantôme ou encore un de ces négriers, théâtre d'une révolte, que les Noirs ont abandonné après s'en être rendus maîtres. Le soir vint enfin, dissipant la chaleur qui ajoutait au malheur des hommes. Le sunny rouge était bas à l'horizon quand, soudain, les voyageurs, pour la plupart sur leurs couchettes dans une demi-torpeur, entendirent un son cristallin. Fleury, ruisselant de sueur, se releva sur un coude et tendit l'oreille. Une musique improbable et légère parvenait jusqu'à la cabine. Les poils dressés sur les bras, il alla secouer Annibal qui dormait, et les deux hommes montèrent sur le pont. Pierre Marceau, Ester, le second cherchaient, eux aussi, l'origine de ce mystère. Annibal en tête, ils descendirent à la cale d'où parvenaient les sons. Ils poussèrent une porte.
Dans la pénombre, Helen Ollenberg était assise à son piano.
Ils avancèrent vers la jeune fille, qui ne prêta pas attention à eux.
Bientôt tous ceux qui avaient encore assez de force se retrouvèrent autour du piano, que la petite avait dégagé partiellement du cadre qui le protégeait.
Combien de temps restèrent-ils tous, là, à écouter Helen Question
Aucun n'aurait pu le dire. Ce fut Raoul, le premier, qui perçut le léger clapot sur les flancs du voilier. Tout d'abord il ne dit rien, de peur qu'en interrompant la fillette, il ne brisât le charme. De crainte aussi de s'être trompé. Le Sainte-Elodie frémit légèrement et un balancement s'empara de sa coque. Lorsque Raoul fut certain d'avoir entendu claquer le foc laissé sur sa drisse, il s'écria :
- Tous sur le pont Exclamation Paré à la manoeuvre Exclamation
Alors Helen releva ses menottes (ses petites mains), essuya les larmes qui coulaient de ses yeux rougis.

FIN DU 20. ...
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyLun 21 Nov - 19:27

21

La barre

- EN haut, à larguer les huniers Exclamation hurla le second.
Des nuages noirs montaient depuis l'horizon. Un vent qui faisait se succéder des souffles tièdes et glacés passa sur le navire. Les voiles claquèrent. Le Sainte-Etoile se cabra. Une pluie drue s'abattis sur le pont. Fleury et Ange Sénoueix disposèrent des toiles goudronnées afin de la recueillir.
Une saute vent arriva soudain avec une violence inattendue. Le Sainte-Elodie encaissa le choc.
- C'est un grain blanc (un vent soudain, violent et très rare, mais très dangereux) Exclamation cria Fleury. Nous allons le prendre de plein fouet.
Bientôt la mer se souleva lentement, et l'étrave du voilier plongea dans un creux vertigineux. Les mâts craquèrent.
- Toujours le chat Exclamation cria Raoul.
Une vague balaya le pont. De nouveau, les hommes grimpèrent dans les huniers sous les ordres du second. Le navire avait le vent debout. Le grain dura dix minutes. Et puis, brusquement, une brise fraîche souffla sur les flots.

L'ETAT sanitaire du Sainte-Elodie était alarmant. Sur vingt hommes d'équipage, neuf seulement étaient encore valides. Joane Marceau était au plus mal. Les Ollenberg, à l'exception de leur fille Helen, n'allaient guère mieux. Dans les cabines régnait un odeur suffocante, d'autant plus offensante qu'ne lourdeur tropicale accablait le navire. Ce fut alors que Fleury fut atteint d'ophtalmie. Annibal le vit se heurter à une porte, porter la main sur ses yeux et cirer :
- Je suis aveugle Exclamation
La nouvelle jeta la consternation sur l'équipage, qui ne désira plus qu'une chose : gagner la côte et y rafraîchir. Raoul fut désigné pour aller parler au second.
- Commandant, toutes nos réserves sont avariées. L'eau de nos futailles est putride. Les toiles tendues pour récupérer la pluie ont versé sous l'effet du grain.
Le second haussa les épaules.
- L'armateur n'a pas prévu de ravitaillement avant Juda. Je ne peux prendre une décision qui irait à l'encontre de cet ordre. Seul le commandant Champlain serait habilité à le faire.
Ange Sénoueix, qui avait rejoint les deux hommes était intervenue vigoureusement.
- Je me vois dans l'obligation de noter scrupuleusement dans mon cahier de bord votre refus. Cette décision, certes vous appartient. Mais je vous jure bien que, si nous revenons vivants de ce voyage, vous ne trouverez plus jamais un embarquement.
Une heure plus tard, le second donnait l'ordre de piquer vers l'est, vers la côte. L'espoir d'échapper à une fin certaine s'empara des matelots et des passagers alors que deux gabiers venaient de mourir, victimes des fièvres.
Le lendemain matin, un cri tomba de la vigie.
- Terre en vue Exclamation
Tous ceux qui pouvaient encore se déplacer se précipitèrent sur le pont. Une frange de couleur ocre émergeait de l'océan, couverte d'une brume. Les marins fixaient cette ligne en silence.

