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Détente - amitié - rencontre entre nous - un peu de couleurs pour éclaircir le quotidien parfois un peu gris...
 
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 Pierre Bellemare

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Jean2
MAINGANTEE
epistophélès
JeanneMarie
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epistophélès

epistophélès


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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyMar 2 Oct - 21:52

Père à double face


Dans la banlieue de Paris, Karine est avec son père, dans le jardin de la villa. Ils jardinent gentiment. Lui a bonne réputation dans le quartier, elle aussi, dans son établissement scolaire, un des meilleurs de la cité : douce, calme, appliquée, une charmante élève et une bonne camarade. Lui, un ingénieur informaticien, est un homme gentil, doux... Ils jardinent tous les deux et les voisins les regardent avec sympathie. Quel dommage ! La mère est partie, voilà déjà plusieurs années, pour suivre un amant. Peut-être avait-elle de bonne raisons pour ça. Toujours est-il qu'elle n'est pas revenue et la famille s'en est trouvée brisée. En partant elle dit à Karine, qui a alors quatorze ans : "Ecoute, reste avec lui. Il est malheureux." Puis elle s'en va, comme guidée par le destin d'une tragédie antique vers un autre homme qui lui assure Dieu sait quoi...
Karine aime sa mère. Elle aime son père et, une fois qu'ils se retrouvent seuls, elle s'applique à remplacer du mieux qu'elle peut la maman partie. Elle prépare les repas, attend le retour du père, fait les courses, console le pauvre cocu. Elle n'est pas la première dans l'histoire des familles à remplir cette mission. La famille, au bout de quelques mois, s'inquiète un peu : Karine a les traits tirés. La grand-mère, qui vient aider au repassage, les tantes, maternelle et paternelle, admirent la petite mais lui conseillent d'en faire "un peu moins". Oon ne peut pas être bonne écolière et en même temps assumer toutes les charges ménagères d'une maison... On ne peut pas, le dimanche, tenir compagnie, même au plus gentil des papas, en jardinant avec lui sous le ciel de l'Île-de-France.
Mais Adrien, le père, adore sa fille. "Le seul bien qui li reste, comme dirait Racine, des jours anciens." Il l'aime tendrement. L'été, il l'emmène dans leur jolie villa des bords de la Méditerranée. L'hiver, il lui offre tout ce qu'elle veut dans la mesure de ses moyens. Karine ne demande pas la lune.
D'ailleurs, plus les mois passent moins elle a envie de demander quoi que ce soit à son père, si affectueux... Si différent en fait de ce qui'l semble être... La cousine Martine, pourtant, jalouse un peu Karine. Combien de filles ne rêvent-elles pas de posséder leur père rien que pour elles, d'être seules à la maison avec lui ... ? Combien n'ont pas rêvé de l'absence définitive de leur mère "chérie" ?... Mais la réalité n'a pas toujours les couleurs idylliques du fantasme.
A l'époque des quatorze ans de Karine, Adrien, conscient (ou inconscient) des réalités de la vie, se donne un peu de courage en avalant quelques verres supplémentaires de vin au moment du repas du soir, préparé gentiment par la petite. Puis il s'assied sur le canapé du living-room et lui déclare, la voix un peu pâteuse : "Viens t'asseoir à côté de moi, il faut que je te parle, il faut qu'on parle un peu des réalités de la vie, tu as l'âge maintenant. Si ta mère n'était pas partie, c'est elle qui devrait te dire ce que je vais te dire, mais puisqu'elle n'est plus là, tu vas la remplacer, non, je veux dire, je vais la remplacer..." Karine ôte son tablier de cuisine et, un peu émue, s'assied à côté de son père qui entame son discours éducatif.
Adrien choisit ce soir-là de raconter la vie, non pas dans ce qu'elle a de plus naturel et de constructif, mais dans ses aspects les plus marginaux. Il ne se lance pas dans de grands discours sur les amours des papillons ni celles des petits lapins.
D'ailleurs, aujourd'hui, il en est certain, Karine doit en savoir assez sur la vie sexuelle des mammifères supérieurs. Même dans les institutions les plus huppées, les jeunes savent beaucoup de choses sur ce sujet. Non, la vie qu'Adrien fait découvrir à Karine est une vie qui est bien loin de celle des petits lapins roses.
Il est question de liberté sexuelle, "comme celle que ta mère a prise en allant refaire sa vie avec son amant". Il y est question de couples "modernes" qui n'hésitent pas à mettre un peu de piquant dans leur existence en "échangeant" leur conjoint pour une soirée, une nuit ou plus. Il parle des "portes de Paris" où l'on peut d'un coup de voiture "trouver chaussure à son pied",. Il parle des besoins sexuels d'un homme normalement constitué, d'un homme que sa femme a abandonné depuis de longs mois. Il parle de la prostitution, qu'il réprouve. Il parle, il parle. Karine en a les larmes aux yeux. Elle ne sait ce qu'elle doit comprendre. Elle monte se coucher dans sa cahmbre décorée d'images enfantines comme celle de milliers de jeunes filles bourgeoises choyées par leur papa...
Est-ce soir-là ? Est-ce un autre ? Toujours est-il qu'une nuit, Adrien, une fois sa fille chérie couchée, monte jusqu'à sa chambre. Il s'assied sur le bord du lit et commence à embrasser la petite. Sans méfiance, elle se laisse aller à la douce étreinte paternelle, celle qui manquera pour toujours à tant d'enfants perdus. Mais soudain la main paternelle devient moins paternelle. Elle glisse vers la poitrine naissante de Karine qui rougit, tout étonnée de ce geste. Puis la main glisse sur les cuisses de l'adolescente qui, choquée, se dit que son père ne devrait jamais boire le soir. La main saisit le bas de la chemise de nuit, remonte le vêtement tout en poursuivant l'inquiétante caresse qui n'a plus rien de paternel... Mauvais soir...
Une autre fois, Karine, sortant de la cuisine où elle vient de faire la vaisselle, découvre son père entièrement nu. Comme le "naturisme" ne fait pas partie du programme éducatif auquel elle est habituée, Karine ouvre de grands yeux, ne sachant ni que dire ni que faire. Elle court se réfugier dans sa chambre.
Un autre soir elle découvre son père plongé dans un livre. Un coup d'oeil à la couverture suffirait à définir la littérature dont il se repaît. Mais Karine ne voit pas la couverture : elle ne voit que la main de son père, que son pantalon largement ouvert, elle voit le mouvement de va-et-vient et comprend qu'il se donne du plaisir. Pourquoi est-il justement installé au milieu du salon, un endroit où elle ne peut manquer de le voir ? Pourquoi ? Déjà son père, avec un drôle de regard, a refermé sa braguette. Est-ce encore son père ? Karine se pose la question en courant se réfugier dans sa chambre. Qui est cet homme, ce maniaque sexuel qui bouleverse toutes les valeurs de notre société ?...
Adrien est déjà dans la chambre, il l'enlace, d'un geste tendre, comme plein de regrets, comme s'il demandait pardon. Karine, le souffle court, est prise entre deux pulsions : l'enlacer pour lui dire qu'elle est sa petite fille, qu'elle l'aime, qu'elle lui pardonne ce moment de folie ; et le repousser violemment avant d'aller vomir... Mais Adrien, lui, n'a plus qu'un seul visage. Ses mains, de douces, se font faites violentes. Karine pleure, supplie. Rien n'y fait. Au bout d'interminables minutes l'irréparables est accompli... Karine est marquée à jamais. A jamais dégoûtée de ce qui, en d'autres circonstances, aurait dû, avec un autre, être un moment de bonheur...
Mais hélas ! ce moment répugnant est suivie de bien d'autres. Avec des variations dans le scénario, mais toujours la même conclusion. Parfois Adrien, pour emporter la "décision" de Karine, joue le grand jeu. Il va chercher la carabine qui repose dans un placard. Il en appuie le canon sur sa tempe et hurle : "Si tu refuses, je me tue." Karine ne veut pas que son cher papa, celui qui jardine gentiment le dimanche, disparaisse de sa vie... Elle accepte l'inacceptable en pleurant.
Parfois, pour résister avec ses faibles forces, l'innocente, en larmes, se couche sur le ventre, pour protéger sa poitrine de caresses qui lui font horreur. Le remède est pire que le mal. Son père, que rien n'arrête, la sodomise... Une autre fois, il lui impose de regarder en sa compagnie une vidéocassette pornographique qui montre un homme d'âge mûr dans ses ébats avec une presque adolescent. Adrien comment et précise qu'il s'agit d'un "père et de sa fille". Karine, les yeux pleins de larmes, sait ce qui l'attend. A présent, lorsqu'elle fait les courses, elle évite d'acheter des saucissons car elle sait ce que son père est capable de faire...
Lorsqu'elle regagne l'école le lendemain, personne ne comprend son air hagard, ses mauvais résultats scolaires. Ecrasée par la honte, Karine ne pense pas pouvoir parler à qui que ce soit. La situation est irréversible.
Pourant, quand il a assouvi son désir bestial, Adrien redevient le tendre père, celui que seul Karine voudrait connaître. Elle passe son CAP d'esthéticienne. Il lui offre des leçons de conduite automobile. C'est Emmanuel, le moniteur, qui va bouleverser la vie saccagée de Karine. Il est joli garçon, patient, séduisant. Il fait bientôt une cour discrète à Karine. Enfin elle a une épaule sur laquelle s'appuyer. Mais elle reste bloquée. Aucune confidence, même après des mois. Les deux jeunes gens, en dehors des leçons, continuent à se fréquenter. Karine, douce et comme refermée sur elle-même, n'accepte qu'après de longues hésitations un baiser pourtant chaste d'Emmanuel.


JE REVIENS............ Very Happy
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epistophélès

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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyMar 2 Oct - 22:17

A la maison, Adrien, suivant le rythme infernal de ses pulsions sexuelles, continue ses sévices. Parfois la carabine menace Karine. "Si tu refuses, je te tue !", parfois il mime sa propre mort. Toujours Karine cède, éperdue... Un soir, après avoir subi les violences sexuelles de son "papa", après avoir vécu une fois de plus le sketch "prémonitoire" de la carabine sur la temps, après avoir, une fois de plus, entendu son père lui dire : "C'est la dernière fois que je te fais ça", Karine, hébétée, comme un zombie, saisit la carabine.
Elle avance jusqu'à la chambre où, déjà, Adrien, assommé par le vin et le sexe, est endormi. Elle appuie la carabine contre la tempe de son père, comme elle l'a vu faire de nombreuses fois... Voilà huit ans qu'elle doit subir ce martyre, il faut que ça cesse. Elle appuie. Adrien s'en va rejoindre le lieu où, peut-être, on rend des comptes...
La police trouvera Karine, en pyjama, assise devant la villa dont les fenêtres brillent dans la nuit. Elle explique, comme dans un rêve, qu'il y a eu un coup de feu, que son père ne bouge plus. On aura tôt fait de dénouer l'écheveau naïf de son histoire, des tiroirs renversés comme par un cambrioleur. Karine est conduite en prison. La "parricide" est prise en charge. On interroge la famille effarée, la grand-mère horrifiée, les tantes bouleversées, Emmanuel tout étonné.
Mais aujourd'hui, après avoir abandonné toute activité professionnelle, Karine qui comparaît, menottes aux mains, devant un tribunal, Karine qui , entre-temps, a appris que, selon la loi française, le "parricide" est "inexcusable", doit revivre toute triste histoire. La grand-mère avoue son aveuglement, la mère regrette de lui avoir simplement demandé, lorsqu'elle voyait sa petite fille : "Ca va ?", sans vraiement écouter la réponse. La tante maternelle s'évanouit en pensant à son manque d'intuition.
La tante paternelle, munie d'un avocat, essaie de défendre la mémoire d'Adrien, son frère. De plus elle s'est portée partie civile, car, selon le Code, sa nièce, la "parricide", ne peut hériter dde la villa fleurie des environs de Paris, pas plus que de celle des bords de la Méditerranée. Mais la mémoire d'Adrien, le violeur au saucisson, est encore plus entachée lorsque Mélanie, une amie de Karine, plus jeune qu'elle encore, révèle qu'à l'occasion d'une visite chez Karine, Adrien, à sa grande surprise, a commencé à se déshabiller devant elle. Une autre fois, il la poursuit et elle doit prendre la fuite, sautant par-dessus le portail de la villa fleurie pour rejoindre la rue... A partir de ce jour, il la guette, l'attend à la sortie des cours...
Le réquisitoire est clément. Tout le monde sait bien qui est le vrai coupable, qui est la vraie victime. Karine est acquittée.
Au fond de la salle, ses camarades de classe applaudissent bruyamment. On les rappelle à l'ordre sèchement
.


FIN
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MAINGANTEE

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MessageSujet: Re: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyMer 3 Oct - 16:23

pale pale pale
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MARCO

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MessageSujet: Re: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyMer 3 Oct - 17:42

Sordide cette histoire de saucisson
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyMer 3 Oct - 22:14

En voici une plus sympathique Marco. ... Very Happy


Il faut tuer mon fils !


18 septembre 1993. Dans la rue Goethe, à Francfort, le docteur Goebler, neurochirurgien, grand spécialiste et professeur à la faculté, s'apprête à monter dans sa luxueuse voiture. Il est huit heures du soir. C'est alors que quelqu'un le prend par le bras. Il se retourne et découvre une femme élégante d'une cinquantaine d'années. Elle s'adresse à voix basse, d'un ton anxieux :
"Docteur, il faut absolument que je vous parle. Il s'agit d'un cas grave."
Le docteur Goebler dévisage la femme qui fait des gestes nerveux. Il lui répond sèchement :
"Eh bien, allez à ma consultation à l'hôpital.
- Il ne s'agit pas de moi, docteur, je ne suis pas malade."
Ouvrant la porte de son cabriolet, le docteur rétorque d'une voix tout aussi sèche :
"Je crois bien que si."
La dame élégante s'agite de plus en plus. Elle sort des coupures de journaux de son sac à main.
"Je m'appelle Ingrid V., docteur. C'est de mon fils qu'il s'agit. Je n'ai pas voulu aller à votre consultation. Il ne faut pas qu'on sache."
Malgré lui, le docteur Goebler prend les coupures que Mme V. lui met dans les mains. Il lit : "Attaque d'un pompiste à main armée", "Un chauffeur de taxi attaqué en pleine ville", "Incendie criminel dans la banlieue ouest"...
Le docteur n'a même pas le temps de réagir, la femme lui parle avec un débit précipité :
"Tout ça s'est produit dans notre quartier. Tout ça c'est lui. Il n'est pas responsable. Il ne sait pas ce qu'il fait... J'ai eu un accouchement difficile après terme avec forceps. Mathias a toujours été un enfant fragile. A huit ans il avait des vertiges. A onze ans, des crampes épouvantables. Les médecins que j'ai consultés m'ont dit que c'était la croissance. C'est à partir de quinze ans qu'il a eu des maux de tête et des absences. Je l'ai fait opérer du crâne, mais on n'a rien trouvé. Et depuis c'est de pis en pis. Il a vingt et un ans maintenant. Il est très brillant dans ses études... Il fait de la philosophie."
Le docteur Goebler essaye de mettre fin à ce torrent de paroles.
"Ecoutez, madame, le cas de votre fils m'intéresse effectivement. Il n'a qu'à venir à ma consultation."
Mais Ingrid V. l'interrompt :
"Vous ne comprenez donc pas ? Mathias est un danger pour lui-même et pour les autres. J'ai réussi à cacher son état à son père... Mon mari est banquier, un homme important. Il n'aurait jamais admis... J'ai installé Mathias dans une petite maison pas loin de chez nous. J'y passe tous les matins. Quand il a eu sa crise la nuit avant, je le retrouve tout habillés sur son lit, les vêtements déchirés, quelque fois blessé. Par terre il y a de l'argent, des portefeuilles et quand je lui demande ce qui s'est passé, il ne se souvient de rien.
Mme V. regarde le professeur d'un air implorant.
"Et puis après, je lis les faits divers dans le journal. Il faut que vous fassiez quelque chose, docteur ! Tout de suite. Ses crises sont de plus en plus fréquentes. Et si un jour je le retrouvais le matin avec du sang sur les mains et si j'apprenais le même jour que quelqu'un a été assassiné dans le quartier ?"
Le docteur Goebler regarde la femme, qui s'est enfin tue. Des malades, des mythomanes, des excitas en tout genre, il en a vu en près de trente ans de carrière. Pourtant, il a une certitude : cette femme n'est pas malade. Elle dit la vérité, une vérité particulièrement grave.
Il ouvre la portière du passager et dit simplement : "Montez. Je vais l'examiner..."
Peu après, ils sont devant un petit pavillon d'une rue tranquille de Francfort. Mme V. a la clé. Elle entre. Mathias est dans la pièce du rez-de-chaussée, penché sur un livre de philosophie. Il se lèvre en voyant le docteur et le dévisage d'un regard interrogateur, sans hostilité. Il est plutôt frêle de corps, mais son visage a quelque chose de marquant, d'attachant même. Il est empreint à la fois d'intelligence et de douceur.
En quelques mots sa mère le met au courant de sa démarche et le docteur Goebler commence à l'interroger :
"Mathias V. a parfaitement compris et il commence son récit d'une voix posée, douce :
"Cela me prend le soir avant de me coucher... C'est une brusque impulsion, comme une envie de faire du mal, de détruire. A partir de ce moment-là, tout s'arrête. Et je me retrouve le lendemain matin tout habillé sur mon lit. Alors c'est affreux : quelquefois mes vêtements sont déchirés, quelquefois il y a dans la pièce des objets que ne ne connais pas... Je fais l'inventaire de mes poches et j'y trouve des billets de banque, des portefeuilles. Quand il y a des papiers d'identiés, je les renvoie par la poste, mais c'est rarement le cas. Je répartis l'argent comme je peux, mais cela ne correspond pas forcément...
-Vous n'avez vraiment aucun souvenir ?
- Aucun.
- Dans les articles, on parle d'attaques à main armée. Avez-vous une arme ?"
Cette fois le jeune homme s'agite, il se prend la tête dans les mains.
"Oui. Je sais qu'il s'agit d'attaques à main armée, avec un revolver. Mais je ne sais pas où il est. J'ai fouillé dans toute la maison et je n'ai rien trouvé. Je dois le cacher quelque part dehors. Dès que la crise commence, le souvenir de la cachette doit me revenir et je vais directement le chercher. Mais le matin, lorsque je me réveille, je ne me souviens plus de rien, je vous le jure...
- Je vous crois, c'est tout à fait vraisemblable dans votre cas. Calmez-vous."
Mais Mathias V. ne se calme pas, bien au contraire. Il a un regard halluciné :
"Avant-hier, docteur, j'ai trouvé dans ma poche un morceau de corsage de femme. Heureusement, il n'y avait rien dans les journaux : pas question de viol ou de tentative de viol. Mais si un jour cela arrivait ? Si un matin je me réveillais en apprenant que je suis un violeur ou un assassin ?
- Cela n'arrivera pas. A partir de maintenant, je prends les choses en main. Au besoin, je demanderai l'internement."
Au mot "internement" Mathias V. a bondi.
"Jamais ! Je ne veux pas qu'on apprenne que je suis fou ! Je ne veux pas que mon père le sache... Non, il n'y qu'une seule solution, je dois me tuer avant qu'il ne soit trop tard."
Mme V;, qui jusque-là était restée silencieuse, intervient :
"Oui, docteur, je vous en prie, pas d'internement ! Mon mari serait incapable de comprendre. Pour lui ce serait une catastrophe, il croirait que sa carrière, sa vie sont brisées..."


