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Détente - amitié - rencontre entre nous - un peu de couleurs pour éclaircir le quotidien parfois un peu gris...
 
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 LA BELLE ROCHELAISE

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JeanneMarie
Martine
MARCO
epistophélès
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epistophélès

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyLun 24 Oct - 16:49

"- Je suis le premier et le plus grossier maillon de la chaîne des êtres, tout de suite après le singe qui a séduit ma mère...
- Comment pouvez-vous proférer de telles horreurs, ma fille ? Faut-il que vous soyez blessée !
Ils se turent. Annibal, redevenu sérieux, demanda :
- - Mon père, Ester et moi, nous souhaitons nous marier. Accepterez-vous de célébrer notre union ?
- Êtes-vous catholique ? demanda l'abbé Troubert.
Ester sourit.
- Bien sûr.
Le vieux curé songea alors seulement à ramasser le livre qui était tombé. D'une voix forte, il dit :
- Faites les démarches afin que soient publiés les bans.
- Merci, mon père ! s'écria Annibal en prenant le vieux prêtre dans ses bras.
- Lâche-moi, sale garnement !
- Remercie M. L'abbé, ajouta Annibal en se tournant vers Ester.
La jeune femme s'avança vers le prêtre.
- Merci, mon père.
Tandis que le prêtre retournait dans son presbytère, ils poursuivirent vers l'auberge de Télesphore, devant laquelle attendaient trois chevaux, un âne et une paire de boeufs.
- Les affaires vont bien ! s'exclama Annibal. Avec Junon, cela ne m'étonne pas.
Ils poussèrent la porte. Une dizaine d'hommes étaient attablés. Annibal aperçut Muguette qui portait une omelette. La pauvre fille, en voyant surgir son ancien fiancé, manqua de laisser échapper le plat. Annibal lui adressa un sourire.
- Junon ! s'exclama-t-il en voyant sa soeur qui tirait le vin d'une barrique à la perce.
Junon se retourna. Elle posa son pichet sur un coin de table et s'élança vers son frère, qui l'accueillit dans ses bras.
Junon était aussi blonde qu'Ester était brune. Ses cheveux défaits couvraient les épaules de son frère. Elle leva lentement les yeux et découvrit Ester. S'écartant d'Annibal, elle demanda :
- Qui est-ce ?
Un silence s'était abattu sur la salle. Annibal proclama d'une voix triomphante :
- Ma soeur, je te présente Ester. Le père Troubert va nous marier.
Junon pâlit.
- La fille de La Rochelle, c'était elle ?
Annibal opina. Junon tourna les talons et dit :
- Ne restons pas là ! Suivez-moi.
Si Annibal avait espéré un accueil chaleureux, il fut déçu. Sa soeur ne marqua aucun signe de tendresse spontanée pour Ester, vers laquelle elle fut incapable d'aller. Seule Agathe, la mère d'Annibal, toujours émerveillée par son fils, considéra, après tout, qu'"épouser une négresse" était une manière de se distinguer. Car, si la vue d'une femme noire demeurait étonnante en Charente-Inférieure ou en Angoumois, où chacun avait eu l'occasion de rencontrer un marin qui revenait d'Afrique ou des Antilles, c'est peu de dire qu'à Pigerolles la présence d'Ester avait quelque chose de révolutionnaire."

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 27 Oct - 19:27

Ils déjeunèrent dans la cuisine. Junon demanda avec une certaine vivacté à Annibal ce qu'il entendait faire à Pigerolles.
- Où donc se trouve ce cher Télesphore ? répondit Annbial.
- C'est jour de foire, à Gentioux, et ce brave Thélesphor maquignonne. je t'ai posé une question.
- Nous allons ouvrir une auberge, à Combes-Meille. Les fens viendront de loin pour écouter les histoires d'Annibal et voir sa belle Rochelaise, dit le jeune homme.
- Tu mens !
- Pas du tout ! Comment imagines-tu que je vais faire vivre ma petite famille ? En faisant du théâtre ?
Junon haussa les épaules.
- Quelle petite famille ?
- Bramefaim, qui est pour moi un frère aussi proche que je me sens proche de Télesphore, Mouchet et Joko.
- C'est tout ?
- Non ! Les hommes et les femmes qui se marient espèrent de beaux fruits babillards. A ce propos...
Annibal se saisit de la taille de Junon et la retint prisonnière.
- Un neveu est-il en route, que je lui apprenne tout ce que Télesphore ne pourra jamais lui apprendre ?
- Lâche-moi ! s'écria Junon. Alors cette auberge ?
Annibal eut un geste évasif et dit :
- Venez, partons à Combe-Meille !
Au passage, dans la salle de l'auberge, d'un coup de couteau, Annibal décrocha un jambon pendu au plafond, qu'il lança dans les bras de Mouchet. Bramefaim fut encombré de trois bouteilles de vin et d'une tourte. Annibal s'exclama :
- J'ouvre un compte auprès de mon beau-frère !
Ils arrivèrent à Combe-Meille par le bois du cimetière. Jusqu'à l'horizon, de sprairies rases et parsemées d'ajonc jetaient leur drapé léger sur la masse granitique du puy d'Arlet. Du coin de l'oeil, Annibal surveillait Bramefaim, transfiguré par l'émotion. Le colosse avança dans la pente. Ils le virent marcher vers le chêne, qu'il étreignit. Mouchet et Joko le rejoignirent à la course.
- Nous allons vivre ici, murmura Annibal à Ester.
- Pourquoi ? demanda la jeune femme, d'une voix sourde. Pourquoi ne pas m'avoir demandé ce que je pensais de ce mariage ? Mon avis n'a pas d'importance, c'est cela ?
- Mais non ! Les choses se sont passées ainsi. Le père Troubert a cru que tu étais une diancée rochelaise que je m'étais inventée pour échapper au mariage avec Muguette. Ila pensé que tu étais cette femme. J'y ai vu un signe...
- Le maître de la plantation ne demande jamais leur avis aux exclaves lorsqu'il les marie. Il les accouple comme des bêtes.
La peine davantage que la colère perçait dans le timbre de sa voix. Elle regardait avec fixité l'horizon, refusant de se tourner vers Annibal. Le jeune homme la saisit par le bras et lui fait faire volte-face. Il la força à le regarder.
- Ai-je l'air d'un maître ? Ne crois pas, parce que je suis un Blanc, que je sois respecté. Hâbleur, coureur, tricheur, aimé des femmes, méprisé par tous ceux qui ont cent francs devant eux... Voilà ce que j'étais avant toi. Sur mon compte, il n'y avait que ma mère, qui était aveugle ! Aussi, j'ai le droit de te parler d'égal à égal, Ester. Parce que, avant de te rencontrer, je n'étais personne dans ce pays qui pèse tout au poids du travail et de l'or. Et parce que je t'aime...

Ils restèrent silencieux, le regard abîmé sur Combe-Meille. En quelques heures, la salle commune reprit ne apparence. Des paillasses furent disposées. Ester chantai et sa voix emplissait de bonheur le coeur des hommes.
Le soir, la jeune femme s'endormit, épuisée, en même temps que Mouchet. Annibal et Bramefaim s'assirent devant le feu.
- Que va-t-il se passer maintenant ? dit Annibal à voix basse.
Bramefaim leva les épaules.
- Je pense aux gendarmes, poursuivit Annibal. C'est loin la Charente. Le temps qu'ils nous retrouvent ici...
- Ils nous trouveront, dit Bramefaim. Les gendarmes sont comme les braconniers. Ils ne lâchent jamais le pied.
Le feu brasillait. Annibal se retourna. Ester dormait. En observant le visage de la jeune femme, il songea qu'il n'aurait pas assez d'une vie pour rassasier sa vue.
- C'est grâce à toi si elle est là ce soir, reprit Annibal.
- C'est des imaginations...
Dès le lendemain, Annibal et Bramefaim prirent la direction de Pigerolles. Les deux hommes passèrent devant l'auberge du Veau qui tète, où Annibal s'engouffra pour aller saluer sa mère. Bramefaim poursuivit sa route vers Pallier. Au pied du village, il rencontra Parpaillaud, avec liquel il fit un bout de chemin. Certains accusaient le facteur rural d'être un quart-d'oeil au service de la gendarmerie, allégation à laquelle Bramefaim n'avait jamais prêté crédit. Bramefaim le questionna sur Cholé. Parpaillaud eut une grimace en lui apprenant que son père, Pain-perdu, avait été emporté par une tougeole rentrée. Sans ressource, la mère de Chloé était partie s'employer dans l'Indre, où elle avait une soeur. Elle avait laissé la gamine à la Chabanne.
Bramefaim arriva au pied de la montée de la Chabanne. Les bâtiments semblaient déserts. Bramefaim hésitait dans la cour quand il entendit une voix dans l paturadour
Il ouvrit la porte de l'étable plongée dans l'obscurité. Un homme, de dos , parlait durement à une ombre. Bramefaim reconnut cette ombre. Six mois tout au plus avaient suffi pour bouleverser son apparence. Un air tragique et mûr marquait ses traits. Sa robe, toujours la même découvrait ses jambes fluettes, souillées de purin (extréments de vaches et des chevaux). Pieds nus, Chloé coupait des raves à l'aide d'un couteau si grand qu'elle paraissait plonger la lame dans sa poitrine. L'homme lui fasait des reproches. Un moment il s'approcha d'elle et lui attrap le menton. La gamine recula vivement la tête, mais il la saisit derrière la nuque en la regardant fixement. Soudain, sentant que quelq'un l'observait, il se retourna avec un méchant rictus.
- Bramefaim! hurla Chloé en jetant son couteau par terre.
- Chloé ! cria Bramefaim. Je suis là.
- Qu'est-ce que tu ous chez moi ? Sors de là avant que je n'aille chercher mon fusil ! cria le fermier.
Bramefaimavança sur l'homme. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, il lui donna un coup de tête si violent que le nez de l'autre éclata et qu'il s'écroula sur le sol, sans connaissance.
- Ma petite, dit le colosse. N'aie plus peur. Je suis là.
Il la prit dans ses bras et la souleva. Elle serra ses bras maigres autour de sa nuque et enfouit son visage contre son épaule. Chlàé pleurait. Bramefaim la berçait doucement comme on câline les enfants qui demeureront pourtant inconsolables.
- Partons, dit-il.
Il enjamba le corps inerte du fermier et sortit.
- Attends ! dit-elle.
Elle sauta par terre et courut chercher dans le recoin d'étable qui lui servait de litère le sifflet de frêne. Lorsqu'elle reparut elle dit :
- J'ai sifflé pour que tu reviennes.
- J'ai entendu.Mais j'étais empêché d'accourir, répondit Bramefaim.