PAUSE
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyMar 22 Nov - 16:17

José, un Espagnol, qui était de ceux qui connaissaient le mieux la côte africaine à l'est du cap des Trois-Pointes, ne put identifier les lieux, qui paraissent désertiques.
- Nous sommes sauvés Exclamation cria Pierre Marceau, qui se tenait au bastingage.
Des matelots le regardèrent. Le Lyonnais ne se rendit pas compte de la gravité de son état. Un filet de salive rouge coulait de la commissure de ses lèvres.
- Rien n'est moins sûr, soupira le second.
- Mais enfin Exclamation Regardez la terre. Là-bas, nous trouverons du gibier, de l'eau, des fruits. Nous sommes sauvés, vous dis-je.
Le second s'écarta de Marceau et dit sur un ton d'une parfaite neutralité :
- Il y a la barre.
- La barre Question
Le second tendit le bras.
- Cette ligne d'écume, parallèle à la côte. C'est la barre. Il nous faudrait un pilote indigène. Eux seuls sont capables de nous la faire franchir. Nos chaloupes sont impropres (inutilisables).
- Un pilote Question
- Oui. Un nègre qui connaît bien la côte...
- Mais vous êtes marin que je sache Exclamation dit Marceau. Vous allez donc traverser cette barre et nous conduire sur la terre ferme afin que nous puissions reprendre des forces. C'est aussi simple, monsieur. Et tel est votre devoir.
Le second renonça à répondre et retourna sur le tillac.
Annibal s'approcha d'Ester, appuyée sur la rambarde de tribord.
- Ainsi, c'est l'Afrique que nous voyons, là-bas Question
- Je te ferai aimer mon pays, promit-elle, dans un sourire.
Annibal s'approcha. Sa main rejoignit celle d'Ester posée sur le chêne du bastingage.
Un coup de sifflet les sépara. Le second ordonnait le mouillage du Sainte-Elodie à cinq encablures de la barre. On décida d'envoyer une chaloupe qui tenterait de rallier la côte afin de s'y procurer des vivres et du secours. Parmi les neuf matelots qui n'étaient pas sur les cadres furent choisis les hommes à l'expérience et au courage incontestables. Raoul, bien que cuisinier, accepta la mission en raison de sa connaissance de la mer. Louis, le nouveau lieutenant, José et Sélario, tous trois marins reconnu, complétèrent l'équipage.
Annibal voulait questionner Fleury sur les chances de réussite des marins. Mais devant le visage fermé de son compagnon, dont les yeux presque clos fixaient la barre avec intensité, il se ravisa (il changea d'avis).