JE REVIENS Exclamation Exclamation Exclamation Ho ça va, hein Exclamation Un peu de patience vindiou Exclamation ....... tongue

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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyMer 3 Oct - 23:56

Le médecin ne répond pas, il sort de sa trousse un appareil perfectionné. C'est un modèle encore expérimental, une sorte de scanner portatif, permettant de faire son diagnostic. La pression dans le cerveau du jeune homme est le double de la normale, ce qui est énorme. Seule une opération peut être envisagée, une opération à haut risque, mais elle doit être tentée d'urgence. Sinon effectivement le malade va perdre progressivement le contrôle de lui-même jusqu'à être capable des actes les plus imprévisibles.
Tout en prenant le pouls du jeune homme, le docteur Goebler réfléchit... C'est aujourd'hui samedi, tout à l'heure il prendra contact avec deux de ses collègues et l'intervention pourrait se faire lundi. Avec une chance sur deux de réussite... Il arbore un sourire rassurant.
"Bien. Je pense pouvoir vous opérer rapidement et vous guérir. D'ici là, prenez ceci.
Il sort un tube de médicaments de sa trousse.
"C'est un sédatif puissant. Prenez deux comprimés le soir, un peu avant l'heure où surviennent vos crises. A bientôt, monsieur V."
Et après que Mathias et sa mère l'ont remercié avec émotion, le docteur Goebler prend congé. Rentré chez lui, il ne perd pas de temps. C'est un cas difficile et intéressant. Il téléphone à ses deux collègues avec qui il al 'intention d'opérer. L'un et l'autre sont d'accord sur la nécessité de l'intervention et pour opérer le lundi suivant.
Le docteur Goebler est satisfait, ce sera un des plus beaux cas de sa carrière. Malheureusement, il n'est pas au bout de ses peines...
Le lendemain matin, dimanche, le téléphone sonne chez lui. Au bout du fil, une voix de femme altérée, haletante :
"Docteur, c'est Mme V., il faut que vous veniez tout de suite..."
Il y a un silence, la femme s'est tue, étranglée par l'émotion et elle continue dans un souffle :
"Docteur Goebler, je vous en supplie, tuez mon fils ! Je suis passée chez lui ce matin. Il était habillée sur son lit, il avait ses vêtements déchirés, le visage et les mains griffés. Votre somnifère n'a pas agi ou bien il ne l'a pas pris. Alors j'ai regardé dans la pièce, j'ai fouillé dans ses poches... Docteur écoutez-moi bien : il n'y avait rien, pas un billet de banque, pas un objet. Cette fois-ci, il n'a pas volé... Vous avez lu le journal du matin, docteur ? Moi j'ai été l'acheter tout de suite. Regardez en cinquième page. Mathias n'a pas encore repris ses esprits. Je suis avec lui, je vous attends."
Et elle raccroche.
Le docteur Goebler a bondi dans sa voiture. Après quelques centaines de mètres, il freine en catastrophe devant un kiosque. Il achète le journal, l'ouvre fébrilement à la page cinq, mais il se doute déjà de ce qu'il va lire :
"Hier soir, une jeune femme de vingt-deux ans, Anna Schmidt, a été retrouvée étranglée, dans une rue du quartier ouest de Francfort. La jeune fille sortait d'une surprise-partie et son meurtrier devait l'attendre devant l'immeuble. D'après des témoins, on aurait aperçu dans la rue un jeune homme d'un vingtaine d'années qui faisait le guet. La police enquête."
En fonçant dans les rues de Francfort, le docteur Goebler s'emporte contre lui-même. Il vient de commettre la plus grave faute professionnelle de sa carrière. Mathias V. était un malade dangereux. Protestation ou pas, il avait le devoir de l'interner hier soir. Il lui a fait confiance, mais on ne peut pas faire confiance à un malade ; il est évident qu'il n'a pas pris son sédatif.
Le docteur Goebler pénètre en trombe dans le petit pavillon de Mathias. Le jeune homme est là, avec sa mère. Il est prostré, il ne se lève même pas. Il demande d'une voix faible :
"Ce matin, je n'avais rien dans mes poches. Pourquoi est-ce que je n'avais rien ? Maman me dit qui'l n'y avait pas d'article dans le journal... Vous l'avez lu, Docteur ? C'et vrai qu'il n'y avait rien ? Pas de viol ? Pas de..."
Le docteur arbore son air le plus rassurant :
"Rien du tout, Mathias. Je suis simplement venu vous chercher. Je vais vous opérer demain, mais avant, je vais vous faire une piqûre."
Le docteur sort sa seringue de sa trousse et brise une ampoule... Mme V. sort de la pièce.
Lorsqu'elle revient, une minute plus tard, Mathias est en train de s'assoupir. Ingrid V. est d'une pâleur mortelle, mais sa voix ne tremble pas.
"Merci docteur. Vous avez bien fait..."
Le docteur Goebler hausse les épaules :
"Je n'ai pas tué votre fils, je suis médecin et pas bourreau. Il s'agit d'une piqûre de neuroleptique, destinée à le neutraliser. Je ne veux pas qu'il commette d'autres bêtises avant l'opération. Je vais appeler une ambulance pour le conduire à l'hôpital."
Mme V. a repris brusquement ses couleurs et elle lance avec véhémence :
"Docteur, c'est un assassin !"
Tout en décrochant le téléphone pour appeler l'ambulance, le docteur Goebler répond :
"Votre fils ne sera pas jugé, il n'était pas coupable au moment des faits."
Mme V. s'accroche à lui :
"Mais il y a la victime, cette jeune fille, ses parents..."
Le docteur la repousse sans ménagement :
"Je suis médecin, un point c'est tout. Votre fils est un malade et je dois le guérir."

Lundi 20 septembre 1993. A neuf heures du matin, entouré de deux confrères, le docteur Goebler, neurochirurgien, commence l'opération de Mathias V. L'examen complémentaire qui'l a pratiqué, à l'aide, cette fois d'un scanner véritable, lui a permis de localiser le lieu de l'intervention.
L'opération est extrêmement éprouvante pour le malade. Elle soit se faire sans anesthésie avec juste une insensibilisation locale sur la peau du crâne, le cerneau, lui, étant un organe insensible. Pais pour que l'opération réussisse, à aucun moment le malade ne doit s'endormir, il faut le faire parler en permanence. Un jeune interne, qui a étudié la philosophie, commence donc à parler avec Mathias, de Descartes, de Platon...
Et tandis qui'ls échangent tous les deux des raisonnements et des opinions, le docteur Goebler entreprend son intervention qui comporte une chance sur deux de réussite. Il découpe dans la boîte crânienne un trou large comme une pièce de cinq francs environ. Juste en dessous, il découvre un conglomérat sanguinolent de la grosseur d'une noix. C'est le résultat de la naissance difficile de Mathias, vingt et un ans plus tôt, et de l'application des forceps. C'est cette masse sanglante qui comprimait le cerveau du jeune homme et causait ses terribles désordres de comportement.
Le reste de l'opération est difficile, mais c'est une parfaite réussite. Au bout de trois heures, Mathias V. épuisé, regagne sa chambre d'hôpital. S'il n'y a pas de complication, il est sauvé...
Le docteur Goebler a informé la police le jour même. Il l'a mise au courant en même temps de l'identité de l'auteur des multiples agressions qui avaient eu lieu dans le quartier ouest de Francfort, et de son état, qui excluait formellement toute responsabilité de sa part.
Toutefois, il est resté muet sur l'assassinat de la jeune femme. Après tout il n'avait aucune preuve et les policiers étaient assez grands pour faire le rapprochement eux-mêmes...
C'est trois jours plus tard que Mathias V., qui avait parfaitement supporté l'opération, a vu arriver trois personnes dans sa chambre : sa mère, le médecin et un homme qu'il ne connaissait pas. C'est ce dernier qui a pris la parole :
"Monsieur V., je suis le lieutenant Gründ de la police de Francfort. Je viens vous annoncer que l'instruction est en cours au sujet des diverses infractions que vous avez commises. Mais rassurez-vous, le dossier médical que nous a fourni le docteur Goebler est suffisamment clair. Vous n'étiez pas responsable au moment des faits. Vous ne sera pas poursuivi."
Le malade a écouté le policier mais cette déclaration n'a pas l'air de l'apaiser, au contraire. Il se met à s'agiter.
"Lieutenant, il faut que je vous dise : le dimanche, le jour avant mon opération, il s'est passé quelque chose..."
Le lieutenant Grüne se rapproche de lui.
"Je sais. Il s'est passé quelque chose. Une jeune femme a été étranglée pendant la nuit de samedi à dimanche. Votre mère et le docteur ont sans doute pensé que c'était vous. Mais si c'est le cas il se sont trompés. Ce matin, l'assassin s'est constitué prisonnier. C'était le fiancé de la victime. Il a agi par jalousie. Elle voulait le quitter ; nous avons vérifié ses aveux. C'était bien lui."
Et le policier ajoute après un instant :
"Vous n'avez jamais tué personne, monsieur V."
Une grande détente apparaît brusquement sur le visage du jeune homme, mais tout de suite il reprend un air soucieux :
"Alors ces griffures que j'avais sur le visage et sur les mains, mes vêtements déchirés, c'était quoi ?"
C'est au tour du docteur Goebler de prendre la parole :
"Vous n'avez pas pris votre sédatif. La crise a dû arriver plus tôt que prévu. On peut supposer que, sachant que vous alliez être opéré, c'est-à-dire guéri, vous avez retourné votre besoin de destruction contre vous-même parce q'uil fallait qu'il s'exprime sans causer de catastrophe. C'est contre vous que vous vous êtes acharné ce soir-là et vous n'êtes sans doute pas sorti de chez vous... Bien sûr, ce n'est qu'une supposition, mais de toute manière, cela n'a aucune importance, car vous êtes guéri. Vous êtes parfaitement normal."
Et le docteur Goebler conclut :
""Vous pouvez continuer à étudier votre philosophie, Mathias. Vous réussirez. Maintenant, votre cerveau est à vous, rien qu'à vous."


FIN

C'est quoi cette mère, qui a les moyens financiers de faire soigner son fils, mais qui préfère le voir mort, afin de préserver la brillante carrière de son cher mari banquier ? Ca, c'est de l'amour............. marito-carriériste !...... Rolling Eyes
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Martine

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MessageSujet: Re: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyJeu 4 Oct - 6:19

Very Happy
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Jean2

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MessageSujet: Re: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyJeu 4 Oct - 15:55

Bien aimé celui-ci! 
Merci
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epistophélès

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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyJeu 4 Oct - 21:41

La passion des armes

Dans l'avion de Charleston, Caroline du Sud, à New York, un jeune homme de vingt ans regarde distraitement par le hublot. Il est seul et personne ne fait attention à lui. Il en a l'habitude ; c'est ainsi depuis qu'il est tout gosse. Ou plutôt cela n'a fait qu'empirer. Enfant, il était quelconque. Maintenant qu'il a grandi, sa disgrâce éclate au grand jour. Il est malingre, boutonneux, myope, avec d'énormes lunettes. Et puis, il y a dans toute sa personnalité quelque chose d'ingrat et de déplaisant qui met mal à l'aise.

Nous sommes le dimanche 17 novembre 1991 et Harry OT. rentre chez lui, à V., dans l'Etat du New Jersey, pour passer en famille la fête nationale américaine, le Thanksgiving Day.
C'est normal. Le Thanksgiving Day, qui a lieu traditionnellement le quatrième jeudi de novembre, est la fête familiale par excellence. Les Américains éparpillés dans tout le pays et même à l'étranger se retrouvent à cette occasion pour manger de la dinde et de la tarte au potiron... C'est ainsi qu'Harry va rejoindre son père Harry - dont il porte le prénom, selon une autre tradition américaine -, sa mère Mary et ses deux frères, Gerald et Bill. Mais il n'y a qu'à voir son visage fermé pour comprendre que cette perspective ne l'enchante nullement. Au contraire, elle s'apparente à un drame...
Tout au long de son enfance, puis de son adolescence, Harry OT. a été persuadé que le monde entier lui en voulait. Il en a résulté une timidité effrayante, en particulier avec les filles. Il n'y en a jamais eu aucune dans sa vie. Pour échapper à ses problèmes, il s'est mis à se droguer au lycée, ce qui n'était pas vraiment une particularité dans son établissement. On pouvait presque dire qu'il était dans la norme.
En fait, il n'y a qu'un domaine où il ait jamais brillé ; les armes à feu. Il en possède toute une panoplie et il passe son temps à s'entraîner au tir. Il n'est pas exagéré de dire qu'il est un tireur d'élite.
A l'âge de seize ans, pour compenser son aspect malingre, Harry a pris l'habitude de porter des treillis militaires. C'est cette manie, associée à sa passion pour les armes, qui fait croire à son père qui'l était attiré par la vie militaire. Quand Harry senior lui a dit qu'il devait devenir soldat, Harry junior n'a pas osé le contredire. Il aurait préféré être vétérinaire, car il aime les animaux bien plus encore que les armes. Mais il est parti pour cette école militaire de Charleston, dans le sud du pays...
Harry n'a jamais su dire non à son père. Il l'impressionne trop. Âgé à présent de quarante-quatre ans, Harry OT. senior est l'image même de la réussite. Il est parti de rien, comme simple représentant en machines à coudre, et il est à présent directeur dans une importante firme automobile. C'est un notable de leur petite ville, membre actif de plusieurs associations pieuses et charitables.
Le jeune Harry a sincèrement tout fait pour obéir à son père. Mais à l'école militaire de Charleston, ce fut tout de suite pire encore qu'au lycée. Avec sa gaucherie, sa timidité, il a vite été rejeté par ses camarades. La vie n'a pas tardé à ressembler pour lui à un enfer. Il a tenu un an et puis, hier, il a craqué. Il est allé trouver le commandant.
"Commandant, je ne rentrerai pas à l'école après le congé de Thanksgiving.
- Vous donnez votre démission ?
- Oui, commandant. Je viens d'apprendre que ma mère avait un cancer. Je dois rester auprès d'elle. Elle est condamnée."
Le commandant a accepté sa démission sans vérifier ses dires. Il se fiait à son "sens de l'honneur militaire"... Pourquoi, d'ailleurs, lui a-t-il fait ce mensonge ? Il lui suffisait de dire qu'il quittait l'école parce qu'il ne s'y plaisait pas ou qu'il ne se sentait pas à la hauteur. Il en avait le droit. Mais il était bien trop lâche pour avoir une telle franchise. Harry a toujours menti par lâcheté.
Pourtant, tout cela n'est rien. Maintenant, il va devoir annoncer la vérité à son père. Et il ne sait absolument pas comment faire... Harry OT. junior regarde désespérément par le hublot. Il aimerait que l'avion s'écrase. Cela vaudrait mieux pour tout le monde !