Fin du 1
5
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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 27 Oct - 21:29

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyVen 28 Oct - 15:37

"16

La cognée de cinq livres

DES qu'elle la vit revenir de la Chabanne dans les bras de Bramefaim, Ester alla vers Chloé, comme une mère va vers l'enfant. Une intimité profonde s'établit immédiatement entre la jeune femme et la gamine blessée. Ester, dans de vieux vêtements qu'Annibal rapporta des armoires de Junon et de Muguette, tailla, rallongea, reprisa. Chloé fut entièrement vêtue et ses hardes brûlées. L'auberge du Veau qui tète fournit une nourriture en abondance, qui permit à la fillette de se rétablir. Habillée, nourrie, choyée, Chloé recouvra enfin le sourire.
Une semaine après son arrivée, la fillette s'aperçut de l'existence de Mouchet. Au tout début, le garçon lui avait paru laid, avec son visage creusé et ses eux cernés. Sa voix surtout, haut perchée, aigrelette ou grave, lui semblait ridicule. Mais il y avait le grand chien. A la surprise de Mouchet, Joko se laissa séduire. L'animal accepta d'être caressé, embrassé, aimé, au grand dam de Mouchet, qui ne comprenait pas que Joko lui offrait Chloé.
La première fois, les mains des gamins s'effleurèrent sur le poil noir et rêche du chien. Ester, Annibal et Bramefaim les regardèrent aller l'un vers l'autre, évitant de les importuner, les laissant partir seuls dans les prés sauvages de la combe.
Ainsi passa le temps sur Combe-Meille jusqu'aux premiers jours de mai, chacun s'accrochant à l'espoir que la justice et ses gendarmes avaient oublié. Pour un temps, les questions matérielles étaient réglées. Agathe avait donné à son fils prodigue suffisamment de ses économies pour qu'Annibal et les siens puissent subvenir à leurs besoins jusqu'à la fin de l'été. La vie avait, à Combe-Meille, un air de bonheur.
Un matin, Annibal se rendit au château de Boibieux-Jondel afin d'exposer sa demande au maire. Le projet de ce jeune homme dont il avait pu admirer le sang-froid, lors de son mariage raté, amusait Boibieux-Jondel.
- Le pauvre curé Troubert prétend que ce mariage va mettre le pays à feu et à sang. Je lui ai répondu : "Tant mieux Exclamation Il se trouve que je commençais sérieusement à m'ennuyer."
(Le maire sourit et poursuivit) Comment s'appelle cette demoiselle Question
- Je te demande son nom Exclamation
- Elle n'en a pas, répliqua Annibal.
- Et pourquoi Mlle Ester n'aurait-elle pas de nom Question Même les nègres doivent avoir un nom. La France, dans son génie universel, n'a pas prévu que l'on ne portât pas de nom.
- C'est une ancienne esclave. Son maître ne lui avait pas donné d'autre nom que celui-là.
Alors qu'Annibal pouvait s'attendre à voir Boibieux-Jondel fâché, celui-ci eut un sourire.
- Ainsi, tu vas épouser une esclave.
Avec la désinvolture qui était sa règle quand il abordait les questions d'administration, Boibieux-Jondel établit les document, qu'il tendit à Annibal.
- Ce mariage me réjouit, dit Boibieux-Jondel.
- Pourquoi Question demanda le jeune homme, sur la défensive.
- Non pour des raisons sentimentales qui me porteraient à penser que l'esclavage est une mauvaise chose. Il y a, qu'on le veuille ou non, des hommes nés pour dominer et d'autres pour l'être. Dieu en a décidé ainsi. Mais cette union porte quelque chose de révoltant, d'insupportable à l'ordre bourgeois. Or, tout ce qui peut choquer un boutiquier juste-milieu, un véritable aristocrate ne peut que l'apprécier.
- Ainsi vous vous prétendez noble Question dit Annibal.
- Parfaitement. Ce qui ne m'a pas empêché d'épouser une Nouaille, malgré la nudité de son nom.
Annibal fixa le maire.
- Je pense que vous avez raison. Il y a entre les nobles et les gueux la même distance qui sépare les Blancs et les Noirs. Une distance infranchissable...
- Celle du sang, poursuivit Boibieux-Jondel.
- Non, celle du coeur.
Boibieux-Jondel sourit. Il aimait l'impertinence."

Pause Exclamation
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyVen 28 Oct - 18:13

Deux jours après cette rencontre, les premières équipes de scieurs de long regagnèrent le pays. Vilate, Branche-d'or, Lagrange, Elie Coutençon, Jean Coergne arrivèrent à leur tout au début de mai. Ils allèrent aussitôt se désaltérer à l'auberge du Veau qui tète, où ils apprirent de la bouche de Junon le retour d'Annibal. Celle-ci lâcha, excédée :
- Songez qu'il a ramené une négresse qu'il veut marier !
Les hommes n'eurent de cesse d'aller aux nouvelles. Dans la soirée, ils se rendirent à Combe-Meille. Après s'être salués chaleureusement, Annibal déclara en prenant Ester par la main :
- Nous allons nous marier. Les bans sont publiés.
Les baraques étaient abasourdi. Vilatte parvint à dire son compliment, salué par les acquiescements des autres.
- Et pour fêter cela, nous allons trinquer à notre santé, dit Annibal, qui percevait le malaise de ses compagnons.
Ils s'installèrent autour de la table. Vilatte remit à Annibal et à Bramefaim leur dû pour la première partie de la campagne. Il raconta les événements survenus après que les deux hommes les eurent quittés. Ainsi, Richeboeuf, la nuit même de la révolte, avait fait transporter tous les baraquins sur un autre chantier, proche de la Roche-Courbon.
- Un bois dur qui mangeait l'affûtage. Nous avons peiné, je te le jure, dit Vilatte.
- Et Mejasson ? interrogea Annibal. Et Perce-neige ?
Personne ne les avait revus.
Au moment du départ, Ester avait rendu à Jean Coergne son poignard.
- Merci, s'était contenté de dire le vieux soldat ému.

CE fut Joko qui donna l'alarme. Un grognement sourd puis un jappement bref, comme un coup de semonce. Bramefaim ouvrit les yeux et pensa : "C'est eux". Il n'avait pas peur. Seulement la gorge serrée à l'idée de tout devoir quitter. Il se leva sans brusquerie et porta les yeux vers Chloé, qui dormait profondément. L'idée que la fillette allait être éveillé en sursaut lui fut désagréable. Il aurait tant voulu qu'elle n'ait plus peur. Lorsqu'il se tourna vers Annibal, celui-ci était assis sur sa couhe et le regardait fixement.
Mouchet sauta de sa paillasse et se glissa vers la porte. Il ordonna à Joko de se taire, et le gos chien se posta derrière lui, calme et attentif. Le gamin revint vers les deux hommes.
- Ils sont là... Sept. Et quatre encore qui descendent de l'Ousseline à cheval.
Le sabot d'un cheval sonna contre une pierre. Des ordres étaient donnés à voix étouffée, cent pas devant la façade.
- Faut-il qu'on nous prenne pour des bêtes enragées, tout de même ! dit Mouchet.
Ester alla se plaquer contre Bramefaim. Des larmes coulaient sur ses joues. Bramefaim la serra contre lui, les yeux perdus. Annibal s'approcha du fenestrou. Le petite jour montait depuis l'horizon. Derrière le grand chêne, des silhouettes s'agitaient. Un homme en costume noir avança vers la masure.
- Au nom du roi, rendez-vous ! La maison est cernée. Sortez.
Joko inclina la tête pour essayer de comprendre. Annibal et Bramefaim se regardèrent. Chloé dormait toujours. Annibal alla vers son compagnon.
- En toute chose, tu as toujours vu clair, dit Annibal en prenant Bramefaim dans ses bras.
L'autre, blême, ferma les yeux.
- Sortez ou je fais donner l'assaut !
Bramefaim s'approcha de Mouchet et s'agenouilla devant le gosse.
- Prends soin de Chloé, dit-il à voix basse. Devant Dieu, je te la confie, comme tu fus jadis toi-même confié à Joko.
Mouchet, les yeux rouges, opina, la bouche tordue par l'envie retenue de" pleurer.
- Je te promets.
Bramefaim porta les yeux sur la salle commune.
- J'étais bien ici, dit-il d'une voix décolorée.
Se tournant vers Annibal, il ajouta :
- Ester, toi et les enfants, vous pourrez rester ici tout le temps que vous le désirerez. Te souviens-tu, à Angoulême, lorsque je me suis rendu chez un écrivain public ? Je lui ai demandé de rédiger un testament dans lequel je lègue ces biens à Chloé. Le testament a été envoyé à Me Léonard, de Felletin.

Re-pause !