Je reviens Exclamation

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyMar 22 Nov - 16:48

- S'ils dessalent, ils sont perdus, murmura le tonnelier.
Bientôt, l'embarcation ne fut plus qu'une coque minuscule, ballotée à l'approche de la barre. Malgré la houle, les avirons battaient sans perdre la cadence. On devinait encore les silhouettes des quatre matelots malmenés sur leurs bancs. Une angoisse serrait la gorge ce deux qui les observaient depuis le pont. D'un coup, l'embarcation disparut derrière la première des trois lignes de brisants (fortes vagues).
Ester retint son souffle. La proue (l'avant de la chaloupe) réapparut enfin, pointée vers le ciel, comme si le canot sortait des profondeurs marines. Les passager du Sainte-Elodie virent encore les quatre hommes qui continuaient à souque (ramer), leurs avirons battant dans le vide, et pis la chaloupe disparut sur l'autre versant de l'abîme, haut de près de trente pieds. Un silence absolu régnait sur le pont.
- Quatre hommes à la mer Exclamation cria le Singe (la vigie, en haut du mât), du haut de sa position de vigie.
- Affalez (mettez une barque à l'eau) une chaloupe Exclamation
L'eau s'était engouffrée dans l'embarcation et l'avait retournée instantanément. Raoul et Louis s'étaient accrochés à des planches. José et Sélario, qui ne savaient pas nager, avaient coulé à pic. Miraculeusement, des débris auxquels s'agrippaient les deux survivants furent visibles aux limites du premier brisant.
Annibal et trois gabiers souquaient ferme. La barre ressemblait à une montagne d'écume, contre laquelle venait de se disloquer la première embarcation. Alors qu'ils étaient à soixante brasses des premiers remous, ils virent leurs deux compagnons qui nageaient vers eux. Un cri de joie leur parvint du pont du Sainte-Elodie. Raoul était le meilleur nageur et soutenait Louis, blessé lors du dessalage. Les deux hommes ne furent bientôt plus qu'à dix brasses des secours. L'espoir d'être sauvés se lisait sur leurs visages lorsque, soudain, les sauveteurs restèrent pétrifiés. Des ailerons gris tournaient autour des naufragés. Raoul et Louis comprirent le danger et redoublèrent d'efforts. Annibal lança un cordage. Raoul s'en saisit sans lâcher Louis, qu'il retenait par les épaules. Les hommes halèrent (tirèrent) depuis la chaloupe.
Le hurlement de Louis monta si fort que tous ceux qui l'entendirent oublièrent le roulement effarant des vagues. Le malheureux fut arraché des bras de Raoul comme par une force surnaturelle et disparut dans les profondeurs. Un nuage rouge monta en surface, émulsionné par l'écume, et entoura Raoul. il ne restait que quelques pieds de corde à ramener. Au risque de dessaler, les homme s se penchèrent, attrapèrent le cuisinier par ses vêtement et le hissèrent hors de l'eau en y mettant toute la violence qui'l faut pour arracher un homme à l'enfer.