Mais l'avion Charleston-New York ne s'écrase pas et la famille est là pour l'attendre à l'aéroport J.F. Kennedy. Ce sont les embrassades habituelles. Sa mère lui dit combien elle est fière de le voir en uniforme. Son père ne lui fait pas de compliment, car un homme ne dit pas ces choses-là Rolling Eyes , mais il est visible qu'il pense la même chose.
Harry délaisse un instant ses parents pour aller embrasser ses frères, Gerald, quinze ans, et Bille, douze ans. Avec eux, il se détend un instant. Il est très lié avec ses frères, surtout Gerald. Ils ont une grande complicité face à la sévérité de leur père. Mais ils ont à peine le temps d'échanger un mot qu'Harry senior pose la question inévitable :
"Alors, comment ça va à l'école ?"
Harry junior sent la terre s'écrouler. Il bredouille :
"Je vous en parlerai à Thanksgiving.
- Quelle idée ! Pourquoi à Thanksgiving ? Pourquoi pas tout de suite ?
- Je vous expliquerai..."
M. OT. n'insiste pas. Peut-être pense-t-il que son fils a une bonne nouvelle à leur annoncer et qu'il préfère le faire au moment de la fête. Harry respire. Mais il sait bien que ce n'est qu'un répit...
Il rentre à la maison, dévoré d'angoisse. Il nettoie ses armes et va faire un tour en voiture dans les encirons, ce qui, d'habitude, le calme un peu, mais qui ,cette fois, reste totalement sans effet. Les jours passent... Il voudrait que la semaine qui le sépare de la fête dure une éternité ; mais le temps s'écoule, au contraire, à toute allure. Il songe à s'enfuir, mais il ne fait rien. Il a toujours été incapable de quelque décision que ce soit. D'ailleurs, à quoi cela servirait-il ? Il faudrait bien rentrer à un moment ou à un autre.
Le soir de Thanksgiving arrive effroyablement vite et, devant la tarte au potiron, son père pose l'épouvantable question :
"Alors, qu'est-ce qu'il se passe à ton école ?"
Il s'entend répondre :
"Rien.
- Comment cela, "rien" ?
- Rien de spécial. Tout va bien. Tout est normal, quoi...
- Mais alors, pourquoi as-tu attendu ce soir pour nous le dire ?
- Je ne sais pas."
Harry OT. senior insiste encore un peu et finit par changer de sujet...
Plusieurs jours passent. Enfin vient le samedi suivant. Harry est là, à errer, désemparé, dans le jardin, lorsqu'il entend la voix de sa mère.
"Harry, tu as préparé ta valise ?"
C'est vrai : il aurait dû faire sa valise. Normalement, il part demain matin. C'est le moment de parler. Avec sa mère, ce sera plus facile. Elle ira ensuite l'annoncer à son père... Mais Harry ne trouve pas les forces nécessaires. Il rentre dans la maison et va faire sa valise.
Cette fois, il sait qu'il n'a plus aucune issue. Car il ne peut pas changer d'avis et reprendre ses cours au collège militaire. Il a menti au directeur en inventant cette histoire de cancer. Il devrait affronter la colère et, de toute façon, il ne serait pas repris.
Sa valise faite, il roule en voiture. Il roule des heures, jusqu'à la nuit. Enfin, il se décide à retourner chez lui. Le moment terrifiant est arrivé.


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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyJeu 4 Oct - 23:17

A quatre heures du matin, un policier en patrouille dans sa voiture voit un jeune homme courir dans les rues de V. Il est dans un état d'agitation extrême :
"Vite ! Vite ! Venez chez moi ! Je viens de trouver mon père, ma mère et mon jeune frère morts. Mon autre frère a disparu."
Le policier le prend à son bord et fonce à l'adresse qu'il lui indique : un coquet pavillon du quartier résidentiel. Une fois arrivé, Harry OT. s'effondre dans le canapé du salon. Il dit dans un souffle :
"C'est là-haut..."
Au premier étage a eu lieu un carnage ! Dans la chambre des parents, Mary gît sur le lit, le crâne fracassé par une balle. Dans la chambre à côté, Harry senior repose sur un lit, une balle dans la tête lui aussi. Le jeune Bill gît dans le couloir, au milieu d'une mare de sang. Le policier se rue au rez-de-chaussée.
"Bon dieu, mais qu'est-ce qui s'est passé ici ?"
Harry OT. junior fume cigarette sur cigarette (il en fumera huit paquets pendant la journée).
"C'est Gérald... C'est mon frère..."
Il laisse le policier appeler ses collègues en renfort, puis il commence son récit :
"Je suis rentré à la maison hier soir. Il y avait des éclats de voix. Gerald et mon père se disputaient. Gerald se droguait et mon père venait de le découvrir. Il menaçait de le dénoncer à la police et Gerald menaçait de le tuer. Alors je suis parti. Je ne supportais pas cette tension. Et quand je suis rentré, voilà ce que j'ai découvert..."

Une heure plus tard, il y a des dizaines de policiers dans le pavillon. Harry a répété devant eux sa version des faits, qui est plausible et tout à fait prise au sérieux. Le signalement de Gerald est même diffusé un moment dans la région.
Seulement, les investigations continuent sur place et, au petit matin, la piste de Gerald OT. doit être abandonnée. Son corps est retrouvé dans une malle métallique au grenier. Il a été tué d'une balle dans la tête. Il est exclu qu'il soit l'auteur du carnage et qu'il se soit suicidé ensuite : le couvercle de la malle a été refermé et il n'y a aucune arme à proximité. On a même posé sur le corps des boîtes en carton contenant des guirlandes de Noël, pour le dissimuler puérilement.
Ce "on" n'est autre qu'Harry OT., bien sûr... Et celui-ci passe aussitôt aux aveux.
Quand il est rentré, tout le monde dormait. Il a pris un de ses revolvers et il est entré dans la chambre de ses parents. Il a arpenté la pièce, e sachant que faire, espérant peut-être qu'ils se réveilleraient et qu'il se verrait dans l'obligation de s'enfuir. Mais ils ont continué à dormir. Il a pointé l'arme vers la tête de son père et est resté ainsi, un quart d'heure entier, à le viser.
Finalement, il a hurlé : "Je ne peux pas y retourner !"
Et il a tiré. Son père a été tué sur le coup. Sa mère s'est réveillée en sursaut et il l'a abattue. Il est allé dans la chambre voisine, celle de son frère Gerald. Il était immobile et terrorisé. Il l'a abattu à son tour. Son plus jeune frère, Bill, est le seul qui ait tenté de réagir : il lui a sauté dessus. Mais Harry lui a tiré deux balles dans le visage, puis dans la poitrine. Malgré cela, Bill n'était pas mort et s'est mis à hurler. Il l'a alors achevé d'un terrible coup de crosse à la tête...
Harry OT. est, bien sûr arrêté, mais quelques jours plus tard, il modifie ses aveux devant le procureur du comté :
"Je n'ai pas tué ma famille... Enfin, pas toute ma famille...
- Que voulez-vous dire ?
- C'est Gerald qui a tué mes parents et Bill..."
Le jeune homme reprend alors sa première version, celle d'une altercation entre Gerald et son père, qui avait découvert qu'il se droguait. Lui-même s'est enfui. Quand il est rentré, il a découvert Gerald hébété dans le salon. Ce dernier lui a annoncé qu'il venait de tuer ses parents et son frère. Il est allé voir dans les chambres, a découvert les corps et, saisi de fureur, a abattu Gerald.
Mais cette version n'est pas retenue et Harry OT. junior est bel et bien inculpé des quatre meurtres.
A son procès, qui s'ouvre au mois de janvier 1993, la défense plaide la "folie générale". Les psychiatres qu'elle a cités présentent l'accusé comme "un psychotique halluciné, pris au piège de l'affection et vivant dans la peur." Il craignait par-dessus tout son père et il n'osait pas s'adresser à lui.
C'est cette thèse que repend son avocat, dans sa plaidoirie :
"C'était un malade qui avait besoin d'aide. Torturé à l'idée de regagner Charleston, il a fini par crier : "Je ne peux pas y retourner", avant de massacrer sa famille. S'il avait été sain d'esprit, il aurait dit à son père : "Je ne veux pas y retourner."
De son côté, l'accusation a engagé des psychiatres, dont les conclusions ont été diamétralement opposées, et le procureur prononce un réquisitoire implacable.
"Bien sûr que ce garçon est malade ! Il faut être malade pour faire ce qui'l a fait. Mais sur le plan pénal, il est responsable."
Et il insiste longuement sur la préméditation et sur ses manoeuvres pour charger son frère Gerald, qui montrent que son esprit fonctionne parfaitement et qu'il est même particulièrement machiavélique...
Ce son ses arguments que retiennent les jurés et, à l'issue des débats, Harry OT. junior est reconnu coupable des quatre meurtres. il est condamné à quatre fois la prison à perpétuité, peines qui, selon la formulation déroutante de la justice américaine, "doivent être purgées simultanément dans une prison d'Etat".

A sa demande, le lendemain du verdict, Harry a été conduit sur la tombe des siens au cimetière de la ville, par un froid glacial, en compagnie de l'aumônier. Il a beaucoup pleuré. Sa tante, qui avait tenu à être là, lui a dit, au nom du reste de sa famille :
"Nous te pardonnons et nous t'aimons..."
La presse du pays s'est faite largement l'écho de cette phrase généreuse, mais ne s'est pas posé la question de savoir si la cause première de ce drame n'était pas la possibilité qu'a tout un chacun, aux Etats-Unis, d'acheter des armes.
Cette tuerie aurait-elle eu lieu s'il n'y avait pas eu des revolvers qui traînaient partout dans la maison des OT. et si Harry n'avait pas été habitué dès son plus jeune âge à s'en servir ? il y a tout lieu de supposer que non. Harry OT. n'était pas un être foncièrement mauvais, une graine d'assassin, mais il s'est trouvé dans une situation de tension intolérable, dont il s'est sorti par le meurtre.

Il lest arrivé à beaucoup d'entre nous d'avoir des pulsions meurtrières. Qui sait vraiment ce qui se serait passé à ce moment-là, si nous avions eu, comme Harry OT. junior , tout un arsenal à portée de la main ?


FIN

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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyVen 5 Oct - 23:23

Le docteur Jekyll


Comme partout ailleurs dans le monde, on fête le réveillon du nouvel An 1993, dans cette boîte de nuit assez peu recommandable du port de Hambourg. La nuit est déjà bien avancée lorsqu'un homme seul s'une soixantaine d'années s'installe à une table et commande une bouteille de champagne. Il est en smoking. Aussitôt, une fille blonde vient s'asseoir à côté de lui. Elle est très jeune, aux alentours de dix-huit ans. Elle a des taches de rousseur sur les joues. Elle le regarde, un peu intimidée. Elle n'a visiblement pas l'habitude de voir ce genre de client. L'homme l'interroge :
"Comment t'appelles-tu ?
- Gretel et vous ?"
Pas de réponse.
"Alors comme ça, vous êtes seul le 31 décembre ?"
L'homme reste toujours muet. Il remplit sa coupe et se sert à son tour. Gretel insiste :
"Qu'est-ce que vous faites dans la vie ?"
Cette fois le client répond. Il dit un seul mot, avant de vider sa coupe d'un trait.
"Médecin..."
Et il se perd dans la contemplation du spectacle qui se donne sur scène, un strip-tease vulgaire qu'il regarde sans voir. Visiblement, il pense à quelque chose, il revit des souvenirs, douloureux sans doute.
Gretel se garde d'insister. Bien que nouvelle dans la profession, elle a déjà remarqué que les hommes, c'est tout l'un ou tout l'autre. Il y en a qui viennent pour s'épancher et ceux-là il n'est pas possible de les arrêter, et d'autres qui sont aussi bavards que des carpes. Elle respectera donc le silence de son docteur, car un client pareil cela se respecte !
La jeune Gretel ne se trompe pas : son voisin de table est bien en train de revivre ses souvenirs. Mais contrairement à ce qu'elle imagine, il ne s'agit pas d'un mari abandonné qui ne supporte pas de passer seul le réveillon. C'est beaucoup plus compliqué, beaucoup plus grave et, malheureusement pour elle, beaucoup plus dangereux.

Aussi loin qui'l s'en souvienne, Bruno L. a toujours donné satisfaction à ses parents. Il était sage, sérieux, appliqué à l'école.
Son père, un riche armateur de Hambourg, était l'une des personnalités de la ville. Il était certain que son fils aurait un brillant avenir. Il y avait juste une chose qui le chagrinait un peu, c'était le défaut dont était affligé Bruno. Il louchait, ou, plus précisément, il se mettait à loucher chaque fois qu'il était en proie à une émotion violente : la colère ou une envie très forte de quelque chose.
Mais monsieur L. père ne s'en inquiétait pas outre mesure. Cela lui passerait peut-être en grandissant et, de toute manière, ce n'était pas très grave...
Monsieur L. se trompait. Non seulement cette curieuse infirmité n'est pas passée, mais elle a occasionné à Bruno des souffrances effroyables et il n'est pas exagéré de dire qu'elle a déterminé toute sa vie.
C'est pour cette raison qu'en classe, il a été le souffre-douleur de ses camarades. Ils faisaient exprès de le mettre en colère pour le seul plaisir de le voir loucher. Le jeune Bruno s'est réfugié dans l'étude et a obtenu de brillants résultats, mais tout était déjà brisé. Il se sentait dans un monde hostile où il serait toujours persécuté.
Quand est arrivée l'adolescence, ce fut pire encore. Si une jeune fille lui plaisait, lui souriait ou lui parlait gentiment, il se mettait immédiatement à loucher. Alors, rouge de honte, il s'enfuyait sous un prétexte quelconque.
Là encore, l'étude a été son refuge. Il a fait sa médecine, il a passé brillamment son doctorat et il s'est installé dans un cabinet de Hambourg.
Pourtant son infirmité continuait de le persécuter. Le docteur L. n'a pas réussi comme ses origines sociales et sa compétence professionnelle auraient dû le lui permettre. Avec ses manières brusques, maladroites, et surtout, son étrange façon de loucher au moment où on s'y attendait le moins, il ne plaisait pas à la clientèle et, même, il lui faisait peur...
Hilda Anderson est venue par hasard à son cabinet. Elle accompagnait son mari, un homme beaucoup plus âgé qu'elle, qui se plaignait de tremblements des mains. Dès qu'il l'a vue entrer, Bruno s'est mis à admirer cette jolie blonde d'une trentaine d'années. Elle était tout à fait son genre. Elle avait l'ai réservé, sérieux... Aussitôt, il s'est mis à loucher. Hilda a eu la gentillesse de ne marquer aucun mouvement de surprise.
Après avoir examiné le mari,  il s'est enhardi à dire à la jeune femme, en louchant de nouveau :
"Il me semble que vous devez avoir des problèmes de tension. Vous devriez revenir me voir."
Hilda Anderson est venue la semaine suivante. Entre eux, une liaison s'est installée rapidement. Pour Bruno L. c'était presque un miracle. Il avait une femme à lui, dont il était amoureux et qui l'aimait ! Enfin, presque à lui, puisqu'il restait le mari...
Mais dans son esprit aigri par ses années de jeunesse, un projet s'était déjà formé. Il lui fallait tout et tout de suite. Après avoir pendant quelque temps préparé le terrain, il a déclaré un jour à Hilda :
"Tu sais que je pourrais nous débarrasser de ton mari ? Je m'y connais comme personne en poisons."
Hilda n'a pas dit non. Elle a résisté un peu pour la forme et elle a accepté.
La semaine suivant, elle a donné à son mari une pilule de strychnine à la place de son médicament habituel. Elle a appelé aussitôt Bruno qui, en tant que médecin de famille, a signé le certificat de décès : le crime parfait !
Le crime parfait à un détail près : Hilda elle-même. Elle n'a pas eu les nerfs assez solides ou s'est laissé gagner par le remords. Elle a tout raconté, sous le sceau du secret, à sa meilleure amie, qui s'est empressée d'aller rapporter la confidence à la police.

JE REVIENS  Exclamation  Ho, et pis arrêtez de râler  Exclamation .....
 
