Mosaïque
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Mosaïque

Détente - amitié - rencontre entre nous - un peu de couleurs pour éclaircir le quotidien parfois un peu gris...
 
AccueilAccueil  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
-28%
Le deal à ne pas rater :
Brandt LVE127J – Lave-vaisselle encastrable 12 couverts – L60cm
279.99 € 390.99 €
Voir le deal

 

 LE DERNIER BANQUET

Aller en bas 
+3
Jean2
MAINGANTEE
epistophélès
7 participants
Aller à la page : 1, 2, 3, 4, 5, 6  Suivant
AuteurMessage
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMar 13 Juin - 16:02

De Jonathan Grimwood


"Prologue

Les anges de la mort grattent à ma porte. A marcher dans les couloirs, à voir mon regard vide dans le reflet des miroirs ternis, je ne peux plus croire que les miroirs mentent. Ce sont les derniers jours de mon existence. Les maîtres d'école apprennent aux enfants à commencer par le début. On dit toujours qu'une histoire doit commencer par le commencement. François Marie Arouet, qui écrivait sous le nom de Voltaire, a commencé son Essai sur les moeurs et l'esprit des nations en retraçant les développements humains depuis leurs origines. Mais comment savoir où se situe la véritable genèse de l'histoire ? Est-ce le jour de ma rencontre avec Virginie ? Le jour où Jérôme et Charles m'ont accueilli à l'académie militaire ? Le jour où j'ai rencontré Emile ?... Ou bien a-t-elle débuté avec le tas de fumier auquel je m'adossais pour manger des scarabées au soleil ? Quand je repense à mon existence, je me rappelle pas de moments plus heureux. C'est pourquoi nous allons commencer là, dans un lieu qui vaut aussi bien qu'un autre.

Jean-Marie d'Aumout, 1790
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMar 13 Juin - 16:36

"1723

Le tas de fumier

Mes premiers souvenirs remontent à ce tas de fumier, auquel je suis adossé au sunny pour croquer un scarabée mâle avec délice et lécher le jus sur mon menton tout en me demandant combien de temps il me faudrait pour en trouver un deuxième.
Les scarabées ont le goût de ce qu'ils consomment. Tout ce qui est comestible a la saveur de ce qu'il a ingéré ou déniché dans la terre, et les scarabées qui se nourrissent dans le tas de fumier de la cour de mon père ont la douceur du fumier enrichi par l'herbe en bordure de la route. j'ai donné au cheval le reste de foin et, comme je sais qu'il est dans la stalle décrépite derrière moi, l'écho des sabots dans la cour vient d'une autre monture.
Je me lève et m'incline comme on me l'a appris. Le sunny est chaud cet été. Mon père et ma mère dorment encore dans leur chambre, rideaux tirés, et j'ai reçu l'ordre de ne pas les déranger et de rester où je suis. La chance fait sortir un autre scarabée au moment où l'étranger passe sous l'arche de la cour. Je l'introduis dans ma bouche avant qu'il ne me demande de le partage. L'étranger jure, et les deux cavaliers qui l'accompagnent trottinent vers moi.
- Il va s'empoisonner, dit l'étranger d'une voix profonde.
Son visage et ses yeux ridés sont ombragés par le large bord d'un chapeau rehaussé d'une plume. Je n'ai jamais rencontré d'hommes à l'air plus sévère.
- Arrêtez-le, vicomte...
L'homme interpellé descend de sa monture et s'agenouille devant moi.
- Crache-le, ordonne-t-il en tendant la main vers moi.
Je secoue la tête.
Malgré son agacement manifeste, l'homme garde une voix douce et se baisse un peu plus pour se mettre à ma hauteur. Il a les yeux bleus et sent le vin, l'ail et le fromage. Son odeur me fait saliver.
- Tu vas t'empoisonner.
Je mâche rapidement et avale ma bouchée, puis crache les morceaux de carapace dans ma main et les dépose à côté des autres. Ses yeux suivent mon geste et s'arrondissant à la vue des douzaines de petites boulettes de régurgitation qui viennent forcément de moi.
- Votre Altesse...
Quelque chose dans sa voix fait descendre de cheval l'homme à l'air sévère, qui se baisse lui aussi devant moi, quoique moins bas, à cause de la douleur dans sa jambe qui le fait grimacer.
Il observe à son tour le monticule de carapaces et adresse un regard entendu à son compagnon. D'un même mouvement, ils jettent un coup d'oeil à la porte de la maison de mes parents.
- Une semaine ? Deux ?
- Quand la lettre a-t-elle été écrite, Votre Altesse Question
Le vieil homme tire un papier plié de sa poche et parcourt son contenu.
- Il y a un mois, répond-il d'une voix lugubre.
Il regarde autour de lui d'un air las. Nous sommes chez moi, dans la cour d'un château en ruine, qui, comme je le réaliserai plus tard, n'a de château que le nom. Plutôt une ferme en ruine, sur le versant d'une colline plantée de vignes, que mes parents ont vendue à un marchand du coin pour pouvoir payer la charge de mon frère.
- Allez voir, ordonne-t-il.
Le vicomte se relève péniblement.
C'est maintenant au tour du troisième homme de mettre pied à terre. Quand il s'approche de moi, je réalise qu'il doit être un enfant pour eux, même s'il est immense à mes yeux. Il ouvre la bouche pour parler, mais l'homme sévère le fait taire d'un regard. On peut leur trouver une certaine ressemblance. Père et fils Question Grand-père et petit-fils Question Des frères, si l'écart d'âge n'était aussi important.
- Aidez le vicomte, ordonne le vieil homme.
- L'aider à quoi Question
- Adressez-vous correctement à moi, répond-il d'une voix tranchante.
- Toute mes excuses, Votre Altesse. Que doit faire votre serviteur pour votre aide de camp Question
- Philippe, vous êtes mon fils...
- Je suis votre bâtard Exclamation
Sur ces mots, le jeune homme entre dans la maison et claque la porte derrière lui. Le silence tombe - mais un silence particulier. Celui de l'absence de paroles, et non celui de la solitude. Sous la chaleur du sunny le fumier dégage une fragrance douce, et un petit scarabée choisit ce moment pour se faufiler dans une fissure entre les pavés. je tends vivement la main, que le vieil homme agrippe aussitôt et garde emprisonnée dans la sienne. il m'observe attentivement, le regard sombre sous ses paupières tombantes.
- C'est le mien, dis-je.
Il secoue la tête. Je propose :
- On partage Question
Je ne l'en crois pas capable. Les adultes ne partagent jamais, mais cela vaut la peine d'essayer, d'autant qu'il paraît réfléchir à cette idée. Finalement, il relâche son emprise et a soudain l'air pensif, presque triste.
- Il n'est pas très gros, dit-il.
- Je vous en trouverai un autre.
- Tu aimes les scarabées Question
- Les noirs, dis-je en pointant du doigt la pile de carcasses mâchouillées qui ont séché au sunny . Ceux qui sont marron ont un goût amer.
- Laisse-le partir, ordonne-t-il.
Sa voix est si ferme et assurée d'être obéie que je relâche l'insecte et le regarde détaler sous un pavé cassé. L'insecte s'arrête et attend, peut-être parce qu'il se sent observé. Au bout d'un moment, il s'enfuit vers une autre cachette, un autre creux, hésite, puis reprend sa course. Nous le perdons de vue dans l'ombre projetée par le toit de l'écurie, qui plonge ce coin de la cour dans la pénombre.

"
Revenir en haut Aller en bas
MAINGANTEE

MAINGANTEE


Nombre de messages : 7909
Date d'inscription : 17/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: Re: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 14 Juin - 12:24

oups je n'aurais jamais du lire ca juste après le déjeuner

j'ai le goût de scarabée au fumier qui me hante maintenant
mon melon était si bon!
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 14 Juin - 12:51

Je n'ai jamais goûté de scarabée, mais ai toujours adoré l'odeur de fumier. Courage, DOmi, ça va passer Exclamation ... geek ... Wink
Revenir en haut Aller en bas
Jean2

Jean2


Nombre de messages : 12520
Date d'inscription : 10/12/2008

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: Re: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 14 Juin - 13:03

Very Happy Very Happy Very Happy j'aurais du lire ton poste en premier Domi..
Moi je me mangeais un sandwich en lisant
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 14 Juin - 13:50

"Un volet s'ouvre derrière moi. N'osant me retourner, je ne sais pas s'il s'agit du vicomte ou du gamin boudeur. Ou les deux. Le vieil homme lève les yeux, et des paroles muettes sont sûrement échangées, car il hoche gravement la tête, puis se force à sourire avant de me faire de nouveau face. Il ne dit rien, mais ses silences sont comblés par les croassements des corbeaux. Comme je sais que les adultes parlent et que les enfants doivent écouter, je ne dis mot.
Les corbeaux se querellent, un chien aboie dans le village, et, derrière moi, le volet claque, tandis que les hommes à l'intérieur de la maison ouvrent toutes les fenêtres et que le vieil homme et moi patientons au sunny . Un scarabée réussit à s'extraire du tas de fumier, et ma main frémit, désireuse de l'attraper, mais je me réfrène, et le vieil homme hoche la tête d'un air approbateur.
- Tu as faim Question
J'acquiesce.
- Viens avec moi, dit-il en se redressant lentement."