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyMar 22 Nov - 18:20

La consternation accueillit le retour de la chaloupe. Chacun avait vu, depuis le Sainte-Elodie, disparaître trois hommes qui avaient risqué leur vie pour les autres.
Raoul, dès qu'il eut repris ses esprits, se présenta au second.
- Nous ne parviendrons pas à franchir la barre sur nos chaloupes. Et quand bien même nous y parviendrons à l'aller, le retour vers le Sainte-Elodie nous serait refusé.
- Tu as une idée Question demanda le second.
- Les eaux sont suffisamment profondes pour que le Sainte-Elodie passe là où nous avons échoué. Nous avons une heure de vent favorable devant nous.
- C'est un gros risque.
- Je sais. Mais que faire d'autre Question Attendre et crever sur place Question
Accompagné d'Ange Sénoueix, le second se rendit dans la cabine du commandant. Ce fut pour découvrir son corps encore tiède. La mort de Champlain précipita la décision du second , qui donna l'ordre de se présenter face à la barre.
L'étrave du navire se présenta debout à l'écume. Les voiles gonflées, le Sainte-Elodie reçut avec toute la fermeté que laissait espérer sa solide structure le choc de la première lame. Les hommes se prirent à espérer un passage franc, lorsque le vent tomba d'un coup. Aussitôt, un raclement monta de la coque ; le voilier talonnait. La bise ne reprenant pas, le Sainte-Elodie vint à toucher à plein flanc tout en penchant dangereusement. La manoeuvre venait d'échouer. Le second fit mettre à l'eau une chaloupe porteuse d'une ancre, avec le projet de la placer du côté de la pleine mer et de haler le voilier en dehors de la zone dangereuse où il se trouvait lamentablement prisonnier.
Il fallait faire vite. Les lames ébranlaient la coque. Des craquements se produisaient depuis la quille et l'on pouvait craindre la dislocation du bâtiment. La chaloupe parvint à déposer l'ancre à vingt brasses. On commença le halage, mais l'ancre ne s'agrippa pas sur le fond. Au lieu d'entraîner le Sainte-Elodie, c'était elle qui venait.
Le mousse remonta des cales en signalant qu'une voie d'eau s'était ouverte. La coque était éventrée sur sept pieds de longueur. Aussitôt, Annibal se précipita dans les cales pour entreprendre une réparation.
- Jetez les canons à la mer Exclamation commanda le second.
Les hommes se ruèrent sur les caronades.
- Pompez l'eau des futailles par-dessus bord Exclamation
Raoul sonda et ne mesura que sept à huit pieds d'eau, alors qu'il eût fallu onze pieds pour passer. Des secousses de plus en plus violentes éprouvaient la coque.
Après avoir précipité à la mer les marchandises les plus pesantes, le second ordonna de se débarrasser du piano d'Helen Ollenberg. Les matelots, qui, la veille n'avaient pu s'empêcher d'associer le retour du vent avec la musique de la fillette, comprirent que tout était perdu.
- Si nous coupions les mâts Question suggéra un gabier.
- Les mâts nous sont plus utiles qu'un piano Exclamation hurla le second. Exécutez mon ordre Exclamation
Six hommes sortirent le piano, entreposé dans la partie arrière du Sainte-Elodie, celle qui justement talonnait . Quand les matelots l'eurent posé en équilibre sur le bastingage, le piano glissa comme un catafalque. Les matelots se retournèrent alors sans oser regarder la jeune fille, persuadés que la décision du second scellait le malheur du Sainte-Elodie, sui talonnait toujours.
- Abattez les mâts Exclamation hurla l'officier quand il comprit que la perte du piano n'avait servi de rien.
Deux hommes se saisirent de haches et attaquèrent la base des mâts. Au fon de la cale, Annibal ne parvenait plus à contenir la brèche par laquelle s'engouffrait une eau sombre. Les coups de hache des matelots lui parvinrent comme le signal d'un drame inéluctable. Bientôt le grand mât s'effondra sur la mât de misaine, entraînant avec les gréements, écrasant une partie du tillac. Malgré l'inclinaison du navire, les hommes dégagèrent les bois et les passèrent par-dessus bord. Le Sainte-Elodie reposait toujours sur le fond.
- Les chaloupes à la mer Exclamation ordonna le second, qui venait de juger la situation perdue.
Les hommes valides se ruèrent dans les cabines pour remonter sur le pont ceux qui gisaient sur les cadres. Ange Sénoueix partit chercher Joane Marceau, que son mari, inquiet de l'arrimage de ses malles, n'avait toujours pas rejointe. Ester aidait Mme Ollenberg à monter dans une chaloupe affalée du côté de la pleine mer. Soudain, un craquement terrible se produisit. Un brisant plus violent que les autres venait d'éventrer la coque du navire rochelais. L'eau s'engouffra dans les cales. Chacun se précipita vers les trois embarcations, qui furent instantanément retournées. Les matelots descendus chercher leurs camarades furent engloutis.
Prisonnier au fond du navire, Annibal nagea jusqu'à heurter le plafond de la cale. Des images de son enfance lui revenaient, quand il plongeait dans l'étang de Montfranc aux eaux tièdes posées sur un tuf couleur d'or. Mais l'eau qui cherchait à emplir ses poumons était glacée et amère. Ses forces faiblissaient. Sa poitrine brûlait. Devant ses yeux grands ouverts, le visage d'Ester était penché sur lui. Il songea à la jeune femme, avec la certitude que l'amour qu 'il éprouvait pour elle serait la seule trace que laisserait sa vie absurde. A demi-conscient, écrasé contre les cloisons, Annibal n'avait plus peur. L'immense regret d'abandonner Ester filait hors de sa conscience. Ce fut alors qu'une lame plus terrible que les précédents éventra définitivement la coque du Sainte-Elodie, dégageant un éclair qui avait, au travers de l'écume, la clarté du ciel d'Afrique. Le corps d'Annibal fut emporté cers ce ciel, arraché des profondeurs, hissé au sommet des brisants et soutenu à fleur de vague. Il glissa sur la crête de l'écume et fut poussé par le courant qui va de la barre jusqu'à la plage et jeté sur le sable parmi les planches, les débris des voiles et les corps de ses compagnons.