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptySam 29 Oct - 17:41

"Bramefaim s'approcha enfin de lit où reposait la gamine. Celle-ci dormait d'un sommeil lourd que n'avais pas entamé le remue-ménage autour d'elle. Bramefaim la contempla.
- Au nom de la loi ! hurlait dehors l'homme en redingote.
Le colosse avança la main pour caresser les cheveux de la fillette. Mais ses doits restèrent au-dessus de sa chevelure. Ils tremblaient. Soudain, Bramefaim se retourna. Un changement avait troublé ses traits. De la colère s'était emparé de lui. Il était comme une bête, jusque-là résignée, qui se rebelle et que personne ne pourra plus arrêter. Sans un regard pour ses compagnons, il marcha vers la porte.
- Miserere gronda-t-il d'une voix que personne ne reconnut.
Alors que les autres pensaient qu'il allait sortir en levant les bras, il saisit sa grande cognée de cinq livres, qu'il était le seul dans le pays à pouvoir manier. La tenant d'une mail, il ouvrit la porte et poussa un terrible cri de guerre. Avant qu'Annibal eût pu réagir, Bramefaim s'élançait. Moucher, qui se tenait près de la fenêtre, vit le colosse, en quelques bonds terrifiants, arriver à dix pas du procureur, qui, saisi d'effroi, s'était précipité derrière deux gendarmes. Les gestes allaient avec cette lenteur et cette précision propres aux drames. Mouchet, qui avait tant de fois vu la mort, reconnut son ombre. Bramefaim, le poing au ciel surmonté de sa charbonnière, arrivait sur les gendarmes, lorsque des crépitements claquèrent. Le colosse s'arrêta. Il se retourna lentement vers la masure de Combe-Meille. Ses yeux déjà blancs fixèrent la façade. Il posa à son pied l'acier de sa hache et s'appuya au manche comme s'il venait de terminer l'encoche a pied d'un tronc. Une suée terrible le fit frissonner, qu'il épongea d'un revers du poignet avant de s'abattre. Tout d'un bloc.
- Bramefaim ! hurla Mouchet en franchissant le seuil.
Dans son dos, Joko bondit, immense et noir. Les détonations crépitèrent sans parvenir à arrêter sa course. Quand il fut à hauteur du corps de Bramefaim, le chient s'abattit contre le Creusois. On vit alors la main droite du géant se poser sur le pelage ensanglanté et s'y accrocher dans un dernier sursaut.
Les gendarmes s'élancèrent au pas de charge et investirent la masure. Annibal, Ester et les enfants en furent violemment chassés et alignés sur la façade. Ester plaqua Cholé contre elle, le dos tourné au corps immense du Creusois. Le procureur, le visage blême, fouilla la bâtisse avant de signifier à Annibal et à Ester qu'ils étaient en état d'arrestation.
- Les petits sont innocents ! cria Annibal. (Le procureur avait examiné les deux gosses.) Ma soeur acceptera de les garder. Elle est maîtresse à l'auberge du Veau qui tète...
La colonne arriva au village, suivie depuis le cimetière par une file d'enfants haillonneux, marchant en silence derrière le muret qui longeait la route de Féniers. Leus yeux, dans des visages gris, exprimaient une rancune séculaire que les gendarmes connaissaient bien. Quand elle l'aperçut entre deux rangs de militaires, Junon se précipita vers Annibal.
- Annibal ! cria-t-elle en l'étreignant.
- Votre frère affirme que vous acceptez de garder ces deux enfants, dit le procureur. Est-ce exact ?
- Parfaitement ! répondit Junon.
- Vous portez-vous garante de leur conduite ?
Junon foudroya l'homme de loi d'un regard.
- Ils travailleront avec moi. Ils seront payés, nourris, logés...
- J'en serai le répondant, dit l'abbé Troubert qui arrivait."


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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyLun 31 Oct - 18:38

Annibal et Ester passèrent une première nuit en prison à Aubusson. Jugeant l'affaire les concernant de première importance, le magistrat instructeur les fit, dès le lendemain, transférer à Guéret, où ils furent mis au secret.
L'espoir se dessina, trois semaines plus tard, au matin du 30 mai 1832, sous la forme d'une visite inattendue. Annibal fut conduit dans une petite pièce, au rez-de-chaussée, qui servait de parloir. Là, un homme qu'il ne connaissait pas se présenta à lui.
- Me Hector Gibouleau, avocat.
Annibal serra la main du jeune homme. Celui-ci ressemblait à ces avocats sans cause qui faute d'entregent ou de talent, n'ont pas encore engraissé. Mais sous le teint hâve (maigre) se devinait l'âpreté. Devant l'air surpris d'Annibal, le jeune avocat précisa :
- Je suis mandé par votre soeur et votre beau-frère. Vos parents m'ont sollicité pour que j'examine votre dossier et celui de vote fiancée, Mlle Ester.
C'était la première fois qu'Annibal entendait prononcer le mot de fiancée à propos d'Ester, l'expression avait quelques chose d'enchanteur. Il se mit à considérer le personnage qui consultait quelques notes sur une feuille qui tremblait dans sa main. Son habit était de la dernière qualité, rapetassé sous les coudes lustré. Cette perce du vêtement augurait bien. "Il n'y a que ceux qui ont faim qui savent mordre". songea Annibal.
- Je ne vous cacherai pas que j'ai hésité longtemps avant d'accepter de vous défendre, dit Me Gibouleau.

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyLun 31 Oct - 20:07

Le mensonge tira un sourire à Annibal qui se demanda
"Depuis combien de jours n'a-t-il pas fait un bon repas ?"
- Mais en y regardant de plus près, il y a dans votre histoire quelque chose qui force l'intérêt.
Hector Gibouleau appartenait à cette classe des avocats de province que ses origines familiales ne prédisposaient guère à la carrière du barreau. Fils de boutiquier de La Souterraine, il avait été longtemps greffier avant que son père ne consente à l'expédier faire son droit à Poitiers. La chance s'était présentée à l'étudiant famélique sous la forme gracieuse d'une jeune repasseuse que l'air pitoyable du juriste avait touchée. La fille avait complété de ses maigres revenus la faible pension versée par le boutiquier avaricieux, espérant peut-être un jour se faire épouser. Hector, dès son diplôme en poche, avait déménagé à la cloche de bois de la chambre de bonne qu'il partageait avec sa maîtresse, montrant ainsi la force se son caractère et de l'étendue de ses ambitions. Désireux de s'installer à Guéret, il avait essayé tout ce qu'un homme sans naissance peut tenter. Il avait fait le siège des dîners où il fallait se montrer et où personne, très rapidement, ne l'invita plus. Il avait joué le dévot alors qu'il était, par éducation et expérience, indifférent à la religion. En vain. Et cinq ans après son installation, Me Gibouleau s'exténuait toujours dans des prétoires grands comme des salons, à donner des coups de manche pour laver l'honneur d'un voleur de poules, ou de quelque mari brutal mais repentant.
Cependant, la médiocrité qui lui était faite aveuglait ses confrères. Hector Gibouleau dissimulait sous une apparence dérisoire la volonté d'un Saint-Juste. Son teint cadavérique dissimulait la frustration des hommes qui, la trentaine passée, se savent de l'envergure et enragent de leur condition. Hector aspirait à une revanche. En fait, il attendait une cause comme d'autres espèrent gagner à la loterie. Aussi, lorsque Junon lui avait expliqué les circonstances de l'arrestation de son frère, l'avocassier sans cause avait immédiatement flairé la chance de sa vie. Junon aurait insisté, il plaidait pour rien.
- Votre affaire est susceptible de soulever des passions. Nous devons tirer profit de ces enthousiasmes qui échappent à la raison. (Annibal acquiesça). Que vous est-il reproché, au fond ?
A vous, de vous être enfui avec Bramefaim, d'avoir à plusieurs reprises refué d'obtempérer aux injonctions de la gendarmerie. Quelques coups et blessures, un peu de chapardage... Des broutilles en somme. Passon à Mlle Ester.
Lorsqu'il prononçait le prénom d'Ester, sa voix prenait un accent d'une suavité comique. Il regarda fixement Annibal.
- Je dirais, pour faire simple, qu'il est reproché à Mlle Ester d'être noire. Nous tenons notre rhétoriaue ! La partie civile prétend au vol de bijoux par cette demoiselle. Mais nous, nous conduirons nos adversaires sur le seul terrain où nous sommes convaincus de vaincre : celui de l'esclavage.
L'analyse d'Hector Gibouleau ne manquait pas de perspicacité. La préoccupation était dans l'air du temps et les journées de Juillet avaient considérablement fait avancer la cause abolitionniste. Louis-Philippe, qui s'était engagé à supprimer la traite s'était entouré d'un personnel politique proche de la Société de la morale chrétienne tels le comte d'Argout, le banquier Laffitte, Guizot ou le duc de Broglie. Ce dernier, champion de la cause abolitionniste, apportait aux idées émancipatrices le poids de sa situation et de sa fortune. En mars 1831, la troisième loi abolitionniste avait été votée, sans guère d'opposition.

Pendant qu'Hector Gibouleau fourbissait ses armes dans la perspective d'un procès auquel il voulait donner un retentissement régional, voire national, ses confrères, alertés par le parquet, jugèrent de la bévue (l'erreur) qu'ils avaient commise en laissant l'avocaillon se saisir de cette affaire. Les prions étaient déjà pleines d'ouvriers pris dans les manifestations et les grèves. Le rapprochement de leur existence avec la condition des esclaves, dans un des départements les plus paisibles du royaume, risquait d'être le signal de bien grands désordres.
Me Chaumont, un juriste, fut chargé des démarches auprès du parquet et la partie civile afin que la plainte fût classée, un non-lieu paraissant encore trop dangereux. Il adressa à Belin-Supiot un courrier où chaque mot scrupuleusement pesé ne disait qu'une seule chose : "Retirez-vous de cette mauvaise querelle. Faute de quoi, vous perdrez gros et vous comprendrez alors tous les désagréments que peut provoquer, dans un pays encore travaillé par les utopies de la Révolution française, une petite négresse enfermée dans une prison creusoise."
Les mots, dès lors qu'ils évoquent des intérêts aussi puissants, sont vite compris. Belin-Supiot perdit toute velléité à demander justice. Le dossier s'enfonça dans des sables mouvants, fut promptement refermé et disparut. L'écuelle dans laquelle s'apprêtait à manger Hector Gibouleau avec un appétit exacerbé par plusieurs années de jeûne lui était retirée d'un mouvement sec. Annibal et Ester furent libérés le 21 juin 1832.