Je vais taper sur le Bureau, par prudence. J'reviens de suite Exclamation
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 14 Juin - 14:22

"Au lieu de se remettre en selle, il agrippe la bride de son cheval et le guide sous l'arche, les deux autres chevaux dans son sillage, comme s'ils en avaient l'habitude. Nous
marchons lentement, car mes jambes sont courtes, et les siennes, si abîmées qu'elles le font souffrir. C'est un homme de grande taille, vêtu d'un long manteau rouge orné de bandes dorées, de bas noirs et de chaussures à boucles rouges. "Il devait être plus grand autrefois, me dis-je, parce qu'il flotte dans ses vêtements." Une de ses manches est tachée de nourriture, et ses ongles sont sales. Je repère des poux dans les plis de sa longue perruque. Les poux sont comestibles. Je ne le savais pas à l'époque. Le mieux est de les frire et d'en masquer le goût grâce à d'autres ingrédients (bon appétit,
Jean2 et DOmi... geek !).
Lorsque nous passons sous l'arche et débouchons dans le soleil, je découvre qu'il est accompagné d'une véritable petite armée. Une douzaine de soldats à cheval sont alignés d'un côté, à contre-jour. En face de nous se tiennent une cinquantaine d'hommes, tous équipés d'épées, mais sans uniforme, à moins que leurs vestes longues et leurs chapeaux à larges bords ornés de plumes passent pour un uniforme. L'un d'eux donne un coup de talon à son cheval et trottine vers le vieil homme, qui lève si abruptement la main que le cavalier manque de tomber en arrêtant sa monture. Un petit homme en pardessus brun s'avance promptement dès qu'on le siffle.
- A manger ! ordonne l'homme à l'air sévère.
Un homme décroche un panier d'osier du cheval de somme pendant qu'un autre déroule un tapis - un vrai tapis - sur l'allée poussiéreuse de notre propriété. Il a préféré l'allée aux accotements, trop escarpés. J'identifie du pain et du pulet froid, mais les autres victuailles me sont inconnues. L'homme en pardessus marron, apparemment un serviteur, pour le moins immense, s'incline en présentant les denrées au vieil homme.
- Pas pour moi, idiot. Pour lui.
Quelqu'un me pousse en avant, me faisant trébucher. J'atteris sur les genoux devant la nourriture, les doigts plants dans un fromage poisseux et crémeux. Sans réfléchir, je me lèche les doigts et fige en en goûtant l'aigreur merveilleusement équilibrée. Le monde s'arrête. une seconde plus tard, il se remet en branle, tandis que je lèche une miette de fromage sur ma phalante. La chair de ce fromage est si blanche, et le bleu de ses veinules, si profond qu'on dirait un joyau.
- Du roquefort, dit le vieil homme.
- Du roffort...
Il sourit en m'entendant buter sur le mot et me tend un morceau de pain avant que son serviteur ait le temps de le faire. Il se sert du pain pour nettoyer le fromage de mes doigts et ne paraît pas surpris de me voir picorer les miettes. Le pain d'une légèreté sans égale se marie parfaitement avec le fromage. Un deuxième morceau de roquefort suit le premier, puis un troisième, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que la moitié de la miche. Le fromage a disparu et j'ai des douleurs d'estomace. Une centaine de courtisans, soldats et serviteurs me regardent manger."
Revenir en haut Aller en bas
JeanneMarie

JeanneMarie


Nombre de messages : 3353
Date d'inscription : 09/12/2008

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: Re: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 14 Juin - 15:47

cheers
merci
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 14 Juin - 18:24

Une centaine de paysans les observent depuis les pentes douces des vignobles, trop éloignés pour comprendre ce qui se passe, mais subjugués par l'impressionnant déploiement d'hommes et de chevaux à cet endroit. Ils n'ont pas vu un tel spectacle depuis des années.
- Votre Altesse...
L'homme qui s'est exprimé est celui qu'on appelle "vicomte".
- Qu'avez-vous trouvé Question
Le vicomte me jette un coup d'oeil, et l'homme sévère hoche la tête, l'air résigné.
- Emmenez le gamin se laver les mains, dit-il au serviteur au pardessus marron. Son visage aussi, pendant que vous y êtes.
- Dans la maison, Altesse Question
- Non, répond sèchement le vieil homme. Il y a une rivière derrière nous. Vous pouvez utiliser ceci..., ajoute-t-il en lui tendant un mouchoir.
L'eau est si fraîche que je bois goulûment, de manière à en sentir toute la richesse dans ma gorge. Ensuite, l'immense serviteur nettoie mes doigts et mon visage dans la rivière, et rince le mouchoir plusieurs fois dans le courant. Un minuscule poisson se faufile dans ma main et frétille entre mes doigts. Il gigote encore quand je l'avale.
Le serviteur m'observe avec curiosité. Je lui demande :
- Vous en voulez un Question
Il secoue la tête et m'essuie le visage une dernière fois, puis essuis la croûte au coin de mes yeux et la morve de mon nez. Lorsque je retourne à l'endroit où se trouvent les autres, ils sont plus solennels que jamais. Le dit vicomte s'agenouille devant moi, malgré la poussière, pour me demander où sont passées les affaires de la maison.
- Ils les ont prises.
- Qui Question
- Les villageois.
- Qu'ont-ils dit Question
Il a l'air sérieux. Si sérieux que je comprends qu'il veut être pris au sérieux.
- Que mon père leur devait de l'argent.
- Ils t'ont dit de ne pas aller à l'intérieur Question
Je hoche la tête. Ils m'avaient dit que mes parents dormaient. Comme mon père m'avait ordonné de ne pas entrer, puisque ma mère et lui étaient en train de dormir, cela ne m'avait pas surpris. Voir les villageois entrer et ressortir de la maison avec leurs affaires m'avait paru un peu étrange. Mais, à la plupart des questions que j'avais posées, on m'avait répondu : "C'est ainsi." Aussi m'étais-je fait une raison.
- Où dors-tu Question
- Dans l'écurie quand il pleut. Dans la cour quand il fait beau.
Il réfléchit. Peut-être qu'il n'a pas plu ces derniers jours là où il se trouvait, mais il a plu au moins deux jours ici, et je suis reconnaissant de pouvoir m'abriter dans l'écurie. Son toit fuit, comme tous les toits de la maison, mais le cheval qui dort dans le coin prenait toue l'eau, et j'aime sa compagnie. Avant de se relever, le vicomte déclare :
- Voici le Régent. Appelle-le "Altesse".
Il désigne le vieil homme qui s'appuie à l'encolure de son cheval et nous regarde en silence pendant que tous les autres restent en retrait.
- Et incline-toi, ajoute le vicomte.
Je m'incline comme on me l'a appris. Le vieil homme sourit tristement et hoche brièvement la tête en réponse.
- Eh bien Question dit-il.
- Volé par des paysans, répond le vicomte.
- Connaît-on leurs noms Question
Le vicomte s'agenouille de nouveau et me pose la même question, bien que je l'aie entendue. Je lui donne les noms de ceux qui sont venus dans la maison, et le vieil homme donne des ordres au serviteur en pardessus marron. Le serviteur va parler à l'un des soldats, qui s'éloigne à cheval avec trois autres cavaliers.
- Quel est ton nom Question demande le jeune homme renfrogné.
- Philippe Exclamation le reprend le Régent.
- Il faut bien lui demander son nom, répond-il d'une voix aussi boudeuse que son visage. Il pourrait être n'importe qui. On ne sait pas qui il est.
Le vieil homme soupire.
- Dis-moi ton nom.
- Jean-Marie, fais-je.
Il ne dit rien, puis sourit d'un air indulgent, et je comprends qu'il en attend davantage. Je connais mon nom, je connais même la majorité des lettres de l'alphabet. Je peux aussi compter jusqu'à vingt, et parfois même jusqu'à cinquante pratiquement sans me tromper.
- Jean-Marie Charles d'Aumout, Altesse.
Il finit par regarder le vicomte, qui hausse les épaules. Je vois bien que le vieil homme est content de ma réponse, tout comme le vicomte. Le gamin prénommé Philippe paraît furieux, mais il l'était déjà à son arrivée. Aussi, je l'ignore.
Le Régent déclare :
- Fais-le monter sur les malles.
- On l'emmène Question interroge le vicomte.
- Jusqu'à Limoges. Il doit y avoir un orphelinat là-bas.
Le vicomte se penche et parle si bas que je n'entends pas ses paroles, mais le vieil homme paraît pensif, puis hoche la tête.
- Vous avez raison. Il peut aller à Sainte-Luce. Dites au maire de vendre le manoir et le cheval. Il pourra remettre l'argent directement à l'école. Faites-lui bien savoir que le sort de l'enfant m'intéresse.