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptySam 6 Oct - 0:08

Ca va Question J'ai pas été trop longue Question Gnégnégné. ........ geek


Le couple a été arrêté. Bruno a tout nié en bloc. Mais Hilda, bien au contraire, a continué à avouer. Et au procès, elle a chargé tant qu'elle a pu son amant. C'était lui qui l'avait forcée à tuer. Elle lui avait obéi parce qu'il la terrorisait. Cela lui a valu une condamnation légère, tandis que lui-même s'est vu infliger la réclusion à perpétuité.
Dans sa prison, Bruno L. a eu le temps de méditer. Et ses pensées ont eu un thème unique : les femmes. Avant, elles lui faisaient peur, depuis la trahison de Hilda il les haïssait toutes, sans exception. Si un jour il sortait de prison, il consacrait le reste de sa vie à cette vengeance impitoyable, totale...
Ce jour est arrivé plus tôt que prévu. Bruno L., prisonnier modèle, consacrant tout son temps à la lecture et à l'étude, donnait toutes les apparences du repentir. Aussi, au bout de dix ans de détention, il a été libéré pour bonne conduite.
Une nouvelle vie s'ouvrait devant lui. Car non seulement il était libre, mais riche, très riche. Son père était mort pendant qu'il était en prison et, comme il était fils unique, il héritait de toute sa fortune.
Il a vendu rapidement l'entreprise familiale. Il a quitté Hambourg où trop de gens le connaissaient et s'est installé à l'autre bout de l'Allemagne, dans une petite ville de Bavière où il a ouvert un cabinet. En fait, il n'avait pas besoin de travailler. La fortune de son père lui permettait de rester oisif le restant de ses jours.
Ce n'était pas par amour de la médecine ni même pour avoir une occupation que Bruno L. avait décidé de continuer à exercer. C'était pour deux raisons. D'abord parce que cette profession lui était indispensable pour avoir accès aux poisons et ensuite parce que en prison il avait découvert un grand classique : Docteur Jekyll et Mister Hyde.

L'histoire de cet honorable médecin londonien qui se métamorphose la nuit en brute meurtrière l'avait bouleversé. Oui, ce serait ainsi qu'il exécuterait sa vengeance. Il deviendrait un praticien honorable estimé de tous et un jour il retournerait à Hambourg, la ville d'Hilda et de sa jeunesse, et il se transformerait en Mr. Hyde, l'assassin.
L'ordre allemand des médecins d'étant montré compréhensif, Bruno L. a retrouvé l'autorisation de pratiquer, qui lui avait été retirée avec sa condamnation,et, à partir de là, tout est allé au mieux pour lui. Dans sa petite ville de Bavière, il s'est vite fait une clientèle nombreuse et fidèle. Il avait perdu ses manières brusques, empruntées. Même son strabisme n'avait pas l'air de trop inquiéter les gens.
Sa fortune y était pour beaucoup. Sa manière de s'habiller, ses voitures, sa luxueuse villa, ses fréquentations avec la meilleure société bavaroise lui donnaient l'assurance et la confiance en lui qu'il n'avait jamais eues.
Mais la transformation de Bruno L. avait une autre cause, plus profonde. Il ne craignait plus les gens parce qui'l était désormais absorbé par son grand projet. Il le savourait, s'en délectait par avance. Il riait intérieurement de tous ces mondains qui se pressaient dans son cabinet sans savoir qu'ils avaient affaire non au docteur L., mais au docteur Jekyll, au terrible docteur Jekyll !
Le 31 décembre 1992, au matin, l'honorable docteur L. est allé dans la pharmacie près de chez lui et il a acheté cinquante comprimés de strychnine. Il a signé le registre des poisons. Toute la journée, il a donné ses consultations, puis, le soir, il a mis son smoking et il est parti dans sa voiture pour Hambourg où il est arrivé en pleine nuit. Il s'est égaré au hasard sur le port. Il est entré dans la première boîte à matelots venue, parfaitement froid et déterminé, un peu curieux, malgré tout, de savoir comment s'appellerait la première de celles qui allaient payer...
Elle s'appelait Gretel.


Là, gros suspens.................. passsssssske vais faire une pause......... héhéhéhé.....
geek
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptySam 6 Oct - 1:07

Dans la boîte de nuit minable de Hambourg, la soirée avance et le client de Gretel n'a toujours pas prononcé qu'un mot : le nom de sa profession. La jeune fille se décide quand même à parler :
"On va chez moi ?"

Cette fois, il y a une réponse. L'homme met la main à sa poche et en sort deux comprimés.
"Oui, mais avant, on va prendre ça. "Ecstasy", cela te dit quelque chose ?"

Bien sûr, Gretel a entendu parler de cette drogue qui permet, paraît-il, des promesses amoureuses. Elle a entendu dire aussi que c'était un peu dangereux, mais un client pareil mérite bien quelques risques. Bruno L. introduit le comprimé dans sa bouche, le bloque derrière ses dents et avale une gorgée de champagne.
"A toi maintenant !"
Gretel se prépare à faire de même et soudain elle voit quelque chose d'extraordinaire : son client s'est mis à loucher. Mais pas à loucher normalement, si l'on peut dire. Ses deux pupilles viennent de se rapprocher d'un seul coup, comme actionnées par un ressort, et il continue à la fixer ainsi.
"Qu'est-ce qui vous arrive ?
- T'occupe ! Avale !"
Il n'y a pas à discuter : Gretel s'exécute. Le médecin se lève aussitôt.
"Je reviens."
Elle le voit se diriger vers le bar... Après avoir recraché son comprimé de strychnine, Bruno L. met la main à son portefeuille et tend une liasse au patron. Celui-ci a un air désolé.
"Elle ne vous plaisait pas, la fille ?
- Non.
- Attendez ! Ne partez pas. J'en ai d'autres."
Mais l'homme a déjà disparu... C'est alors que retentit un grand cri dans la boîte de nuit. Gretel est en train de se tordre de douleur par terre. On va lui porter secours. Elle parvient à articuler :
"C'est un médecin... Il louchait..."
Pendant ce temps, Bruno L. est déjà loin. Il a sauté dans sa luxueuse Mercedes et démarré en trombe. Il ne quitte pas Hambourg, cependant. Il se rend dans un autre quartier chaud de la ville. Là, il se met à rouler au pas. Deux silhouettes féminines ne tardent pas à apparaître dans ses phares. Il s'arrête.
"Montez !"
Les deux filles constatent une chose incroyable : l'homme louche violemment. Comment peut-il faire pour conduire en louchant ainsi ? Sans doute sont-elles un peu mal à l'aise, mais elles montent quand même.

Quelques heures plus tard, la police du quartier du port de Hambourg a une affaire criminelle peu banale en guise de cadeau de nouvel An : trois prostituées ont été tuées par un inconnu, une dans un bar, deux sur un quai désert, vraisemblablement amenées là après avoir été ramassées en voiture dans la rue.
Des meurtres de prostituées, c'est une chose courante. Ce qui ne l'est pas, c'est la manière. Elles n'ont été ni étranglées ni tuées à coups de couteau ou de revolver, elles ont été empoisonnées. D'après les premiers témoignages, leur meurtrier semblerait un homme d'un certain âge appartenant au meilleur monde (hahaha Rolling Eyes ). Cela non plus, ce n'est pas courant.
Dans leur enquête, les policiers disposent pourtant d'un élément de taille. Si les deux filles prises en voiture étaient mortes quand on les a découvertes, la malheureuse Gretel a désigné son meurtrier comme un médecin qui louchait, ce qui, par rapport à l'ensemble de l'humanité, réduit tout de même le champ des investigations.
Cela dit, il reste à trouver un médecin qui louche à Hambourg, voire en Allemagne, voire à l'étranger... Mais la police allemande est parfaitement organisée et ses ordinateurs ne tardent pas à ressortir une affaire vieille d'une vingtaine d'années, dans laquelle un médecin avait été condamné pour meurtre par empoisonnement. A son procès, il avait beaucoup été question d'une infirmité qui avait, paraît-il joué un rôle décisif sans sa vie : il louchait... La suite n'est plus qu'une formalité.
Bruno L. a été arrêté le 11 janvier 1993 dans sa luxueuse villa bavaroise. Quand les policiers lui ont passé les menottes, il s'est laissé faire sans résister ni chercher à nier. D'ailleurs, cela n'aurait servie à rien : ses yeux avaient avoué à sa place. Ils venaient de se rapprocher violemment, comme mus par un ressort. Depuis son enfance, Bruno L. n'a jamais pu s'empêcher de loucher sous le coup d'une émotion.


FIN


Ce médecin était stupide ! Il aurait été plus logique qu'il s'en prenne à des femmes de son milieu. Se venger de prostituées ! Pauvre type !
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Berengere

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MessageSujet: Re: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptySam 6 Oct - 16:29

Merci !
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptySam 6 Oct - 21:01

Tu ne boiras point

Cent quarante kilos, pour un mètre quatre-vingt-cinq, la quarantaine bouffie, l'homme attend dans le cabinet d'un médecin. Si l'on ne doit pas juger sur l'apparence, un médecin, lui, peut se le permettre. Un visage peut lui révéler beaucoup de choses. La couleur de la peau, les petits vaisseaux sanguins rouge sombre qui habillent les ailes du nez et le haut des pommettes, qui strient le blanc de l'oeil devenu jaune... Et un médecin de campagne connaît encore mieux ses patients qu'un médecin de ville. A la campagne, on va toujours voir le même ; en ville, les hypocondriaques se dispersent d'un cabinet à un autre - maladie de civilisation, dit-on.
Jules ne fréquente pas le "toubib" depuis longtemps. Mais le médecin connaît bien Jules, qui se croyait une force de la nature. Patron de bistrot, grand buveur et grand chasseur, grande gueule aussi, il étalait sa force en faisant le bravache avec un fusil. Il n'a pas fait de bien longues études, Jules, il s'imaginait avec naïveté que cette stature imposante lui avait été offerte comme un don du Ciel, qui'l n'était que muscles et puissance. Il n'a pas vu la graisse envahir ce grand corps, le ramollir, le gonfler comme un Bibendum. Et s'il lui arrivait d'être essoufflé à la chasse, un coup de rouge était censé arranger ça.
"Vous avez fait une attaque cardiaque sérieuse. Il faut être raisonnable. Combien buvez-vous, Jules ?
- Ben, comme tout le monde..."
Certes pas. Tout le monde ne boit pas heureusement ce que Jules avale.
"... Quand on est patron de bistrot, vous savez..."
C'est vrai qui'l est difficile de refuser à un client, difficile de s'arrêter au "petit dernier" pour la route. Mais Jules ne conçoit pas la modération. Jules est un pléthorique. Quand il mange, il mange : quand il boit, il boit : quand il gueule, on l'entend à des kilomètres. Et quand il chasse, il tue.
"On ne peut pas faire les choses à moitié, hein, toubib ?
- Mais on peut mourir à moitié. C'est ce qui vous est arrivé. La prochaine fois, ce sera pour de bon."
Jules est puni. Les toubibs sont tous les mêmes. On ne pourrait pas lui donner une pilule ? Quelque chose qui soigne ?
"Plus d'alcool.
- Et le vin ? C'est pas de l'alcool ! En mangeant ?"
Encore une idée reçue.
"Pas de vin en mangeant.
- Ben de la bière... tout de même , quand on a soif..."
Difficile de faire admettre à Jules qui'l doit se contenter impérativement d'eau. Car Jules est un alcoolique, qui ne sait pas qui'l l'est.
Et pourtant... Après son travail de bistrotier où il a déjà engrangé pas mal d'alcool, il y a les soirées avec les copains, de bistrot en bistrot. Les grandes discussions stupides : "Je te parie que je me fais un merle dans la nuit à deux cents mètres !"
Jules est un excellent chasseur. Un excellent tireur. Un mauvais buveur. Jules a des relations avec des gens qui lui ressemblent : hâbleurs, casseurs, tireurs, chasseurs ; et Jules est un peu surveillé par les gendarmes aussi; son bistrot, qui d'ailleurs ne fait d'affaires puisqu'il boit passablement le fonds, sert probablement de lieu de rendez-vous aux casseurs du coin. Les maisons des vacanciers, pillées en hiver... Pas de preuves, mais la gendarmerie surveille. Et si la gendarmerie avait pris Jules en flagrant délit de soûlerie au volant de sa voiture, si on lui avait retiré son permis...
Hélas ! ce n'est pas si facile. Les virées nocturnes de la bande à Jules évitent soigneusement le gendarme.
Le médecin, lui, peut essayer de lui faire comprendre. En lui faisant peur comme à un gosse. Car Jules, comme beaucoup de grandes gueules, est un petit garçon effrayé. La mort, la sienne, ça lui fait vraiment peur. Pas celle des autres, mais la sienne...
Aussi obéit-il au toubib. Jules ne boit plus. "Alors Jules, t'es toujours à la flotte ?" "C'est le régime sec, Jules ?" "Un p'tit verre..., ça va pas te faire mourir, tout de même !" "C'est le comble pour un patron de bistrot !" Les copains de beuveries ont la plaisanterie lourde.
A la maison, c'est plutôt le calme après la tempête. Toutes proportions gardées, car le manque d'alcool ne rend pas Jules forcément plus aimable. Sa femme se tait le plus souvent possible. Elle travaille, elle est fonctionnaire, sa paie permet de boucler les fins de mois difficiles et de combler le déficit du bistrot. Et puis, lorsqu'on s'est entendu dire une fois : "Si tu me quittes, je te flingue !", on rase les murs. Surtout à cause de l'enfant.


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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyDim 7 Oct - 1:23