FIN DU 16

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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyMar 1 Nov - 19:36

17

La chute de Bergamote

LE 22 juin 1832, le jour déclinait lorsque Annibal et Ester arrivèrent aux abords de Combe-Meille. Ils marchaient en silence, désemparés de n'avoir plus à leur côté la silhouette rassurante de Bramefaim.
- C'est fini, avait simplement dit Annibal en serrant Ester dans ses bras. Nous n'aurons plus jamais à fuir.
La lune se levait derrière l'Ousseline. Ils poussèrent la porte, surpris de pénétrer si facilement dans un lieu si tragique.
- Je vais faire du feu, dit Annibal.
Ester s'assit sur le vieux lit de coin où elle dormait avec Chloé. Par la porte ouverte pénétrait la douceur de cette nuit d'été. Des grenouilles chantaient dans les levades . Sur l'horizon, des étoiles palpitaient. Le feu soudain lança une gerbe de flammes dans le conduit noir, en émettant un ronflement sourd qui la fit tressauter. Elle tourna le visage vers la silhouette d'Annibal penché sur le brasier.
- Ca va ? interrogea-t-il maladroitement.
Elle hocha la tête. Il s'assit à côté d'elle et lui prit la main.
- J'ai l'impression qu'il va entrer, dit Annibal en tournant la tête vers la porte. Joko sur les talons...
- Moi aussi, murmura Ester.
- Il a choisi, poursuivit Annibal. Il a toujours choisi. Il était le plus libre d'entre nous. Le plus fort. Et nous, qui vivions à son côté, nous ne nous en rendions pas compte.
Ester acquiesça en posant la tête sur l'épaule d'Annibal. Des larmes coulaient sur ses joues.
- Je ne crois pas qu'il aimerait que nous soyons tristes.
- Non, dit Ester dans un souffle.
- Si nous somme ici, tous les deux, c'est à lui que nous le devons.
Ester, les jambes repliées, se laissa glisser dans les bras d'Annibal. Elle pressa la main du jeune homme contre sa poitrine. Sous le caraco, Annibal sentait battre son coeur. Ils restèrent ainsi jusqu'à ce que le sommeil les emporte. Le feu depuis longtemps s'était éteint. La nuuit les guida vers un sommeil chaste d'amants que séparait toujours la communion des chairs.

Le matin, lorsqu'il ouvrit les yeux, Annibal découvrit Ester dont le visage reposait sur sa poitrine. Il caressa le front de la jeune femme, descendit sur le menton, glissa vers la gorge. Quand elle sentit la main s'immiscer sous son corsage, elle s'éveilla et sourit. Annibal s'enhardit. Ester eut un mouvement qu'elle réprima. Annibal se fit plus tendre. La jeune femme ferma les yeux. Alors qu'il s'apprêtait à dégrafer sa chemise, elle jeta nerveusement la tête sur le côté. Annibal suspendit son geste et dit :
- Nous n'allons pas pouvoir continuer ainsi, Ester. Je t'aime et u m'aimes. Je te désire.
Ester le regarda tristement.
- Laisse-moi le temps de guérir.
- Guérir ! Mais c'est justement ce que je t'apporte, la guérison.
Ester s'agenouilla sur le lit. Son visage exprimait une détresse profonde.
- Les hommes me font horreur.
- Même moi ?
- Toi, ce n'est pas pareil. Mais c'est la première fois qu'on me demande mon consentement pour prendre mon corps. Et quand je te vois si empressé, malgré moi, j'ai peur.
- Je te fais peur ? reprit Annibal.
- Non..., oui. Un peu.
Annibal s'approcha d'Ester et l'enlaça doucement. Il passa la main dans ses cheveux et embrassa son front, ses tempes.
- Tu as peur de moi parce que je ressemble à tes bourreaux ?
Ester opina sans répondre.
- Alors, il y a une solution, dit Annibal. Le traitement fait un peu mal, mais après, tu ne me craindras plus. Ni aucun Blanc. Acceptes-tu de me faire confiance ?
Ester hésitait devant l'air mi-sérieux, mi-amusé d'Annibal.
- Oui...
- Feras-tu ce que je te dis, sans chercher à comprendre ?
- Oui.
- Tu ne reculeras pas ?
- Non.
Annibal sauta à bas du lit.
- Viens, dit-il. Sortons.
Une lumière blanche écrasait la combe. Ester resta un instant éblouie, l'avant-bras sur les yeux. Lorsqu'elle regarda Annibal, il était torse nu.
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 3 Nov - 13:03

- Que fais-tu ? demanda-t-elle..
- Tu vas comprendre...
Il s'approcha d'Ester et lui remit un gourdin taillé dans du bouleau. Quand elle l'eut dans les mains, il fit :
- Frappe-moi.
Comme elle restait interloquée, il cria :
- Frappe-moi ! n'oublie pas ta promesse.
- Je ne peux pas ! C'est impossible §
Annibal marcha vers Ester et serra ses doigts autour du bâton.
- Tu as promis, Ester. Je veux être le premier Blanc que tu frappes. Et quand tu auras osé cogner sur ce Blanc, tu pourras l'aimer.
- Une femme ne peut frapper l'homme qu'elle aime.
- Tu m'aimes donc ? Alors frappe !
- Tu es fou !
- Je suis fou d'amour pour toi ! Allez ! Si tu veux que nous nous aimions, tape.
Le corps musculeux du jeune homme était de cette couleur ivoire qui, depuis tant d'années, avait inspiré à Ester un sentiment de terreur. A peine osait-elle lever les yeux sur sa nudité.
- Approche, Ester...
Ester donna doucement un premier coup.
- Là, tu es content, dit-elle. Ca suffit !
- C'est bien, mon amour. Cogne. De toutes tes forces.
Effarée, elle recommença. Un peu plus fort. Son regard se troubla. Des souvenirs remontaient du plus profond de son adolescence. Bientôt, les silhouettes des petits maîtres qui avaient abusé d'elle jusqu'à ce que le fils Belin-Supiot la mît de force dans sa couche, dansèrent à la pointe de son gourdin. Alors, elle oublia qu'elle frappait Annibal.
Déchaînée, Ester tapait en hurlant. Annibal résistait, prenant à peine soin de se protéger, le corps déjà marqué, une éraflure à la temps. Il roula par terre, la tête protégée par les bras. Ester suivit sa chute et martela ses reins. Derrière le rideau de larmes qui couvrait ses yeux repassaient les ombres des marins avinés et violent, puisant dans la cale une gamine pour la nuit. Elle porta un coup violent à l'abdomen d'un de ces planteurs qui d'un claquement des doigts s'offrait les services d'une esclave. Elle frappa sur les tibias d'un marchant français qui l'avait palpée en public sur le marché aux esclaves de Fort-de-France. Après lavoir reconnu, elle cueillit à pleine volée cet acheteur qui avait enfoncé les doigts dans sa bouche avant de lécher sa sueur pour s'assurer qu'elle était en bonne santé...
Quand elle reprit conscience, Annibal était immobile sur le sol. Balançant loin d'elle le gourdin de Bramefaim, elle se jeta sur le jeune homme et le prit dans ses bras.
- Annibal ! Annibal ! mon aimé.
Il ouvrit les yeux et sourit. Un bleu lui mangeait la joue.
- Mon aimé, murmura Ester en l'embrassant à pleine bouche. Viens.
Elle l'aida à se redresser et le conduisit elle-même vers sa couche. L'amour qu'elle lui donna ce matin-là avait la violence et la tendresse irrépressibles d'un premier et unique amour.
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 3 Nov - 13:40

CHLOE et Mouchet les découvrirent, le soir, à Combe-Meille. Les deux enfants descendaient de Pigerolles, main dans la main. Annibal avait appelé Ester.
- Regarde-les, dit Annibal. Je crois qu'ils éprouvent de la tendresse l'un pour l'autre.
Ester acquiesça avec un sourire.
- Tout ce que touchait Bramefaim finissait en amour, dit-elle.
- Que veniez-vous faire ? demanda Annibal aux gamins après qu'ils se furent longuement embrassés.
- Chaque jour, après être passés au cimetière, nous portons des fleurs sur la tombe de Joko, dit Chloé, en montrant un petit bouquet de stellaires.
Les enfants prièrent Annibal et Ester de venir à Piegerolles, mais ceux-ci refusèrent. Il fut convenu que, durant quelques jours, ils resteraient là et que Mouchet leur apporterait du ravitaillement. Mouchet s'inquiéta auprès d'Annibal :
- Ils t'ont drôlement arrangé, les gendarmes.
L'autre sourit sans démentir et demanda aux deux enfants comment se passaient leurs jours.
- Nous travaillons à l'auberge. Je m'occupe des écuries des bêtes. Je prête la main à Télesphore, qui est très gentil avec moi. Nous parlons beaucoup ensemble, dit Mouchet.
- Et moi, j'aide aux cuisines. Je suis souvent avec Muguette. Junon est exigeante mais elle sait se faire aimer.
- Êtes-vous heureux ? interrogea Annibal.
- Nous n'avons jamais été aussi bien, répondit Mouchet.
Annibal et Ester vécurent à Combe-Meille plus d'une semaine, sans voir personne hormis les enfants qui leur apportaient la nourriture. Ils étaient comme sur une île.
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 3 Nov - 15:19

