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Détente - amitié - rencontre entre nous - un peu de couleurs pour éclaircir le quotidien parfois un peu gris...
 
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 LE DERNIER BANQUET

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epistophélès
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epistophélès

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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyJeu 22 Juin - 19:47

"Ce que mangent les Chinois

Emile se dit amoureux de la petite gardienne d'oies.
Une enfant dépenaillée de douze ans, qui flâne le long des routes, son bâton à la main, entourée d'une batterie de volatiles, et ne presse le pas que lorsqu'elle traverse le domaine de l'école. Un jour, nous lui avons barré la route à l'ombre des grands chênes et avons exigé un baiser pour prix de son passage.
Mais elle a agrippé son bâton telle une reine gauloise, ses oies l'ont entourée en poussant des cris aigus, et nous l'avons laissée passer pour saluer son courage. Emile affirme l'avoir embrassée plus tard. Aucun de nous ne le croit, pas même moi, son meilleur ami.
En réalité, c'est une princesse, me confie-t-il. Nombre de gardiennes d'oies sont des princesses en fuite ou les fille illégitimes de ducs abjects. Les amourettes d'Emile sont rares et brèves, mais celle-ci se mue en un long conte de fées alambiqué, qu'il se raconte à lui-même dans des recoins sombres et dodelinant de la tête pour acquiescer à ses propres paroles. Les autres écoliers lui passent cette étrangeté. Il a jugé et condamné à mort le chien du Dr Fare. Emile est petit, commun et maladroit, à vouloir sans cesse montrer son intelligence, mais il est des nôtres. Nous sommes la classe la plus intelligente, la plus brave, la plus courageuse et la plus fière de toute l'histoire de Sainte-Luce.
Et nous sommes liés par un mensonge, tous autant que nous sommes. Le lendemain du procès du chien du Dr Faure, reconnu coupable et exécuté pour les péchés de son propriétaire, le directeur fait irruption dans notre classe et nous demande si nous avons vu ou entendu quelque chose d'anormal la nuit précédente. Son regard balaie nos visages attentifs avec une telle intensité que c'est à croire qu'il a des soupçons. Le Dr Faure se tient juste derrière lui, le visage pâle et les lèvres pincées. Depuis le début de la journée, il évite nos regards.
Nous secouons la tête et échangeons des coups d'oeil interloqués, véritable pantomime d'innocence et d'ignorance.
- Qu'aurions-nous pu entendre, monsieur Question
Marcus a pris la parole. Logique, il est le chef de notre classe.
- C'est une excellent question, répond le directeur. Le chien du Dr Faure a disparu.
Je m'imagine peut-être le regard du directeur s'attarder sur moi. Ou pourquoi pas sur Emile, dernier élève à qui le Dr Faure a infligé une correction Question
- Il a disparu de la cour dont je suis le seul à avoir la clé, en dehors de votre maître.
- Sorcellerie, marmonne un gamin.
Le directeur se renfrogne et enfonce ses mains dans les poches de sa redingote. Puis il se penche légèrement en avant et dit au gamin en question de ne pas être ridicule. Il était déjà assez pénible que les filles de cuisine croient à te telles inepties de nos jours. La sorcellerie est un péché rare, grave, passible de la peine de mort, et une simple hérésie comme le pensent ces ignorantes. Il attend mieux de nous. L'intéressé bredouille une excuse et ne peut cacher son sourire dès que le directeur a le dos tourné.
- Quelqu'un a-t-il entendu quelque chose Question dis-je.
Le directeur m'observe longuement.
- Non, répond-il enfin. La fille du Dr Faure dort dans une chambre qui donne sur la cour et n'a rien entendu. En fait, elle a dormi du sommeil des anges...
Sa bouche se tord en prononçant ces derniers mots, qui sont à l'évidence ceux de la fillette. Les théologiens pensent que les anges ne dorment pas du tout.
- Aurait-il pu s'échapper Question demande innocemment Marcus.
Le directeur se tourne vers le Dr Faure, comme pour l'inviter à répondre. Comme le maître demeure silencieux, le directeur secoue la tête.
- C'est fort peu probable. Les murs font plusieurs mètres de haut, et le toit est trop pentu. A moins, bien sûr, qu'il ne lui soit poussé des ailes.
- Comme un ange, dit Marcus.
- En effet. Si jamais vous découvrez quoi que ce soit, je compte sur vous pour venir me trouver.
- Bien sûr, monsieur. Nous allons organiser une battue cet après-midi. Je diviserai la classe en trois groupes et nous fouillerons partout.
- Je n'en doute pas.
- Cela aurait pu être pire, marmonne Emile.
La classe entière se tait, et le directeur le fusille du regard. Le Dr Faure se raidit, le visage blême, comme si ses soupçons se confirmaient.
- Oui, reprend Emile, la disparition d'un chien est triste, mais cela aurait pu être pire. Cela aurait pu être un membre de la famille du Dr Faure. Sa fille, par exemple.
- En effet, répond lentement le directeur.
Son ton est très différent cette fois. La boutade d'Emile se répand dans toute la classe, et nos camarades s'agitent sur leur banc. Le directeur quitte la salle, et le Dr Faure nous donne une page de latin à traduire avant de se perdre dans ses pensées. Notre maître soucieux se voûte dans la chaise au haut dossier devant nous. La viande est toujours dans ma poche, enveloppée dans des feuilles, et je me demande si je ne ferais pas mieux de la jeter dans les latrines et effacer cette nuit de ma mémoire. Mais je n'ai encore jamais goûté de chien, et, même si cette pauvre bête n'a pas mérité de mourir, la brute épaisse assise sur cette chaise a bien plus mérité cette punition que nous les nôtre. Emile traduit le texte latin rapidement et efficacement. Comme nous partageons un livre, je me contente de recopier sa traduction. J'aurais pu la faire moi-même, mais cela m'aurait pris deux fois plus de temps, et mes pensées sont accaparées par la fille du Dr Faure, mon homonyme, Jeanne-Marie."

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epistophélès

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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyVen 23 Juin - 13:35

"Le grand-père de Jeanne-Marie était tailleur, et sa grand-mère, une Basque, faisait partie de ces gens qui traversaient régulièrement la frontière franco-espagnole, conservaient leurs coutumes et parlaient leur propre langue.
- Mes oncles et mes cousins fabriquent du fromage. Enfin, ce sont sûrement leurs femmes, dit Jeanne-Marie avec humeur. Ce sont elles qui font tout le travail.
Nous sommes enlacés dans l'embrasure d'une porte, si proches que nos nez se touchent presque.
- Tu peux m'embrasser, me dit-elle.
Une minute après, elle soupire après ma piètre tentative et me repousse. Peut-être a-t-elle déjà été embrassée par quelqu'un de plus doué. Ou bien est-elle simplement déçue par la chose elle-même.
Elle aspire entre ses dents.
- Maintenant, à toi de m'embrasser, lui dis-je.
Elle sourit, d'humeur aussi versatile que le vent.
Se rapprochant encore de moi, elle se hisse sur la pointe de pieds et pose ses lèvres sur les miennes. Par chance, je me tiens sur une petite marche, sans quoi c'est moi qui aurais dû me hisser vers elle, plus grande que moi de deux centimètres.
Son baiser est d'abord doux, puis plus exigeant. A la fin, elle entrouvre la bouche.
- Voilà comment tu dois faire, conclut-elle.
J'insiste pour recommencer et m'assurer d'avoir bien compris. Nous nous embrassons tout le printemps, l'été et l'hiver. Et le printemps suivant. Le seul à ne pas être au courant de notre amourette est le père de Jeanne-Marie. Et peut-être aussi sa mère. Même si cette dame m'observe avec un mélange d'amusement et d'inquiétude.
Une année après ce premier baiser, Emile répond au Dr Faure qu'il ne m'a pas vu, mais que, s'il me voit, il ne manquera pas de me dire que le directeur requiert ma présence dans son bureau.
Emile lui a parlé avec une telle politesse que le père de Jeanne-Marie se demande s'il se moque de lui. C'est avec cette même déférence qu'Emile lui avait demandé, chaque jour de l'année précédente s'il avait des nouvelles du chien disparu. Le Dr Faure a ensuite interrogé son épouse : sait-elle où se trouve Jeanne-Marie Question Par chance, il ne fait pas le lien entre nos deux absences et ne me voit pas avec la main dans le corsage de sa fille, à caresser ses côtes saillantes et le léger renflement de ses jeunes seins.
- Le gros balourd de ta classe a plus de seins que moi, gémit-elle. Ce n'est pas juste. Ma mère, elle, a des vraies mamelles.
Je lui réponds que j'ai du mal à croire à leur parenté.
- Ce n'est pas parce que nous ne sommes pas liées par le sang. J'ai été trouvée dans un panier au milieu des roseaux. Ma mère présumée m'a trouvée quand elle est allée laver des vêtements dans la rivière.
- C'est l'histoire de Moïse, lui dis-je en souriant.
Mais la femme du pharaon était allée se baigner dans la rivière, pas laver des vêtements. Elle avait des servantes pour ça.
Je suis sérieuse. Ma vraie mère est une princesse qui accorde trop facilement ses faveurs...
Je souris à ses paroles. Si souvent entendues.
- Pourquoi Mme Faure ne t'a-t-elle pas rendue à tes vrais parents Question Cela aurait semblé raisonnable Question
Jeanne-Marie se rapproche et pose son front contre le mien. Son haleine est légèrement aillée.
- Elle a essayé. Mais les ennemis de ma mère lui ont donné de l'or. Des milliers de livres pour me garder...
Elle s'interrompt, consciente de mener son histoire dans une impasse, et se rattrape.
- Hélas, l'or a été volé presque tout de suite. Par des bandits.
- Quel malheur Exclamation
- Une tragédie.
Elle me sourit. L'un des plus jeunes écoliers actionne laborieusement la cloche pour sonner l'heure du déjeuner. Cela signifie que notre moment volé est terminé.
- Ma princesse.
Elle répond à mon salut par une révérence et s'éloigne en fredonnant. Même l'annonce d'Emile que je suis attendu par le directeur ne peut entamer ma joie secrète. Je lui raconte que, comme sa gardienne d'oies, Jeanne-Marie est une orpheline noble volée à ses vrais parent.
- Et tu la crois Question
Je l'observe un moment avant de répondre :
- Crois-tu ta gardienne d'oies Question
Il sourit.
- Autant que tu crois ta dulcinée.
Voilà comment j'ai su que je m'étais trompé sur son compte et qu'Emile avait bel et bien embrassé la petite gardienne d'oies.
- Tu ferais bien de te dépêcher, dit Emile. Des hommes t'attendent avec le directeur. Il appelle l'un d'eux "monsieur".
Pendant que je file chez le directeur, Emile va déjeuner à la longue table du réfectoire. Tous les écoliers sont assis sur des bancs, et les plus grands volent la part des plus petits. Nos bols se vident aussi vite que les sauterelles bibliques rasent les terres. Mon déjeuner sera rapidement dévoré.
- Ah Exclamation vous voici, mon jeune ami...
Je m'incline et risque un regard vers les compagnons du directeur.
- Ces messieurs sont ici pour vous voir...
Aux regards amusés des trois hommes, il comprend sa maladresse et se corrige aussitôt.
- Ces messieurs ici présents... ont demandé à vous voir. Voici...
Il nomme un comte somptueusement vêtu dont j'ai oublié le nom, tant je suis concentré sur l'homme du milieu, qui me regarde fixement. Le troisième est un colonel en uniforme, commandant d'une compagnie de cadets.
- Et monsieur le vicomte d'Anvers...
Il est évident que le vicomte est l'homme le plus important, même s'il est plus jeune que le colonel et moins haut placé que le comte. Le directeur recherche manifestement son approbation.
- Est-ce l'enfant en question Question
- Oui, monseigneur.
- Il a l'air bien portant et se tient droit.
Une secousse sur l'épaule me fait vaciller.
- ... et semble assez solide. Il vous regarde droit dans les yeux. Est-il intelligent Question
- Nous en avons de plus intelligents. Mais aussi de plus lents. Il se débrouille plutôt bien en latin. Sait un peu de grec. Connaît sa carte de France. Et d'Europe. Il s'intéresse beaucoup à la botanique.
Comment le directeur sait-il tout cela Question A moins que le Dr Faure lui ait parlé de moi Question Mais pourquoi le directeur lui aurait-il posé des questions à mon sujet Question Rien, dans l'expression du vicomte ne me permet de répondre à mes questions.
- Que veux-tu devenir plus tard Question demande le colonel d'une voix rocailleuse, comme du gravier sous la roue d'un chariot. Commençons par une question simple."