Coucou, me revoilou Exclamation J'étais assoupie. ....... Laughing ...... tongue

Si l'on demandait à Colette pourquoi elle ne divorce pas de cet homme-là, les réponses seraient multiple. Elle a cru l'aimer avant, elle lui a donné une fille qui n'est pas encore élevée complètement, et puis, et puis... Jules n'est pas si mauvais bougre... et chacun porte sa croix. Et la collection de fusil de chasse est probablement dissuasive. Il est vrai que Jules ne raterait pas une mouche dans un couloir. Même au ball-trap il est le meilleur.
D'ailleurs il est relativement discret, Jules, sur sa vie de famille. Discret aussi sur ses activités extérieures au bistrot. Débrouillard, comme on dit.
Sevré, Jules. C'est dur. Les soirées ne sont plus ce qu'elles étaient. Les bières des copains lui passent sous le nez. Le jus d'orange en boîte, c'est pas fait pour les hommes.
Jules est-il un homme ? Un homme a-t-il forcément besoin de boire et de tirer au fusil pour être un homme ? Le cerveau de Jules ne comprendrait pas ces questions-là. Elles sont évidentes, les réponses, installées dans sa tête depuis toujours. Et les pulsions primaires, chez lui, ne souffrent pas d'obstacles. Trois mois de régime sec n'ont pas réussi à les éteindre.
Un beau matin, il craque. Deux copains sont venus d'un autre village, la virée commence. Une bonne virée comme dans le temps.
Un premier verre, ça détend... Quel bonheur de sentir le pastis descendre dans la gorge, réchauffer ce coeur qui n'en a pourtant pas besoin ! Le deuxième, ça rend bavard. Jules se retrouve, se reconnaît, jovial, rigolard, serrant des mains à la ronde. Les copains l'entraînent du café Machin au bar Chose.
Et de jovial, Jules redevient stupide. Les poches bourrées de cartouches, il fait le paon devant les consommateurs ébahis. La virée qui a commencé à cinq heures du soir au pastis se prolonge à la bière. Pour la soif. Cinq, dix, quinze, peut-être une vingtaine de bard voient défiler les trois ivrognes. Ils font le tour du département dans la voiture du copain. Et dans le coffre de la voiture, il y a le fusil de Jules. Pourquoi un fusil pour une virée ? Mystère, on ne sait jamais - au cas où. Et ce serait quoi, le cas où ? Un gibier égaré sur la route... ou un "emmerdeur" dans un bar. Bref, ça rassure.
Le dernier bar refuse de servir les trois ivrognes. Jules cherche des noises à un Gitan. Un casseur de voitures, peut-être, avec qui il a eu des problèmes de "commerce". A ce stade de l'enivrement de Jules, il est difficile pour la patronne du bar de démêler le fond de l'escarmouche. Elle voudrait bien qu'ils s'en aillent, elle a même envie d'appeler les gendarmes, mais on connaît Jules - difficiles, quand on connaît quelqu'un, de lui mettre la maréchaussée aux trousses.
Jules sort du bar, titube jusqu'à la voiture du copain, ouvre le coffre, prend son fusil et revient, menaçant. L'arme est chargée - avec Jules elle est toujours chargée. Le canon vise le Gitan, la patronne détourne le coup de feu par miracle et la balle va exploser dans le plafond. Exploser var Jules se sert de balles explosives - des balles de guerre, comme à la guerre.
Personne n'est touché et le trio des trois soûlards file en vitesse. Parce que patronne ne va pas se laisser faire plus longtemps cette fois ; s'ils insistent, c'est les gendarmes.
Louis s'effondre soûl comme un porc à l'arrière de la voiture. Lulu s'accroche au volant de sa Peugeot et Jules au siège passager. Ils cherchent encore un bar.
L'alcool est révélateur de la personnalité profonde d'un individu. Il y a ceux qui rient, ceux qui s'écroulent, ceux qui pleurent en racontant leur vie. Mais au-delà d'un certain degré d'imprégnation, et sur des sujets habitués, ceux qui prétendent qu'ils ne sont jamais soûls, qui "tiennent" l'alcool, comme ils disent, chez ceux-là... c'est pire.
Ce que va révéler l'alcool chez Jules, c'est qu'il est un tueur, au fond. Un vrai. Pa seulement un chasseur, ou un lauréat de concours de tirs. Un vrai tueur. Avec la vraie pulsion de tuer.
Le hasard s'en mêle. Il est aux environs de vingt et une heures trente, la route de campagne est sombre, il pleut comme en automne, et le goudron brille dans les phares. La Peugeot de Lulu transportant Louis Jules et son fusil, fonce sur une départementale et, devant eux soudain, une autre voiture. Elle roule plus lentement, cette voiture, car elle est familiale. Le père au volant, maman à côté, le petit garçon derrière papa, et derrière maman la petite fille. Ils vont voir un ami à la campagne. Ils sont passés devant les cafés de plusieurs villages. Ils ont bien vu que, devant l 'un d'eux, il y avait beaucoup de voitures et de la lumière - ils ont pensé à un rassemblement de jeunes, une fête quelconque.
C'était le dernier bistrot visité par Jules et ses copains, avec leur marque au plafond, la balle explosive. Et la famille ne sait pas que la voiture qui les suit, cette Peugeot qui tangue un peu sur la route, c'est celle de Lulu et de Jules, avec leur copain ivre mort qui cuve à l'arrière et le fusil dans le coffre. Ils vont "s'amuser", les deux rescapés de beuverie. Si Louis ne tient pas le coup, eux oui.
Lulu colle au train de la tortue qu'il a devant lui. Il n'avance pas, ce type... on va le faire bouger.
Jean a trente-huit ans, il est fonctionnaire aux télécommunications. Sa femme Francine et leurs deux enfants, Benoît et Sophie, ont peur. "J'espère qu'il va nous doubler."
Jean se serre au maximum sur le bas-côté de la route glissante, s'arrête presque pour laisser passer la voiture agressive.
Elle les double effectivement et il pousse un soupir de soulagement. Il a fait ce qu'il fallait faire. On ne se bat pas avec des fous, on ne fait pas la course, on n'arrête pas le moteur pour descendre en roulant des mécaniques et leur cogner dessus. Rouler sur une départementale française, ce n'est tout de même pas la guerre.
Si. C'est la guerre. Un peu plus loin, la voiture est à nouveau devant eux, elle dérape et se met en travers pour bloquer le passage.
Jean ralentit et s'arrête à un cinquantaine de mètres pour observer. Que leur veut cette voiture ? Que leur veut cet énorme type blond, qui descend de la voiture et tourne autour, les bras ballants ?
Il faudrait faire demi-tour, mais il a plu, il y a de la boue de chaque côté de la route étroite, la voiture de Jean risque de s'embourber.
Francine a peur : "Recule, pars en marche arrière..."
Jean réfléchit, l'espace de quinze ou vingt secondes peut-être, essayant de savoir s'il peut forcer le passage, aller droit devant ou reculer à toute vitesse, mais dans la nuit...
Tout va très vite maintenant. Jean voit un autre homme sortir de la voiture, rejoindre l'autre à l'arrière, il les voit ouvrir le coffre et en sortir quelque chose qu'il prend pour une barre de fer. Ces deux types cherchent la bagarre.
A ce moment précis, Sophie et sa mère, presque dans un même cri, hurlent : "Fusil !" Jean s'affole, fait un demi-tour laborieux, pour ne pas engager la voiture dans la boue. Il y est presque arrivé. Il braque une dernière fois pour remettre la voiture en ligne droite - il va pouvoir foncer devant lui, échapper aux agresseurs. Il accélère, crie avec sa femme aux deux enfants de s'aplatir à l'arrière. "Cachez-vous ! Cachez-vous !"
Sophie se recroqueville sur le siège arrière roulée en boule, Benoît glisse entre les deux sièges avant, la tête contre sa mère, et de coup de feu tonne à ce même moment. Un bruit terrible résonne dans la voiture, la vitre arrière explose et Francine ressent comme une brûlure dans tout le corps.
Jean fonce désespérément, la voiture s'éloigne des tueurs. Il crie : "Ca vas, les enfants ," Une petite voix répond : "Ca va..."
Francine, elle, vient de comprendre ce qui lui a donné cette sensation de brûlure, elle est blessée à la main, cette main qu'elle avait instinctivement appuyée sur la tête de Benoît pour qu'il se cache plus vite. Elle n'ose plus bouger cette main et caresse de l'autre la tête de Benoît, qu'elle a protégé.
"N'ai pas peur, Benoît, maman est blessée, mais ce n'est pas grave, n'aie pas peur. Ca va, Benoît ? Ca va, mon bébé ?"
La voiture fille si vite dans la nuit, ils n'osent pas allumer le plafonnier, ils ne savent pas où sont les autres. Ont-ils démarré derrière eux, vont-ils les poursuivre ? Tout paraît si long, en fait ils arrivent devant le café éclairé du premier village en trois minutes;
Jean s'arrête, épuisé, tremblant. L'arrière de son siège est criblé d'éclats, il a senti la secousse mais il n'a rien. Francine se retourne vers son fils, ôte sa main ensanglantée et, à la lumière diffuse de l'enseigne du bistrot, elle voit le trou. Dans la tempe de Benoît. Elle voit du sang partout sur sa poitrine ; l'enfant lui aussi est criblé d'éclats, il a les yeux ouverts, exorbités d terreur, mais il ne bouge pas. Paralysé ? Mort ?
Alors elle sort en courant et se met à hurler devant le café : "On a tué mon fils ! On a tué mon fils !" Puis, se rendant compte qu'elle a laissé Benoît dans la voiture, elle y retourne en courant. Jean prend l'enfant dans ses bras ; ils courent jusqu'au café, c'est la panique.
Sophie n'a rien, c'est elle qui a répondu : "Ca va."
Le patron du café appelle la gendarmerie, sa femme court chercher des serviettes, on dépose benoît sur une table, il ne bouge toujours pas, avec ce regard immense de terreur, mais il respire, faiblement.
C'est long, si long avant d'entendre la sirène, avant que les pompiers surgissent, appellent un Samu, puis un autre, avant que l'ambulance arrive enfin et emmène le petit garçon à l'hôpital de la ville.
Là, aux urgences, le médecin dit rapidement : "S'il a pris des plombs de chasse, on va le sauver."
Francine et Jean se raccrochent à cette phrase. On va le sauver, il respire, il est vivant : des plombs de chasse, ce n'est pas mortel...
Puis le médecin revient avec une autre phrase terrible. "Les pompiers ont retrouvé trois douilles, ce sont des balles explosives. Des balles de guerre."
Benoît est dans le coma, mais son regard s'est calmé, il respire toujours, il faut attendre.
Jean a échappé de peu à la mort. Dans le repose-tête de son siège, les gendarmes découvrent un morceau de balle explosive qui s'est encastré dans la plaque de métal. Sans cela, il l'aurait pris dans la nuque. C'est une balle à fragmentation, chaque morceau est comme une grenade.
On transfère Benoît à Paris, pour un scanner. Les médecins sont partagés. L'un dit : "C'est fichu, il faut considérer qu'il est mort." Et l'autre est plus optimiste : "La chirurgie fait des miracles..."
Mais le petit Benoît a pris une balle explosive dans la tête. Comme à Sarajevo, comme en Somalie, comme dans un safari au Kenya... Un chasseur fou a tiré dans le noir, il a visé ce qu'il pouvait viser, la vitre arrière. Il a tiré sur un ennemi ? Sur un gibier ?
Pendant que ses parents et sa soeur foncent à Paris, pendant que Benoît n'est plus qu'un petit souffle sous le respirateur, que son coeur fait un petit bip-bip sur l'écran de contrôle, comme une mince étoile fragile qui ferait de tout petits bonds dans l'espace... pendant ce temps, les gendarmes ont arrêté les tueurs.
Ca n'a guère pris de temps. Une heure après le drame, les trois ivrognes se font prendre dans un autre bar, en train de jouer au baby-foot.
Deux grammes quarante d'alcool dans le sang de Jules. Un peu moins dans celui de Lulu. L'autre ronflait à l'arrière, il ne s'est réveillé qu'en entendant ses copains tirer comme à la foire.
Et ils continuaient leur virée, sans soucis et sans remords. Jules n'était plus au régime sec : ça se fête, un événement pareil.
Jules est inculpé d'homicide volontaire. Comme son copain Lulu, Jules a tiré. Pourquoi ?
Au bout d'une heure d'interrogatoire, devant le chef de la gendarmerie, Jules, qui n'a encore rien trouvé à répondre, finit par marmonner : "Ben, c'était pour leur faire peur."
Alors pourquoi ne pas tirer en l'air ? Hein, Jules ? Parce qu'il est stupide, Jules ? Parce qu'il est fou ? Parce qu'il est alcoolique ? Parce qu'il est chasseur, tireur de cible, et qu'un homme, un vrai, ne tire pas en l'air pour faire peur ? C'est ça, Jules ?
Parce que deux grammes quarante d'alcool, brutalement déversés dans le sang d'un alcoolique en manque depuis trois mois, révèlent enfin la vérité : qu'on est mû par une pulsion meurtrière, qu'on est un tueur ?
Tirer dans la vitre arrière d'une voiture où se trouvent un couple et deux enfants, c'est juste tirer pour faire peur, vraiment ? On ne pense pas une seconde que la balle de guerre va tuer n'importe qui en explosant ? On ne pense plus, Jules ? A-t-on jamais pensé, d'ailleurs ?
A Paris, le petit corps de Benoît est passé dans la grande machine du scanner, les chirurgiens ont compris. Ils ne pouvaient rien faire. La petite étoile du coeur de Benoît allait s'arrêter, ce n'était plus qu'une question d'heures, ou de minutes.
Et la petite étoile s'est arrêtée. Elle a disparu de l'écran, le dernier petit bond s'est achevé en ligne plate.
Benoît avait six ans, Jules. C'est ça une cible ?


FIN
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MessageSujet: Re: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyDim 7 Oct - 7:32

Je lis ca en rentrant ! Merci  Smile
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyDim 7 Oct - 22:55

Maman, tu exagères !


Richard B. taille ses arbustes. Il fait très beau, ce 24 septembre 1992, un bel après-midi d'automne : il doit en profiter.
A grands coups de serpe vigoureux et précis, il coupe ses troènes et ses fusains. Bientôt son petit jardin sera coquet comme tout... Evidemment, ce n'est pas vraiment son jardin. C'est celui de sa mère, puisque avec Maria, sa femme, et leurs trois enfants isl habitent chez elle depuis près de quinze ans.
Dans le jardin, Richard B. entend au loin des sons qui li parviennent : c'est la voix de sa mère, aiguë, criarde, comme à l'ordinaire :
"C'est insupportable, c'est odieux ! J'en ai assez de vous tous !"
Richard B. pousse un gros soupir... Il va encore devoir arranger les choses, recoller les morceaux. Cela fait des années qui'l s'interpose entre sa mère et sa femme, qui'l déploie des trésors de diplomatie. Mais maintenant, il n'en peut plus. Il sent qu'il va craquer.
D'un geste rageur, il abat sa longue serpe sur une branche de troène, une branche saine qui poussait dans la bonne direction... Richard B. contemple l'arbuste qu'il vient de mutiler. Lui si calme, si maître de lui : c'est la première fois !
A travers la porte de la cuisine, qui donne sur le jardin, la voix de sa mère enfle encore :
"Je suis chez moi, ici, vous m'entendez, chez moi !"
Il n'y a pas à dire, il y a des jours qui sentent le drame...
Tout en continuant à tailler ses fusains, Richard B. rumine ses souvenirs.
Quand il a épousé Maria, en 1978, ils ont choisi de vivre chez ses parents à lui, qui habitaient cette jolie maison dans la banlieue de Dortmund. Lui, Richard, bien sûr, c'était ce qu'il souhaitait. C'est la maison où il est né, sa maison, et elle était assez grande pour les loger tous. Quant à Maria, elle n'a pas dit non.
Son père, lui aussi, était ravi de cette cohabitation. Mais c'est de sa mère que sont venues les difficultés. D'abord, elle n'a jamais pu accepter sa belle-fille. Richard lui a demandé mille fois ce qu'elle avait à lui reprocher. Elle n'a jamais pu lui donner une réponse cohérente. En fait, elle lui reprochait sans doute d'être sa belle-fille, tout simplement.
L'atmosphère à la maison n'a jamais été bonne. Mais elle a été supportable six ans, jusqu'à la mort de son père. C'est à ce moment-là que tout a changé.
Comme Maria ne travaillait pas, les deux femmes se sont trouvées ensemble toute la journée, et chaque soir, quand il rentrait, Richard trouvait une ambiance électrique, empoisonnée. Sa mère se précipitait vers lui :
"Tu ne sais pas ce qu'elle m'a encore dit ? Tu ne sais pas ce qu'elle m'a encore fait ?"
Et c'était, pendant des soirées entières, d'interminables discussions où il essayait, avec toute la diplomatie, tout le bon sens dont il était capable, d'arranger les choses.
Mais les choses ne faisaient qu'empirer... Maria et lui ont eu deux garçons et une fille. A leur naissance, leur grand-mère ne leur a accordé aucune attention. C'était l'indifférence totale. Elle a laissé sa belle-fille les élever seule. Richard a été un peu déçu des réactions de sa mère, mais il était loin de se douter que la situation n'irait qu'en s'aggravant.
A mesure que les enfants ont grandi, sa mère les a pris en grippe, pour ne pas dire en haine. Elle détestait leurs jouets.
Quand elle en voyait un qui traînait dans le salon ou dans la salle à manger, elle l'emportait sans dire un mot et allait le mettre à la poubelle.
Quand, plus tard, ils ont invité des camarades pour jouer avec eux dans le jardin, elle avait de véritables crises de nerfs :
"Allez dehors ! Tous dehors, je ne veux plus vous voir..."
Les enfants ont pris l'habitude de jouer dans la rue. Mais chaque fois c'était, entre la mère et la belle-fille, des altercations à n'en plus finir. Et Richard, en rentrant, devait, comme d'habitude, arranger tout cela.

Richard B; a maintenant presque terminé son travail de jardinage. Dans la cuisine, la discussion se poursuit. Sa mère crie si fort qu'il entent tout :
"Et cette machine à laver ? Quel gaspillage d'électricité ! C'est mon courant, mon courant à moi qu'elle utilise. Vous êtes chez moi, ici. Alors, à partir de demain, vous irez faire laver votre linge chez le blanchisseur."
Richard B. entend sa femme répliquer à la belle-mère qu'elle exagère. Cette machine, c'est Richard qui l'a achetée et on s'en sert aussi pour laver son linge à elle.
Richard B. essaye de garder son calme, mais ses mains tremblent. Ah oui, cette fois, elle exagère ! Elle exagère vraiment...
L'année dernière, quand il a décidé de faire des travaux dans la maison, sa mère n'a rient dit. Il a d'abord fait mettre le chauffage central. Il l' a fait lui-même. C'est son métier : il est installateur de chaudières. Ensuite, il a fait rénover la salle de bains, poser de la moquette, repeindre les volets. Tout cela, il l'a payé lui-même, avec ses économies. Chaque fois qu'il avait voulu en parler à sa mère, elle changeait de sujet. Pendant les travaux, elle continuait à se promener dans la maison, au milieu des ouvriers, sans leur adresser la parole, sans leur lancer un regard, comme si elle ne les voyait pas, comme s'ils n'existaient pas.
Mais quand tout a été fini, un soir après dîner, elle s'est mise à rugir.
"La couleur des volets est ignoble ! Et cette moquette, je ne peux pas la voir, et le carrelage de la salle de bains, c'est affreux ! Vous allez m'enlever tout ça ! Je suis chez moi. Je veux que ce soit comme avant."
Richard a essayé de répliquer calmement :
"Mais enfin, maman, je t'ai demandé ton avis et tu n'as pas voulu me répondre !"
Il n'y a rien à faire. Depuis ce temps, elle ne cesse de répéter :
"Ah, ce que c'est laid ! Mon Dieu que c'est laid ! C'est bien les goûts de Maria, ça !"
Et elle menace de faire venir les ouvriers pour tout remettre comme avant. Pourtant, elle se sert de la salle de bains, elle profite du chauffage central... Ah, oui, elle exagère, elle exagère !
Les bruits de la discussion se sont tus. Maria, de guerre lasse, a dû quitter la cuisine. Richard B; a maintenant fini de tailler ses arbustes. Il lance un soupir... Allons, il faut qu'il aille trouver sa mère. Il va encore essayer d'arranger ça.
D'un air résigné, il pousse la porte de la cuisine, sa serpe à la main. Sa mère est là, qui tourne en rond. Richard la regarde comme s'il la voyait pour la première fois. Il y a des jours où il comprend l'aversion de sa femme à son égard. Cette grande femme maigre aux joues creuses, au visage pointu, n'a rien pour inspirer la sympathie. Et lorsque, comme en ce moment, la colère la défigure, elle a l'air franchement odieux.
Mme B. se précipite sur son fils.
"Ca ne peut plus durer. Je ne peux plus supporter ta femme ni tes sales gosses !"
Richard fait un geste d'apaisement :
"Allons, maman, Maria a peut-être été un peu vive, mais reconnais que toi aussi..."
Mais, cette fois, sa mère ne l'écoute pas. Elle est hors d'elle.
"J'ai pris une décision, Richard. Je ne veux plus de vous chez moi. Je vous chasse.
- Maman, tu plaisantes ?
- Non, je ne veux plus de vous. Allez-vous-en, sinon j'appelle la police !"
Avec un terrible effort de volonté, Richard B. argumente calmement : cette maison, c'est aussi sa maison, il ne faut pas l'oublier. Il y est né, il y a passé toute son enfance. Et puis, tout de même, après les travaux qu'il a faits l'année passée et qui lui ont coûté une fortune, ce serait trop facile...
Mais sa mère ne se contrôle plus. Sam ère n'est plus sa mère. Elle l'agrippe par la manche de sa chemise et le tire vers la porte d'entrée :
"Allez, dehors, toi, ta femme et tes sales gosses. Dehors, à la rue !"
Richard B. voit comme un éclair passer devant ses yeux. Des années d'efforts et de patience pour ça ? Des trésors de diplomatie pour se voir chasser de chez lui, de sa maison ? Tout à coups, des tonnes de colère trop longtemps accumulées se libèrent...
La minute d'après, il est agenouillé sur le carrelage. Devant lui, sa mère est étendue, morte. Il l'a tuée d'un coup de serpe en pleine tête.
Maria est derrière lui. Elle murmure :
"Mon pauvre Richard, qu'est-ce que tu as fait ?"
Et elle prend le téléphone pour appeler le médecin et la police... Richard B. lui, reste prostré sur une chaise. Il vient de prendre conscience de cette vérité incroyable : il est devenu le meurtrier de sa mère. Il vient brusquement de passer dans le monde des assassins, un monde qui'l croyait séparé de celui des gens comme lui par une barrière infranchissable. Il ne comprend pas... Il balbutie en secouant la tête : "Mais que m'est-il arrivé ?"