Un soir, profitant du sommeil d'Annibal, la jeune femme s'éloigna de la bâtisse. Elle fila vers une pente couverte de bruyères, sur les flancs du puy d'Ardet, et creusa dans la terre meuble et sombre un trou de la taille d'une cruche au bord duquel elle se pencha et dit à voix basse :
- Je suis heureuse.
Puis elle repoussa l'humus dans la petite excavation, enterra ainsi son secret, et revint à Combe-Meille, le coeur léger, sans s'être rendue compte qu'un homme l'avait observée;
L'abbé Troubert leur rendit visite. Après s'être félicité de leur libération, il aborda le sujet qui lui tenait à coeur.
- Mes enfants, comme je le craignais, votre mariage n'est pas bien perçu dans la commune. Ici, les habitants sont des simples. Plus ignorants que méchants. Mais je les connais ! Et la misère où ils se trouvent n'ouvre guère les coeurs.
- Que voulez-vous dire ? demanda Anibal.
- Depuis toujours mes ouailles hésitent entre chrétienté et paganisme. Qu'un orage menaçant évite notre clocher et fonde sur Pallier, les voilà tous )à mes prêches. Mais que l'eau vienne à manquer au fond des puits, et ils vont consulter les sorciers. Je dois tenir compte de tout, des signes, des prophètes de tout poil... Hier, la foudre, justement, est tombée sur la ferme de la Mareille. A deux pas d'ici...
- Nous avons entendu le coup de tonnerre, dit Annibal.
- Le soir même, ceux de la Mareille déclaraient qu'une personne portait le mauvais oeil. Et qu'ils sauraient bien la détruire.
- Qui menaçaient-ils ? demanda Annibal.
L'abbé Troubert se tourna vers Ester, dont il saisit les poignets.
-Ester, bien sûr !
- Ca recommence, murmura la jeune femme, effondrée.
- Non, ça ne recommencera pas ! dit Annibal. Je suis là.
- On ne peut pas empêcher les gens de penser, dit-elle.
- Ecoutez-moi, mes enfants. Je vais être franc car je sais que vous pouvez entendre ce que j'ai à dire. Il n'y a pas dans tout le pays, depuis que les bans de votre mariage sont publiés, de vêlage qui se passe mal, de fille engrossée sans qu'on connaisse le père, de source taire, de furoncle, de salaison avariée, de colique ou de courbature qui ne soient dus à la présence d'Ester.
Annibal pâlit.
- Il faut les comprendre ! dit l'abbé Troubert. Pour eux, le noir, c'est le diable. Et Ester est noire, reconnaissons-le.
- Que peut-on faire ? demanda Annibal.
- Expliquer, convaincre, sermonner... Autant dire, rien !
Ils parlèrent encore longtemps, gagnés par un sentiment d'impuissance. Le prêtre et les deux fiancés convinrent de la date des noces qui fut fixée à la quinzaine suivante. Et l'ecclésiastique reprit le chemin de Pigerolles, de son pas lent de vieil homme usé.

LE dimanche qui précéda le mariage, l'abbé Troubert décida de faire de la question des races le sujet de son sermon. Ce jour-là, la petite église de Piegerolles se trouva comble. Même Boibieux-Jondel et son épouse s'étaient déplacés alors que 'habitude ils se recueillaient dans la chapelle privée de leur domaine. L'abbé travaillait depuis des jours aux termes qu'il allait employer, pendant chaque parole.
Lorsqu'il monta en chaire, un silence profond s'établit. L'abbé Troubert toussota pour éclaircir sa voix et chasser l'angoisse qui montait en lui.
- "Dieu dit : "Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance et qu'il tienne dans la soumission les poissons de la mer et les créatures volantes des cieux, et les animaux domestiques, et toute la terre, et tout animal se mouvant qui se meut sur la terre." Et Dieu se mit à créer l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa mâle et femelle..."
Les regards levés vers l'abbé Troubert exprimaient une réflexion intense et une confiance absolue dont le vieux curé songea qu'il ne la méritait pas. Il avait longtemps cherché comment débuter son sermon et, tout naturellement, il était revenu à la Genèse, car la question qui le préoccupait trouvait là ses racines. Avec une animation qui ne lui était pas coutumière, ile développa le thème de l'apparition d'Adam et Eve.
- Et nous sommes tous les descendants de ces deux-là. Ils sont nos parents communs ! conclut-il lyrique.
L'abbé vit des visages se tourner vers d'autres visages. Il marqua une longue pause pour ponctuer l'aboutissement de ce premier développement incontestable et laisser aux esprits le temps d'arriver au port.
- Certains penseurs, se réclamant d'une science qui nie les vérités fondamentales énoncées par notre saint Livre, prétendant, tout au contraire, que les hommes sont apparus sur Terre en différents endroits, sur différents continents. Et que ces hommes n'appartiennent pas à la même race. Des Noirs en Afrique, des Rouges en Orient et en Amérique, des Blancs en Europe... Mais, je vous le dis, ces soi-disant savants se trompent. Nous sommes tous issus d'Adam et d'Eve ! Et nul ne peut affirmer le contraire sans s'isoler de la communauté des chrétiens.
L'abbé laissa traîner sur se paroissiens un regard sévère.
- Certes, dit l'abbé, une origine commune des races ne signifie pas l'égalité des races... Il serait absurde de ne pas considérer que certaines, en raison des climats, par exemple, ont diversement évolué, se sont assoupies par manque d'effort et absence d'esprit de religion ou, tout au contraire, ont développé les arts industrieux qui font notre gloire...
L'abbé vit Boibieux-Jondel le regarder avec un air narquois.
- Mais en affirmant que le Blanc est le modèle idéal, je n'oublie pas que nous sommes tous issus d'Adam et d'Eve. Au reste, tous les voyageurs qui ont traversé l'Afrique en ont témoigné, et cette vérité est incontestée ; au moment de sa naissance, le bébé nègre est blanc.
Une expression de surprise passa sur l'assemblée. Profitant de l'ébranlement, l'abbé Troubert poursuivit sur un ton déclamatoire que la timidité n'altérait plus. Il évoqua le mouton noir dans le troupeau tout blanc et qui n'en est pas moins un mouton, même s'il est noir. Un enfant se mit à pleurer. Des hommes se raclaient la gorge. L'abbé Troubert comprit qu'il était allé jusqu'où il lui était permis d'aller. Alors il conclut par une citation de Saint-Jean.
Lorsqu'il redescendit de chaire en se cramponnant à la rambarde branlante, et malgré la fatigue qui le prenait d'un coup, il éprouva le sentiment d'avoir accompli son devoir, d'avoir guidé ses ouailles, ce sentiment absurde qui le prenait chaque dimanche, au terme de chaque sermon, et qui l'abandonnait aussitôt qu'il se retrouvait parmi les hommes.

Au lendemain matin de ce prêche, alors qu'elle ouvrait la porte de Combe-Meille, Ester poussa un cri. Annibal accourut et découvrit sur le seul une poule noire décapitée dont le sang avait servie à asperger les pierres de la façade. Annibal serra la jeune femme contre lui. Ils restèrent, immobiles, les yeux rivés sur le cadavre, autour duquel bourdonnaient de grosses mouches.
Deux jours plus tard, ils décidèrent d'aller marcher au long des rives du ruisseau de Cubaynes, vers l'Etang-Vieux. Au coin du bois de Fontfreide, ils débouchèrent dans une prairie. Là, ils tombèrent nez à nez avec une bergère qui surveillait une douzaine de moutons. Annibal reconnut Bergamote, une jeune fille avec laquelle il avait souvent dansé avant qu'elle ne se marie avec un fermier de Neuviale. Lorsqu'elle vit Ester, Bergamote eut une expression de panique. Elle s'empara de sa quenouille et s'enfuit à toutes jambes. Dans la pente, elle trébucha dans une rigole (un petit ruisseau) et tomba durement. Annibal et Ester, mortifiés par la réaction qu'ils avaient inspirée, ne bronchèrent pas. Mais lorsqu'ils virent que la jeune femme ne se relevait, ils coururent à son secours. Elle gisait sur le sol en se tenant le ventre, le visage tordu de douleur. Ester jeta un coup d'oeil à Annibal, qui comprit : la bergère était grosse (enceinte) et proche de son terme.
Lorsque Ester se pencha sur elle, Bergamote roula des yeux horrifiés et, malgré la douleur qui l'accablait, se traîna sur les coudes pour lui échapper, avant d s'évanouir pour de bon.
- Ecarte-toi ! dit Annibal à Ester. Cette pauvre folle a peur de toi. Je n'y peux rien !
Il avait parlé plus durement qu'il l'eût voulu et il ressenti aussitôt la cruauté de ses paroles. Ester, blessée, recula.
- Ester..., dit Annibal, à genoux près de Bergamote toujours inconsciente. Je suis désolé.
Ester s'enfuit sur le chemin de Combe-Meille.Le jeune homme, ulcéré par ce qui venait de se passer, dut s'inquiéter de la bergère. Il souffla sur son visage. Bergamote ouvrit les yeux.
- Elle est là ? murmura-t-elle.
La mort dans l'âme, Annibal la rassura. Elle s'inquiéta alors de son état. Une douleur violent lui tordait les entrailles. Bergamote était incapable de se lever. Annibal la souleva et la porta jusqu'aux premières maisons de Neuvialle. Lorsqu'ils le virent tenant dans ses bras la jeune femme aussi pâle qu'une morte, les hommes du village accoururent pour l'aider. Bergamote fut posée sur une charrette à bras et conduite chez son mari, qui demanda à Annibal dans quelles circonstances il l'avait trouvée. Devant la réponse gênée du jeune homme, les visages se fermèrent. Bergamote geignait sur son lit. Un silence lourd s'établit.
Alors la bergère, depuis sa couche cria :
- Il était avec la sorcière noir qui m'a donné le sort et m'a fait tomber dans une levade en me coupant les jambes. C'est elle, je le jure sur la Bible ! Je n'avais jamais vu un regard du diable comme le sien.
Et elle éclata en sanglots après s'être signée.