Pas d'inquiétude.......... je reviens. ... Basketball

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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyVen 23 Juin - 18:44

"Non, intervient le vicomte. Puis-je la reformuler Question Mon garçon, si tu pouvais devenir ce que tu veux, que serais-tu Question Aucun métier ne t'est interdit. Dis-nous simplement la vérité. Voilà le meilleur moyen de juger un enfant, ajoute-t-il en se tournant vers le colonel. Par la mesure de ses rêves.
- Cuisinier, leur dis-je.
Tous font la grimace, tous sauf le vicomte.
- Tu es un noble, dit le comte. Essaie de ne pas l'oublier. Fais une nouvelle tentative.
Son ton est si dédaigneux que le colonel vient à ma rescousse.
- Allons, allons Exclamation Aucun doute que les repas ici sont frugaux et monotones. A quoi d'autre peut-être sensible un garçon de son âge, si ce n'est à la nourriture Question Tous s'en plaignent à l'académie.
Le vicomte d'Anvers renifle.
- A son âge, mes centres d'intérêt étaient...
Il marque une pause, à la recherche des mots justes.
- Disons simplement que j'avais d'autres priorités que mon estomac.
Le comte lui adresse un regard de reproche.
- Dites-moi, dit le vicomte, qui n'en a visiblement pas terminé avec ce sujet. Mes amis ici présents ont-ils raison Question Est-ce que l'estomac qui vous donne envie de diriger des cuisines et de posséder la clé du garde-manger Question Ce fantasme vous vient-il de la surabondance des légumes d'hiver, de la piètre qualité du pain, ou bien du simple manque de viande Question
J'ai envie de lui dire que la quantité de nourriture est suffisante malgré sa monotonie. Et, en dépit des dernières mauvaises récoltes (ce qui signifie que les paysans sont aussi affamés que leurs bêtes), les légumes et la farine trouvent toujours le chemin de nos cuisines. Quant à la viande... Grâce à mes récents arrangements avec les cuisiniers, qui me donnent un sou pour chaque lapin que je rapporte, nos ragoûts sont maintenant à la viande. Mais un chat dépecé, vidé et décapité a la même apprence, le même goût et la même texture qu'un lapin.
- Eh bien Question insiste le vicomte.
- Je m'intéresse à la science du goût, dis-je avec tout le sérieux dont je suis capable.
- Voilà Exclamation dit-il triomphalement. Ce garçon est un philosophe-né, qui souhaite naturellement approfondir ses connaissances dans le laboratoire expérimental de son choix. Alors, me dit-il, quelle est votre saveur préférée Question
La sueur fraîche à la naissance des cheveux de Jeanne-Marie quand je l'embrasse dans le cou.
Quoique le goût de sa langue après avoir mangé une orange n'arrive guère loin derrière. Chez Jeanne-Marie, ma quête du goût se mêle à mon appétit pour les secrets du beau sexe. Je ne sais pas si mes recherches et ma faim resteront entremêlées ou finiront par prendre des chemins différents.
- Le roquefort, dis-je au vicomte.
Il me fait un sourire triste.
- Vous ne vous souvenez pas de moi, n'est-ce pas Question
- Non, monseigneur. Pardonnez-moi.
- Vous mangiez des scarabées, adossé à un tas de fumier, l'air heureux. C'était l'été et un cheval était dans la stalle derrière vous.
- Vous étiez avec le Régent Question
- J'étais son aide de camp.
- Et l'autre homme ... Question
Je me souviens du jeune homme renfrogné qui ne voulait pas avoir affaire à un gamin qui puait le fumier et se gavait de scarabées.
- Il est mort, répond platement le vicomte. Un accident.
- Il ne m'aimait pas.
- Il n'aimait pas grand monde. Il avait ses raisons, mais aucune qui concerne un garçon de votre âge. Quoi qu'il en soit, sa mort est regrettable.
Le vicomte d'Anvers me parle sérieusement, comme à un adulte. Si ce n'est qu'il fait des phrases courtes, emploie des termes simples et ne se veut pas spirituel.
- Vais-je avoir un accident Question
Un sourire éclaire le visage du vicomte.
- C'est peu probable. Un garçon précautionneux comme vous... Nous dînons ici ce soir. Vous devriez vous joindre à nous. Il ne fait aucun doute que les cuisinières se surpasseront.
- Vous le voulez à votre table Question s'étrangle le directeur.
- Cela créerait un précédent, d'après vous Question
Le vicomte prend un mouchoir dans sa manche et le secoue.
- Vous avez probablement raison. Il peut servir le vin. Vous savez servir le vint, n'est-ce pas Question
Je secoue la tête.
- Alors, je vous suggère d'apprendre...
On me renvoie pour que je prenne mes instructions et que je me rende aussi présentable que possible. On m'appellera le moment venu."

A TOUTE Exclamation ... Wink
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptySam 24 Juin - 15:14

"Mon seul souvenir de cette soirée est la nourriture. Un brochet baigné de vinaigre chaud, qui donne à ses écailles une teinte bleu glacé. Sa sauce au concombre et poivre noir à la texture de la crème et la fragrance des herbes aromatiques. Le poisson lui-même a un goût de roseau et de boue, faute d'avoir été bien rincé. Je découvre ces saveurs quand je retourne dans les cuisines pour prendre une deuxième bouteille de graves et avale un morceau de poisson délaissé dans une assiette. Ensuite, ils servent trois lapins entiers farcis de noisettes et rôtis. Comme je n'ai livré aucun lapin à la cuisine la semaine précédente, j'imagine qu'ils ont été chassés dans les champs plutôt que sur les toits de l'école ou dans le village en ruine par-dela la rivière. Le dessert est une masse informe, savant mélange de cerise, brandy, meringue et miel. Sa saveur sucrée et son onctuosité touchent à la perfection. Le brochet est renvoyé à la cuisine quasi intact, alors qu'il ne reste presque rien des lapins. Je suis obligé de racler les assiettes pour en récolter quelques miettes. Nos visiteurs mangent avec des fourchettes, dont ils se servent, en sus de morceaux de pain pour détacher la chair du poisson et du lapin de leur os. Je me résous à tester cette méthode la fois suivante.
- Les rois se ressemblent tous, dit le colonel au moment où je reviens dans la salle à manger avec un plateau chargé de verres et de brandy.
Me demandant de quels rois il parle, je prête l'oreille et découvre qu'il s'agit du nôtre, le jeune Louis XV, et le roi de Chine. Quoiqu'au bout d'un moment, je me demande si ce n'est pas plutôt Louis le Grand, que l'on appelle aussi le Roi Soleil. Le voyage dont parle le colonel semble avoir eu lieu bien avant ma naissance.
- Immense empire, règne absolu, famille compliquée...
Le directeur paraît gêné par le dernier commentaire du colonel et me jette un coup d'oeil inquiet.
- Vous nous écoutez, n'est-ce pas, mon jeune ami Question dit le colonel.
- Oui, monsieur.
- Très avisé. On apprend beaucoup en écoutant les adultes. Avez-vous des questions Question
- Que mangeaient-ils Question
Le vicomte d'Anvers éclate de rire.
Prenant son verre, le colonel sourit.
- Je ne peux pas vous dire ce que le roi de Chine mange. Je ne l'ai jamais rencontré. Je doute que d'autres l'aient fait. Ses sujets, en revanche consomment du chien, du chat, du serpent, des pattes de poulet, des oeufs marinés dans de l'urine de cheval et enfouis une centaine de jours dans la terre, des concombres de mer, des insectes, des lézards, des embryons de chèvre. Difficile de trouver une chose qu'ils ne mangent pas...
En entendant ces mots, je regrette presque de ne pas être né chinois."
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptySam 24 Juin - 15:40

"- Ses sujets attribuent des vertus médicinales aux aliments. Ceci est bon pour la détente, cela, pour la force...
Baissant les yeux sur la table où Mme Faure est assise, le visage sombre, à côté de son mari, il sourit. La préciosité de Mme Faure jure avec son généreux décolleté, qui attire les regards du colonel depuis le début de la soirée.
- Par exemple, reprend-il, le serpent est censé donner de la vigueur à l'homme. Et le chat, de l'agilité. Ensemble, ils composent un plat appelé "tigre et dragon", qui à leurs yeux rend l'homme à la fois insatiable et adroit dans l'exercice de son devoir conjugal.
Mme Faure rougit, et son mari grimace. Le directeur me regarde, décide que je ne comprends rien aux paroles du colonel et que je suis trop jeune pour être scandalisé. Aussi joint-il son rire à celui des autres convives. La soirée se termine peu après. L'épouse du Dr Faure s'excuse la première. Je m'endors une demi-heure plus tard en me disant qu'il doit être difficile d'attraper un serpent. Je me réveille au chant du coq, me demandant si je dois le cuisiner seul ou avec du chat.