JE REVIENS Exclamation ... Basketball
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 14 Juin - 19:25

Chuis reviendue Exclamation ... tongue

"Après s'être incliné bien bas, le vicomte envoie un soldat quérir le maire.
Avant l'arrivée du maire, les soldats envoyés au illage pour chercher les trois hommes que j'ai désignés comme voleurs des biens de la maison sont de retour. Les voleurs sont pendus à des arbres avant que le maire apparaisse au bout du chemin. Je les vois malgré moi se tortiller, et, quand le vicomte s'en aperçoit, il me fait asseoir sur une charrette et regarder dans une autre direction.
Comme je tourne le dos aux arbres, je ne peux observer la scène.
Les récriminations des malheureux sont cependant assez fortes pour que je les entende. Tout comme leurs supplications, lorsqu'ils comprennent que protester ne suffira pas. Finalement, ils maudissent le monde entier et son injustice, et répètent que mon père leur devait vraiment de l'argent. Cela ne aucun doute, apparemment. Mais leur crime a été de prendre ce qui ne leur appartenait pas officiellement. De plus, mon père est noble, et la loi n'est pas la même pour les hommes de sang bleu.
L'homme pendu à l'arbre porte des vêtements plus beaux que les miens. Même s'il a aux pieds des chaussures de cuir et non des sabots de paysan, il sera toujours un paysan, attaché à sa terre et aux devoirs à son seigneur. Les villageois peuvent être surchargés d'impôts, sommairement battus, expulsés de leurs champs et condamnés dans des procès de pur forme. Rien de tout cela ne peut m'arriver. Pas plus que je ne peux travailler, bien sûr. A moins d'être sur mes propres terres. Or je n'en possède ps. Je comprends maintenant que mes parents sont morts.
Verser quelques larmes aurait été approprié. Sangloter peut-être... Mais mon père était un homme taiseux et maussade qui me fouettait sans le moindre scrupule, et ma mère, seulement une ombre à ses côtés, incapable de me protéger.

Encore aujourd'hui, j'aurais aimé les regretter davantage. Tout ce qui m'occupe l'esprit, tandis que la charrette s'éloigne du manoir qui sera bientôt vendu, est la saveur miraculeuse du fromage bleu que j'ai été autorisé à goûter plus tôt. Et la seule chose que je regrette vraiment est le cheval de mon père. Une vieille carne boiteuse, à la crinière sale et emmêlée, que tout le monde trouvait capricieuse, mais qui était mon amie depuis le jour où j'ai fait mes premiers pas dans sa stalle et que je sui tombé dans la paille à ses pieds.
- Ne te retourne pas, dit le vicomte.
A son ton, je comprends qu'ils continuent à prendre des villageois. Des silhouettes mouvantes alignées projettent leurs ombres sur la route de terre. Les ombres s'immobilisent chacune à son tour, telle une vague qui se retire lentement après s'être abattue sur la grève.
Le vicomte est Louis, vicomte d'Anvers, aide de camp de l'homme au visage sévère. Son Altesse le duc d'Orléans, que tout le monde nomme le "Régent". Jusqu'au mois de février de cette année, il a été le protecteur du jeune Louis XV. Bien qu'il ait l'air incroyablement vieux à mes yeux, il n'a que quarante-neuf ans, plus de vingt années de moins que moi aujourd'hui. Il mourra en décembre de l'année de Notre-Seigneur 1723, rongé par la responsabilité, une maladie d'enfance et la déception d'avoir perdu le pouvoir.
Quant à mes parents, mon père était un imbécile et ma mère s'est laissée mourir de faim plutôt que de voler des pommes dans le verger d'un voisin et faire tomber en disgrâce le nom de la famille qu'elle a si fièrement épousée. Il existe deux manières de perdre sa noblesse dans ce pays absurde où nous vivons... Enfin, avant que des comités autoproclamés ne promulguent des décrets pour révoquer nos titres et confisquer nos terres.
Ces titres si importants deviendront si obscurs qu'ils finiront par être oubliés. La déchéance ; faillir à ses devoirs féodaux. Et la dérogeance ; la pratique d'activités impropres interdites à la noblesse, comme le commerce ou la culture de la terre d'autrui. Mon père n'avait aucune compétence particulière et à vendu le peu de terres dont il avait hérité pour pouvoir acheter à mon frère une charge dans la cavalerie. Tombé dès sa première bataille, mon frère a gaspillé le sacrifice, a été enterré sommairement puis promptement oublié. Il est mort avant ma naissance."

FIN DU I
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyVen 16 Juin - 14:17

"1724

L'école

Mon vrai souvenir suivant remonte à un an plus tard. Ce qui s'est passé entre mon départ de la maison de mes parents et mon arrivée à Sainte-Luce était trop prévisible pour créer des souvenirs fiables. Entre le lever et le coucher du sunny , la vieille femme qui habite dans la loge de l'école me donne deux repas : un au petit matin et un au crépuscule. En retour, je m'occupe de ses poules et prends soin de moi durant la journée. Les repas sont sans goût et monotones, mais suffisamment consistants et fréquents pour me rassasier et me faire grandir. Le coq et les poules courent partout dès que je leur jette du maïs. Le vieux coq rétif va bientôt passer à la casserole. Les poules ne craignent rien tant qu'elles pondent, et, parfois, je prétends avoir glissé et fait tomber un oeuf, ou bien avoir oublié leur repas de la veille pour expliquer pourquoi l'une d'elles n'a pas pondu. La vieille femme n'a sans doute jamais cru mes mensonges.
Lorsque la ponte est abondante, je prends un oeuf et laisse son jaune onctueux couler le long de mon menton avant de m'essuyer et me lécher les doigts. Les jaunes d'hiver sont plus acides que ceux d'été. Ceux d'automne recèlent une saveur de terre brûlée et de sunny . Ceux de printemps ont encore un goût différent. Tout ce qui est attrapé, tué, arraché de la terre ou cueilli au printemps sent le printemps. Mais cela n'est pas vrai pour les autres saisons.
Elle m'appelle son "drôle d'oiseau" et me gifle rarement quand elle me surprend en train de voler de la nourriture. Les saveurs que je ne trouve pas dans sa cuisine, je les déniche par moi-même. Les pommes sauvages qui poussent non loin de la loge sont acides, et les larves à l'intérieur, plus acides encore. Les scarabées de la cour sont moins doux, le fromage de sa cuisine miteuse, dur et cireux, dépourvu de veinules bleues du "roffort" et de son odeur délicieusement moisie. Durant mon séjour dans la loge de Sainte-Luce, j'ai goûté un tas de choses pour la première fois : des toiles d'araignée et des perce-oreilles (poussiéreux et croquants), des araignées (pomme pas mûre), des excréments, ceux des poules et les miens (amers et étonnamment sans goût). J'ai mangé des oeufs fraîchement pondus de moineau, des têtards pêchés dans le ruisseau. Leur goût est moins intéressant que leur texture. Tous deux visqueux, mais à leur manière. La vieille dame aide à surveiller les écoliers de Sainte-Luce et a pour tâche de m'élever jusqu'à ce que je sois assez grand pour entrer à l'école, ce qui ne tarde pas à arriver."