FIN DU 17
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 3 Nov - 18:11

18

Par un sentier à chèvres

ALORS que la chute de Bergamote aurait pu demeurer sans conséquences, la jeune femme accoucha, dans la nuit, d'une fillette morte-née. Cette mort frappa les esprits. Et encore ce fut miracle si la jeune bergère ne périt pas d'une violente hémorragie.
La nouvelle parvint à Pigerolles dans la matinée. Des langues se délièrent. Chacun vanta le sérieux et l'esprit fondé de la pauvre Bergamote. Elle n'tait pas de ces têtes faibles qui voient partout farfadets, dames blanches et laveuses de nuit. Si Bergamote avait éprouvé une peur manique c'est qu'elle avait effectivement croisé sur le chemin une chose monstrueuse.
Au travers du mal qui avait touché la famille de Bergamote, chacun se sentit menacé. La jeune mère restait alitée, prise de fièvres. Le soir, le corps de la petite fille fut enterré en cachette, son cercueil minuscule passé par-dessus le mur du cimetière. L'abbé Troubert pria pour l'âme innocente qui venait de s'évanouir sans avoir été accueillie dans la communauté chrétienne.
Maatthieu, un mage qui vivait au pied de la chapelle du Rat, fut appelé au chevet de Bergamote, dont l'état empirait. Il lui fit boire une tisane de houx bénit et de nielle des blés, qui calma la fièvre et plongea la jeune femme dans un sommeil agité. Matthieu demanda qu'Atanor, un berger à la réputation de contre-sorcier qui cassait la magie, fût appelé à la rescousse.
Les deux sorciers visitèrent les étables. Ils filèrent à la porcherie, examinèrent le fumier, fouillèrent la grange. Matthieu se pencha sur le puits et parla à voix basse dans le trou béant. Rassemblés dans la cour, les habitants de Neuvialle suivaient leurs investigations. Ce fut alors que Matthieu et Atanor donnèrent à entendre ce que chacun s'attendait à apprendre :
- La maison est frappée de sort.
L'abbé Troubert se tenait informé de la tournure des événements. Les jours suivants, on le vit aller sans relâche dans les fermes de sa paroisse, rendant visite matin et soir à Bergamote qui le reconnaissait à peine.
La veille du mariage d'Annibal et d'Ester, Troubert se rendit auprès de Boibieux-Jondel et s'ouvrit de son inquiétude. Il évoqua la menace d'atteinte à l'ordre public. L'autre s'amusa de ce désordre et lui exprima sa ferme volonté de ne pas intervenir. Boibieux-Jondel s'étant récusé, le jour des noces approchait sans qu'il fût possible de le repousser faute de reconnaître le bien-fondé des accusation contre Ester. Troubert se trouva seul, face à une opinion très échauffée.
La veille des noces, Porte-fâche affirma qu'il avait vu Ester se livrer à une pratique magique des plus condamnables. Il rapporta comment la jeune femme, croyant ne pas être vue, avait creusé le sol sur les flancs du puy d'Ardet, avant d'y enfouir quelque chose.
- Tu es allé voir ce que c'était ? s'inquiétèrent ses interlocuteurs.
Porte-fâche avoua que la curiosité avait été la plus forte.
- Dans le trou, il n'y avait rien. Je le jure bien. Je l'ai agrandi, élargi, approfondi jusqu'à toucher au dur. Rien, que je vous dis !
Qu'Ester eût enterré quelque chose d'invisible fut jugé unanimement comme la preuve de son appartenance au démoniaque. Dès lors son sort fut scellé, et l'Abbé Troubert comprit qu'il avait perdu la partie.
A Combe-Meille, Annibal et Ester vivaient des heures pénibles. A son retour de chez Bergamote, au soir de l'accident, Annibal avait trouvé Ester prostrée. Elle se taisait, et rien n'était plus insupportable à Annibal que ce mutisme qui le tenait à distance. Il s'était excusé pour la dureté de ses paroles. Mais le mal était fait, plus profond qu'il n'y paraissait, plus insidieux.
- Si nous renoncions à ce mariage ? avait enfin dit Ester.
- Il n'en est pas question, avait-il répondu.
Alors ils avaient parlé des heures, assis devant la façade de Combe-Meille, face à une nuit d'été, blessés que leur amour fût ainsi maltraité.
Le jour des noces, le soleil accablait le plateau. Les arbres bruissaient du frôlement d'un vent léger dans leurs feuilles séchées par l'été. Un silence tenait la campagne, seulement zébré d'un vol d'insectes qui se perdaient dans la lumière. En début d'après-midi, très émus, Annibal et Ester fermèrent derrière eux la porte de Combe-Meille et prirent le chemin de Pigerolles.
A la route de Féniers, Jean Coergne, Vilatte et Lagrange les attendaient dans leurs costumes du dimanche. Jean Coergne, le témoin d'Ester, prit la parole d'un air gêné :
- Vu les circonstances, nous préférons ne pas vous laisser seuls. Il y a certains esprits qui se sont échauffés. Ce serait dommage qu'un si beau mariage fût gâché.
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 3 Nov - 23:56

Je suis désolée de vous mettre tant en attente pour ce roman. Mais déjà qu'il ne m'inspire pas, j'ai du mal à vous le taper. En effet; ne voyant que d'un oeil et la lumière étant mauvaise je "grrrrrr".
J'ai bien installé une rampe luminose au-dessus du clavier, celle-ci s'éteint toutes les 1 minutes. ... Génial Exclamation
Mais je me suis promis de vous taper le texte en entier, alors j'y arriverai avant mon opération.
Vous bibizzzzz
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyVen 4 Nov - 16:12

Les hommes, timidement, jetaient des coups d'oeil sur Ester. La jeune femme, aussi grande qu'Annibal, était superbe dans une simple robe embellie d'un ruban. Elle tenait à la main un bouquet de marguerites qu'Annibal était allé cueillir.
- Elie Coutençon et Branche-d'or sont à l'église. Ils attendent.
- Je ne pensais pas mériter des gardes du corps, dit Annibal, la gorge nouée.
Ils arrivèrent en vue de l'église, suivis de leurs trois garçons d'honneur. Un groupe, fort d'une vingtaine d'hommes et de femmes, les attendait sur le parvis. Le soleil cru pinçait les yeux. Annibal se retourna vers les scieurs, qui lui rendirent un regard ferme. A mesure qu'ils s'approchaient, Ester et Annibal entendirent gronder. Il y avait là les irréductibles, parmi lesquels le mari de Bergamote. A l'écart, Agathe, Junon et Télesphore, très pâles, regardaient approcher les deux fiancés. Derrière les aubergistes, Chloé et Mouchet se tenaient par la main.
- Venez sans crainte, s'écria l'abbé Troubert. La maison du Seigneur est sacrée....
Ses paroles furent couvertes par les vociférations.
- C'est le diable que vous invitez dans votre église, mon père ! hurla une femme tout en noir.
Troubert, les bras écartés, fit face à la foule et s'avança vers le parvis. Mais personne ne s'écarta.
- Laissez votre pasteur marier cet homme et cette femme, souffla le vieil homme, congestionné.
- Mon père, malgré tout le respect que nous vous portons, nous ne vous laisserons pas ouvrir les portes de notre sanctuaire à cette créature qui nous a fait déjà tant de mal, dit la mère de Bergamote d'une voix étrangement calme.
- Laisse-moi passer, Célestine. N'as-tu pas confiance en moi ?
- Si, mon père, j'ai confiance, dit la femme. Mais cette femme vous a ensorcelé. Nous voulons vous protéger.
Ester vit qu'Annibal était prêt à bondir sur les premiers rangs. Le jeune homme fit un signe à ses compagnons qui se tenaient à ses côtés, les gourdins bien en main. Les scieurs avaient le souffle rauque et court comme respirent les hommes avant de se battre.
Ester s'avança au-devant de Célestine.
- Pourquoi me crains-tu ? Ne suis-je pas une femme tout comme toi ?
- Ca non ! dit l'autre en se signant. Tu portes le malheur. Recule et laisse-nous en paix. Jamais une créature comme toi ne restera ici. Nous la détruirons.
Ester répondit :
- Tu as raison, Célestine. Et peut-être est-ce déjà fait.
Un silence se fit. Ester avança.
- Pour te prouver qu'en tout point je ne m'appartiens pas, je vais te montrer le signe que portent sur leur corps les gens de ma sorte. (Célestine pâlit. Elle regarda l'abbé Troubert, qui restait impavide - imperturbable - .) Je vais te montrer ce signe horrible dont ma peau gardera jusqu'à ma mort l'empreinte. Tu vas voir l'ignoble stigmate du mal.
Ester porta la main au cl de sa robe et, d'un geste brusque, ouvrit son corsage. Il régna soudain un silence terrifiant. Elle glissa sa main sou son sein gauche et le sorti comme si elle allaitait un enfant. Sur le sein magnifique, au bord de l'aréole, un tatouage avait laissé la marque d'une croix.
- Seigneur Dieu, protège-nous du Malin ! cria Célestine.
- C'est stupide ! cria l'abbé Troubert. Laissez-nous passer.
Atanor, le mage tendit une petite croix en coudrier. Deux compères brandirent vers Ester des croix semblables.
- Allons, mes amis, fidèles ! Enlevons ! cria Annibal.
Jean Coergne, Vilatte, Elie Coutençon, Branche-d'or, Lagrange et Annibal se portèrent sur le premier rang qui barrait la porte de l'église. La mêlée fit rage. Les coups pleuvaient rudement. Les femmes hurlaient et se débattaient comme des furieuses. Les hommes tenaient bon face aux assauts de scieurs de long. Enfin, un passage s'ouvrit sur le parvis jusqu'à la porte.
Ester, Juno, Agathe, Annibal et Jean Coergne s'y engouffrèrent. La grosse porte se referma sur eux tandis que Vilatte et Lagrange, armés de leurs gourdins qui avaient fait des ravages, faisaient face à un groupe menaçant.
A l'intérieur, la messe de mariage fut expédiée. L'abbé, ruisselant de sueur, demanda enfin :
- Annibal, acceptes-tu de prendre Ester pour épouse ?
- Oui.
- Ester, acceptes-tu de prendre Annibal pour époux ?
- Oui.
- Par les liens sacrés su mariage et devant Dieu, je vous déclare mari et femme.
Ester et Annibal se regardèrent dans les yeux. Un instant très bref, la grâce d'un bonheur puissant passa sur les deux jeunes gens. Junon oublia sa colère et ses craintes, et sourit. Mais des poings tambourinaient contre le chêne du portail. Alors l'abbé Troubert quitta la maître-autel et se dirigea vers le parvis. Il fit ouvrir les deux battants au soleil, qui jeta sa lummière sur les dalles de granit. Et, dans cet espace éblouissant, face à ses paroissiens hirsutes et gesticulants, il dit :
- Rentrez chez vous. C'est fini.
Les autres, aussi brusquement qu'était montée leur colère, reprirent le chemin de leurs fermes.
Les jeunes mariés et leurs témoins se rendirent à l'auberge du Veau qui tète. Télesphore et Junon leur offrirent du vin. Un silence gênant s'installa entre tous. Annibal et Ester décidèrent de retourner à Combe-Meille. Chloé et Mouchet les accompagnèrent jusqu'à la châtaigneraie. Le soleil baissait à l'horizon lorsqu'ils se séparèrent.
La nuit gagna le vallon. C'était une nuit paisible. Une effraie (une chouette, rapace) chuinta longtemps dans les branches du chêne. Ester regarda l'anneau qu'Annibal lui avait passé au doigt.
- Il vient de ma grand-mère, dit le jeune homme.
Lorsqu'elle leva le visage vers Annibal, Ester découvrit dans ses yeux cette incroyable vérité qu'elle cherchait désespérément à lui dire dpuis plusieurs jours, depuis le début de leur rencontre peut-être, sans y parvenir.
- Nous allons partir.
- Partir loin ? interrogea-t-elle.
- Très loin.
- Longtemps ?
- Pour toujours, dit-il d'une voix brisée.
Elle le dévisagea comme on regarde quelqu'un qui offre sa vie.
- C'est un bien grand cadeau que tu me fais là, dit-elle très as.
La chouette s'était tue dans l'arbre de Bramefaim. Des étoiles s'allumaient au ciel. un vent léger bruissait dans les feuilles.
- Où ? demanda Ester.
- Chez toi, mon amour. En Afrique.
Elle se lova contre lui. Annibal regardait ces vallons, ce ciel, ces arbres qu'il aimait depuis toujours comme on aime une mère. Il sentait les parfums âcres du plateau qui filaient sur son visage. Il songea à Junon et à sa mère, à Chloé et à Mouchet, à ses compagnons de sciage. Il venait de les perdre en un seul mot ; l'Afrique. Déraciné, il se sentit plus proche que jamais d'Ester. Il partageai enfin sa douleur d'être jeté dans l'immensité du monde.
- Quand ? demanda Ester.
- Maintenant, s'entendit répondre Annibal.
Ils rassemblèrent leurs maigres effets dans un bissac qu'Annibal jeta à l'épaule. Il était quatre heures du matin lorsqu'il refermèrent sur eux la porte de Combe-Meille.
Annibal regarda une dernière fois la masure. Alors ils allèrent au-devant de la nuit comme des nageurs s'enfonçant dans une eau noire pour s'y noyer. La fraîcheur qui précède l'aube leur ôtait toute peine. Libres et mélancoliques, ils prirent le chemin de l'Afrique.