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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyLun 8 Oct - 0:14

Bon, je me dépêche, parce que je commence à avoir sommeil Exclamation ....... Wink

Pour les policiers de Dortmund, il n'y a presque pas d'enquête, du moins sur la matérialité des faits. Richard explique les circonstances de son crime. Il insiste, il veut se souvenir de chaque détail. Non seulement il ne se cherche pas d'excuses, mais il en rajoute, il s'accable. On doit même le transporter à l'infirmerie de la prison car on redoute une dépression nerveuse.
Pourtant, des excuses, il en a. Sa femme, ses enfants viennent le dire au juge d'instruction Oskar Junger. Ils lui décrivent longuement ce qu'a été lé calvaire de cet homme qui, jusqu'au bout, de toutes ses forces, a tout fait pour empêcher le drame.
Et puis, les voisins eux aussi, viennent témoigner spontanément. Ils expliquent au juge que Mme B. était une femme odieuse. Ils sont même stupéfaits que son fils ait pu la supporter si longtemps avec une telle patience.
Tous les renseignements concernant le coupable sont concordants. Non seulement il n'avait aucun pendant à la colère, à la violence, mais au contraire, c'était le type même de l'homme rangé, pacifique. Son patron, dans l'entreprise de chauffage central où il travaille, déclare publiquement qui'l le reprendra dès qu'il sortira de prison.
En fait, jamais le juge d'instruction Junger et les policiers n'ont vu une affaire semblable. Ils ne peuvent s'empêcher de ressentir pour ce coupable pas comme les autres quelque chose qui ressemble à de la sympathie.
Et puis, ils éprouvent sans doute aussi une sorte de trouble : Richard B., cet individu honnête, doué, de toute évidence, d'un sens moral particulièrement développé, semble être la preuve vivante que chacun de nous, s'il est placé dans des circonstances exceptionnelles, peut devenir un assassin.
Au bout d'un mois, les policiers ont terminé leur enquête. Le juge d'instruction Junger demande alors une expertise aux psychiatres et psychologues. Ceux-ci examinent longuement le coupable et, quelques semaines plus tard, rendent leur rapport. Voici quelques extraits :
"Comment un homme normal est-il amené au crime ? C'est tout le problème posé par Richard B.
"Il est intelligent, équilibré, sensible. Tout ce qu'il fait dans sa vie est réfléchi et contrôlé. C'est un être plutôt renfermé, qui est sans ambition particulière et qui se plaît dans le métier qu'il a choisi. C'est quelqu'un qui n'aime pas les histoires et c'est justement à empêcher les histoires entre sa mère, sa femme et ses enfants qu'il s'est dépensé sans compter pendant des années.
"Ces efforts l'ont progressivement miné. C'est un homme aux nerfs malades sans le savoir qui a affronté sa mère lors de leur dernière discussion.
"Lorsqu'il s'est rendu compte de la totale insensibilité de celle-ci et, de ce fait, de l'inutilité de toutes ses tentatives depuis des années, il a ressenti un coup terrible. Et quand sa mère l 'a chassé de sa maison, sa maison natale où il avait passé son enfance, le choc affectif a été insupportable.
"En constatant l'échec de ses efforts et devant la brutale agression de sa mère. Richard B. s'est trouvé dans des circonstances exceptionnelles qui diminuent ou annulent sa responsabilité."
Nul ne sait quelles ont été les pensées du juge d'instruction quand il a lu ce rapport, seul dans son bureau, mais le 24 mars 1993, cinq mois jour pour jour après le meurtre, il rend sa décision : il reconnaît Richard B. non responsable et il le fait libérer le jour même.
Le juge Junger a sans doute estimé qu'il était impossible qu'il puisse récidiver. Jamais il ne se retrouverait dans des circonstances telles qu'elles le conduisent au meurtre. D'ailleurs, avec le sentiment de culpabilité, qui le ronge, la prison ne serait d'aucune utilité. Elle ne servirait qu'à le détruire.
Quoi qu'il en soit, c'est une décision sans précédent. C'est la première fois, dans les annales judiciaires allemandes, qu'un homme reconnu sain d'esprit et sans qui'l y ait légitime défense est déclaré non responsable d'un meurtre.


FIN


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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyLun 8 Oct - 21:45

L'innocent


Mme P. est assise à côté de son fils dans la salle d'attente d'une clinique de Portland, sur la Côte Ouest des Etats-Unis.
Il fait beau, en cette fin de matinée de juin 1989. Le soleil pénètre largement par les baies vitrées qui donnent sur un jardin fleuri. Mme P., qui doit avoir la quarantaine, se tourne vers son fils : "Ca va aller, Billy, ne t'inquiète pas."
Mais Billy ne cesse de remuer nerveusement les narines. "Ca sent drôle ici... J'aime pas. Pourtant la lumière est jolie... Mais ça sent drôle."
Mme P. lui pose la main sur le bras." C'est l'odeur de tous les hôpitaux, Billy. C'est l'éther. Tout à l'heure, dans le jarin, on ira sentir les fleurs."
Billy a un hochement de tête. "Quand même, j'aime pas l'éther. C'est pire que le parfum..."
Et puis Billy se calme. Il se met à sourire. Un sourire léger, persistant, qui donne un charme supplémentaire à ses lèvres parfaitement dessinées. Car Billy est beau, d'une beauté qui ne peut pas passer inaperçue. Déjà, les deux infirmières qui ont pénétré dans la salle d'attente n'ont pu s'empêcher de lui jeter un regard furtif. Billy P. est bâti en athlète,m ais sans rien d'exagéré, de lourd. Tout en lui est proportionné, harmonieux.
Et pourtant, quand on le regarde mieux, il y a quelque chose qui gêne. Il faut un certain temps avant de comprendre ce que c'est... C'est une statue, oui, ce jeune homme a vraiment l'air d'un marbre antique. Mais justement, s'il en a la plastique impeccable, il en a aussi la froideur. Son regard, sa physionomie sont comme figés, aucun sentiment, aucun signe de vie intérieure ne semblent les traverser, à part ce sourire harmonieux, déconcertant et lassant à force d'être harmonieux.
Une vie intérieure, Billy P. en a une, seulement elle est un peu particulière et seule sa mère la connaît, comme elle est seule, dans cette salle, à savoir que son fils, ce beau jeune homme de 1,76 mètre et soixante-dix kilos, aux allures de dieu de l'Antiquité, n'a que treize ans. C'est d'ailleurs pour toutes ces raisons qu'ils sont en ce moment en train d'attendre le psychiatre...
Les minutes s'écoulent dans la salle d'attente de la clinique de Portland. Pendant que Billy, immobile sur sa chaise, continue à sourire sans un mouvement des muscles du visage, comme s'il prenait la pose pour un peintre ou un sculpteur, Mme P. voit défiler ses souvenirs. Des souvenirs qui, à chaque fois, lui font mal.
C'était il y a treize ans. Billy avait huit mois. Pourquoi s'est-elle absentée de la cuisine en le laissant seul ? Elle ne s'en souvient plus. Mais Mme P. n'oubliera jamais le cri qu'elle a entendu. Le temps de se précipiter, il était trop tard. Billy, qu'elle avait laissé près du réchaud à gaz, s'était brûlé profondément à la main gauche, qui n'était plus qu'une horrible plaie mauve.
Le docteur avait pu le guérir, mais il avait dit à la fin du traitement : "J'ai peur que la véritable cicatrice ne reste à l'intérieur. Il est possible que Billy garde toute sa vie une peur maladive du feu..."
Mme P. jette un coup d'oeil sur la main gauche de son fils qui s'est tourné vers la fenêtre : la marque est toujours là, mais l'autre, invisible, est hélas ! bien plus grave.
A partir de ce moment, le sommeil de l'enfant a été agité. Il se réveillait en hurlant : "Le feu ! Le feu !"
Et puis son développent n'était pas celui des autres enfants. Billy a grandi très vite. A six ans, par exemple, à la mort de son père, il avait l'air d'en avoir dix.
Quand sa mère lui a dit : "Papa est parti en vacances", Billy n'a rien dit et n'en a jamais reparlé, du moins pas tout de suite.
Mais si Billy était en avance physiquement, intellectuellement c'était tout le contraire. A l'école, il était toujours dernier. Ses maîtres le traitaient de paresseux. Il n'arrivait à rien. Mme P. a fini par comprendre que son fils n'était pas comme les autres. Il avait sa vie à lui.
Pour Billy, il n'y a que les sensations qui comptent et, par-dessus tout, les odeurs. Il a horreur du parfum, par exemple. Il s'est totalement détaché de sa soeur aînée à partir du moment où elle s'est mise à se parfumer.
Et il y a eu aussi sa première fugue. Billy avait onze ans. Il a quitté la blanchisserie maternelle (car Mme P. est blanchisseuse dans la banlieue de Portland) en disant : "Je vais faire comme papa. Je vais partir en vacances. "Il est rentré de lui-même trois jours plus tard. A sa mère, folle d'inquiétude, qui lui demandait où il était allé, il a répondu : "Dans un bois de pins, à côté. Ca sent bon les pins. Et puis, la lumière est jolie à travers les arbres..."
"Madame P."
Le docteur en blouse blanche, qui vient d'apparaître par la porte, ne peut s'empêcher d'avoir un mouvement de surprise en apercevant Billy. Une fois dans son bureau, il se tourne d'un air paternel vers ce garçon de treize ans qui le domine d'une tête. "Dis-moi, Billy, est-ce que tu sais écrire ?"
Billy ne se départit pas de son sourire. "Pour quoi faire ? Si j'avais été muet, ç'aurait pu être utile. Mais je parle.
- Bien, bien... Est-ce que tu sais lire l'heure ? Billy répond avec la même assurance tranquille :
"Je n'ai pas besoin d'horloge. Le jour c'est quand je n'ai plus sommeil, midi, c'est quand j'ai faim, et le soir c'est quand je recommence à avoir faim.
- Réponds-moi franchement, Billy, est-ce que tu te plais à l'école ?
- Oui, je m'y plais. Ca sent bon, surtout la craie."
Le psychiatre a un sourire compréhensif.
- Et dis-moi, qu'est-ce que tu penses des filles ?
- Je n'aime plus ma soeur depuis qu'elle se parfume.
- C'est tout ?
- Ben oui, c'est tout..."
Hors de la présence de Billy, qui est retourné dans la salle d'attente contempler les rayons du soleil sur le linoléum du plancher, le médecin expose son diagnostic à Mme P.
Il lui explique que Billy est remarquablement constitué physiquement, mais que son développement mental s'est bloqué. Et pas seulement à cause de l'accident, sans doute pour des raisons plus profondes, physiologiques, génétiques. Il faudra faire des examens.
"Des examens ?
- Nous somme équipés pour cela. Ensuite, il faudra sans doute placer votre fils dans un établissement spécialisé. Il n'est pas fait pou vivre dans notre monde à nous. Pour l'instant, il ne s'intéresse pas encore aux filles,m ais ça ne va pas tarder. Quand l'instinct sexuel s'éveillera en lui, dans ce domaine-là aussi il se comportera comme un animal."
Mme P. murmure quelques mots d'assentiment, mais intérieurement elle a pris sa décision. Non, elle ne se séparera pas de son petit. Elle l'aime plus que ses autres enfants. Et puis, elle se sent coupable de ce qui lui est arrivé. Des examens, elle sait très bien que cela ne sert à rien. Si Billy est comme il est, c'est parce qu'il s'est brûlé bébé.
Elle quitte la clinique psychiatrique, fermement résolue à ne jamais y retourner. Elle vient de décider du destin de son fils et, malheureusement, pas seulement de son fils.


JE REV.... Exclamation .... geek
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyLun 8 Oct - 23:28

Re-coucou

Un an a passé. Dire que Billy a grandi serait faux, il avait depuis longtemps atteint sa taille définitive. C'est dans son comportement que quelque chose a chanté. Il n'a plus l'attitude égale, impassible qu'il avait avant. Il a tendance à devenir nerveux, irritable. Son beau regard bleu, naguère limpide, a maintenant quelque chose de trouble.
Mme P. s'est décidée à retirer Billy de l'école où il ne faisait plus rien. Maintenant, il l'aide à la blanchisserie. C'est lui qui va porter leur linge aux clients, et les colis les plus lourds ne lui font pas peur.
De temps en temps, bien sûr, il continue à "partir en vacances". Sa mère ne s'inquiète plus. Elle sait qu'il sera de retour trois ou quatre jours plus tard. Billy va toujours dans le bois de pins. Il rôde aussi autour des stations-service, car s'il déteste l'odeur du parfum, il adore celle de l'essence.
C'est au mois de janvier 1992 que se produit le premier incident. Billy livre toujours le linge aux clients de la blanchisserie. On l'aime bien. Il est gentil. On l'invite quelquefois à entrer pour lui donner, en plus de la pièce traditionnelle, un gâteau ou un petit verre...
On le trouve beau aussi. Car Billy a plus que jamais des allures d'Apollon. Les clientes ne peuvent s'empêcher de l'admirer, surtout Mme Benson. Mme Benson, la veuve de l'épicier, est encore jolie. Chaque fois que Billy vient livrer chez elle, elle lui adresse des sourires engageants. Mais ce jeune naïf ne semble rien comprendre.
Alors, un jour de janvier 1992, quand Billy sonne chez elle comme d'habitude, il est surpris d'entendre une voix lointaine lui répondre à travers la porte "C'est ouvert, entre, Billy. Entre, je suis dans le salon..."
Un peu étonné, Billy pose son linge dans l'entrée. Il aime bien aller chez Mme Benson. Il n'y a pas d'odeurs de cuisine comme dans beaucoup d'autres maisons et le papier à grosses fleurs rouges est joli.
Billy entre dans le salon. Mme Benson est assise sur un canapé, dans un déshabillé mauve. Sur une table devant elle, il y a une carafe, deux verres et des gâteaux secs.
"Tu prendras bien un doigt de porto, Billy ?"
Billy est brusquement ému. Il s'approche de cette femme qui l'invite à prendre place à côté d'elle. Mais il ne sait comment s'y prendre. Il fait plusieurs pas, les mains en avant grandes ouvertes, ses mains puissantes dont l'une porte la marque de sa brûlure d'enfance.
Mme Benson, après un moment de surprise, se lève et se met à reculer vers le fond de la pièce. Billy continue d'approcher. Il est tout près. Ses mains vont se refermer... Mais soudain, il pousse un cri terrible et s'enfuit en courant.Le soir, il raconte tout à sa mère "Tu comprends, maman, elle avait mis du parfum. Alors, je suis parti. Sans ça, je ne sais pas ce qui se serait passé.
Ce jour-là, Mme P. prend une décision ; Billy n'ira plus livrer le linge. Mais elle ne veut toujours pas l'envoyer dans un établissement spécialisé, comme le lui avait demandé le psychiatre. Être privée de son Billy, jamais ! Elle l'aime son Billy, elle essaie de compenser par son amour le handicap dont il est victime. Et puis, elle veut se racheter, car tout cela c'est de sa faute.