A DE SUITE
Exclamation
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyVen 16 Juin - 15:04

Walà, walà, j'ai fini mon esquimau. J'ai pas été trop longue Question ... tongue



"Certains hommes aiment un peu trop les petits garçons, m'avertit-elle. Et les enfants peuvent se montrer cruels les uns envers les autres. Il faudra que je me défende seul. Elle veillera sur moi, mais je devrai être brave.
Il est question d'attendre mes sept ans. Mais le directeur décide que je peux être scolarisé un peu plus tôt. Je devrai l'appeler "monsieur". Comme tous les autres hommes adultes, excepté les serviteurs (ce sont eux qui doivent m'appeler "monsieur").
- Tu as bien compris Question
Elle m'a lavé mes vêtements, forcé à manger un bol de bouillie et débarbouillé le visage. Ce n'est que lorsque je vois mon ballot de vêtements (une veste un peu mieux mise et une deuxième paire de bas) que je comprends que c'était la dernière fois que je nourrissais les poules. Ce soir, elles devront attendre la venue de la vieille dame.
- Courage. Tout ira bien.
Son visage tressaille et elle à l'air indécise, comme si elle allait m'embrasser ou me serrer dans ses bras pour me dire au revoir. Elle s'exprime bien et connaît les lettres de l'alphabet, mais est pauvre et a besoin de travailler.
La loge est petite, mais bien tenue. Et la nourriture... Peut-être qu'elle se fiche de la nourriture.
Les mêmes plats tous les jours, encore et encore, les mêmes saveurs. Nous nous regardons un long moment, puis je comprends que je dois aller à l'école seul.

Prenant mon baluchon, je descends le chemin de l'école et découvre qu'il est plus long que je ne le pensais. Au bout de quelques minutes, je me retourne et vois que ma protectrice se tient toujours devant le portail, en haut du chemin. Je lui fais un signe de la main, elle me répond, je me tourne vers l'école et continue à marcher, mon sac en bandoulière.
En ce début d'automne, la brise est tiède, la terre sèche, et l'herbe, légèrement jaunie. Le cerfeuil sauvage, dont on fait siffler les feuilles, se fait rate. Les châtaigniers des deux côtés du chemin sont chargés de fruits. Je ramasse le plus gros et en caresse les circonvolutions lisses avant de le glisser dans ma poche. Une autre châtaigne grasse, puis encore une autre jonchent le chemin. Je les ramasse toutes et bourre mes poches à les faire éclater.
Le gamin qui vient à ma rencontre à la main tendue.
- Donne Exclamation gronde-t-il.
Tel est l'accueil qui m'est réservé dans l'école où je ne connais personne ; après un an dans une maison de gardiennage avec une femme qui n'est ni une parente, ni une amie, ni une servante, ni une maîtresse. J'apprendrai par la suite que le chemin se trouve en dehors des limites de l'école et qu'une douzaine d'enfants en uniforme m'ont regardé approcher en se demandant d'où je viens et de quelle punition je vais écoper pour être sorti du domaine. Mais, pour le moment, je me retrouve face à cette main tendue.
- Je vais de cogner, menace le gamin.
Silence, pendant lequel j'en profite pour observer mon adversaire.
Il est de la même espèce que moi, mais je n'ai jamais vu d'enfant d'aussi près. Je jouais seul par nécessité et m'asseyais seul quand je ne jouais pas. La femme de la loge m'avait suggéré de me trouver des amis, mais j e n'en ressentais pas le besoin. L'idée de devoir partager mes châtaignes avec cet étranger me paraît absurde.
- Je t'aurai prévenu...
Sous l'oeil vigilant de ses amis, il tient sa promesse. Je chancelle sous le coup et plaque la main sur mon nez ensanglanté pendant que des rires s'élèvent autour de nous.
- Tu veux les marrons Question
- Tuuu veuux lees maaarrooons Question
De sa voix railleuse, le petit dur se moque de mon nez endoloris, ma lèvre entaillée, mes difficultés à m'exprimer.
- Tiens Exclamation
Refermant les doigts sur une poignée de marrons, je les jette de toutes mes forces au visage de mon ennemi, puis le cogne violemment pendant qu'il a les yeux fermés. Comme il titube à son tour, j'en profite pour le frapper une deuxième fois, plus rudement encore. Le gamin est plus grand que moi et manifestement plus âgé ; pourtant, il tombe sur les fesses et se recroqueville pour m'empêcher de recommencer."

JE REVIENS PLUS TARD... flower
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyVen 16 Juin - 18:44

Le portail de fer forgé rouillé de Sainte-Luce ouvre sur la première cour, et une arche traversant le bâtiment principal mène à la cour de derrière.
- Hé Exclamation jeune homme, quel est votre nom Question
Je me tourne et vois un homme âgé venir vers nous.
- Eh bien Question
- Jean-Marie.
Un gamin se met à rire (pas celui qui m'a attaqué), mais un regard sévère du vieil homme le réduit au silence.
- Il est jeune. Il ne connaît pas nos règles. Nous allons lui accorder deux semaines de grâce. Vous m'entendez Question
- Oui, monsieur le directeur.
- Votre nom de famille Question me demande-t-il gentiment.
- D'Aumout, monsieur... Jean-Marie Charles d'Aumout.
J'ai réalisé plusieurs années après qu'il me l'avait demandé pour que les autres l'apprennent. Le Dr Morel est l'ancien directeur de l'école, ainsi que le père du nouveau. Âgé de soixante-dix ans, ce qui est horriblement vieux à mes yeux, il me passe un bras autour des épaules et m'entraîne sous l'arche qui traverse le bâtiment principal pour déboucher sur une cour où donnent les dortoirs du premier étage. Une arche plus petite mène vers le fond de l'édifice.
- Vous feriez bien de nous suivre, dit-il par-dessus son épaule à mon assaillant, qui nous emboîte le pas à contrecoeur.
- Duras, dit le gamin en me tendant la main.
Je regarde son offre de paix sans bouger.
- Tu dois quand même me serrer la main. C'est la règle.
Je prends la main tendue et il hoche la tête.
- Emile Duras. Je suis dans la seconde classe.
Le vieil homme choisit cet instant pour se retourner et sourit en nous voyant nous réconcilier.
- Ne soyez pas en retard, dit-il à Emile. Mais d'abord, montrez-lui la classe.
- Laquelle, monsieur Question
- Savez-vous lire, Jean-Marie Question
- Oui, monsieur.
La vieille femme m'a appris les lettres que je ne connaissais pas.
- Combien font cinquante moins vingt Question
- Trente, monsieur.
Le vieil homme paraît pensif, puis déclare :
- Vous pouvez être dans ma classe. Je vous confie à Emile. Ce sera sa punition pour ce qui s'est passé.
- Monsieur..., proteste Emile.
- Vous espérez me faire croire qu'il vous a frappé le premier Question
- Ce que vous croyez et ce que je peux prouver sont deux choses différentes.
Le Dr Morel soupire.
- Laissez la justice à la maison, Duras. Laissez cela à des hommes comme votre père.

Revenir en haut Aller en bas
Martine

Martine


Nombre de messages : 11590
Date d'inscription : 22/11/2008

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: Re: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptySam 17 Juin - 8:16

study
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyDim 18 Juin - 1:30

Prenant le visage de mon agresseur entre ses mains, il l'oblige à le regarder dans les yeux.
- Maintenant, je veux la vérité. L'avez-vous frappé Question
Le gamin a un visage étroit et méfiant, des cheveux noirs et bouclés, et des ongles parfaitement manucurés.
Je n'avais jamais rencontré d'enfant aux ongles si soignés. Il semble réfléchir à ce que cela lui coûte de reconnaître sa faute.
- Oui, monsieur, dit-il enfin.
Ainsi, je rencontre d'abord Emile Duras, fils d'avocat. Son père a payé cher pour que son fils bénéficie de l'enseignement de cette école. Il rentre chez lui le qeek-end, ce qui le différencie de nous. Mais sa véritable particularité, l'élément qui l'a incité à me provoquer quand les autres lui ont dit de le faire, est son nom de famille. S'il s'était appelé "de Duras", son existence aurait été plus facile. L'absence de la particule crée un rempart entre lui et moi, même si je suis trop jeune pour m'en rendre compte.