FIN DU 18

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JeanneMarie

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyLun 14 Nov - 11:08

Very Happy
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyLun 14 Nov - 17:47

19

Le chardonneret

CELA faisait trois mois déjà qu'ils avaient quitté Pigerolles. Dix jours leur avaient suffi pour atteindre l'Aunis. Mais alors qu'ils avaient imaginé se rendre directement à La Rochelle, leur pécule (leurs économies) avait fondu, et Annibal s'était fait embaucher à l'arsenal de Rochefort comme scieur de long. D'abord, ils avaient compté n'y demeurer que le tems d'économiser quelques dizaines de francs. Mais l'argent filait, les semaines passaient, et Annibal, qui avait gagné l'amitié d'un charpentier de marine, apprenait les secrets du métier qui l'avait toujours intéressé.
Lorsqu'elle se promenait sur le port, Ester cherchait la silhouette de son mari parmi celles des scieurs perchés sur leurs chevalets. Presque toujours, Annibal, conscient d'être observé, suspendait son geste, levait la tête dans sa direction lui faisait un signe. Ester était alors heureuse. Elle était aimée et elle aimait. Elle rendait son signe à Annibal et repartait vers la place Colbert.
Ester avait immédiatement aimé Rochefort, le quadrillage de ses rues, ses façades blanches et dorées telles des voiles dans la transparence d'une lumière océane. Il y avait ici une sensation d'ailleurs, la trace d'une immensité proche, l'idée d'un voyage et la tolérance qui s'y attache. Lorsqu'elle longeait la Charente, Ester observait des enfants jouant aux marins sur le rives limoneuses du fleuve qui serpentait jusqu'à la rade de l'île d'Aix. Les gosses, toujours les mêmes, avaient pris l'habitude de cette promeneuse et, dès qu'ils l'apercevaient, accouraient vers elle en cirant joyeusement son prénom.
Depuis deux semaines, l'équipe de scieurs et de charpentiers à laquelle appartenait Annibal radoubait un petit trois-mâts couché en carène. Les soirs, après avoir dîné, Annibal et Ester sortaient sur le port. Ils allaient doucement, au bras l'un de l'autre, devant des façades qui dissimulaient des jardins secrets. Par des portes entrouvertes, ils devinaient des volées d'escalier de pierre tendre dans lesquelles résonnaient des cris d'enfant. En même temps qu'ils tournaient la tête vers ces signes de bonheur, une dureté se scellait en eux, leur rappelant qu'ils n'étaient ici que de passage. Et ils rentraient vers leur chambre où chaque nuit renaissait l'amour.

Le compagnon charpentier avec lequel Annibal s'était lié d'amitié s'appelait Clément Bruneau. Il était marié à Ursule, employée chez un herboriste près de l'église Saint-Louis. Clément était un ouvrier de premier ordre qui avait longtemps travaillé pour la Royale. Âgé de cinquante ans, sans enfant, il s'était pris d'affection pour Annibal, voyant en lui le jeune homme fougueux et habile qu'il avait été, trente ans plus tôt. De cette sympathie était née une complicité qui avait incité Clément à proposer à Annibal de lui enseigner les rudiments de son métier.
- C'est difficile, avait tout d'abord répondu Annibal. Je n'y arriverai pas. Et puis, je ne vais pas rester...
- Six mois te suffiront pour connaître les bases. Et puis, si tu veux partir pour l'Afrique, tu pourrais te faire engager comme charpentier de marine. Sur un navire, ce n'est pas le plus mauvais poste...
Le soir, Annibal en avait parlé à Ester. Bien que l'idée de reculer leur départ ne lui fût pas agréable, elle avait incité Annibal à accepter l'offre de Clément.

PAUSE Exclamation
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyMar 15 Nov - 15:30

Cette décision scella l'histoire d'une belle amitié. Toute la semaine, Clément et Annibal travaillaient ensemble. Et les dimanches, les dex couples allaient déjeuner dans ne auberge de marins du quartier de l'Arsenal, avant de se promener sur les remparts ou au long du fleuve. A les voir, on eût dit des parents grisonnants accompagnés de leur fils et de sa femme épousée aux îles. Quand il pleuvait, ils restaient dans le petit appartement de Clément de 'Ursule et Clément étendait sur la table des plans sur lesquels il enseignait à Annibal la lecture des cotes. Lorsque la lumière se faisait rate, Ursule apportait quatre tasses de café et Ester allumait une chandelle. Clément refermait les plans. Un silence prenait le petit deux pièces, seulement troublé par le chant du chardonneret dans sa cage tournée vers la fenêtre.
Enseigné par un compagnon, Annibal progressait vite. Clément, comme s'il se fût agi de son fils, lui livrait les secrets du métier.
Un soir, à la fin de septembre, en rentrant du chantier, Annibal acheta à une petite marchande qui lui rappelait Perce-neige un bouquet de lavande de mer. Lorsqu'il avait tendu ces trois sous de fleurs à Ester, la jeune femme s'était mise à pleurer.
- Je t'ai fait de la peine Question s'était-il inquiété d'un air désolé.
- Non, au contraire. Tu ne peux pas comprendre. Plutôt si...
Ester avait essuyé ses larmes et avait invité Annibal à s'asseoir sur le lit. Le petit bouquet sur sa poitrine, elle avait alors dit :
- J'attends un enfant. Ton enfant.

Elle avait vu Annibal pâlir, rougir, baisser les yeux, fixer ses bottes d'un air idiot et enfin se redresser comme mû par un ressort, la prendre dans ses bras, la soulever et la faire virevolter telle une danseuse de quadrille avant de la reposer avec des attentions de collectionner de faïence.
- Un enfant..., avait-il dit d'une voix brisée. C'est merveilleux Exclamation

Je reviens
Exclamation
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyMar 15 Nov - 16:44

Ils s'étaient approchés de la mansarde et avaient regardé la nuit qui gagnait la rue. Jamais depuis leur départ, et malgré la présence affectueuse de Clément et d'Ursule, ils n'avaient éprouvé un sentiment si fort de solitude. Ils étaient ici entre les deux mondes qui les avaient vus naître. Plus vraiment chez l'un, pas encore chez l'autre. Déjà, ils se demandaient où il trouveraient la force d'entreprendre, avec un enfant, l'immense périple qu'ils s'étaient fixé. L'idée d'abandonner, insidieuse, confortable comme tous les renoncements, s'immisçait en eux. Ce soir-là, comme pour chasser ces pensées, sans dîner ils se retrouvèrent dans leur couche. Et Annibal aima Ester avec des attentions qu'elle n'imaginait pas.
Les semaines qui suivirent, Annibal fut à l'écoute des transformations qui s'opéraient en Ester. Jamais celle-ci n'avait été aussi resplendissante. Ursule veillait sur elle comme une mère. Et les deux hommes, sans oser l'avouer, se sentaient plus proches.