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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyMar 22 Nov - 19:19

ANNIBAL ouvrit les yeux. Autour de lui le sable était si chaud que la brûlure le contraignit à tourner la tête. Il parvint à sa mettre sur le dos et demeura dans cette position, respirant à peine, les yeux perdus sur ce ciel qu'il se mit à aimer pour être le premier éblouissement entrevu après avoir été arraché à la mort. Annibal comprit qu'il vivait. Une faiblesse tenait tout son être, comme après une convalescence. Il respira profondément. La rumeur de la barre réinstalla son roulement assourdissant. Il passa la langue sur ses lèvres salées, tourna les yeux par côté. Des débris du grand mât roulaient dans l'écume. A dix pieds, il vit le corps du mousse, inerte. Anibal songea à Ester.
Il trouva enfin la force se redersser. Tout autour, des épaves jonchaient la plage. Il reconnut des pièces de charpente de l'entrepont, la figure de proue, le coffre de Clément... Après s'être assuré que le Singe était mort, il scruta la plage et découvrit le cadavre du second. Annibal recula en titubant.
- Ester Exclamation cria-t-il. Ester ...
- Annibal...
Annibal se retourna, Raoul, le cuisinier, faisait des signes du bras, sans pouvoir se lever.
- Tu as vu Ester Question demanda Annibal.
- Ester Question répondit l'autre sans comprendre.
- Ester Exclamation hurla Annibal en agrippant Raoul.
Il l'aperçut à deux cents pas, étendu sur le dos, à la limite des vagues qui marquaient le sable d'auréoles grises.
- Ester Exclamation
Annibal s'élança. Arrivé près de la jeune femme, il se laissa tomber à genoux.
- Ester...
Elle avait les yeux fermés. Il la serra dans ses bras.
- Ester... Je t'en supplie, réponds-moi Exclamation
Annibal s'allongea contre elle. Ses doigts alleient de ses tempes jusqu'au pli des lèvres entrouvertes, remontaient jusqu'à son front. Il lui parlait à voix basse, soufflant sur son visage somme on éveillerait sa maîtresse après l'avoir regardée dormir.
- Ester. Il faut vivre Exclamation Je t'en supplie.
Ses lèvres s'entrouvrirent et Ester lui rendit son regard. Il la prit dans ses bras et la serra avec l'idée que sa chaleur passerait dans le corps de sa bien-aimée et finirait de lui redonner vie. Le visage enfoui dans sa nuque, il sentit la poitrine d'Ester se soulever de nouveau, son souffle gagner de l'ampleur. Plus rien d'autre ne comptait. Ni la barre ni l'immensité océane. Ni même cette ligne de palmiers qui dissimulait une forêt profonde au long de la plage. La jeune femme noua ses bras derrière la nuque d'Annibal. Ils étaient sauvés.