Je songe, en les regardant s'éloigner à cheval : "Tu ne vaux pas mieux que la gardienne d'oies d'Emile. Pas mieux que Jeanne-Marie, la fille du maître d'école, dont j'aime tant le goût des lèvres et les secrets de son corsage. Tu n'as pas été trouvé dans un panier, au coeur d'un bouquet de roseaux près de la rivière. L'épouse du pharaon ne t'a pas sauvé des eaux. Aucune princesse ne t'a poussé dans le courant. Seule la curiosité a attiré le vicomte ici. Tu es Jean-Marie d'Aumout, un écolier - le fils de nobles désargentés qu'ils sont morts de faim."
"Mais... et si Question " susurre une petite voix dans ma tête.
Et si Question ... "

FIN DU IV
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MARCO

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MessageSujet: Re: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptySam 24 Juin - 16:27

Plein de retard !
Je m'y mets ce soir 


Merci Episto
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptySam 24 Juin - 17:57

Ne te presse pas Marco. J'ai encore pas mal de pages à taper et je ne vais pas le faire d'une traite. ... Wink
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptySam 24 Juin - 18:59

"Le buisson d'épines

Jeanne-Marie s'en va la semaine suivante. Cela n'a rien de secret. Elle grimpe dans une cariole à côté de sa mère, puis le cocher fait claquer son fouet, et le cheval se met en branle. Partis dans l'écho des sabots sous l'arche et le crissement des gravillons de l'allée. Le Dr Faure les regarde s'éloigner, impassible. Puis il nous donne un texte de César à traduire et cinq pages de Montaigne à résumer en trois cents mots.
Cela fait bien longtemps que le Dr Faure n'a corrigé personne. Il nous tire les oreilles, nous jette des livres à la tête, donne des coups de pied dans nos chaises quand l'envie lui en prend, mais personne n'a eu à se pencher sur la table et à baisser son froc devant tout le monde pour être fouetté.
Le directeur contrôle les maîtres, lesquels contrôlent les élèves de l'école élémentaire, qui à leur tour contrôlent ceux du primaire. Selon Emile, c'est un véritable microcosme de l'Etat français. Emile lit en douce des livres qu'il dérobe dans une vitrine fermée à clé de la bibliothèque. Il a forcé la serrure, ce qu'il lui vaudra une sévère correction s'il est pris, mais la vitrine se trouve dans un coin sombre, et tout le monde sait qu'elle est verrouillée. A l'intérieur, le bois est fissuré, et le cuivre, tordu. Les seuls dommages extérieurs sont l'entaille à l'endroit où Emile a inséré son couteau, et la déformation du montant lorsqu'il a appuyé dessus. J'ai assisté à la scène.
- Emile...
Il sursaute en entendant son nom. Je ne sais pas s'il est furieux ou soulagé de me voir.
- Qu'est-ce que tu fiches ici Question demande-t-il.
Je désigne du menton le couteau dans sa paume et la serrure à moitié déglinguée, et lui réponds que je pourrais lui poser la même question.
- Je libère la connaissance.
Il se renfrogne en me voyant rire. Mais je ne peux m'en empêcher. Il est aussi absurde que ce démagogue athénien que le Dr Faure a dénigré le matin même, un étranger aux vices contre-nature qui prône la démocratie. Comme nous avons treize ans, seuls les vices contre-nature nous intéressent. La première gravure du premier livre que nous ouvrons montre un bébé extrait de l'entrejambe d'une femme à l'aide d'un crochet. Nous supposons que le bébé est mort. La seconde représente un bras qu'on est en train de scier. Emile referme vivement le livre et le glisse dans son emplacement sur la droite de l'étagère du haut. Sa couverture de cuir est élimée comme tous les autres ouvrages de la vitrine. Nous mémorisons tous deux sa position, car nous savons que nous allons revenir le feuilleter plus tard.
- Comment vas-tu Question me demande-t-il.
- Bien.
Jeanne-Marie et moi sommes amis depuis plus d'un an. Ce ne sont pas seulement les baisers et les caresses furtives sous son corsage qui me manquent. Ce sont nos conversations. Il y a des choses que je ne peux dire à personne d'autre. Emile fréquente toujours sa gardienne d'oies. D'après les rumeurs, ils ont été surpris ensemble dans les bois, à se rouler dans les jacinthes, elle en train de rire en repoussant ses ardeurs. Il ne m'en a jamais parlé. un geste de bonté de sa part.
Je passe le plus clair de mon temps libre dans les cuisines, le vicomte ayant suggéré au directeur qu'on m'en confie la gestion. Après s'être remis de sa fureur à l'idée qu'un gamin lui donne des ordres, le chef cuisinier m'attribue la moitié d'une petite pièce étouffante près du grand four. Je lui apporte toujours des lapins, mais moins que l'année précédente, comme tout ce que je réussis à attraper. Persuadé que me donner accès à son royaume est une récompense suffisante, il ne me rémunère plus d'un sou graisseux.
Mon livre de recettes s'étoffe de semaine en semaine, tandis que le printemps laisse place à l'été et à la moisson. Les rats des poubelles sont amers, ceux nourris au grain sont si propres qu'il faut les frire dans du beurre avec quelques feuilles de menthe pour les rendre comestible. J'en donne un morceau à Emile en lui disant que c'est du poulet. Il n'en doute pas, bien qu'à mon palais, cela a le goût de chouette. Je tue une couleuvre à collier endormie et la fait cuire avec du chat, selon la tradition chinoise relatée par le colonel. Les effets sur ma vitalité et mon adresse ne s'en font guère ressentir. La cachette idéale pour mon livre me paraît évidente : à côté du livre que nous avons dérobé dans l'armoire vitrée. Son dos était assez usé pour qu'il se fonde avec les autres."

study ... sunny
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyDim 25 Juin - 14:15

"Je suis en train de prendre des notes sur une recette décevante de loir quand ma vie est bouleversée. La sauce a tourné, le clou de girofle ne convient pas du tout et le goût général est acide comme si je mâchonnais des pépins de pomme. Je me débats avec ma mauvaise humeur quand je re garde par la fenêtre de la bibliothèque et vois une cariole se diriger vers les grilles de l'école.
Le cocher arrête la voiture, et, derrière lui, sur des malles, sont assises Mme Faure et Jeanne-Marie qui en six mois a pris un peu plus les traits de sa mère. Personne ne connaît la véritable raison de leur départ. L'hypothèse la plus plausible est une grand-mère malade. La plus populaire est que, après avoir accordé ses faveurs au colonel, Mme Faure a jeté une brosse à la tête de son mari et est partie avec sa fille. Toutes deux passent à présent sous l'arche pour gagner la cour principale. je descends l'escalier de derrière à toute vitesse (le grand escalier est interdit aux élèves) quand je réalise que je ne peux pas me ruer dans la cour et embrasser Jeanne-Marie.
Le Dr Faure se retourne au moment où je m'arrête net devant la carriole.
- Les bagages, dis-je. J'ai pensé que vous auriez besoin d'aide pour les porter.
- Pourquoi pas Question répond le maître d'école.
Il fait signe à deux autres gamins d'approcher et, tous trois, nous déchargeons péniblement les malles après avoir laissé Mme Faure et sa fille descendre de voiture. Jeanne-Marie passe à côté de moi sans m'accorder un regard. Nous parvenons à transporter les premières caisses dans la petite cour, puis dans l'escalier extérieur qui mène à la porte de sa chambre. Mais elle n'est nulle part en vue. L'école est ancienne, et cette partie, plus ancienne encore.
Elle a été bâtie à l'époque des rébellions et des guerres civiles, quand il était dangereux d'avoir une porte au niveau du sol. Nous hissons deux autres valises dans l'escalier, nous demandant à voix basse ce qu'elles peuvent bien contenir pour être si lourdes. A mesure que nous grimpons, notre imagination grandit. Notre dernière suggestion est le cadavre de l'amant de Mme Faure. Enfin, nous passons la porte et trouvons Jeanne-Marie en train de nous attendre.
- J'ai à te parler, me dit-elle.
En voyant son expression morose, les deux autres quittent la pièce avec un au revoir timide.
- Jeanne-Marie...
Elle recule d'un pas quand je m'approche d'elle."


JE REVIENS. ... Very Happy
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyDim 25 Juin - 15:35

"- Tu me dois un chat, dit-elle d'un ton sans appel. J'ai réfléchi et je me moque du chien, mais tu me dois un chat.
- Tu disais qu'il pétait et que sa fourrure puait.
- Ne sois pas grossier...
Elle a presque l'air adulte quand elle parle ainsi. Son visage est plus rond, ses hanches, plus pleines et son corsage révèle de véritables courbes. Elle resserre impatiemment les pans de son manteau autour d'elle.
- Tu comprends Question Tu me dois un chat.
Elle se tourne pour partir, et mon estomac se noue.
- Attends, dis-je suppliant.
Elle continue sa route.
- Quel genre de chat Question fais-je, au désespoir.
Jeanne-Marie se retourne et je comprends qu'elle n'en sait rien. Elle réfléchit, et, l'espace d'une seconde, je retrouve la moue d'autrefois. Quand son regard revient à moi, elle s'est radoucie, comme si la réponse en soi la faisait sourire.
- Un chaton, dit-elle. Je veux un chaton.
- Je sais exactement où en trouver un.
Elle m'observe avec intérêt. Est-ce une ruse de ma part Question Suis-je à ce point désespéré de lui parler Question
Plus tard, je me demanderai si sa rudesse n'était pas un jeu. Ou simplement une manière de me dire que nous ne pouvons pas reprendre là où nous nous sommes arrêtés. Ou peut-être qu'elle désire vraiment un chat et considère que je suis responsable de la mort du précédent.
- Où Question
- Au-delà du village en ruine.
- Tu sais que c'est en dehors des limites.
Je hoche la tête et lis de la curiosité dans ses yeux.
Elle sourit pour la première fois depuis que je l'ai vue sur la carriole et relâche les pans de sa veste.
- D'accord. Rapporte-moi un chaton, et nous pourrons de nouveau être amis.
Je secoue la tête.
- Tu dois venir aussi.
- Pourquoi Question
- Pour le choisir.
Ma réponse lui plaît.
- Quand Question demande-t-elle.
- Ce soir...
Elle secoue de nouveau la tête.
- Ma mère est fatiguée, et mon père voudra parler de ma grand-mère.
Elle lit ma question tacite.
- Elle est morte.
- Ta grand-mère maternelle Question
- Paternelle. Comme il devait travailler, on est parties seules.
- C'est dur Question
Son regard dit que oui.
- Mes parents sont morts, lui dis-je, espérant son pardon.
- Je m'en souviens. Tu as dit qu'ils étaient morts de faim.
Jeanne-Marie prend le temps de réfléchir avant de reprendre :
- Demain soir. Où se retrouve-t-on Question
- Près du pont."