Un mois et demi après l'annonce de sa grossesse à Annibal, Ester revint bouleversée de sa promenade quotidienne. L'après-midi, alors qu'elle marchait au long de la Charente, elle avait vu une colonne de bagnards tirer la coque démâtée d'un lourd vaisseau de haut rang. Ester avait entendu parler de la terrible cordelle, rangée parmi les tâches de grande fatigue infligées aux forçats. Mais le spectacle de cette centaine d'hommes, harnachés comme des bêtes de somme, maltraités par la chiourme, était désolant. Elle aurait dû s'enfuir, tourner le dos, fermes les yeux. Elle était restée sur un petit promontoire qui dominait le chemin de halage. Le souvenir de son frère crucifié à l'entrée de la plantation lui apparut de nouveau.
De retour dans la mansarde, elle s'était allongée. Depuis deux jours, une fièvre, qu'elle mettait sur le compte de l'eau douteuse qu'ils étaient obligés de boire, lui ôtait toute force. Lorsque Annibal rentra le soir, elle dormait. Il n'osa la réveiller et il s'allongea contre elle et la prit dans ses bras. Elle se cala au creux de sa poitrine, sans s'éveiller. Une sueur nappait ses tempes.
Dans la nuit, le mauvais rêve d'une souillure humide qui couvrirait son ventre éveilla Annibal. Et puis l'odeur. Une odeur âcre qui l'arracha définitivement au sommeil et le jeta au bas du lit. Annibal se leva, atteignit une bougie qu'il parvint à allumer. Il approcha la flamme de la couche. Inconscient, Ester baignait dans son sang. Annibal s'habilla à la hâte et se jeta dans les escaliers. En dévalant les marches, il hurlait :
- Je cours chercher un médecin. Ma femme va mourir. Montez vous occuper d'elle Exclamation
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyMar 15 Nov - 18:57

Et en passant sur les paliers, il tambourinait aux portes. Sur le seuil, il se retrouva face à la nuit. Un vent des marais balayait l'enfilade des rues. Recouvrant son calme, il songea à l'hôpital militaire et s'élança.
Comme il secouait les barreaux, un gardien se présenta derrière le portail qui condamnait l'accès de l'hôpital.
- Vite Exclamation Un médecin. Ma femme est en train de mourir.
L'autre jeta un regard sur Annibal et lui demanda :
- Vous n'êtes pas un militaire. Vous travaillez pour la marine ?
- Je travaille à l'Arsenal...
- Faites voir vos papiers Exclamation
- Je n'ai pas de papiers Exclamation Ouvrez-moi,je vous en supplie Exclamation
Le planton secoua la tête.
- Cherchez un médecin de ville. Ici, ce n'est pas possible.
Annibal regarda la cour. Des silhouettes se faufilaient dans l'ombre des bâtiments.
- Eux, là-bas, ils sont médecins Exclamation cria Annibal.
- Ils prennent leur servie. Il ne peuvent vous aider.
Annibal dévisagea le gardien, et avant que l'autre eût le temps de comprendre, il escaladait les grilles hautes de neuf pieds avec la vivacité d'un homme qui monterait à l'abordage. En quelques secondes, il faut au sommet, franchit la dentelle de pointes d'un mouvement de hanches et sauta dans la cour.
- Halte Exclamation Arrêtez Exclamation criait le gardien.
Annibal, ne parvenant pas à se défaire de l'homme lui assena un coup de tête qui l'étendit sur lepavé. Au moment où les trois médecins allaient disparaître par un escalier latéral, ils virent Annibal courir droit vers eux.
- Que se passe-t-il Question cria l'un d'entre eux.
- Ma femme fait une hémorragie. Venez, je vous en prie Exclamation
- Va chez un médecin qui a sa clientèle en ville, répondit l'autre. Ton affaire n'est pas de notre ressort.
- Je vous supplie de venir, dit Annibal.
Un des trois hommes, resté dans l'ombre, s'adressa à Annibal.
- Mais je te connais, dit-il. Attends voir...
Annibal tressaillit. Il avait déjà entendu cette voix.
- A Moëze. Nous avons amputé ton ami au cours d'une nuit mémorable. Quel beau travail nous avons fait là Exclamation
- Docteur Ange Sénoueix Exclamation s'écria Annibal.
- Exact, répondit l'autre.
- Nous sommes pays. Je vous conjure de m'aider.
Ange Sénoueix regarda les deux autres.
- Il y a des services qu'on ne peut refuser, dit-il. Messieurs, vous expliquerez au commandant que le mari de Mme de Rotrech étant providentiellement en déplacement à l'amirauté, je me suis dévoué...
Les autres éclatèrent de rire. Sénoueix poursuivit :
- Car il s'agit de cocufier un confrère, il me pardonnera mon manquement. Surtout ne lui dites pas que je vais au chevet d'une pauvre fille. Ce serait à coup sûr la disgrâce Exclamation

Re-pause Exclamation Exclamation Exclamation
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MARCO

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyMar 15 Nov - 19:10

Pas trop dur avec ton oeil Episto ? 
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyMar 15 Nov - 19:27

Depuis deux jours, Marco, je vois de mieux en mieux. Je mets régulièrement les gouttes prescrites (3 fois par jour de chaque 4 boîtes) ......... bounce Basketball Wink
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JEAN

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MessageSujet: Re: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 17 Nov - 18:20

Soigne toi bien!
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 17 Nov - 18:25

SIX heures plus tard, l'aube éclairait faiblement les carreaux de la mansarde lorsque Ester s'éveilla. Elle sourit à Ursule, qui était à son chevet, et lui tendit la main. Annibal qui attendait, assis près de la fenêtre, se leva. Il s'agenouilla au bord du lit.
- Tu es triste Question dit-elle d'une voix faible.
- Tu es vivante.
- J'ai cru mourir.
- J'ai cru mourir aussi.
Il prit le visage d'Ester dans ses mains et baisa longuement son front.
- Je t'aime, souffla Annibal, le visage enfoui dans la nuque d'Ester.
Elle ferma les yeux et s'endormit.
Le soir, lorsque Annibal poussa la porte, il découvrit le Dr Sénoueix qui faisait les cent pas dans la petite mansarde, une bouteille de fine champagne à la main gauche, un verre dans la droite. Lorsqu'il l'aperçut, le médecin eut un sourire et vint à lui.
- Votre femme est tirée d'affaire. Mais il faut malgré tout que je vous dise. Il y aura des séquelles...
Annibal pâlit.
- Des séquelles Question
- Des séquelles pour le gardien de nuit. On n'a pas pu lui redresser le nez Exclamation Un vrai Bourbon (allusion aux derniers rois de France : les Bourbons, qui avaient tous, par hérédité un gros nez) Exclamation
Et il se mit de biais pour mimer le profil royal. Annibal se dirigea vers le lit et saisit la main d'Ester.
- Comment vas-tu Question
- Bien. Ton ami est un excellent médecin, malgré les apparences qu'il s'efforce de donner.
- Et vous, vous êtes une sacrée femme, dit Ange avec plus d'affection dans le ton qu'il n'aurait voulu y mettre.
Ange Sénoueix raconta à Annibal comment il s'était retrouvé à l'hôpital militaire de Rochefort, après avoir terminé son remplacement à Moëze. Il avait confié au Dr Achard son désir, avant de s'établir, de naviguer. Son confrère l'avait recommandé à l'hôpital de Rochefort afin qu'il pût parfaire ses connaissances sur les maladies tropicales. Fort de ce stage et des appuis du vieux praticien, Ange n'avait guère eu de mal à trouver un embarquement. Il devait se présenter au commandant du Sainte-Elodie, à La Rochelle, dans deux semaines.
- Vous partez pour l'Afrique Question avait demandé Annibal.
- Oui. L'Afrique du Sud. Le Sainte-Elodie est un navire de commerce qui vend de la pacotille et rapporte de l'ivoire et de l'or, des bois et des peaux.
Ester avait jeté un regard à Annibal.
- Ils n'auraient pas besoin d'un charpentier sur le Sainte-Elodie Question demanda le jeune Creusois.
- Je n'en ai strictement aucune idée, répondit Sénoueix.
Annibal avoua à Sénoueix qu'ils n'étaient à Rochefort qu'avec l'idée de partir pour l'Afrique. Il raconta l'histoire d'Ester. Ange écoutait, remplissant régulièrement son verre.
- Je m'en doutais, avait-il lâché. A sa cicatrice sur le sein.
- Plus rien ne nous retient ici. Nous avons été rejetés partout où nous sommes passés. Il ne nous reste que cet ailleurs.
- Je comprends, dit Ange. Moi, je ne me sens lié nulle part.
Ils parlèrent tard dans la nuit. La pluie tapait aux carreaux. Annibal raconta dans quelles circonstances Bramefaim était mort. Sénoueix remarqua seulement, et ce furent ses seules paroles :
- Je ne le voyais pas mourir dans son lit.
Annibal lui demanda alors ce qu'était devenu Mejasson.
- Je suis allée le voir régulièrement chez la veuve. Il a survécu. Après, je ne sais pas. On dit qu'une fille...
- Perce-neige, interrompit Annibal.
- Qu'une fille est passée et qu'ils s'en sont allés. C'est tout.
Au moment de partir, la décision était prise. Dès le lendemain, Ange Sénouieix écrivit au commandant et à l'armateur afin de leur proposer les services d'Annibal, dont il leur recommandait chaudement l'expérience de charpentier de marine. Pour ce qui concernait Ester, Sénoueix la fit passer pour une amie, oublia naturellement de signaler qu'elle était noire, mit dans la balance son engagement et paya l'avance de sa traversée.
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MessageSujet: LA BELLE ROCHELAISE   LA BELLE ROCHELAISE - Page 5 EmptyJeu 17 Nov - 18:26

Merci JEAN Exclamation ... Wink
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