A partir de ce moment, Billy reste dans la maison maternelle. Il s'occupe du jardin, il fait le ménage et les commissions. Et pui, de temps en temps, il "part en vacances".
Il se rend moins souvent dans le bois de pins, désormais il est de plus en plus attiré par les humains. Il va dans le port de Portland. Il reste des heures à contempler les reflets du soleil dans l'eau sombre, au milieu des arcs-en-ciel de pétrole.
Un soir de juillet 1992, alors qui'l est en train de contempler le soleil couchant dans le port, une voix l'interpelle derrière lui ; "Bonjour, beau blond !" Billy se retourne. C'est une jeune fille en robe verte, d'un vert sombre comme les arbres juste avant la nuit. Il s'approche d'elle... Elle n'est pas parfumée. Il lui touche le bras. La fille se dégage avec un petit rire. "Pas si vite, beau blond. Est-ce que tu as de l'argent ? C'est vingt dollars." Billy fouille dans ses poches. Non, il n'a pas vingt dollars. Il en a juste dix. Il les tend à la fille avec un sourire timide. Mais elle le repousse. "Rien à faire, c'est vingt dollars !"
Billy ne comprend pas. Il n'a jamais bien compris à quoi servait l 'argent. Tout ce qu'il comprend, c'est ce qui'l ressent et ce qu'il veut. Et il veut cette fille... Il s'approche... Non seulement elle n'est pas parfumée, mais elle sent bon. Le tissu de sa robe est soyeux, ses bras sont doux. La jeune fille hurle. Billy n'aime pas ce cri. Il ne faut pas qu'elle crie. Il ne faut pas !
L'instant d'après, elle est toute molle dans ses bras. Billy la regarde, incrédule. Il n'a rien fait de mal. Il l'a juste serrée un peu pour qu'elle ne crie pas...
Quand il rentre chez sa mère, il fait déjà nuit. Mme P. comprend tout de suite, malgré les explications hachées de son fils, qu'il est devenu un assassin. Elle aurait dû obéir au psychiatre. Maintenant il est trop tard. Il faut que Billy reste chez elle pour échapper à la police. Mme P; fait promettre à son fils de ne plus "partir en vacances", en tout cas pas avant qu'elle ne lui en donne l'autorisation.

A Portland, l'enquête sur le meurtre de la prostituée est menée sans acharnement excessif. Des témoins ont bien remarqué plusieurs ce grand jeune homme blond aux yeux bleus qui passait des heures immobile à regarder l'eau sale. Quelques-uns lui ont même adressé la parole. A ses réponses simplettes, ils ont compris qu'ils s'agissait d'un innocent.
C'est ce que pense aussi la police ; un innocent dans tous les sens du terme, un pauvre type inoffensif qui n'a rien à voir ni de près ni de loin avec un meurtre.
L'enquête suit donc d'autres pistes trafic de drogue, sadiques. Aucune n'aboutit et, au bout de six mois, l'affaire est enterrée en attendant d'être classée...
Pendant tout ce temps, Mme P. vit dans l'angoisse. En quittant tous les soirs sa blanchisserie, elle n'a qu'une hâte : rentrer chez elle et s'assurer que Billy est bien à la maison, qu'il n'est pas reparti pur une de ses fugues dont elle sait à présent qu'elles peuvent être meurtrières. Mais chaque soir, Billy est là, abîmé dans la contemplation des derniers rayons du soleil et elle finit par se dire qu'il s'est définitivement assagi.
Alors, un soir de janvier 1993, Mme P. dit à Billy après le dîner :"Mon grand, tu vas pouvoir, si tu veux, partir en vacances. Mais attention, pas loin, hein ! Et pas dans le port, surtout pas dans le port. Ne sors pas du quartier. Tu peux aller jusqu'au bois de pins, mais c'es tout..."
Dans le quartier qui'l habite avec sa mère, il y a surtout des petits pavillons entourés de jardinets. Billy marche sans se presser. Il sourit. Il est rayonnant. Jamais, peut-être, il n'a été aussi beau.
Mais soudain, sa physionomie change. D'elles-mêmes ses narines se contractent. Il tourne la tête, à droite, à gauche. Il y a quelque chose subitement dans l'air, quelque chose qui'l n'aime pas. Et puis, il voit derrière une maison un voile noir : de la fumée,. C'est le feu !
Au lieu de fuir, Billy se dirige vers l'endroit d'où part la fumée. Il faut arrêter le feu ! Le feu, ça fait mal, il ne faut pas qui'l continue...
Billy arrive devant une petite maison semblable à celle qui'l habite avec sa mère. Dans le jardin, une femme est en train de faire brûler des feuilles mortes et des détritus. Billy enjambe la barrière. Comme il se précipite pour éteindre le foyer, la femme s'interpose. .L'instant d'après, elle est, comme la prostituée de Portland, toute molle entre ses mains.
Il se met ensuite en devoir d'éteindre le feu. Quand les policiers arrivent un peu plus tard, il n'a pas bougé. Il leur déclare simplement : "Elle faisait du feu..."
Billy a été interné dans la clinique psychiatrique où il aurait dû entrer bien plus tôt. Sa mère a été inculpée de non dénonciation et complicité de meurtre et laissée en liberté avant d'être jugée. Car elle n'avait pas, elle, l'excuse de l'innocence.


FIN
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyMar 9 Oct - 23:57

Actes de barbarie

12 février 1989, quatre heures et demie du matin. Les pompiers luttent avec acharnement contre un incendie qui vient de se déclarer dans une ferme d'un petit village de la Meuse. Il fait un froid glacial et les flammes sont gigantesques. Elles sont d'ailleurs anormalement violentes ces flammes, tout comme il est étonnant que ce ne soient pas les habitants de la ferme qui aient donné l'alerte, mais les voisins. Mais l'heure n'est pas à ce genre de réflexion. Ce qui importe, c'est d'éteindre le feu, le reste viendra après.
Ce n'est pas le bâtiment principal qui brûle, c'est la grange. Les pompiers ne sont donc pas inquiets quant aux vies humaines. Et, pourtant, quand ils maîtrisent le sinistre, après une heure d'efforts, ils découvrent dans le bâtiment un homme à moitié calciné sur un lit de fer.
Ce n'est pas tout. Dans l'écurie à côté, qui a miraculeusement échappé aux flammes, une femme gémit doucement, recroquevillée contre une botte de foin. Mais peut-on dire "une femme" ? La malheureuse n'a presque plus rien d'humain. Elle a le visage et le corps tuméfiés, une cheville cassée. Ses oreilles saignent, sa jambe n'est plus qu'une plaie. Elle ne peut ni marcher ni parler. Et elle pèse trente-cinq kilos !
Hospitalisée d'urgence, après avoir gardé le silence pendant quatre jours elle se met enfin à parler et c'est alors qu'on entre dans l'horreur.
Cour d'assises de Bar-le-Duc, 17 septembre 1993. Quatre ans et demi ont passé depuis le tragique incendie, qui va connaître son épilogue sur le plan judiciaire. Les habitants de la ferme : Jeanne T., soixante-huit ans, et son fils Jean-Pierre T., quarante-six ans, sont inculpés pour torture et actes de barbarie sur Georgette T., femme de Jean-Pierre, la malheureuse retrouvée dans l'écurie, et d'assassinat sur la personne de Werner W., quarante-sic ans, l'homme découvert carbonisé dans la grange. Ce dernier cas sera jugé ultérieurement dans un autre procès. Aujourd'hui et les jours qui vont suivre, il ne sera question que du martyre de Jeanne T.
Pour comprendre les faits, il faut remonter tout de suite après la guerre.
Fille unique, Jeanne T. se destine dès l'enfance à reprendre la ferme. Elle travaille dur et arrête ses études après son certificat d'études, à treize ans. Elle ne sort jamais, ne va jamais au bal. Son père meurt en 1945. Sa mère demande alors qu'un prisonnier allemand - ils sont nombreux, alors, dans l'est de la France - l'aide à la ferme.
Les autorités accèdent à sa requête et Léopold W., trente-neuf ans, vient de rejoindre les deux femmes. Jeanne n'a alors que vingt et un ans, mais ni la différence d'âge ni la nationalité de Léopold ne lui posent de problème. Ils ont une liaison et elle ne tarde pas à se retrouver enceinte. Ce n'est que quelques jours avant qu'elle n'accouche que Léopold lui avoue ce qu'il lui avait caché jusque-là : il est marié en Allemagne et il a quatre enfants.
Jeanne, qui n'a guère le choix, accepte la situation. Elle donne le jour à Jean-Pierre en 1947. Son temps de prisonnier terminé, Léopold W. reste à la ferme et fait même venir ses quatre enfants d'Allemagne. La période n'est certainement pas facile pour Jeanne T. L'ancien prisonnier est une brute épaisse, qui la roue de coups. De plus, elle est traitée comme une pestiférée par tout le village, qui lui reproche d'"être avec un Boche."
En 1967, tout change avec la mort accidentelle de Léopold. Trois de ses enfants retournent en Allemagne, sauf le dernier, Werner, qui, par malheur pour lui, choisit de rester. Il est aussitôt traité comme un chien par Jeanne, qui se venge sur lui des mauvais traitements que lui infligeait son père.
Battu, privé de nourriture, accablé des tâches les plus répugnantes, vêtu de haillons repoussants, Werner W. mène dès lors une vie de bête. On lui interdit de se laver, il couche dans la grange. Au village, on sait tout cela, mais on ne dit rien. Ce sont les affaires des T. et on ne va pas s'en mêler pour prendre la défense d'un fils de Boche. D'autant que Jean-Pierre, âgé à présent d'un peu plus de vingt ans fait figure de terreur dans la région. C'est un colosse qui revient de son service dans les paras où il a appris à se battre. Il faudrait être fou pour le provoquer !
Mais s'il impressionne tout le monde par son physique, Jean-Pierre T. reste entièrement soumis à sa mère, à qui il voue une totale dévotion. Cette dernière, de son côté, met tous ses espoirs en lui. Il ne lui a apporté que des satisfactions et elle est sûre qu'il va épouser une héritière du pays, dont les terres vont s'ajouter aux siennes. Malheureusement, il n'en sera pas du tout ainsi...

En 1971, Jean-Pierre rencontre dans une noce une jeune fille d'origine vietnamienne, Georgette D. Elle n'est pas du pays, elle n'est pas de la campagne mais de la ville et elle n'a pas le sou. Cela n'empêche pas Jean-Pierre de l'épouser contre l'avis de sa mère et de l'amener à la ferme.
Georgette se retrouve enceinte un an plus tard. Elle accouche d'un fils, mais entre-temps tout a changé. Jean-Pierre, après cet acte d'indépendance, est redevenu soumis à sa mère et la laisse tout diriger. C'est Jeanne qui s'approprie le fils de Georgette, Thierry. Elle seule a le droit d'y toucher et c'est elle, pas sa mère, qu'il appellera "maman".
Rapidement, la situation de Georgette se dégrade et elle va bientôt devenir semblable à celle de Werner, qui continue à être martyrisé. Dans le courant de l'année 1977, elle n'a plus le droit de dormir à la maison. Elle est installée dans la grange et, à partir de là, son calvaire commence. Il ne prendra fin qu'avec l'incendie tragique du 12 février 1989 où son compagnon d'infortune trouvera la mort.
D'après les résultats de l'enquête, d'ailleurs, cet incendie n'a pas été dû au hasard. Jeanne T. est soupçonné de l'avoir allumé pour se débarrasser de Werner, qui, suite aux mauvais traitements qu'il avait subis, ne pouvait plus se tenir sur ses jambes et ne servait plus à rien. Comme il était devenu une bouche inutile, elle aurait voulu sa disparition. Elle lui aurait donné un puissant somnifère avant de mettre le feu à la paille qui lui servait de matelas.
Mais de cela, il sera question dans un second procès. Il ne s'agit, cette fois, que du sort infligé à Georgette T.
Les deux accusés ont pris place dans le box. Jean-Pierre T. a bien des allures de terreur, avec sa carrure d'athlète et son regard dur, mais le plus frappant est encore sa mère. Jeanne T., la principale accusée, n'a rien d'un monstre. Elle fait bien ses soixante-huit ans. Elle est plutôt frêle, avec son 1,55 mètre. Bref, elle ressemble à n'importe quelle grand-mère et on imagine mal que ce soit à elle quo'n reproche de telles horreurs.
Dès qu'elle s'exprime, pourtant, on s'aperçoit qu'elle est loin d'être dénué de personnalité. Elle ne manque pas d'assurance, elle répond sans faiblir, d'une voix bien posée, aux questions du président concernant son enfance.
"Mon père était un homme bien, très dur..."
On en vient enfin à Georgette. Le président lui demande comment elle a accueilli sa belle-fille. Elle affirme : "J'étais contente..."
Questionnée avec plus d'insistance, elle finit pourtant par reconnaître qu'elle n'est pas allée au mariage de son fils : "Il aurait fallu que je m'achète une robe, des chaussures..."
Jeanne ne se montrant guère loquace, c'est la victime elle-même qui va perler à sa place. Georgette T. arrive à la barre. Elle marche avec difficultés. Elle est à jamais infirme. Son visage harmonieux, aux traits métissés, est impénétrable. Les souffrances semblent avoir détruit en elle tout pouvoir d'exprimer une émotion.
Elle raconte d'une voix glaciale comment elle est venue à la ferme en 1971. Elle ne savait rien de la vie et Jean-Pierre était son premier homme. Elle a compris tout de suite que c'état sa belle-mère qui commandait. Elle a d'abord été transformée en domestique. Il lui fallait travailler aux champs, nourrir les bêtes, traire les vaches à la main dans le noir pour économiser l'électricité. Et bien vite, les mauvais traitements ont commencé. Elle montre ses cheveux courts.
"J'étais belle, très belle. J'avais de longs cheveux. Mais Jeanne me les tirait tout le temps. Je me les suis coupés moi-même avec un couteau pour quelle n'ai plus de prise."
On la battait le plus souvent avec un morceau de tuyau à traire que Jeanne et son fils avaient surnommé l''"esprit frappeur". On le fait passer comme pièce à conviction dans le tribunal... C'était Jeanne T. qui dirigeait et commandait tout, précise Georgette, mais Jean-Pierre, qui se vantait d'avoir "du sang dans les veines", approuvait ces supplices et y participait volontiers. Tout cela a duré douze ans et elle a plus d'une fois failli mourir de faim et d'épuisement.
"Je me voyais mourir de faim. Je ramassais des fruits en allant mener les vaches aux champs. En cachette, sinon j'étais frappée..."
Avec ce témoignage terrible, prononcé d'une voix dont l'émotion est absente, les jurés et le public pensent avoir assisté au moment le plus pénible de ce procès. Ils se trompent : le pire est à venir. Thierry, le fils de Georgette, a été habitué dès son pus jeune âge à prendre part aux mauvais traitements contre sa mère. Il a été lui aussi son tortionnaire !...
Il comparaît en tant que simple témoin devant les assises de Bar-le-Duc. S'il n'est pas inculpé comme son père et sa grand-mère, c'est qu'il était mineur au moment des faits. Mais il sera jugé par un tribunal pour enfants. Il a le visage un peu asiatique de sa mère et la carrure de son père. La contenance aussi. Il ne semble nullement impressionné par les faits qu'on lui reproche, ni gêné par la situation.
"Ma mère, on la frappait avec les poings, les pieds et aussi avec des bâtons..."
Le président s'indigne : "Mais vous n'aviez aucune affection pour elle ?"
Il hausse les épaules : "Je la connaissais à peine. C'est ma grand-mère qui m'a élevé et puis mon père m'a expliqué que si on la frappait, c'était pour la punir...
- Est-ce que le chien mangeait mieux que votre mère ?"
Sourire : "Oui, bien sûr !"
- Que ressentiez-vous quand vous entendiez votre mère hurler ?"
Même sourire : "J'aurais pas aimé être à sa place !"
Le président insiste. Il veut savoir comment cela se passait concrètement.
"Tout le monde la frappait : moi, je faisais pareil. J'allais la réveiller le matin.
- Vous la frappiez ?
- Oui, ça m'arrivait. C'est ma grand-mère qui me le demandait. Je le faisais avec un bâton.
- Comment trouvez-vous votre grand-mère ?
- Bien !..."
En fait, Thierry ne s'anime vraiment que lorsque le président lui demande ce qui l'intéresse dans la vie.
"Ce qui m'intéresse, c'est tout ce qui a trait à la dernière guerre, le nazisme. Ca, ça me plaît, comme ça plaît à mon père !...
Après ce terrible moment, les autres dépositions qui se succèdent jusqu'aux plaidoiries n'ajoutent rien, et c'est d'ailleurs à Thierry que maître Bienfait, partie civile, s'adresse en prenant la parole :
"Vous vous rendez compte du calvaire que votre mère a subi des années durant ? On l'a maltraitée, battue, on l'a obligée à avorter deux fois. Elle est devenue esclave, frappée à coups de tuyau d'arrosage, piquée avec des pointes de fourche. Quand on l'a découverte, elle ne pesait plus que trente-cinq kilos et pourtant elle travaillait tout le jour durant. On est allé jusqu'au bout de l'horreur. Et puis, comme un point d'orgue au cauchemar, il y a cet incendie. Werner y a péri, mais je suis persuadé que Georgette, elle aussi, était condamnée à mourir ce soir-là. Sil les pompiers n'étaient pas arrivés aussi vite, c'est sans doute le sort qui l'attendait. Elle ne serait plus aujourd'hui qu'un petit tas de cendres..."