Sleep
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyDim 18 Juin - 11:59

"Mon premier jour se déroule simplement. Je suis Emile, m'assois sagement au pupitre qu'on m'assigne et réponds aux trois questions que le directeur me pose. Par chance, je connais les réponses à ces questions ; cependant, j'en ignore beaucoup d'autres. Quand Emile baisse la tête et se met à lire en silence, je fais de même, non sans avoir regardé par-dessus son épaule pour savoir à quelle page il en est. Je parcours la page trois fois, et , même si cela a peu de sens dans mon esprit, quand vient mon tour de lire, je m'exprime d'une voix aussi claire et forte que possible.
- La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l'acquérir...
La phrase d'Emile se trouve un peu plus loin sur la liste, car il est assis à deux pupitres de moi.
Dans les semaines à venir, nous finirons par nous asseoir côte à côte, quand il devient évident que notre brève querelle a fait de nous des amis. La maxime d'Emile est :
- Notre envie dure toujours plus longtemps que le bonheur de ceux que nous envions.
Plus tard, je découvre le nom de La Rochefoucauld, qui il était et pourquoi ses maximes sont si célèbres. Son nom me rappelle le fromage que j'ai mangé avec le Régent, et Emile m'en rapporte un morceau de chez lui, enveloppé dans un papier. Il a le même goût que dans mon souvenir, un goût de moisi mêlé du claquement des sabots d'un cheval sur les pavés, de scarabées dans le fumier et de sunny

Durant mes deux premières semaines à Sainte-Luce, Emile me montre les élèves et le maîtres qu'il vaut mieux éviter et ceux auxquels je peux faire confiance. A la fin de cette période, je comprends ce qu'est un état de grâce, et Emile est devenu mon ami. Un garçon plus vieux et plus grand - comme tous les gamins de mon école si on les compare à moi - au fond sur moi et veut me prendre mon livre d'étude, le sien étant perdu ou volé, ce qui lui vaudra d'âtre battu. Mais, au lieu de le laisser faire, Emile prend ma défense et, ensemble, nous chassons l'importun.
Notre amitié durera des années et ne sera brisée que par une force plus grande et plus féoce que le lien qui nous unit. Cela se produira tant d'années plus tard que nous sommes loin de l'imaginer dans notre petit univers, où les journées s'étirent à l'infini et où nos mémoires avalent avec avidité chaque détail du monde qui nous entoure.
- Tu es doué en sport, tu es bon en classe et tu sais te servir de tes poings...
Emile sourit d'un air contrit et caresse la peau jaunissante de l'oeil au beurre noir que je lui ai infligé quelques semaines plus tôt. Par amitié, je touche ma lèvre, bien que mon entaille ait pratiquement disparu et que l'enflure ne soit plus qu'un lointain souvenir. Les règles de Sainte-Luce sont écrites sur un tableau dans l'entrée principale.
Elles sont restreintes et faciles à comprendre. Les règles tacites sont plus nombreuses et plus complexes. A l'école comme dans le monde que je découvrirai plus tard... Mais, comme les règles du monde extérieur, elles peuvent être simplifiées et réduites à l'essentiel. Ce que fait très bien Emile, jambes écartées et mains jointes dans le dos, sans doute à l'image de son père au tribunal :
- Tu dois te servir de tes poings, mais tu dois aussi apprendre à lire par toi-même.
Je le regarde sans comprendre.
- Les maîtres te laisseront tranquille.
Apparemment, le Dr Pascal et les autres maîtres doivent me voir lire des livres pednant que les gamins de l'école me voient jouer des poings. Après une tentative, je comprends que mon nouvel ami a raison. J'ai six ans, lui, presque huit. Il est plus mûr et plus avisé. je fais de mon mieux pour suivre son conseil. Résultat : les professeurs m'apprécient, et le nombre de mes amis augmente. Ceux que je frappe veulent être de mes amis, si bien que je n'ai plus à les malmener, et leurs amis veulent sympathiser avec moi, de sorte que je n'ai pas besoin de les cogner du tout. Au bout d'un an, je n'ai plus besoin de me battre avec qui que ce soit, et je cesse de m'inquiéter pour mes amitiés. Tous les élèves se montrent amicaux avec moi, même s'ils n'obtiennent pas grand chose en retour. Emile est l'exception."


Vais manger, reviens tout de suite après. Bon appétit pour ceussssssss qui sont sur le même fuseau horaire que mouaaaaa Exclamation
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyDim 18 Juin - 12:44

"Nous jouons ensemble, et il obtient de son père la permission de m'inviter chez lui un week-end. J'arrive pratiquement en haillons et repas avec de vieux vêtements d'Emile. Surtout, je repars rassasié et les poches remplies d'échantillons de différents fromages. La mère d'Emile trouve ma passion pour le roquefort amusante et me demande qui me l'a donnée.
- Monsieur le Régent.
Elle observe son mari, qui se tourne vers Emile, lequel hausse les épaules, une manière de dire qu'il ne sait pas si c'est la vérité, mais que c'est possible. Je leur raconte donc le jour où le duc d'Orléans est entré à cheval dans la cour de mes parents et a laissé derrière lui une rangée de villageois pendus aux arbres.
Emile me rapporte plus tard les commentaires de sa mère. Parfois, la vie est plus douce qu'on le pense. Parfois, elle est même clémente envers ceux qui ont désespérément besoin de douceur. J'aime tellement cette femme qu'elle devient la mère que ma génitrice ne s'est jamais donné la peine d'être pour moi. Cela amuse Emile, si possessif avec moi qu'il trouve normal que sa mère nourrisse les mêmes sentiments à mon égard. Enfant unique, il est aussi gâté et dorloté que le dauphin en personne. Même l'irritable Me Duras approuve mon amitié avec son fils.
Le père d'Emile est un petit homme aux vêtements sur mesure, extrêmement chic, qui porte un anneau au petit doigt, une redingote boutonnée jusqu'au cou et affiche des ongles impeccables. Parfois, je le surprends en train de nous observer, son fils et moi, comme s'il vous comparait. Emile est plus soigné et plus grand, même si je suis en train de le rattraper. J'ai un plus gros appétit et je mange tout ce que j'ai dans mon assiette, ce qui enchante Mem Duras, une femme corpulente très attachée à ses bracelets en or, ses réceptions fines et son jardin. Me Duras défend l'école Sainte-Luce, ainsi que le baron de Bellvit, ce qui explique pourquoi Emile est inscrit dans cet établissement et pourquoi l'école a accepté que Me Duras m'invite à passer quelques jours de vacances chez eux, puisque je n'ai nulle part où aller.
Je suis noble, d'une politesse instinctive, et je traite son fils comme mon égal, personne ne m'ayant suggéré d'agir autrement. Plus tard, d'autres garçons deviendront mes amis. Certains d'entre eux suggéreront qu'Emile est trop commun pour être l'ami de gens comme nous. Quand je les regarde et que je les compare à Emile, je me demande quelle est la différence. Nous portons le même uniforme, allons à la même école, mangeons la même nourriture, suivons les mêmes cours. La seule différence est qu'Emile a l'air un peu plus distingué, porte des vêtements légèrement plus chic et et dort chez lui plutôt que dans le dortoir de l'école. A mes yeux, cela le rend plus chanceux que nous, et non le contraire. Nous savons tous que nous n'appartenons pas à la paysannerie.
Cette masse indistincte nous observe de ses yeux mornes depuis les champs lorsque, deux fois l'an, on nous autorise à quitter le périmètre de l'école pour aller à la foire de Mabonne et une autre fois pour participer à un dîner donné par le baron de Bellvit, notre propriétaire local et généreux donateur. Les paysans vêtus de haillons, crasseux, vivent dans des taudis. Sous leur couche de crasse et leur puanteur, il est difficile de distinguer les hommes des femmes. Et même quand nous voyons un gamin aux grands yeux à peine plus jeune que nous, ou une fille assez jolie pour être remarquée, nous savons ce qu'ils vont devenir. Il en a toujours était ainsi, et nous pensons qu'il en sera toujours ainsi. Surtout eux le croient dure comme fer."

FIN DU II
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyDim 18 Juin - 15:39

"1728

Le chien perdu

Fricassée de souris

Noyez-les. Les frapper laisse de minuscules éclats d'os. Enlevez les entrailles, la peau, et lavez à l'eau claire. Puis enrobez-en deux ou trois d'une couche d'argile et cuire au feu de cheminée. Sinon, coupez-les en deux dans le sens de la longueur, faites-les frire avec des oignons émincés et ajoutez du sel, du poivre et du thym. Cela fonctionne aussi avec les moineaux. Goût de poulet.

Moineaux tomate-basilic

Plumez et videz les volatiles. Arrachez les pattes et nettoyez la carcasse à l'eau. Alternez couches de sel et moineaux dans un bocal. Le jour venu, ôtez le sel et faites-les frire dans un peu d'huile d'olive. Dans une autre poêle, faites blondir des oignons, pis ajoutez des dés de tomate. Plongez les moineaux dans la sauce et aromatisez au basilic. Goût de poulet.