22

Epilogue

Six ans plus tard, en 1838, le capitaine Fleuriot, à la tête d'une colonne d'une vingtaine d'hommes, remontait l'Ouémé, fleuve dont il importait d'établir le relevé afin d'affermir la marche de la France vers l'intérieur du continent africain. outre les porteurs, les guides, dix fusiliers marins, l'expédition comptait quatre scientifiques dépêchés par l'Académie des sciences et l'Institut de géographie. Un médecin anglais, l'austère Dr Glove et le père Langle complétaient le groupe.
Alors qu'ils étaient au nord de Ouangara, les guides découvrirent une dizaine de Noirs qui bûcheronnaient du bois de gros oeuvre. A la surprise des Européens, les hommes utilisaient la technique des scieurs de long occidentaux. un des guides questionna les Noirs. On lui répondit simplement que l'homme perché sur le tronc se nommait le chevreau et l'autre le renard.Fleuriot ordonna qu'on le conduisît à leur village. La colonne se mit en marche. Le géographe de l'équipe précisa qu'on se trouvait en terre zougou, aux confins du Togo et du Soudan.
Après une demi-heure de marche, les hommes arrivèrent aux marges d'une immense clairière. La forêt se déchira brutalement sur un ciel fulgurant dans sa lumière tourmentée de mauve et de marine, qui s'allaient aux fluorescences tropicales des cimes. Au coeur de la clairière, un village semblable aux autres villages de cette région nord du Dahomey occupait un léger replat au milieu de plantations de manioc. L'ensemble s'imposait par son équilibre et une harmonie naturelle propre aux habitats africains.
Un caporal fit remarquer que, légèrement à l'écart, se tenait une habitation du genre le plus extravagant qu'il fût possible d'imaginer sur cette partie oubliée du continent africain. Fleuriot sorti ses jumelles de leur étui de cuir, et ce qu'il observa ne manqua pas de l'interloquer (de le surprendre). Une chaumière de plain-pied qui possédait les caractères des maisons françaises de piedmont était construite au coeur de la forêt tropicale.

Le capitaine Fleuriot commanda qu'on se portât en avant. Des enfants accoururent au-devant de la colonne. Les guides demandèrent qu'on conduise le capitaine et les scientifiques vers la "maison qui n'est pas ronde".
Lorsqu'ils les virent arriver près de la chaumière, deux enfants, dont l'aînée paraissait âgée de cinq ans tout au plus, se précipitèrent vers les membres de l'expédition en poussant des cris joyeux. La petite fille, d'une beauté lumineuse, avait le teint légèrement cuivré et, particularité admirable, les yeux d'un vert d'océan. Le frère cadet était superbement noir.
Comme si elle surveillait ses enfants d'une fenêtre, une femme, qui ne pouvait être que leur mère, parut sur le seul de la chaumière. Les Français, et même le Dr Glove, restèrent interdits devant sa beauté. Contrairement aux autres femmes du village qui allaient nues, elle était vêtue d'un pagne de tissu chamarré qui lui couvrait la poitrine et les reins et dégageait des épaules d'une finesse sculpturale et des jambes interminables.
La femme fixa le capitaine dans les yeux. A ce moment, un Blanc, proche de la trentaine, les cheveux couverts de copeaux, un rabot à la main, sortit d'une remise qui lui servait d'atelier. L'homme ébloui par le sunny , hésita puis marcha au-devant du capitaine.
- Bonjour, dit-il en tendant la main.
- Capitaine Fleuriot, répondit l'autre. Vous êtes français Question
Annibal hocha la tête.
Sidéré, Fleuriot se tourna vers ses compagnons.
- Vous vivez là Exclamation dans cet isolement Question
- Je vis là. Ma femme et moi, nos deux enfants...
Annibal prit Ester par la main. Le capitaine salua avec un rien de raideur. Les vieuxm essieurs qui l'accompagnaient se précipitèrent.
- Ester, mon épouse. Marie et Olof, nos enfants.
La petite Marie, qui enlaçait une jambe de sa mère, se sépara d'Ester et avança vers les militaires avec cet air effronté qui en faisait la préférée des vieux sages du village. Elle alla parmi les soldats et s'amusa à toucher leurs sabres et leurs cartouchières. Un fusilier marin lui tendit un biscuit.
- Comment êtes-vous arrivés là Question demanda Fleuriot d'une voix qui exprimait encore son incrédulité.
Annibal et Ester se regardèrent en souriant. Une lueur éclaira leurs yeux. Ils hésitèrent, observèrent les hommes fourbus sous le sunny de plomb.
- Puisque vous voilà chez nous, dit Annibal, finissez d'entrer...

FIN



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MAINGANTEE

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyMer 23 Nov - 15:07

Merci ma belle, je lis ca ce soir !!!
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Jean2

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 6 EmptyJeu 24 Nov - 10:25

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