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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyMer 10 Oct - 0:36

L'avocat général, Maître Simoncello, s'en prend, elle, à l'attitude de l'entourage :
"Je regrette que ces deux-là soient seuls au banc des accusés. Car je tiens à souligner que tout le village savait ce qui se passait chez les T. Et personne n'a rien dit ! Les médecins qui venaient chez eux, parfois, savaient, eux aussi. Si certains habitants du village n'ont pas été sanctionnés pour non-dénonciation de crime, c'est tout simplement parce que les faits, trop anciens, sont prescrits."
Et elle conclut : "Les seuls coupables que vous pouvez châtier aujourd'hui, ce sont Jeanne et son fils Jean-Pierre. Je vous demande de prononcer contre eux dix années de réclusion criminelle, le maximum de la peine prévue par la loi pour tortures et actes de barbarie."
Il faut insister sur ce dernier terme. Le mot "barbarie" n'est pas seulement employé ici pour qualifier un acte particulièrement révoltant. Il a une signification juridique. Le délit de barbarie figure dans notre droit, même si le Code ne le définit pas de manière précise. Il est très rarement retenu contre un accusé, ce qui souligne le caractère exceptionnel de cette affaire...
Dans leurs plaidoiries, maîtres Kremser et Hechinger réclament les circonstances atténuantes. Ils insistent sur le climat de violence qui régnait à la ferme à cause du père de Jean-Pierre, Léopold W., le prisonnier allemand. Ils insistent sur l'indifférence de l 'entourage qui aurait pu, sinon, mettre un frein au calvaire de la malheureuse... Parlant les derniers, la mère et le fils trouvent les arguments qu'ils peuvent.
Jeanne T. : "Tout ce qu'on a dit sur moi est vrai, mais si j'ai frappé Georgette, c'était parce que je buvais."
Et Jean-Pierre : "Moi, je ne savais pas ce qui se passait. Le jour, je travaillais à la ferme, et la nuit je dormais chez ma maîtresse..."
Le verdict tombe peu après : dix ans pour chacun, le maximum prévu pour "actes de barbarie".
Lundi 15 novembre 1993 : deuxième et dernier acte de cette terrible affaire, avec le second procès de Jeanne et de Jean-Pierre T., cette fois pour le meurtre de Werner W. Jeanne est accusée d'homicide avec préméditation , tandis que son fils l'est seulement de non-assistance à personne en danger.
L'accusation reprend des faits déjà connus pour l'essentiel, en insistant toutefois davantage sur la personnalité de Werner. Il a neuf ans quand son père le fait venir d'Allemagne. Il est envoyé à l'école et apprend rapidement le français, ce qui prouve qu'il n'est nullement un attardé mental. Mais Léopold le retire deux ans plus tard de l'école, pour qui'l fasse les travaux de la ferme. C'est alors que Léopold meurt et que commencent pour le malheureux garçon les sévices décrits au premier procès.
Début 1989, il perd l'usage de ses jambes et, selon l'acte d'accusation, Jeanne T. décide de le supprimer... Sans la nuit du 11 au 12 février 1989, elle éloigne son fils et fait absorber à Werner une forte dose de Mogadon, un somnifère puissant. Quand il est endormi, elle arrose son lit d'essence et y met le feu.
Cette version des faits est conforme aux aveux qu'elle a passés à deux reprises. Elle s'est rétractée depuis, mais il y a de nombreuses charges contre elle, dont une assurance-vie à son profit sur la tête de Werner, prise peu avant sa mort...
Contrairement au procès précédent, Jeanne T. nie farouchement ce dont on l'accuse :
"Ce n'est pas moi qui ai mis le feu !
- Vous l'avez pourtant avoué à deux reprises.
- J'ai avoué parce que j'avais la hantise qu'on mette mon petit-fils en prison.
- Mais vous avez été chercher vous-même, devant les enquêteurs, le récipient qui vous avait servi à transporter l'essence dans l'appentis pour mettre le feu.
- Ce n'est pas moi qui ai mis le feu !..."
Le président aura beau faire, Jeanne continue à nier et finit par s'enfermer dans un silence buté... On voit alors revenir Georgette à la barre. L'affection qu'elle porte encore à son compagnon de misère est particulièrement émouvante.
"Werner n'était pas l'idiot qu'ils disent. Il savait lire, écrire et compter. Il me racontait sa jeunesse en Allemagne. Il aurait voulu y retourner, mais c'était impossible."
Elle décrit longuement son calvaire quotidien, semblable au sien : "Werner n'avait jamais de vrais vêtements, juste des hardes repoussantes. Il n'avait pas de nourriture, seulement du pain trempé dans les restes de lait tourné, pas d'argent, pas de quoi se laver. Jeanne et Jean-Pierre le frappaient à coups de bâton. Il criait. A partir de novembre 1988, il est tombé malade. Il avait une jambe abîmée. Il ne pouvait pluss marcher..."
Les débats se poursuivent... Jean-Pierre est laissé dans l'ombre. Visiblement, il n'a pas joué un grand rôle dans cette affaire et peut-être pas de rôle du tout. Les psychiatres s'interrogent sur la personnalité de Jeanne et, comme il arrive souvent, ils ne sont pas d'accord entre eux. Un premier distingue chez elle "des traits pervers et un sens moral défaillant" mais un second ne lui trouve "pas l'ombre d'un caractère pathologique".
C'est dans ces conditions qu'on en arrive, le mercredi 17 novembre, au réquisitoire de l'avocat général Maître Christine Laï." C'est un gamin, un adolescent, un jeune homme, un homme qui a été spolié pendant toute son existence. C'est Werner W. que vous avez détruit." Et elle demande vingt ans de réclusion criminelle pour Jeanne T. et cinq pour Jean-Pierre.
Maître Hechinger, avocat de Jean-Pierre, est argumenté, précis, et conclut :" Il n'y a aucune preuve dans ce dossier."

Maître Kremser, avocat de Jeanne, plaide, lui aussi, l'innocence pour le meurtre de Werner : "On a supplée, dit-il, le défaut de preuve par l'intime conviction." Et il ajoute que les aveux qu'elle a passés sont sans valeur...
Ce n'est pas l'avis des jurés. S'ils acquittent Jean-Pierre T., ils reconnaissent Jeanne coupable et la condamnent à treize ans de prison, confondus avec les dix qu'elle avait déjà reçus.
Pour leurs actes de barbarie, Jeanne et Jean-Pierre T. ont donc été condamnés en tout à treize et dix ans de prison. Et, pour tous ceux qui ont assisté à ces débats, il reste une interrogation qui fait froid dans le dos. Sans l'incendie de la grange, on n'aurait jamais su ce qui se passait à la ferme des T. Alors, il est malheureusement probable, pour ne pas dire certain, que, dans d'autres maisons isolées, d'autres subissent le même calvaire que, pour ceux-là, on ne saura jamais !


FIN
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyJeu 11 Oct - 21:33

"Le rôle de sa mort"


"Silence ! Moteur ! Action !" Les ordres rituels du réalisateur résonnent sur le plateau de télévision pour le cent cinquantième épisode du tournage de Corps et âmes, le feuilleton d'amour et de passion qui fait vibrer tous les soirs des millions de Brésiliens. Le décor est simple mais de bon goût, la mise en scène ne va pas chercher midi à quatorze heures : le principal c'est qu'on comprenne ce qui se passe dans la tête des héros. Il l'aime mais elle ne veut pas subir cette passion ravageuse parce qu'elle a peur d'en aimer un autre. A-t-il encore une chance ? Saura-t-il la convaincre ? Dieu seul le sait, et encore on peut en douter car, dans ce genre le récit à l'eau de rose, le scénariste lui-même, une fois qu'il a installé ses principaux personnages, ne sait pas très bien où le récit va le conduire. Ce sont pratiquement les réactions des téléspectateurs lors des premiers épisodes qui vont lui dicter la conduite à tenir, la cote de popularité des acteurs, leur présence. Faudra-t-il élargir le rôle des méchants, faire disparaître le jeune premier dont l'imprésario vient soudain d'augmenter les prétentions sur le plan financier ? Le courrier des lecteurs sera-t-il abondant, tel ou tel personnage va-t-il faire un tabac ?
Autant de questions qui se posent au scénariste, aux producteurs, aux comédiens. Le rythme du tournage est tel, rentabilité oblige, que personne n'a vraiment le temps d'approfondir ses motivations, chacun puise directement à la source de ses propres souvenirs pour remplir son personnage. Les téléspectateurs, par leurs réactions, influencent directement toute l'équipe. Petit à petit, jour après jour, les acteurs et les actrices, choisis parce que l'image qu'ils donnent est le plus près possible du rôle, finissent par vivre en osmose complète avec le personnage qu'on leur fait jouer quotidiennement à une allure effrénée. Ce n'est pas grave s'il s'agit de comédies pleines de rires et de gags.
Quand l'histoire se fait plus sensuelle, plus passionnée, plus chaude, comme les nuits brésiliennes, l'interprète, au bout de quelques semaines, n'a plus le temps de se relaxer, il devient le héros oui l'héroïne, bon ou mauvais, névrotique ou diabolique, qu'on lui fait jouer.
Daniela P., la ravissante comédienne qui incarne l'héroïne, a de quoi se réjouir : jour après jour elle devient une nouvelle idole du Brésil. Bien sûr, ce feuilleton pour les masses n'est pas susceptible de lui ouvrir d'un seul coup les portes de la gloire internationale, mais c'est, en dehors des rentrées financières, un excellent marchepied vers une autre chose, le vrai cinéma, le théâtre, les rôles plus étoffés, plus fouillés. Pour l'instant, elle se contente d'être belle et fragile et de subir, dans le rôle de Yasmine, les crises de jalousie de l'ignoble Bira, un rôle incarné par le très séduisant Guilherme V. qui, lui aussi, à l'aube de sa carrière se fait, une fois rentré dans sa loge, les mêmes réflexions. Enfin on pourrait le croire... Hélas ! Guilherme n'est pas exactement dans les mêmes dispositions d'esprit que sa partenaire principale. Le drame couve.
Guilherme est marié avec une fort jolie femme, Daniela l'est aussi de son côté et parfaitement heureuse. C'est la mère de Daniela qui, dotée d'un joli brin de plume et des relations nécessaires, écrit, jour après jour, la suite des aventures amoureuses et désespérées de "Yasmine". Une affaire de famille et qui tourne à la satisfaction de tous. On envisage déjà d'autres histoires quand celle-ci, vers le millième ou deux millième épisode aura un peu lassé le public... Daniel se contente, jour après jour, d'apprendre son texte sur le bout du doigt, "au rasoir", comme on dit... Pourtant elle a un petit problème. Elle remarque, au fil des tournages, que Guilherme, qui joue Bira, le super-jaloux, est de plus en plus "convaincant" dans les scènes rapprochées, ses étreintes sont de plus en plus passionnées et ses baisers, filmés en gros plan, n'ont plus rien à envier aux vrais baisers d'un amant qui perd la tête. Au début Daniela éprouve une certaine admiration pour l'intensité du jeu de son partenaire. Elle est très heureuse dans son mariage, elle suppose que son partenaire l'est aussi et s'efforce de se montrer à la hauteur dans chaque épisode. Moins on fait de "prises", plus vite on est libre et moins on fait perdre d'argent à la production. Une sorte d'assurance prise sur l'avenir, c'est ainsi qu'on construit sa réputation d'actrice fiable... Dur métier où les journées sont longues, épuisantes, dur métier qui oblige Daniel a rentrer tard chez elle, seule dans sa voiture, dans un Brésil où les attaques nocturnes de femmes seules au volant sont fréquentes, particulièrement lorsque leur véhicule est bloqué à un carrefour par un feu rouge.
Mais en fait, Guilherme, au fil de "scènes de jalousie" suivies, selon la loi du genre, de réconciliations, d'étreintes, d'adieux déchirants, de retrouvailles émouvantes, se sent, lui aussi, "pris", non pas par le jeu de Daniela mais par son parfum, la douceur de ses lèvres, de sa peau, la caresse de ses cheveux qu'il a souvent l'occasion de presser contre sa joue, ses yeux, toutes choses bien réelles et concrètes : l'amour entre en lui par le biais de la fiction, du "faux-semblant". Il attend absolument le "Coupez !" du réalisateur pour que ses lèvres veuillent bien libérer celles de Daniela qui, en regagnant sa loge, lui lance souvent un coup d'oeil en biais, plein d'interrogations et déjà, à juste titre, plein d'angoisse...
Daniela en parle à son mari mais lui, pour ne pas la troubler dans son personnage, s'efforce de la rassurer, de lui expliquer qu'un partenaire qui joue un peu trop bien le jeu est une chose courante dans le métier, que cela peut l'aider, elle, dans ses répliques, qu'elle doit en profiter pour améliorer d'autant ses propres réactions de comédienne et que, une fois la série terminée, les choses rentreront dans l'ordre. Chacun alors s'inquiétera de trouver un autre engagement, d'autres sentiments. Daniela n'est qu'à moitié convaincue, elle sent de jour en jour dans les baisers de "télévision" de Guilherme quelque chose de malsain, comme un désir réel de la posséder complètement...
Semaine après semaine toute l'équipe du tournage reçoit le script du tournage suivant : scénario avec l'explication de l'action, les textes des uns et les répliques des autres. Daniela se jette dorénavant sur les nouveaux épisodes avec des sentiments mitigés. Elle est anxieuse d'apprendre son nouveau texte le plus vite et le plus parfaitement possible, mais, en même temps, elle prévoit, entre les lignes de l'action, dans les répliques de Guilherme, toutes les nouvelles occasions de "corps à corps", de baisers, de contacts physiques. Elle se demande jusqu'où cela va la mener, jusqu'où Guilherme va pousser les choses...


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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare - Page 9 EmptyJeu 11 Oct - 22:08

Gloria, la scénariste, mère de Daniela, elle aussi surveille de près les réactions de Guilherme. Elle continue à écrire, pour la plus grande gloire de Corps et âmes, orientant l'action du mieux qu'elle peut - faisons-lui confiance - pour maintenir le suspense dans des millions de foyers brésiliens.
Cette semaine, en recevant la dernière mouture des aventures de Yasmine et Bira, chacun frémit devant le rebondissement imprévu : l'héroïne doit consommer la rupture avec son amant jaloux au-delà du possible. Pendant quelques épisodes au moins, elle n'aura plus à subir ses baisers et ses larmes, elle ne se retrouvera plus prisonnière des bras de Guilherme-Bira. Qui sait, la chose sera peut-être définitive ? Daniela a peut-être suggéré ce rebondissement à sa mère. Celle-ci l'a peut-être imaginé pour d'autres raisons. Toujours est-il que Guilherme, en constatant qu'il n'a plus, dès la scène trois, l'occasion d'enfouir son visage dans la chevelure abondante de Daniels, devient comme fou, révélant au grand jour sa vraie passion plus ou moins dissimulée jusque-là. Il se précipite chez Gloria et la supplie de changer à nouveau le cours de l'histoire.
Mais, pour des raisons qu'elle ne juge pas utiles de lui expliquer, Gloria refuse énergiquement de changer le script prévu. Elle a, dit-elle sans ambages, un plan à respecter. En ce qui la concerne, il est nécessaire que Yasmine plante là Bira, le public réclame l'entrée en scène d'un nouveau prince charmant, doté, au moins pour l'instant, de toutes les qualités. Bira n'aura plus l'occasion de serrer Yasmine contre lui. Au moins pendant les prochains mois à venir.
Bira n'aura plus du tout l'occasion de serrer Yasmine dans ses bras. Les téléspectateurs brésiliens, une fois l'épisode du jour terminé, apprennent au bulletin d'information qu'on vient de découvrir Daniela dans un terrain vague, morte, poignardée de vingt-deux coups de couteau.
Très vite les soupçon se portent sur Guilherme et même sur l'épouse de celui-ci, Paula, qui n'a que dix-neuf ans et qui avoue, dans un premier temps, que la pauvre princesse de feuilleton a été assassinée par son mari, fou de douleur de devoir renoncer aux étreintes sensuelles qu'il attendait chaque jour, sur le plateau, avec une frénésie morbide. Puis Paula, qui précise que tout cela s'est passé dans le véhicule de son mari - elle était d'ailleurs cachée à l'arrière - se rétracte. Guilherme lui aussi nie, raconte une histoire qui semble incroyable à tous. Daniela aurait cherché à devenir sa maîtresse : c'est elle qui, sous les projecteurs, aurait prolongé à plaisir leurs étreintes alors qu'il défendait sa vertu. On parle de magie noire, de vaudou...
Guilherme, lors de son arrestation, est attendu par une foule déchaînée et l'assassin "présumé" de la "princesse des feuilletons" manque d'être lynché. Gloria, effondrée aux obsèques de sa fille, se dit, un peu tard, qu'elle aurait sans doute mieux fait de changer le cours de son histoire, de prolonger les baisers de Bira le jaloux. Dieu seul le sait...


FIN
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