Chat à l'estragon

Videz et dépecez l'animal, ôtez la tête et la queue, coupez le bout des pattes et les membres inférieurs au niveau de l'articulation. Lavez à grande eau l'intérieur du corps. La carcasse ressemble à celle d'un lapin et peut être rôtie de la même manière. Embrochez la bête, enduisez-la d'huile et ajoutez de l'estragon. Laissez cuire jusqu'à ce qu'un jus clair s'écoule quand on perce la chair avec un couteau. Goût de poulet.

Ragoût de chien

Videz, dépecez et désarticulez l'animal. Les cuisses sont trop grasses pour être cuisinées, les flancs peuvent être découpés en steaks, le reste peut être cuit en ragoût, voire frit à la poêle. Faire bouillir la viande avant de la faire rôtir ou la frire dégraisse et adoucit la saveur caractéristique. Ajoutez une sauce forte ou pimentée.
Goût de mouton aigre.

La triste vérité, c'est qu'en dehors du chien, tous les animaux ont pratiquement le même goût, et ceux qui ne ressemblent pas au poulet font presque tous penser à du boeuf, les autres, à du mouton. Le secret de la variété des viandes est l'épice. Les légumes, les fruits et les herbes aromatiques ont un éventail de saveurs bien plus large que les créatures qui les cueillent, les mâchent et les digèrent. Même notre description du goût des viandes est faussée. Nous pensons que le chat a la saveur du poulet alors que, si nous avions été nourris toute notre enfance au ragoût de chatons, nous aurions dit que le poulet avait le goût du chat."
Revenir en haut Aller en bas
JEAN

JEAN


Nombre de messages : 2367
Date d'inscription : 10/12/2008

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: Re: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyDim 18 Juin - 18:37

Merci!
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyLun 19 Juin - 19:07

"La fricassée de souris a été ma première recette. Je l'ai soigneusement consignée dans un petit calepin volé à l'un des maîtres d'école. A dix ans, je me trompe à propos du goût. Cela a plus le goût de poulet que de boeuf parce que mon palais est trop inexpérimenté pour établir une meilleure comparaison. Un chat et un chien bouleversent mon existence. D'abord, le chat, bien que l'animal que j'ai mangé ne soit pas le chat de l'histoire que je vais vous raconter, seulement un chat sauvage que j'ai trouvé piégé dans un buisson. Mais avant cette pauvre bête s'est produit l'épisode de la raclée.
Le vieux directeur de Sainte-Luce est décédé l'hiver de mes neuf ans. L'école est réduite au silence et à un rythme lancinant. Nous savons, dans nos dortoirs, que quelque chose ne va pas, car les leçons de l'après-midi sont annulées, et certains voient le médecin franchir le portal dans sa calèche et grimper prestement l'escalier principal accompagné par le fils du directeur en personne.
Toute l'école assiste aux funérailles.
L'année de mes dix ans, personne ne meurt, et l'année de mes onze ans, le Dr Faure prend des fonctions. Il enseigne le latin et la théologie, et me prend immédiatement en grippe. Ma tête ne lui revient pas et il n'apprécie pas mon amitié avec Emile, qu'il juge bizarre.
Il n'apprécie pas non plus que je loge chez Emile pendant les prochaines vacances, quand les termes de mon contrat stipulent que je dois rester à Sainte-Luce. La première semaine de sa prise de fonction, il me punit pour comportement déviant.
En fait, il me fait fouetter pour avoir mangé un escargot cru. Les escargots sont des aliments communs dans les ragoûts qu'on nous sert au réfectoire, et les maîtres les consomment bouillis dans du beurre persillé à l'ail. Apparemment, ce n'est pas la même chose.
Parce que j'ai trouvé l'escargot sur un monceau de matières fécales collectées dans les latrines de l'école et que je l'ai gobé tout cru. Il déclare qu'il va rendre mon postérieur aussi flasque que l'animal. Apprès les prières et les bénédictions du vendredi, il me fait appeler dans la salle commune et me demande de monter sur l'estrade. Puis je dois baisser mes culottes et agripper le bord d'une table basse, une posture qui m'oblige à me pencher sur la table et à exposer mon postérieur dénudé.
Il se sert d'une brassée de branches de saule qui ont trempé toute la nuit dans un baquet d'eau salée. L'eau salée ramollit les brindilles et agit comme un astringent pour éviter les infections. Le premier coup me fait si mal que mes jointures blanchissent à force de serrer la table.
J'ai onze ans. Toutes les personnes que je connais au monde me regardent en silence tandis que je combats la douleur qui court dans tout mon corps. Emile m'a conseillé de hurler. Il dit que les hommes comme le Dr Faure aiment faire crier leurs victimes. J'écoperai de moins de coups, et mon calvaire sera plus bref si je crie. Seulement, ma gorge est tellement serrée que mes cris sont étouffés en moi.
Le deuxième coup est plus féroce, le troisième, si violent que toute la salle devient floue.
Un gémissement s'échappe de mes lèvres et j'entends le Dr Faure marmonner de satisfaction. Je reste silencieux au moment du quatrième coupe, aidé par l'état de flottement dans lequel je me trouve à présent. Le cinquième coup me tord la bouche dans un cri silencieux et j'aurais hurlé à pleins poumons au sixième coup si mon regard n'était tombé sur une fille qui m'observe à travers l'entrebâillement d'une porte. Elle a les cheveux noirs et luisants, de grands yeux épouvantés et la bouche entrouverte. Elle a mon âge, peut-être une année de plus.
Une fille dans une école de cent cinquante garçons.
Le sixième coupe m'arrache un long gémissement, et le directeur s'interpose avant que le Dr Faure ne puisse poursuivre la sanction. Quand je relève les yeux, la fille a disparu, et la porte latérale de la salle s'est refermée. Le directeur m'aide à me relever et me confie à deux de mes camarades, chargés de me ramener dans ma classe et de rapporter à son épouse le moindre signe de fièvre. Le Dr Faure jette un regard noir à tout ce remue-ménage et semble si contrarié que je souris, ce qui ne fait qu'attiser sa colère.
Toute la salle m'applaudit. Aux yeux de mes petits camarades, je suis un héros, le gamin qui a encaissé six coups de fouet pratiquement sans broncher. Je baisse de nouveau mes culottes et reste là sans bouger pendant que les écoliers défilent l'un après l'autre pour admirer mes blessures de guerre. Je suis le meilleur, tous s'accordent à le dire, et je bats le record haut la main, soit dix coups de canne infligés par le directeur l'été précédent. Le détenteur de l'ancien record passe une minute entière le visage à trente centimètres de mon postérieur pendant que la classe attend son verdict en silence. Magnanime, il me déclare vainqueur."

Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyLun 19 Juin - 19:38

"Une nouvelle salve d'applaudissements salue son esprit sportif.
- T'es idiot ou quoi Question s'écrie Emile en m'entraînant à l'écart ne fois que les applaudissements ont cessé et que chacun s'est remis à feuilleter le livre qu'il était censé lire. Il te fouettera encore plus fort la prochaine fois Exclamation
Emile est doué pour deviner les pensées des autres, mais cette fois-ci, il se trompe, ce que je ne manque pas de lui expliquer. Le Dr Faure ne peut risquer un second affront. Il n'a pas réussi à m'arracher un cri, et le directeur l'a arrêté avant qu'il ne m'inflige davantage de blessures. Je me suis fait un ennemi à vie. Ni Emile ni moi n'en doutons. Mais le Dr Faure ne supporterait pas une seconde humiliation publique. Et nous aurions dû deviner que, puisqu'il ne peut me briser, il va s'en prendre à Emile. Cela se produit la semaine suivante. Après être accusé d'une quelconque infraction le lundi après-midi, Emile se retrouve pencha sur la table de la salle commune le mardi matin.
Le Dr Faure, sa baguette serrée dans la main, ricane. Emile crie. Il crie si fort que certains parmi les plus petits se bouchent les oreilles. Le directeur s'avance dès que le sang se met à couler, après le troisième coup, non pas pour stopper le châtiment, mais pour demander au Dr Faure d'y mettre moins de vigueur. Cela ne fait aucune différence. Emile sanglot déjà.
Aucun élève de notre classe ne l'applaudit. Personne ne lui suggère de baisser ses culottes pour vérifier si j'ai perdu mon titre, même si ses plaies sont aussi vilaines et sanguinolentes que les miennes. Tous l'évitent comme si sa lâcheté était contagieuse. Ses origines bourgeoises, la religion juive de sa grand-mère, son retour chez lui chaque week-end sont autant d'explications de sa faiblesse à leurs yeux. Il pleure encore au moment de se coucher et se réveille le visage plus défait que la veille. A l'heure du déjeuner, incapable de supporter les larmes silencieuses de mon ami et les regards insultants de mes camarades, je vais trouver l'épouse du directeur et lui dis qu'Emile a de la fièvre.
- Quels sont ses symptômes Question
- Il pleure.
Elle pousse un profond soupir, marmonne quelque choses à propos de ce "satané bonhomme" et me demande d'aller le cherche immédiatement. Il devra passer la nuit à l'infirmerie, et, puisque je suis son ami, je peux rester dormir avec lui. En attendant, je dois lui ramener Emile, puis retourner à mes leçons. Je suis le petit d'Aumout, n'est-ce pas Question Je réponds par l'affirmative et vais chercher Emil sous les regards méprisants de mes camarades.
- On se voit plus tard, lui dis-je;
- Pas la peine, répond-il d'un ton amer. Je préfère rester seul."
- Tu ne veux pas ta revanche Question