5 minutes d'absence. ... Wink
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyDim 25 Juin - 16:06

"Le pont est l'endroit où la gardienne d'oies s'est sauvée avant que nouspuissions la piéger. De notre côté du pont, nous sommes sur le domaine de l'école, si bien que nous pouvons légitimement exiger un droit de passage. De l'autre côté, c'est le domaine communal du village. Enfin, au dire des villageois. Le baron local n'est pas d'accord sur ce point, mais est trop paresseux pour aller réclamer un marécage plein de ronce devant un tribunal. Si cela avait été une forêt, il aurait fait valoir ses droits depuis des année. Ce soir, la lune éclaire la rambarde du pont et fait miroiter le ruisseau révélant son lit de gravier et une épinoche solitaire qui fait penser à un brochet miniature.
Jeanne-Marie est arrivée avant moi.
- Tu es en retard.
- Comment es-tu sortie Question
- Par la porte de derrière.
Cette partie de l'école a des portes au rez-de-chaussée, si bien qu'elle n'a eu qu'à gagner discrètement les jardins, puis traverser un champ pour rejoindre le pont.
- Je suis passé par la fenêtre de mon dortoir, j'ai longé la corniche de ce côté de la tour et je suis descendu par la gouttière.
Elle reconnaît que mon périple est bien plus difficile.
- Où sont les chatons Question
Je lui prends la main (si elle ne mêle pas ses doigts aux miens, elle ne se dérobe pas non plus) et je l'entraîne sur le pont, puis le long d'un chemin sablonneux qui sépare deux prairies inondées, redevenues marécages. Nous marchons à l'ombre des saules et empruntons une langue de terre sèche en direction du village en ruine. Personne ne sait quand ni pourquoi il a été détruit. La peste, racontent certains.
Ou les soldats. La plupart des murs sont brisés à hauteur de la taille, et le plus haut ne dépasse pas mon épaule. Une porte vermoulue bâille dans son encadrement brisé. Nous nous glissons dans les ruines d'une maison et ressortons par la porte de derrière, qui donne sur un champ. J'ai envie de m'arrêter dans les décombres, d'embrasser Jeanne-Marie et de sentir la plénitude nouvelle de ses seins, mais le bon sens arrête mon geste. Les chatons sont la clé. Sans eux, nous ne pourrons reprendre là où nous en étions.
- C'est là-haut, dis-je. On est presque arrivés.
Elle me croit sur parole et ne se plaint pas alors que nous avons encore plusieurs centaines de mètres de haies et de buissons à traverser. Dans l'obscurité se découpe un chêne mort, dont le tronc fendu se ramifie en une myriade de branches entremêlées. Comme des veines dans la chair du ciel. Je m'émerveille de cette pensée."

Pause esquimau.... bounce
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyDim 25 Juin - 16:31

"Une idée naturelle chez un enfant de douze ans qui se considère comme un penseur. Mais, dans mon esprit, elle est originale.
- Par ici, dis-je en pointant un buisson de ronces. Je les ai entendus hier.
Jeanne-Marie s'arrête et observe l'enchevêtrement de ronces aux épines de la longueur de l'ongle.
- Comment veux-tu... Question
- Par en dessous.
L'entrée est basse, et seuls des animaux ont pu se frayer un passage à travers les buissons. Sans doute rien de plus gros qu'un blaireau n'a osé s'aventurer là-dedans.
- Je passe le premier.
Elle hoche la tête, l'ai dubitatif. Les ronces s'accrochent à ma chemise et je me recroqueville encore plus, réalisant que je vais devoir ramper pour atteindre ce maudit chat. Les épines éraflent mes tempes, et du sang jaillit de ma joue, gouttant telles des larmes sur les feuilles froissées sous mes yeux. J'entends Jeanne-Marie grogner derrière moi et prie pour trouver rapidement les chatons. Cela m'a paru une bonne idée quand je l'ai suggérée, mais à présent que j'ai le nez dans la terre et que les ronces me lacèrent le dos, sans oublier le petit cri de douleur de Jeanne-Marie derrière moi, je me dis que c'était une idée stupide. Pourtant, je vois le clair de lune au bout du tunnel et continue de ramper jusqu'à une petite clairière dégagée et cernée de ronciers. Un pan de mur écroulé a stoppé leur progression. Jeanne Marie regard tout autour d'elle.
- Seigneur Exclamation Comment as-tu découvert cet endroit Question
Je suis près de lui répondre que je ne le connaissais pas. J'avais seulement entendu des chatons miauler du dehors. Le sourire qui éclaire son visage est tout à fait compréhensible. Nous sommes protégés du monde extérieur par un rempart de ronces aux épines tranchantes. Un lieu empreint de magie, et nous sommes au coeur de cette magie.
- Chut, dis-je en posant un doigt sur ses lèvres.
Nous prêtons l'oreille, et j'entends un faible gémissement derrière nous. Je replonge donc dans le tunelle, m'arrêtant pour écouter de nouveau. D'après leurs miaulements, ils sont sur un côté, à portée de main. Je tends le bras entre les branchages et sens un pelage sous mes doigts. Des chatons minuscules Exclamation
Je croyais que la mère allait se jeter sur ma main, mais je réussis à en prendre un sans susciter de réaction de sa part. Il y a cinq bébé, six si on compte celui qui est mort. Tous malingres, miaulant, et trop faibles pour tenir sur leurs pattes. En passant de nouveau le bras, je palpe le corps de la mère, dont les côtes saillent tellement qu'on croirait des ossements. Morte, me dis-je... Elle remue néanmoins, et cherche à me mordre, mais quelque chose l'empêche de m'atteindre. Il fait sombre à l'intérieur du tunnel, et les rais d' lune pâles se confondent avec des branches. J'ai les chatons. J'ai la clé du coeur de Jeanne-Marie. Il me suffit de les emporter.
La voix de Jeanne-Marie s'élève derrière moi.
- Attends, dis-je en tendant de nouveau la main dans les buissons."

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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyLun 26 Juin - 13:51

"La patte avant de la chatte est prise dans les ronces, qui l'emprisonnent telles des serrres. L'animal se met à siffler lorsque je touche sa blessure et tente de la libérer.
- J'essaie de t'aider, dis-je.
Les ronces me griffent les poignets quand j'arrache une branche pour dégager sa patte piégée. En brisant plusieurs épines, je réussis à tirer une autre branche, libérant progressivement le félin de ses entraves.
- Suis-moi, dis-je à Jeanne-Marie en glissant les chatons dans ma chemise et en rampant le long du tunnel de terre jusqu'au clair de lune, laissant la haie d'épineux derrière moi.
Jeanne-Marie se relève peu après moi, l'air furieux.
- Pourquoi as-tu... Question
Elle se tait en voyant la chatte blessée, et ses yeux s'arrondissent quand je sors les cinq chatons de l'intérieur de ma chemise.
- Fais ton choix.
- Que lui est-il arrivé Question
- Elle s'est empêtrée dans les ronces;
- Tout comme toi, dit-elle en essuyant le sang sur mon menton.
En tirant sur les branches enchevêtrées pour dégager la chatte, je me suis égratigné tout le visage. Une grosse épine s'est enfoncée sous la peau de mon poignet et ressort un centimètre plus loin. Elle me regarde avec intérêt quand je la retire et en cherche d'autres.
Dans le ruisseau, une centaine de mètres plus loin, je me nettoie les mains et asperge mon visage jusqu'à ce que le sang cesse de couler de la douzaine de coupures que je me suis faites. Je lave la patte arrière de la chatte sans qu'elle proteste. Ses flancs sont dépourvus de chair, ses hanches saillent, et ses mamelles sont fripées, vidées par les chatons affamés. Quand je la libère, une goutte de lait tombe sur mon doigt. Il a le goût de la tristesse et du désespoir.
- A manger, dis-je. Elle a besoin de manger.
Les yeux de Jeanne-Marie brillent d'une expression que je ne lui connaissais pas. Comme si une lumière intérieure illuminait son visage et adoucissait ses traits.
- Donne-moi les chatons.
Elle enfouit une boule de miaulements et de poils sur le devant de son corsage, exposant la douceur de son estomac, une douceur qui a manqué à mes mains. Je mets la chatte sur mon épaule et la maintiens en place d'une main. Comme c'est souvent le cas, le trajet de retour est plus rapide que l'aller. L'édifice massif de l'école se dresse bientôt devant nous.
- De quoi a-t-il besoin Question
- D'oeufs. Six oeufs crus et du poulet si tu peux en trouver.
Jeanne-Marie me laisse avec la chatte et les chatons et revient quelques minutes plus tard avec une patte de poulet et des oeufs dans son corsage, à l'endroit où étaient les chatons précédemment.
Elle s'éccroupit près de moi et me regarde casser un oeuf et nourri la chatte, qui lape le blanc comme le jaune à même la coquille. Un second oeuf disparaît de la même manière que le premier. De l'eau. Je devrais lui donner de l'eau. Je remplis les deux moitiés de coquilles d'eau à une gouttière de l'école et les donne à l'animal sous le regarde attentif de Jeanne-Marie. Je lui demande :
- Quel chaton veux-tu Question
Jeanne-Marie plisse les yeux sur les boules gémissantes et secoue la tête.
- Ce ne serait pas juste, déclare-t-elle. Elle devrait les garder tous.
Je dois me faire violence pour ne pas soupirer.
Nous laissons les chatons sous un buisson au fond d'un jardin interdit aux élèves et étendons la chatte à côté d'eux, sa patte blessée devant elle. Je casse les autres oeufs, émiette le poulet et laisse le tout à leur portée. Puis je baisse les branches, espérant ainsi ménager leur cachette.
- Tu es courageux, dit Jeanne-Marie, le regard brillant.
Elle s'approche et lève son visage vers le mien, quêtant un baiser. Sa bouche s'ouvre, et nos langues se touchent, provoquant une petite étincelle qui la fait frissonner. Ses seins tombent dans mes mains, et elle me sourit. Si belle. A un moment, entre le baiser et la caresse, ma main s'égare plus bas et, après s'être figée quelques secondes, elle me laisse faire. J'emporte deux nouveaux goûts. Celui du lait de chatte et celui d'une fille. Deux goûts que je n'avais encore jamais expérimentés.
Le lendemain, ma vie est bouleversée pour toujours, et ce, pour des raisons inattendues. Le vicomte d'Anvers et le colonel réapparaissent, sans le comte cette fois. Je suis convoqué, examiné des pieds à la tête, puis sommé d'expliquer les égratignures de mon visage et mes mains. Incapable de trouver une meilleur réponse, je leur dis la vérité. J'omets de préciser le lieu, le moment et la présence de Jeanne-Marie. Mais le coeur du récit reste le même. Pour des raisons qui m'échappent, sauver des chatons et une chatte piégée dans un roncier au mépris du danger plaît au vicomte et convainc définitivement le colonel que je suis le candidat idéal pour ce que le vicomte a en tête. Je me vois offrir un place à l'académie pour étudier l'artillerie et les explosifs.
- C'est un peu comme la cuisine, dit le vicomte.
Le colonel renifle, mais ne réponds pas à son commentaire."


FIN DU V
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyLun 26 Juin - 19:39

"1730

L'académie militaire

Le plus grand des deux est Jérôme, un garçon au visage rond marqué par la petite vérole et aux joues rouges comme une lavadière qui passe ses journées à la rivière. Il se présente avec un fort accent dont ses amis se moquent, ce qui lui fait serrer les poings et oblige lesdits amis à lever les mains en signe d'apaisement. Cet échange a tout du rituel.
- Il est normand, dit l'ami de Jérôme, comme s'il parlait d'une bête stupide. Il a encore de la boue sur ses bottes.
- De la bonne boue, réplique Jérôme. De la boue riche. Des hectares de cette satanée boue. Bien meilleur que cette saleté rouge que possède Charles...
Ils s'insultent encore un moment, puis leurs regards glissent sur Emile derrière moi. Ils attendent que je leur présente mon compagnon. Je déclare :
- Emile Duras. Il est intelligent.
Les deux cadets échangent un coup d'oeil. Leurs pensées se lisent sur leurs visages. Il est intelligent, mais son nom n'a pas la fameuse particule.
- Un ami à toi Question demande Jérôme.
Je hoche la tête. Emile est là parce que je le suis aussi. Son père (ou peut-être sa mère) ayant décidé que j'avais une bonne influence sur son fils, ou peut-être que j'étais une bonne fréquentation, Emile est venu avec moi. Je n'ai aucune idée des sommes d'argent qui ont été échangées pour parvenir à cet arrangement.
- On était dans la même classe.
- Et vous le serez encore, dit Charles. Vous êtes dans notre maison. Même année.
Il observe toujours Emile, le plus petit et à l'évidence le plus faible de nous quatre. Charles hoche la tête, comme si cela ne l'étonnait pas.
- Duras Question D'où viens-tu Question
Emile nomme sa ville natale, et Charles réfléchit un long moment.
- Protestant Question demande-t-il enfin.
Emile hésite une seconde de trop.
- Un bon catholique, répond-il. Comme mon père.
- Mais ton grand-père Question ...
Alors qu'Emile reconnaît la vérité, je me rappelle les mots murmurés par Marcus un jour (Marcus, notre ancien chef de classe, qui appartient à présent au passé). Le grand-père d'Emile était protestant, c'est vrai, mais, avant, il était juif.
- J'ai eu une grand-tante protestante, déclare gracieusement Charles. Une femme étrange... Bien sûr, c'était une duchesse.
- Bien sûr, renchérit Jérôme.
Nos nouveaux amis se lancent quelques piques.
L'académie est un édifice de facture récente, de style baroque, à la façade de stuc pratiquement immaculée. Perchée sur une colline, elle domine Brienne-le-Château, et l'on peu admirer les méandres de l'Aude au loin, une rivière aux eaux étonnamment claires;
- Où sont vos bagages Question demande soudain Charles.
Emile pointe du doigt une malle en cuir aux larges sangles et aux boucles dorées. Je décèle une lueur d'amusement dans le regard de Charles, et Emile la repère peut-être aussi, car il rougit légèrement. La malle est si neuve qu'elle a sûrement été achetée pour l'occasion. Nul doute que la vieille malle cabossée de Charles a appartenu à son grand-père et porte une version récente des armoiries de sa famille.
- Et toi Question me dit-il.
Tournant sur moi-même, je lui montre mon uniforme impeccable, un long manteau gris à la doublure carmin et aux manchettes rouges ornées de boutons dorés.
- Voici mon bagage.
- Un philosophe Exclamation dit Charles en riant. Vous entendez cela, il porte son bagage sur lui Exclamation
Il se tourne vers Jérôme.
- Nos avons un philosophe parmi nous.
- C'est mieux qu'un saint, je suppose.
- Sais-tu te battre Question me demande Charles.
Je le regarde et me remémore mon premier jour à Sainte-Luce, ma bagarre avec Emile, qui nous a valu chacun un oeil au beurre noir et le nez en sang.
Peut-être est-ce ainsi que cela fonctionne. Chaque nouvelle école débute par une bagarre.
- Pourquoi Question
- L'éternelle question du pilosophe..., commente Charles.
- Alors Question insiste Jérôme.
- S'il le faut.
Jérôme sourit et hoche la tête.
- Bien. Ce soir, notre dortoir va être attaqué par la classe supérieure. Nous devrons nous défendre comme des lions.
- Mais pas trop quand même, ajoute très sérieusement Charles. Nous devrons perdre avec dignité.
- Comment sais-tu que nous allons être attaqués Question demande Emile.
- C'est mon père qui me l'a dit.
Charles décide qu'il est temps qu'il se présente correctement.
- Je suis Charles, marquis de Saulx. Mon père est le duc. Et voici le vicomte Jérôme de Caussard, deuxième fils du comte de Caussard. Nous allons être attaqués parce que c'est la tradition de l'académie. Et nous perdrons avec les honneurs, comme le veut le bon sens."

POUCE Exclamation ... Wink ... tongue


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MessageSujet: Re: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyMar 27 Juin - 14:23

Merci ... en plus avec ta pause esquimau tu m'as donné envie d'en manger  Very Happy
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyMar 27 Juin - 15:27

Y'en a bon n'esquimau Exclamation ... Basketball Basketball Basketball

"Si nous gagnons, ils reviendront le jour d'après Question
- Oui, et avec la classe du dessus en renfort, répond Jérôme.
Sur les marches de pierre, un maître nous fait signe de renter. Nous avons l'après-midi et la soirée pour nous installer. Les cours débuteront demain après le petit-déjeuner, qui est servi après la prière de 7 h 30. Réveil à 6 h 30. Personne ne doit être en retard à la chapelle, au petit-déjeuner ou en cours. Nous hochons la tête pour dire que nous avons compris et prenons ses avertissements très au sérieux.
L'homme grommelle en voyant la malle d'Emile.
- C'est la mienne, dit Emile.
- Portez-la vous-même. Vous n'avez pas de serviteurs ici.
Croit-il que nous avions des serviteurs dans notre précédente école Question Je me rends compte qu'il ne sait rien d'Emile et moi. C'est un sentiment étrange. Notre salle de classe se trouve au bout d'in couloir sombre, derrière une porte sur la droite, identique à une douzaine d'autres. Une poignée d'élèves lèvent les yeux à notre arrivée, et Charles fait les présentations. Tous hochent la tête, et l'approbation amusée de Charles suffit à nous intégrer au groupe.
La salle est meublée de tables et de vieilles chaises qui ont perdu la moitié de leur rembourrage. Une armure intégrale rouille sagement dans un coin. Comme elle est nettement plus ancienne que l'école, quelqu'un a dû l'apporter ici. Une tête de cerf à la ramure impressionnante nous observe depuis un mur. Un crâne de sanglier, une défense en moins, repose sur le pupitre que Charles s'est approprié en se laissant placidement tomber sur une chaise de bois et en se penchant en arrière pour observer le plafond.
- Je l'ai tué moi-même, dit-il en captant mon regard.
- Avec l'aide d'une douzaine de chasseurs, les chiens de son père et un mousquet à la main pour tirer sur la bête au cas où petit Charles rate son coup.
Charles rougit et éclate de rire.
- J'avais onze ans, proteste-t-il. Ma mère était inquiète.
- Ta mère est toujours inquiète.
L'espace d'une seconde, je crois que Charles est offensé par le commentaire de Jérôme, mais il hausse les épaules, reconnaissant la vérité.
- Les mères le sont toujours.
Il se tourne vers moi.
- Posons la question à notre philosophe. Ne dirais-tu pas que, dans l'ordre naturel des choses, les mères sont inquiètes Question
- Dans l'ordre naturel des choses, sans doute.
- Pas la tienne Question
- Ma mère est morte. Mon père aussi.
J'aurais pu ajouter que la seule mère que j'aie rencontrée - en dehors de Mme Faure, qui ne compte pas - est celle d'Emile, une femme entêtée, ambitieuses, bâtie comme une barrique, et qui donne sans cesse des ordres à son mari, même si elle se montre toujours charmante avec moi. Mais dire cela serait injuste envers Emile.
- Tes parents sont morts Question
J'acquiesce, et les autres élèves attendent de savoir jusqu'où ira Charles. Déjà, il est notre chef. Plus grand, plus blond, et incontestablement plus impressionnant. Mais c'est plus que cela. Nous venons d'arriver dans une étrange école, nous ne connaissons personne, et nous allons devoir nous battre le soir même. Pourtant, Charles agit comme s'il s'agissait d'un désagrément mineur, qu'il réglera le moment venu. Sa confiance nous rassure.
- Comment Question demande-t-il.
- L'éternelle question du philosophe.
Le sourire de Charles et approbateur.
- Et quand Question ajoute-t-il.
- J'avais cinq ans, peut-être six...
J'ai trop honte pour leur avouer qu'ils sont morts de faim dans les ruines"

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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyMar 27 Juin - 15:55

Je reprends la fin de la phrase précédente. J'ai clos trop tôt. ... Very Happy

"J'ai trop honte pour leur avouer qu'ils sont morts de faim dans les ruines d'une propriété dont ils ont hypothéqué jusqu'à la dernière parcelle.
- Mon frère est mort sur le champ de bataille. Ils lui ont acheté une charge dans la cavalerie. C'était son premier combat. Et son dernier. Mes parents ne s'en sont jamais remis.
- Ils sont morts de faim Question
Je hausse les épaules. Mieux vaut le chagrin que la faim.
Charles regarde Jérôme, qui hausse les épaules à son tour.
- Et ta maison Question insiste-t-il.
- Pillée.

Un bien grand mot pour décrire la procession de paysans qui refusaient de croiser mon regard, si tant est qu'ils aient regardé dans ma direction. Ils sont arrivés en file indienne comme des fourmis et ont emporté tout ce qu'ils ont pu prendre sur leur dos. La maison, les écuries et les dépendances étaient entièrement pillées au moment de l'arrivée du Régent. Je me demande pourquoi ils n'ont pas pris le cheval. Levant les yeux, je me rends compte que tout le monde attend ma réponse, que j'ai envie de parler ou non.
- Par les paysans. Le duc d'Orléans les a fait pendre.
- Le Régent Question
- Il atrouvé mes parents morts.
- Et toi Question demande Jérôme. Où étais-tu Question
- Je mangeais des scarabées.
Voyant sa surprise, j'ajoute :
- J'avais faim. J'avais cinq ans.
Les autres élèves hochent la tête et font des commentaires discrets. L'un d'eux m'offre même une part de gâteau, comme si j'avais encore faim. La conversation se porte ensuite sur ce que chacun a rapporté de chez lui (gâteaux, fromages, pain frais, dattes séchées, un dessert à base de blancs d'oeufs et de fruits confits), et je comprends alors que, dans cette école, cette académie, les élèves ont de vraie vacances et de vraies maisons. Emile paraît beaucoup moins exotique, tout à coup.
- Je ne savais pas quoi rapporter comme nourriture, murmure mon ami.
- Tu le sauras la prochaine fois.
Ce soir-là, la bataille fait rage."

Je sors, papoter avé mes copines de banc... bounce ...
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyMar 27 Juin - 17:57

"Les plus grands s'affrontent, les plus petits mesurent leurs forces, et ceux qui, comme Emile, ne veulent pas vraiment se battre, se reconnaissent et font semblant de s'étriper. On laisse l'ennemi se glisser dans nos dortoirs une heure après l'extinction des feux et nous tirer de nos lits avant d'entamer la vraie bataille.
C'est une campagne nocturne. Nous nous battons dans un silence furieux, sous les rais de la lune distillés par les trois hautes fenêtres du dortoir. Un garçon trapu me donne un coup de poing et vacille sous ma contre-attaque. Comme il hésite, je le cogne de nouveau et le vois plaquer sa mains sur sa bouche, puis chercher une cible plus facile. Mon estomac est noué et mes jambes tremblent. Me baqarrer ne me procure aucun plaisir. J'ai envie de me cacher.
En quelques minutes, tout est terminé.
Charles tient tête à nos adversaires sans récolter la moindre blessure. Jérôme se campe à côté de lui, la lèvre enflée et les énormes poings serrés, l'air féroce. Il a la carrure d'un cheval de trait. Debout derrière eux, je ne suis pas blessé et n'ai pas l'air belliqueux, mais je suis prêt à me défendre. Le reste de nos camarades attend derrière nous la suite des événements.
Un gamin aux cheveux bouclés jusqu'aux épaules s'avance vers nous.
- Toi, dit-il à Charles. Ton nom Question
- De Saulx, répond-il. Et voici de Caussard et d'Aumout...
Notre adversaire grimace comme s'il cherchait à assimiler nos visages nos noms.
- Voilà donc Richelieu, dit-il, nommant la maison qu'on nous a assignée. On a gagné. Haut la main. Si vous nous décevez, on reviendra.
- Et on saura vous recevoir, répond Jérôme avec fermeté.
- On sera à la hauteur de la maison Richelieu, ajoute Charles.
Le gamin aux cheveux bouclés décide que Charles s'exprime en notre nom à tous, ce qui nous convient très bien. Les grands se regroupent et remontent l'escalier en silence. Méfiants, nous attendons un moment pour nous assurer qu'il ne s'agit pas d'une feinte et qu'ils ne prévoient pas de revenir pour terminer ce qu'ils ont commencé. Mais non, la bataille est terminée. Le lendemain, aucun professeur ne s'étonne de nos lèvres tuméfiées et nos yeux noirs, mais je décèle un sourire sur le visage du colonel.
Contrairement à notre ancienne école, le maître change avec la matière. Tous sont sévères, d'une rigueur militaire, mais nous laissent tranquilles si nous faisons notre travail et donnons les bonnes réponses. Suivant l'exemple de Charles, je lis les livres qu'on me donne, me débrouille pour savoir sur quoi je vais être interrogé, et apprends le strict nécessaire pour répondre à toutes les questions.
J'obtiens de bonnes notes. Malgré mes piètres talents de cavalier (je monte presque aussi mal qu'Emile), je m'améliore de semaine en semaine. J'apprécie le maniement de l'épée (le bruissement de l'acier, le fracas des armes, le bourdonnement des conversations dans les vestiaires et l'agréable épuisement qui me submerge à la fin du combat).
Ils nous font travailler dur et nous obligent à donner le meilleur de nous-mêmes.
A la Noël, je passe les vacances avec Emile et sa famille. C'est une semaine tranquille, où nous devons répondre à toutes les questions sur l'académie et nos nouveaux amis. Mme Duras paraît contente de nos réponses et impressionnée par la désinvolture avec laquelle Emile parle du marquis de Saulx et du vicomte de Caussard, ainsi que de quelques autres, comme s'ils étaient des amis proches.
De temps à autre, je le vois m'observer avec inquiétude, comme s'il craignait que je le désavoue et que je dise qu'en réalité, ce sont mes amis. Mais au fil des semaines, il prend de l'assurance. Et pourquoi ne se réclamerait-il pas de leur amitié Question Nous formons un groupe de quatre, même si je surprends parfois Charles en train de regarder Emile comme un intéressant spécimen... En fait, il a souvent cette expression, même avec moi. Je suis le philosophe sorti du tas de fumier, sans famille ni maison, et, à l'en croire, heureux de mon sort.
Charles vit dans un château, l'une des nombreuses propriétés de sa famille. Sa mère est belle, son père courageux, et la fortune de sa famille dépasse l'imagination. Chez un garçon moins chevaleresque, la vantardise et la paresse l'emporteraient. Charles n'est pas ainsi. Il accepte notre allégeance et nous donne sa protection avec naturel."



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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyMer 28 Juin - 13:28

"Si un membre de la maison Richelieu a des ennuis avec un plus grand, Charles intervient. Il traite chaque élève comme son égal : les plus petits comme les plus âgés, et même les maîtres. Il me faut deux semestres pour me rendre compte qu'il ne voit pas les domestiques. Un troisième pour comprendre que personne d'autre ne les regarde.
Même Emile apprend à voir à travers eux. Un jour, je m'arrête pour parler à une femme de chambre. Elle est si
choquée qu'elle devient écarlate et s'enfuit en courant. Elle est jeune, probablement plus jeune que moi. La fois suivante, elle tourne les talons dès qu'elle me voit et rebrousse rapidement chemin.
- Jean-Marie...
Jérôme et Charles se trouvent dans le couloir derrière moi.
- On ne peut pas fraterniser avec des bonnes, dit Charles.
-Il ne veut pas fraterniser, raille Jérôme.
- C'est une personne, dis-je en rougissant.
Charles lève les yeux au ciel. Jérôme glousse. La fois suivante, tous deux se montrent exagérément polis avec la petite servante, qui se sauve, les larmes aux yeux.
- Elle n'aime que les philosophes, plaisante Jérôme.
Depuis lors, elle ne veut plus m'approcher.

L'été suivant, Emile se rend chez une tante, et je reste à l'école, finalement soulagé d'être libéré de sa famille et d'avoir du temps pour moi. Je prépare mes propres repas dans les cuisines, ce qui amuse les cuisiniers, jusqu'à ce qu'ils découvrent que je sais ce que je fais.
Entre-temps, pour satisfaire le colonel, je mélange des produits qui génèrent de la fumée, de la lumière et des explosions. En remplissant un tube de trois sortes de poudres différentes, je manque perdre plusieurs doigts, les trois poudres s'étant enflammées avant que je sois prêt. Dans le tube suivant, j'insère des morceaux de carton entre les poudres et des amorces reliées, mais distantes. Le colonel vient examiner mon travail.
- Ajoute de la couleur, me dit-il.
A la lumière, la fumée ou l'explosion Question Dans le doute, j'en ajoute aux trois éléments et réussis à produire quelque chose entre un embrasement et un feu d'artifice qui crée une lumière rouge, une fumée rougeâtre et une impressionnante explosion vermillon.
Lorsque Charles, Jérôme et Emile reviennent de vacances, je sais créer des lumières, des fumées et des explosions rouges, vertes et bleues. Le colonel est convaincu qu'un brillant avenir m'attend dans les régiments d'artillerie.
- Quelle plaisanterie Exclamation s'exclame Charles.
Jérôme rit.
- Ignore-le, me dit-il avec un accent normand plus marqué après un été passé chez lui. Il est juste jaloux.
- Je m'ennuyais, dis-je, comme pour m'excuser.
- L'été prochain, tu viendras avec moi, dit Charles sans réfléchir. Tu amuseras mes soeurs.
L'année s'écoule et l'été revient. Charles a oublié sa proposition. Ou n'a jamais pensé ce qu'il disait. Il passe l'été dans le château de Jérôme. Moi, à l'académie. Les autres étant tous partis, la femme de chambre aux cheveux roux ne se sauve plus dès qu'elle me voit et me laisse farfouiller sous ses jupons. Le goût de mes doigts est âcre, fort.
Du brie, comparé au roquefort de Jeanne-Marie. Je note ces deux goûts dans mon livre, avec les dates et décide de trouver une fille aux cheveux blonds pour comparer les trois. La femme de chambre disparaît à la fin de l'été. J'apprends qu'elle vient de se marier.
Les élèves rentrent et parlent tous avec animation des filles qui ont repoussé leurs avances. Tous sauf Charles qui, avec sa langueur habituelle, s'affale dans un siège déglingué du grand bureau qui nous a été accordé cette année. Je réalise qu'il ne nous raconte rien de personnel. Ses histoires ne sont que des parties de chasse et des réceptions qui pourraient aussi bien sortir d'un livre.
Son amitié pour Jérôme est plus vigilante. L'estomac de Jérôme s'est durci, et ses épaules se sont élargies. Notre ours normand à l'air dangereux maintenant. Dangereux, amusé, et comme indifférent à l'agitation qui l'entoure. Les femmes de chambre l'observent et détournent les yeux dès qu'elles sont prises sur le fait.
Des garçons aussi. Il est l'ombre menaçante de l'aisance lumineuse de Charles. Dès le lendemain du retour des vacances, nous abordons le sujet de nos ambitions. Charles fait un bon mot à propos de bonnes à déflorer et de sangliers à tuer, ce qui fait aussitôt exploser Jérôme.
- C'est tout Question Tu n'as donc pas d'autre ambition dans la vie Question
- Être un bon duc, le moment venu.
Alors que je m'émerveille que Charles se prépare à une telle tâche, Jérôme se renfrogne.
- Et toi, que veux-tu Question dis-je à Jérôme.
- Ce que je veux Question Je veux laisser mon empreinte. J'aurais dû naître à l'époque de mon grand-père. Quand les hommes pouvaient encore aspirer à la grandeur.
- C'est bien mieux aujourd'hui, proteste Emile. nous avons la science. nous avons les penseurs. Les superstitions disparaissent. Nous bâtissons de meilleures routes, de nouveaux canaux.
- Pour transporter quoi Question rétorque Jérôme. Des pommes dans des lieux truffés de pommes Question Des pierres dans des lieux remplis de pierres Question Les superstitions ne disparaîtront jamais. Elles courent dans le sang des paysans comme de la vase.
Emile s'empourpre et se détourne. Je me demande à combien de générations remonte cette insulte dans sa famille. Son grand-père, le converti Question Dans la mienne, la réponse est évidente. Une seule. Jérôme considérerait ma mère comme une paysanne. S'il faisait une exception pour elle, il n'épargnerait pas son père. L'un des villageois pendus par le duc d'Orléans était le cousin de ma mère.
Aux yeux de Jérôme, ce qui me sauve est que mon père appartient à la noblesse d'épée, car il descend de chevaliers. Au moins la moitié de notre classe appartient à la noblesse de robe. Leurs familles ont reçu des titres de noblesse liés à leurs fonctions. Jérôme établit ce dont la France a besoin : un roi puissant, que nous avons en la personne de Louis le Bien-Aimé, à présent âgé de vingt ans, et qui, déjà las de l'hideuse Polonaise qu'on lui a fait épouser, préfère les maîtresses françaises. Un roi puissant, des fiances solides, une armée forte. La France doit être l'Etat le plus redouté d'Europe.
- Elle l'est, dit Charles.
- A nous de la rendre encore plus forte.
Tandis que les garçons autour de lui acquiescent, je me demande quel effet cela fait d'avoir de telles certitudes, même si une partie de moi moque sa ferveur et que je remarque le sourire amusé de Charles. Emile se tourne vers eux et éclate :
- Nous avons le choix Exclamation
- Entre quoi et quoi Question demande Jérôme.
Emile met les mains derrière son dos, se hisse sur la pointe des pieds et se balance d'avant en arrière. Une attitude sans doute empruntée à son père.
- Et si on veut les deux Question intervient Jérôme."


PAUSE 'SQUIMAU Exclamation ... tongue
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyMer 28 Juin - 14:04

"- Tu ne peux pas avoir les deux. Ils sont contradictoires.
Charles rit, aussitôt imité par les autres élèves.
- Assez de discussions sérieuses pour aujourd'hui. Ouvrons nos paniers.
Il donne une tape sur l'épaule d'Emile en passant un geste à la fois amical et dédaigneux, comme s'il s'agissait d'un bon chien. Comme toujours, connaissant mon étrange obsession pour la nourriture, mes amis me font goûter tout ce qu'ils ont apporté de chez eux. Un jambon fumé de Navarre aux tranches fines comme du papier de soie et qui fond sur la langue comme de la neige. Un fromage crémeux et sans goût des plaines. Des anchois marinés dans de l'huile et des câpres. Tous les élèves ont rapporté du pain. Vieux de deux, trois, cinq jours, selon la durée de leur voyage. Cela doit être ce qui leur manque le plus.
La miche d'Emile est d'un blanc pur. Celle de Jérôme, solide comme un roc. Il prétend que sa cuisinière, au lieu de pétrir la pâte, la frappe sur la table comme une lavandière claque les vêtements sur les rochers. Il peut s'écouler une heure avant qu'elle décide que la pâte est prête.
Ils me regardent goûter leurs offrandes. Parfois j'ouvre les yeux après avoir goûté un aliment particulièrement exquis et les surprend en train de sourire. Je m'en moque. Du moins, cela ne me gêne guère. Je soupçonne certains d'entre eux d'à peine sentir ce qu'ils mangent.
- Goûte-moi ça, le philosophe, dit Charles.
Le petit pot qu'il me montre est scellé de beurre clarifié. Il me tend un couteau, arrache un morceau de pain huileux et me dit de le plonger dans le pot pour atteindre ce qui se trouve au fond. Le goût m'est familier : du foie d'oie. Mais cette substance a une richesse et une finesse indescriptibles. Parfait de foie gras.
- Maintenant, éclaircis ton palais avec ceci.
Il me donne un second pot avec une minuscule cuillère. Il est fermé d'un bouchon de liège et renferme une pellicule de moisissure que Charles me dit d'enlever. L'acidité de la purée de cerises tranche avec la rondeur du foie gras. Il rit en voyant mon expression, et je ne pense plus à cette dégustation jusqu'à l'année suivante, quand revient l'été et que Charles m'arrête dans un couloir pour me dire :
- Tu devrais venir voir nos cerisiers.
Je le regarde, et l'invitation passée me revient en mémoire.
- Le colonel est d'accord, ajoute-t-il. Mon père lui a déjà parlé."

FIN DU VI
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyJeu 29 Juin - 13:53

"1734

Le loup blessé

- Ma mère...
- ...sera distante et polie. Ton père, que je ne verrai que le jour de notre arrivée au château de Saulx, et le jour de notre départ, sera trop occupé pour s'intéresser à nous. Ta soeur Marguerite, que je ne dois pas appeler "Margot", à moins qu'elle ne m'y invite, est belle, distante, froide et plus âgée que moi. Je ne dois pas tomber amoureux d'elle. Ton autre soeur, Virginie, peut se montrer amicale ou réservée, qui sait Question Mais Elise, ta petite soeur, va me courir après et me supplier de la porter sur mon dos. Comme ta mère pense qu'elle est trop âgée pour ce genre de jeu, je dois refuser.
Charles rit et se laisse aller contre le siège en cuir de notre calèche.
- Tu m'écoutais alors Question
- Bien sûr que je t'écoutais.
Bizarrement, Charles est plus nerveux de m'emmener chez lui que moi de me rendre dans son château. Pourtant, Dieu sait que je suis nerveux Exclamation Le colonel m'a fait venir dans son bureau avant notre départ et m'a dit que le duc de Saulx jugera l'académie à l'aune de mon comportement. Je dois garder cette idée en tête. Le duc nous a envoyé une voiture. Un carrosse, un cocher, des cavaliers. Le carrosse est tapissé de velours rouge, avec des sièges de cuir rouge et les armoiries des de Saulx sur la porte. Charles pense qu'il est neuf. Je n'ai jamais vu une voiture d'une telle élégance. Et elle se déplace à une vitesse surprenante.
Nous faisons halte dans les meilleurs auberges, mangeons ce que bon nous semble, mais ne buvons que très peu. A mon sens, Charles a peur que notre mauvaise conduite soit rapportée au colonel. La seule fois où mon comportement l'inquiète, c'est quand je disparais dans les cuisines pour savoir ce qui donne au ragoût cette saveur si particulière. Le cuisinier me répond que c'est du genévrier. Je connais la saveur du genévrier et pense qu'ils s'agit d'autre chose. Finalement, las de mes questions, le chef me montre un morceau d'écorce et me le fait sentir.
- Cela vient des Indes, me dit-il, prétendant ne pas connaître son nom.
Ce n'est que plus tard que je me demande s'il parlait des Indes de l'Est ou de l'Ouest.
- A la maison..., commence Charles.
Je sais ce qu'il va me dire.
- Tu ne veux plus que je m'approche des cuisines Question
Il hoche la tête, soulagé que j'aie compris son inquiétude, et nous nous enfonçons dans nos sièges pour regarder la campagne défiler par la vitre. Cette voiture à des ressorts si efficaces que seules les grosses ornières de la route nous projettent l'un contre l'autre ou contre les portières. Les haies sont toujours en fleurs, le blé est passé du vert au blond pâle dans les champs, le ciel est d'un bleu profond, étrangement immaculé. Les paysans travaillent la terre comme des bêtes, silencieux et inamovibles. Des têtes se tournent vers nous, et leurs regards glissent sur notre équipage tandis que nos deux mondes s'éloignent l'un de l'autre sans même se toucher. Leurs expressions sont vides, leurs sentiments, impénétrables. Une jeune femme accroupie près d'une haie fait ses besoins sans chercher à se cacher de nous. Cela fait rire Charles. Il a raison. Une fille jeune et belle mais crasseuse et stupide comme un vache.
- Mes leçons...
- ... se passent très bien. Tu es le meilleur cavalier, le meilleur escrimeur, tu sais lire une carte et tu es capable de choisir le bon poste défensif plus vite que nous tous réunis.
Le voyant rougir, je comprends qu'il croit à de la moquerie.
En ce moment, à l''académie, nous avons des cours normaux le matin et des activités libres l'après-midi. On peut marcher, monter à cheval, charger nos pistolets, changer nos pierres à fusil. Je peux superviser le chargement d'un canon, voire le faire moi-même.
Mesurer les angles et les trajectoires. N'étant plus en première année, nous sommes autorisés à porter la cocarde de notre académie sur notre tricorne. Nous progressons selon les attentes de nos instructeurs.
Ce qui est valorisant.
- Je le pense, dis-je à Charles. Tu n'as pas à t'inquiéter."

JE REVIENS. ... sunny
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyJeu 29 Juin - 16:03

"Nous voyageons le reste de l'après-midi. Charles est muré dans le silence de ses inquiétudes, quelles qu'elles soient. Mais, à notre arrivée au château de Saulx, sa tempête intérieure s'est apaisée, et mon compagnon est de nouveau lui-même. Une longue rangée de noisetiers borde les deux côtés de l'allée qui mène à un château époustouflant.
Un rempart de tours, de tourelles et de toits pentus se dresse au milieu de larges douves où flottent des nénuphars. Un large pont de pierre traverse les douves et pénètre dans une immense cour ornementée d'une fontaine.
- Diane chasseresse, dit Charles en me montrant la statue en son centre.
- Elle est magnifique.
Fière, mutine, dangereuse.
- J'ai pensé qu'elle te plairait, dit-il en souriant.
Nous dînons dans la splendeur silencieuse d'une vaste salle emplie de miroirs et de grands portraits d'hommes aux drapés classiques et e femmes auréolées de chérubins, d'anges, et même de la Vierge Marie dans l'un des tableaux. Je réalise qu'il s'agit des ancêtres de Charles. Nous avons chacun un valet de pied, qui se tient derrière notre chaise et se recule contre les boiseries quand ses services ne sont pas requis. Tous sont coiffés d'une perruque blanche courte et portent une livrée aux couleurs des de Saulx, vermillon et vert. Charles me donne un coup de pied sous la table lorsqu'il me voit en observer un de trop près.
Son père préside. Le duc porte une perruque à l'ancienne, qui lui tombe sur les épaules. Il s'exprime et agit avec mesure (des grâces qu'il récite avant le repas au verre qu'il soulève) et avec l'assurance que le monde attend son bon plaisir. La mère de Charles siège à l'autre bout de la table. Ses cheveux sont relevés au-dessus de sa tête, et elle porte une robe de soie verte rehaussée d'un châle.
Face à Charles, sa soeur aînée, Marguerite, a l'air d'une adulte comme la duchesse et affiche une grande sérénité. Elle est d'une beauté à couper le souffle. Bien plus belle que sa mère. Comme si le sang bleu du duc lui avait donné le don d'attirer tous les regards. Virginie est assise en face de moi. Elle regarde fixement son bol de soupe venaison d'un air revêche. Peut-être est-ce le bol, ou la soupe, ou la tablée qui la dérange.
Lorsqu'elle lève les yeux et me voit l'observer, elle
détourne les yeux et retourne à sa maussaderie. Seule Elise bavarde. A propos de notre voyage, du fait que Charles a grandi, du ruban bleu qu'elle veut pour ses cheveux. Finalement, sa mère la fait taire d'un regard, et Elise boude à son tour, le nez dans son bol.
Margot et Charles possèdent tous deux ce feu intérieur que Virginie n e semble pas avoir. Elise non plus peut-être, quoiqu'il soit trop tôt pour le dire. En Margot, le feu est contenu. Chez Charles il brûle continuellement mais, ce soir, il est fort timide. Les produits que nous consommons sont manifestement frais et merveilleusement cuisinés ; pourtant, je n'en goûte aucun et regarde les plats défiler les uns après les autres. A la fin du repas, je m'incline avant de quitter la pièce, mais mon estomac vide me fait souffrir.
- Je suis désolé, me dit Charles une fois que nous avons regagné nos chambres contigües.
L'une des pièces est celle de Charles, l'autre, un boudoir dans lequel ont été installés un grand lit et une table de toilette à mon intention.
- Pour quelle raison es-tu désolé Question
- Tu sais. Ma famille.
- Tes soeurs doivent-elles faire la révérence quand elles te voient Question
Il réfléchit à ma question comme si lui-même ne se l'était jamais posée.
- La première fois que je vois mon père, je dois m'incliner. Devant ma mère, je dois m'incliner et lui baiser la main. Je m'incline devant mes soeurs , mais seulement une fois qu'elles m'ont fait la révérence. Tout va s'arranger. Demain, ils nous laisseront seuls. Le premier jour, c'est toujours comme ça.
Laissant mon compagnon à sa morosité, je me retire dans ma chambre et admire par la vitre la déesse de bronze avec son arc. Sa flèche est pointée directement vers ma fenêtre, ce qui me fait sourire. Nous avons deux mois avant de rentrer à l'académie. Je suis certain que l'humeur de Charles va s'améliorer.
Le lendemain, je me lève tôt, m'asperge le visage d'eau froide et m'habille rapidement. Charles veut me montrer quelque chose.
- Là, dit-il en atteignant la berge irrégulière d'un lac au pied du château.
Attachée à un poteau au coeur des roseaux se trouve une embarcation de bois plate et allongée, dont la proue a la forme étrange d'un V, comme pour accueillir une grosse rame. Charles sort une clé de sa poche d'un air malicieux et me conduit vers une hutte basse, solide, au toit d'herbe. La cabane est plongée dans le noir jusqu'à ce que Charles tourne une poignée et fasse tomber la partie haute du mur, nous offrant une vue imprenable sur le lac.
- Pour la lumière, dit-il. On le remettra en place tout à l'heure."

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Martine

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MessageSujet: Re: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyVen 30 Juin - 8:38

Surprised
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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyVen 30 Juin - 9:05

"Un vieux fauteuil, une carafe, des verres taillés, une défense de sanglier, un couteau de chasse, différentes fioles de poudre et une veste de cuir crasseuse pendue à un crochet...
- Voilà, dit Charles en pointant un long canon de fer noir légèrement rouillé contre le mur.
C'est un fusil au canon absurdement long, dont les encoches de part et d'autre se fixent manifestement à la proue de l'embarcation.
Mon ami sourit.
- Attends d'entendre le boucan qu'il fait. On va réveiller tout le château
J'ai sous les yeux un Charles totalement différent du jeune homme silencieux, dans son bel uniforme de l'académie, au dîner de la veille. L'embarcation n'est pas vraiment prévue pour deux personnes, mais nous la poussons hors des roseaux et grimpons tous deux dedans.
- Maintenant, on attend, me dit-il.
En plus de nous cacher, les roseaux nous empêchent de dériver. La brise charrie l'odeur des marais au loin. Le sunny est assez haut pour évacuer les dernières brumes matinales qui coiffent les collines au-delà des marais. Charles repère notre proie le premier, parce qu'il sait quoi chercher. Une formation serrée d'oiseaux noirs dans le ciel.
- Les voilà Exclamation
Il me tend l'allumette.
- Tu es artilleur. C'est à toi de tirer.
Les oies sauvages piquent vers le sol, mais se posent trop loins de nous, hors de portée d'un fusil, même avec un canon comme celui-ci. Je regarde Charles, qui hoche la tête vers l'horizon, où d'autres groupes d'oiseaux apparaissent déjà.
- D'où viennent-ils Question
- D'un autre lac Question Quelle importance Question Du moment qu'ils sont là...
Une heure plus tard, je me décide enfin à tirer.
Notre allumette est réduite à un minuscule bout de bois, et je sais, aux soupirs et à l'agitation de mon ami, qu'il s'impatiente. J'ai déjà eu des opportunités de tir, mais les oiseaux étaient trop hauts, et la distance, trop grande.
Ce n'est que lorsqu'une douzaine d'oies descendent en direction de notre lac, vers une parcelle d'eau claire, et tentent de reprendre de l'altitude au moment où elles découvrent notre installation que j'ajuste mon tir.
La déflagration est si puissante que je crains un instant que le fusil ne tombe à l'eau et ne nous entraîne dans sa chute. L'embarcation recule brutalement et s'échoue sur un banc de boue. Je heurte Charles, qui éclate de rire.
- Combien de poudre as-tu utilisée Question
- Autant que j'ai pu.
- Ce fusil a cent ans. Peut-être un peu moins de poudre la prochaine fois Question
Il me prend par les épaules et me serre contre lui.
- Tu es unique. Allons chercher notre prix.
Une douzaine d'oies blessées ou tuées flottent ou se débattent dans l'eau. Nous ramassons les volatiles morts et brisons le cou des vivants avant de les jeter sur notre bateau de fortune. Puis nous retournons sur la berge, rangeons le fusil dans la cabane, remettons en place le pan de mur et retournons tant bien que mal au château, croulant tous deux sous le poids d'une demi-douzaine d'oies mortes. Le duc vient nous accueillir en personne à la porte principale, le visage souriant.
- Impressionnant, déclare-t-il.
Charles est rouge de plaisir et de bonne humeur pour le reste de la journée.

Ainsi, notre emploi du temps est arrêté. Nous chassons des oies sauvages sur le lac, des pigeons dans les bois. Nous pêchons des truites dans la rivière et les mangeons sur place après les avoir fait frire dans une poêle sur un feu de camp improvisé, avec du beurre et des herbes que je ramasse dans les alentours.
Pendant ces deux moi d'été, nous sommes inséparables. Les aspirations de Charles sont simples. Il veut devenir un bon duc. Il voudrait que son père l'aime. Il espère épouser une femme qui sera son amie et lui restera fidèle. Il aimerait mener une existence agréable.
Nous nageons nus dans l'étang. Une nuit, nous le traversons même à la nage et nous nous traînons sur l'autre rive, éreintés, avant de repartir par le même moyen, de peur de passer pour lâches si nous renonçons. Nous nous battons à moitié nus dans une clairière au fond des bois et partageons nos rêves. Nous nous lançons des défis : c'est à celui qui pissera le plus loin, grimpera à l'arbre le plus haut, tirera la plus longue flèche. Marguerite, que je n'ai toujours pas le droit d'appeler "Margot", traite son frère avec une politesse extrême, comme il se doit avec le futur duc. Mais toujours avec une forme de dédain. Aux yeux de cette jeune femme adulte, nous ne sommes que des enfants.
Pire, des enfants bruyants, irritants, omniprésents, toujours en train de comploter et de glousser. Je l'ai entendue dire à Virginie qu'elle craint que je n'aie une mauvaise influence sur son frère. D'après Charles, elle s'est arrangée pour que j'entende ses propos. Virginie m 'ignore totalement. Je pourrais aussi bien être invisible. Lorsque nous nous croisons sur les terrasses du château avant le dîner, elle fait un signe de tête poli à son frère et ne me voit pas. Seule Elise veut être mon amie. Elle fait une révérence maladroite chaque fois qu'elle me voit et éclate de rire.
- Ignore-les toutes, me dit Charles avec cet air de résignation propre à une bataille perdue d'avance."

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MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET - Page 2 EmptyVen 30 Juin - 13:01

"Nous voyons rarement sa mère, alors que son père semble approuver ma présence.
- Il peut se le permettre, me répond Charles quand je lui demande des explications. C'est un de Saulx.Il peut t'apprécier s'il le désire. Ma mère n'est pas aussi sûre que tu aies une bonne influence...
- Margot Question
Charles soupire.
- Margot est une prétentieuse. Elle veut épouser un prince, vivre à Versailles et passer ses journées à jouer aux cartes et à écouter de la harpe. Elle pense que je devrais ramener des garçons plus âgés, et surtout plus titrés.
- Pas n'importe quel titre...
- Tu es noble. C'est suffisant.
Charles est marquis de Saulx et héritier du duc. Il peut se permettre de dire une chose pareille. Il me parle de la chasse organisée le lendemain par son père comme d'une récompense avant notre retour à l'académie. Un loup a attaqué plusieurs agneaux en bordure de la forêt, et une battue est organisée dans les bois pour tuer ou capturer la bête. Nous devons nous coucher tôt pour partir à l'aube.

Je suis réveillé par un coup frappé à ma porte. Charles est déjà prêt, vêtu d'une simple veste de cuir par-dessus son habit, avec sa ceinture un couteau de chasse et un long pistolet. Il me regarde faire rapidement ma toilette, ôter ma chemise de nuit et enfiler prestement des vêtements datant de l'année précédente, si ce n'est celle d'avant. Première surprise de la journée : Elise est autorisée à se joindre à nous, à condition que l'une de ses soeurs la chaperonne. Comme Margot refuse tout ce qui a trait à la chasse, ce devoir revient à Virginie. Elle nous accueille d'un air maussade, et nous découvrons que tout le monde nous attend.
- Vous êtes en retard, dit-elle froidement.
- Bien le bonjour à toi aussi, chère soeur.
Elle rougit jusqu'à la racine des cheveux, fait une petite révérence et tourne les talons. Je souris à Elise, qui me rend mon sourire, et vient se camper devant son frère.
- Tu nous protégeras des loups, n'est-ce pas Question
Charles sourit, observe ses soeurs, puis déclare :
- Je dois aider père. Toutes les deux, je vous confie à Jean-Marie. Je suis sûr qu'il vous protégera efficacement.
A ces paroles, l'expression de Virginie est si sombre que je suis sur le point de suggérer à mon ami d'échanger nos places. Mais Charles passe son mousquet en bandoulière, siffle le chien qui lui est dévoué pendant les vacances et se dépêche de rejoindre la troupe, nous laissant tous les trois sur la pelouse.
- Je rentre Exclamation tempête Virginie.
- Tu ne peux pas Exclamation proteste Elise. Mère à dit que tu devais me chaperonner.
- Monsieur d'Aumout veillera sur toi.
- Cela ne serait pas correct Exclamation s'écrie Elise. Je ne suis plus une enfant.
A onze ans, c'est pourtant bien ce qu'elle est, et son visage d'ordinaire si doux prend un air si buté et si puéril que je me détourne pour masquer mon amusement.
- Je le dirai à maman Exclamation ajoute Elise.
Sa bravade lui vaut de gagner la bataille, si bien que Virginie soupire et s'engage sur le sentier de la forêt sans un regard en arrière.
- Ignore-la, déclare fièrement Elise.
- Inutile, lui dis-je à voix basse, c'est elle qui m'ignore.
L'ouïe de Virginie est apparemment excellente, car sa nuque se raidit. Ainsi débute une longue journée où nous arrivons maintes fois... après la bataille. Nous découvrons deux femelles mortes au pelage gris.
Un jeune loup mâle qui, d'après les hommes du duc, n'a pas plus d'un an. Charles tire un sanglier que le duc achève d'une seconde salve. Nous n'apprenons tout cela qu'après coup, de la bouche des serviteurs qui chargent le sanglier sur une litière pour le rapporter au château. Les chasseurs sont déjà repartis.
Virginie disparaît deux fois dans le sous-bois, furieuse et embarrassée quand elle revient. Elle crie à Elise (qui elle aussi à tendance à s'éclipser) de ne pas trop s'éloigner et de rester dans notre cham de vision. Elise obtempère à regret, et nous décidons..., du moins Virginie et Elise décident qu'il est temps de rentrer à la maison. Cela me convient tout à fait. Un coup retenti au coeur de la forêt, ce qui ne nous alarme pas, jusqu'à ce' qu'un second coup déchire l'air, suivi de cris.
- Ils l'ont eu Exclamation s'écrie Elise. Allons voir Exclamation
- Nous rentrons à la maison, réplique Virginie.
- Non, insiste sa soeur. Je veux aller voir Exclamation
Elle se dirige vers les éclats de voix, et je jette à Virginie un regard impuissant.
- Je vais la chercher, dis-je en voyant son expression agacée.
- Parfait. Je vous attend ici.
Je rejoins Elise à un croisement. Les chênes forment un dais au-dessus de nos têtes. Je regrette de ne pas avoir passé la journée avec Charles et d'être piégé avec les filles, loin de l'effervescence de la chasse.
- Où est Virginie Question demande Elise.
- Elle nous attend là-bas.
- Mais nous n'avons encore rien vu Exclamation C'est ma première chasse et je n'ai rien vu du tout Exclamation
Son visage reflète une si grande déception que je crains un instant qu'elle se mette à pleurer."

La suite dans 5 minutes. ... Wink
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