Vais souper. ... Basketball Very Happy
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMar 20 Juin - 19:45

"Mon plan se forme dans mon esprit depuis ce matin. C'est risqué, mais quel bon plan ne l'est pas Question De plus, il redonnera à Emile sa confiance et impressionnera le reste de la classe. Sans attendre sa réponse, je le laisse devant la porte de l'infirmerie, une pièce sombre surplombant la petite cour dans laquelle le Dr Faure garde son chien. Les quartiers du Dr Faure se trouvent de l'autre côté du bâtiment, ce qui leur permettra d'agir en toute quiétude.
De retour dans la classe, j'annonce à mes camarades qu'Emile a besoin de volontaires pour mettre à exécution son plan le soir même.
- Quel genre de plan Question
- Il a besoin d'un juge, d'un scribe et d'un témoin pour s'assurer que le procès est équitable.
Emile jouera le rôle du juge.
- Et toi Question demande un gamin.
- Je serai le bourreau. Il en faut bien un.
- Va-t-il s'en prendre au docteur Faure Question
Je secoue la tête.
- Bien mieux. Il va s'en prendre à son chien.
Marcus, le chef de notre classe, sourit, et je comprends que, si nous parvenons à exécuter notre plan, Emile sera pardonné. Le Dr Faure tient à son sale cabot comme à la prunelle de ses yeux. L'animal passe ses nuits enfermé dans la cour à aboyer au moindre bruit, ce qui réveille tous les dortoirs. Chaque jour, il est religieusement promené, et la seule créature à avoir un caractère plus infect est son maître, tout le monde est d'accord sur ce point. Les gamins de ma classe établissent la liste des crimes dont le chien devra répondre.

Le temps que la pénombre fasse place à la nuit, tous sauf Emile savent que mon ami a juré de se venger du Dr Faure, et Emile accueille la nouvelle avec de grands yeux ronds. Ses lèvres sont toutes mordillées, son visage, bouffi, et son nez, rougi à force d'avoir pleuré. Aussi lui dis-je de se rincer le visage dans la bassine d'eau froide que l'épouse du directeur nous a fait porter.
Comme il reste sans réaction, je pose une vasque de porcelaine sur la table de toilette et verse l'eau moi-même, puis j'agrippe sa tête et la plonge dedans. Il se redresse en s'ébrouant et tente de me frapper avec ses poings.
- Fais-le toi-même alors Exclamation
Il se renfrogne et s'asperge furieusement le visage, faisant gicler de l'eau sur le devant de son uniforme. Aucun de nous ne s'est préparé pour aller au lit et aucun de nous ne le fera tant que justice ne sera pas rendue. Je lui explique ce que j'attends de lui. Il a vu son père en action au tribunal. Il jouera le rôle de son père. Cela doit être fait sérieusement.
- Je suis le juge Question
- Oui. Tu mèneras l'accusation, et Marcus assurera la défense. Mais le verdict te reviendra et ce sera à toi de décider de la sentence finale.
- Mais comment fera-t-on pour obliger le chien à se tenir tranquille Question Il aboiera comme un fou et Faure va rappliquer. Il nous verra.
Une autre pensée lui vient.
- Et comment va-t-on entrer dans la cour Question Elle est fermée la nuit.
- Justement...
La petite cour fait partie des quartiers des Faure et, même si une douzaine de fenêtres ouvrent dessus, elle ne compte que deux portes : l'une donne accès au bâtiment principal de l'école, l'autre, aux appartements des Faure. Le Dr Faure verrouille la première lorsqu'il se retire pour la nuit, et la seconde, après avoir sorti le chien. Un seul homme a les clés de ces deux portes. Enfin, peut-être que le directeur en a un double. Mais un seul homme en a un accès direct."

Miamiammmmm vé manger. ... Basketball ... Wink

Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 21 Juin - 16:52

"- On n'ira pas dans la cour. Le procès aura lieu sur le toit au-dessus de la porte des Faure. Quant à obliger le cabot à se tenir tranquille...
Je sors un sac poisseux de sous mon manteau.
Emile regarde avec horreur le morceau de viande sanguinolent que je lui montre. Il recule et paraît reconsidérer tout le projet.
- C'est quoi ce truc Question
- Le chat de Mme Faure. J'en ai gardé un bout pour... faire des expériences.
Je ne lui révèle pas que j'ai fait frire ce morceau et que j'ai encore des bribes de chat et d'oignon coincés entre mes dents du fond.
- Voilà ce qu'il en reste. Cela devrait suffire.
- Cela dit, nous avons besoin d'un procès rapide. Un jugement décisif.
Ses yeux s'arrondissent devant mes efforts de paraître mature, et j'ai envie de sourire, mais je me retiens à temps. Sérieux. Ce projet est très sérieux. Mon complice a-t-il toujours été aussi frêle Question A-t-il toujours eu l'air aussi fragile Question Son regard brillant, ses lèvres fendillées d'angoisse. Dans ma tête, je suis bien plus grand que lui, ce gamin qui m'a frappé le jour de mon arrivée et a exigé mes marrons. A présent, je comprends que c'est moi qui le regardais de haut.
- Tu as tué son chat Question
- Il était gras et laid.
- Ce jugement..., bredouilla Emile, l'air anxieux.
- Une exécution. La mort par pendaison. Avec application immédiate de la sentence.
Il articule les mots, comme s'il tentait de se les approprier. L'heure est venue de retrouver les autres dans le grenier. Si nous sommes surpris hors de notre lit à cette heure, nous serons tous fouettés. Je presse Emile dans l'escalier. Sa démarche est lente, et son visage, encore marqué par son récent châtiment corporel. Dans le grenier se trouvent pêle-mêle une harpe cassée, des boîtes de cuir si abîmées qu'elles menacent de cracher leur content, deux rapières abîmées, dont les lames brisées ont la longueur idéale pour des gamins de notre âge. Marcus en attrape une et lance l'autre à un camarade. Le fracas de leur bataille enthousiaste nécessite d'être interrompu par mon sifflement outré.
- Laissez les lames ici, ordonne Emile. On les reprendra au retour.
D'habitude, Marcus ne reçoit d'ordres de personne, mais la position de juge d'Emile et ce qui nous attend changent la donne. Marcus pose la lame brisée, aussitôt imité par son comparse.
Tout au fond du grenier, une porte donne accès au toit. La plupart d'entre nous passent par là pour faire des paris ou faire fondre des pièces de plomb sur le toit et créer des rivières argentées qui génèrent des formes étranges en tombant dans l'eau. C'est le chemin que nous empruntons avant de grimper d'un côté jusqu'à une gouttière où deux toits se rejoignent, pour redescendre de l'autre côté et atteindre le parapet qui surplombe la courette où le Dr Faure enferme son chien. C'est la fin de l'été et l'air dégage l'odeur nauséabond des champs fraîchement nourris de fumier. La campagne s'étire tout autour de nous telle une mer noire. Les paysans sont comme les animaux : levés tôt et couchés tôt, au rythme des saisons et du sunny
- Dieu a pété, dit Marcus.
Un de nos camarades ricane, un autre marmonne quelque chose à propos de blasphème."


Je reviens. ... flower
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 21 Juin - 17:30

"Je les ignore et plonge la main dans mon sac.
- Puis-je commencer Question dis-je à Emile.
Il l'observe, son regard vide à moitié éclairé par la lune. Il vacille légèrement sur ses jambes.
- Tu es le juge. Puis-je calmer le chien Question
- Vas-y.
J'ouvre mon sac et en sors un morceau de viande saignante que je jette à bout de bras par-dessus le parapet. Il franchit le rebord et s'échoue sur les paves de la cour. Des aboiements furieux accueillent aussitôt cette obole, et j'entends Marcus jurer et Eimile grommeler. Puis les jappements se muent en reniflements. Aucune lumière ne s'allume dans la maison des Faure, aucune fenêtre ne s'ouvre. Les reniflements cèdent bientôt la place à des gémissements pour en réclamer davantage.
- Par ici, dis-je aux autres.
Tous se rassemblent autour de moi et je les écarte pour rejoindre Emile. Son visage est blême.
- Fais-le, fais-je à son oreille.
Il lève le menton et son expression change, comme si son corps était une maison habitée par différents propriétaires. Il s'avance avec assurance au milieu de la petite troupe et baisse les yeux sur le coupable.
- Jette-lui un nouveau morceau, ordonne-t-il.
L'animal se jette sur sa pitance sanglante et lève le museau pour écouter les chefs d'accusation.
- Tu es accusé, déclare Emile, d'appartenir au Dr Faure. Tu es accusé d'être un monstre à quatre pattes vil qui ne vaut pas mieux que son maître.
Tu es accusé d'être laid, bruyant et insupportable.
Que plaides-tu Question
Le chien geint pour obtenir une nouvelle portion de viande, et Emile hoche la tête.
- Le plaignant plaide non coupable.
Je lui lance un nouveau morceau du chat e Mme Faure et me demande si j'en aurai assez jusqu'à la fin du procès. Emile doit se faire la même réflexion, car il se tourne vers l'avocat de la défense et lui demande d'être bref et d'aller droit au but.
Ensuite, il ordonne au témoin principal d'être très attentif. Il est important que justice soit faire en présence d'un témoin. Nous avons un nouvel Emile devant nous. Très différent du pleurnicheur misérable qui s'est traîné dans notre classe ce matin. Le visage noyé de larmes.
- Nous t'écoutons, déclare Emile.
- Accuser un chien des péchés de son propriétaire est aussi injuste que de punir un serviteur pour avoir obéi à son maître. Le chien n'est pas fautif. S'il était mon propre animal et non celui du Dr Faure, il serait toujours le même chien. Serait-il coupable alors Question
Quelques applaudissement discrets retentissent. A juste titre. C'est un bon plaidoyer : concis et clair quant au risque d'injustice. Que va bien pouvoir répondre Emile Question
- Les chefs d'accusation sont au nombre de deux. Tous deux aussi graves. Cet animal est le chien du Dr Faire, et c'est une brute hideuse, comme son maître. La gravité du crime réside dans la combinaison de ces deux facteurs. Quand deux hommes s'allient pour commettre un forfait, il s'agit d'une conspiration. Dans cette affaire, nous sommes face à une conspiration de laideur. Le tribunal vous demande deux choses pour établir son innocence : le chien ne doit pas être laid et ne doit pas appartenir au Dr Faure... Jean-Marie, encore de la viande.
J'obéis, tandis que l'avocat de la défense commence son résumé. Il ne peut prouver ni l'un ni l'autre, mais clame que le chien avait autrefois bon caractère et implore la clémence de la cour. Ce n'est qu'une pauvre bête stupide qui est tombée sur un mauvais maître. Et qui est jugée pour les crimes d'un autre.
Malgré ce plaidoyer, Emile ne se laisse pas attendrir.
- Il n'existe nulle pitié pour des crimes de cette nature.
Il se tourne vers le gamin qui joue le rôle de témoin.
- Déclarez-vous que ce procès est juste et s'est déroulé conformément à la loi Question Pouvez-vous en témoigner sur votre honneur Question
L'intéressé hoche la tête avec gravité.
- Donc, il ne me reste plus qu'à prononcer le verdict.
Emile se penche par-dessus le parapet pour examiner le chien. L'animal le voit et agite la queue, espérant de nouvelles friandises."


Je reviens dans 5 minutes. Ca ira, ça ne sera pas trop long Question ... geek
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13991
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET EmptyMer 21 Juin - 18:04

"- Toute parole est inutile à présent, déclare Emile. Tu as été reconnu coupable de crimes graves pour lesquels il n'existe qu'une seule sentence.
Emile laisse le silence s'étirer.
- Et cette sentence est la mort.
Plusieurs de nos camarades se regardent, sourcils haussés, comme s'ils se demandaient ce qu'ils font ici, sur ce toit, en pleine nuit.
- Vous pouvez procéder à l'exécution, me dit mon ami.
Je saisis la corde que j'avais enroulée sous ma veste, le noeud coulant tout près, et j'hésite.
- Le condamné a droit à son dernier repas...
Les derniers morceaux de viande échouent dans la cour en contrebas, et le chien les avale d'une traite, frétillant de la queue et se léchant les babines. J'ai la nausée à l'idée de ce que je vais faire et m'en veux d'avoir fait une telle suggestion. La dernière pièce de viande disparaît dans la gueule du chien, qu'il a mâchée à peine malgré ses crocs impressionnants. Tandis qu'il nous regarde d'un air d'espoir en gémissant, je fais descendre le noeud coulant autour de sa tête et tire de toutes mes forces sur la corde. Enhardi par le désespoir, je remonte la bête, une longueur de corde après l'autre. Le chien grimpe rapidement jusqu'à ce que je lâche brusquement prise, ce qui le fait redescendre de quelques mètres avant de s'arrêter net. L'arrêt brutal lui brise le cou. L'exécution n'a duré que quelques secondes. Je gronde entre mes dents :
- Aidez-moi.
- A faire quoi Question demande Marcus, qui m'observe avec perplexité, comme les autres.
- A le hisser jusqu'ici. On ne peut pas le laisser dans la cour.
Dans l'excitation générale, ce point évident leur a échappée. Si ce gros chien est retrouvé mort dans la cour, les soupçons se porteront immanquablement sur nous. Le monstre doit disparaître. Ainsi, les domestiques crieront à la sorcellerie, et le directeur perdra son temps à leur reprocher leur ânerie.
Formant une ligne, mes camarades se mettent à tirer sur la corde pendant que je lui imprime un mouvement de balancier pour écarter le cadavre du mur. Notre victime est presque au niveau du parapet lorsque je lève les yeux et me fige.
- Quoi Question s'inquiète Emile.
J'agrippe le noeud coulant et hisse le chien mort sur le parapet.
- Rien, dis-je hâtivement. Seulement une ombre.
Une fille nous observe depuis la fenêtre d'en face. Pâle comme un fantôme, dans la pénombre d'une pièce non éclairée. Elle a les cheveux lâchés et porte une robe légère. J'aurais juré, même à cette distance, l'avoir vue sourire.
- Allez, bonne nuit, dis-je à Emile.
- Tu vas... Question
- Oui. Je vais me débarrasser du corps.
Je repousse les offres d'aide de la part de ceux qui veulent continuer l'aventure.
Emile va-t-il bien dormir durant la semaine à venir Question Cela ne dépend que de lui. Tout comme la souffrance de ses plaies sur les fesses. En tout cas, grâce à moi, il a une chance de le faire. Il peut retourner dans sa chambre et fermer les yeux sans craindre une rouste d'un de nos camarades honteux de son comportement.
Moi Question Je m'enfonce gaiement dans l'obscurité des bois et me dirige vers une petite rivière peu profonde non loin du domaine de l'école. Un chien de plus noyé dans la rivière Question Personne ne s'en souciera et, demain matin, il sera bien loin. A l'aide de mon couteau de poche, je découpe un filet sur le dos de l'anima, le lave dans l'eau de la rivière, puis l'enveloppe dans des feuilles.
Je le ferai griller sur un feu de camp au petit matin, à l'abri des regards. Dans ma tête, tandis que les feuilles craquent sous mes pieds et qu'une chouette hulule dans la nuit, je demande déjà à la fille aux grands yeux du Dr Faure si elle veut bien partager mon repas."


FIN DU III
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





LE DERNIER BANQUET Empty
MessageSujet: Re: LE DERNIER BANQUET   LE DERNIER BANQUET Empty

Revenir en haut Aller en bas
 
LE DERNIER BANQUET
Revenir en haut 
Page 1 sur 6Aller à la page : 1, 2, 3, 4, 5, 6  Suivant
 Sujets similaires
-
» Le dernier des Médicis

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Mosaïque :: Bibliothèque :: HISTOIRE D'AMOUR DE ...-
Sauter vers: