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 Pierre Bellemare

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Jean2
MAINGANTEE
epistophélès
JeanneMarie
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyMar 23 Jan - 23:28

L'homme le plus condamné de France (1985-1991)

- Gardes, faites entrer l'accusé !
La voix du président Buet vient de résonner, au milieu du plus grand silence, dans la cour d'assises de Grenoble. Nous sommes le mercredi 10 mars 1991, il est 10 heures du matin. On sent une certaine fébrilité dans le public, tandis que chacun tourne la tête en direction du box.
L'homme qui va faire son apparition n'est, en effet, pas comme les autres ; c'est le plus lourdement condamné de tous les prisonniers français. Lors de son procès précédent, devant les assises de Chambéry, il s'est vu infliger la réclusion à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de trente ans.
La peine de sûreté créée par une loi de septembre 1986, est une période pendant laquelle le détenu ne peut bénéficier d'aucune libération anticipée ni d'aucune permission. Dans le cas présent, il est sous les verrous depuis 1988 et ne se retrouvera pas à l'air libre avant 2018.
A moins que les jurés de Grenoble n'en décident autrement car, par chance pour lui, le jugement de Chambéry a été cassé pour vice de forme...
Un brouhaha parcourt l'assistance. Pascal L. G., l'homme le plus condamné de France, vient de faire son entrée. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne correspond pas à l'image qu'on se fait du grand criminel. Il est tout jeune ; il a vingt-cinq ans, mais a l'air d'un adolescent. Il est calme et réservé dans son attitude, petit, mince, frêle. Son visage est pâle, avec des cheveux coupés très court. S'il n'était très brun, il aurait une certaine ressemblance avec Tintin.
Pascal s'installe et ne cherche personne du regard dans la salle. Personne n'est venu pour lui apporter son soutien, ni un parent ni un ami. Comme lors de son premier procès, il est seul face à la justice. A le voir ainsi, il ferait presque pitié et pourtant les faits reprochés à ce jeune homme aux allures de premier communiant sont terribles.

Pascal, né le 18 mars 1965, est le fils d'un policier et d'une comptable, séparés depuis, et qui ne le voient plus ni l'un ni l'autre. Il arrête ses études à seize ans et pratique divers métiers. Il est successivement manoeuvre, barman, manutentionnaire. Parallèlement, il commet des petits cambriolages, ce qui lui vaut une condamnation en 1987. Libéré après un an de prison, le 11 janvier 1988, il s'en va à l'aventure, sans argent, et c'est alors que, brusquement, il bascule dans le crime.
Il se souvient qu'il a travaillé, en 1985, chez un négociant en vins de Haute-Savoie, monsieur D., et il s'y rend fin janvier... Dans la journée du lundi 1er février, monsieur D. retrouve au premier étage de sa villa le corps sans vie de sa mère, Angeline D., quatre-vingt-quatre ans. La malheureuse, sauvagement frappée à coups de bûche, a le crâne fracassé. La chambre est dans le plus grand désordre et une somme de 40 000 francs a disparu. Les soupçons se portent vite sur Pascal, qui figure sur la liste des anciens employés, en raison de son casier judiciaire, mais il reste introuvable.
Les enquêteurs le recherchent activement et restent optimistes sur leurs chances d'aboutir. Ils ne se doutent pas que le temps presse tragiquement et que le criminel va récidiver moins de trois semaines plus tard...
Le dimanche matin 20 mars, un supermarché près d'Annemasse, toujours en Haute-Savoie, est resté ouvert. Hervé T., dix-neuf, le fils du directeur, y est allé travailler. A 12 h 15, il quitte le magasin, en emmenant un camarade, qui habite la banlieue d'Annemasse. Il le dépose à son domicile et se rend chez ses parents, dans un autre faubourg d'Annemasse, pour déjeuner. Il n'y arrivera jamais...
A 13 heures, Pascal appelle au domicile des parents du jeune homme :
- Je viens d'enlever votre fils. Allez immédiatement à votre magasin.
Monsieur T. obéit à l'injonction de ne pas prévenir la police et se rend au supermarché. Le téléphone retentit dès qu'il y est arrivé :
- Penez l'argent qui se trouve dans le coffre et rentrez chez vous.
Monsieur T. s'exécute et prend la somme qui s'y trouve : 350 000 francs. L'ouverture du coffre à cette heure non programmée prévient automatiquement la police, mais tout se déroule si vite qu'elle n'a pas le temps d'intervenir.
Rentré au pavillon, le directeur du supermarché reçoit les dernières instructions de Pascal :
-Déposez les billets derrière la cabine téléphonique que je vous indique...
C'est tout près. La voix anonyme conclut avant de raccrocher :
- Votre fils vous sera rendu une heure après.
Là encore, monsieur T; suit les ordres à la lettre et, quand il regagne son pavillon, il trouve le commissaire d'Annemasse, qui vient d'arriver.
Une terrible attente commence. Elle ne sera malheureusement pas longue. Le lendemain, lundi 21 mars, à 8 h 45, un retraité découvre dans un chemin de terre des environs, le cadavre d'Hervé, tué de deux balles dans la tête.
L'enquête ne traîne pas. Il faut dire que le meurtrier n'a pas fait preuve de discrétion. On l'a vu rôder dans les environs à bord d'un R5 blanche. Plusieurs témoins en ont fait une description qui correspond parfaitement à celle de Pascal. Pascal, qui figure dans la liste des anciens employés du supermarché.
Preuve supplémentaire contre lui, la R5 est retrouvée peu après.Il s'agit d'une voiture volée, mais ses empreintes y figurent, de même que celles d'Hervé. Pascal est donc pratiquement identifié comme l'assassin, mais reste à savoir où il se trouve car, depuis sa sortie de prison, il n'a pas de domicile fixe.
Son imprudence va le perdre. Avec l'argent de la rançon, il achète une 205 GTI à un particulier. Le fichier des cartes grises livre son adresse : un studio de Juan-les-Pins. Il est arrêté le 28 mars et avoue aussitôt le meurtre d'Hervé.
Il tente, dans un premier temps, de nier celui d'Angeline, mais la perquisition de son studio le confond.L es policiers découvrent les chaussures avec lesquelles il a laissé des empreintes dans la chambre de la vieille dame, et il passe une deuxième fois aux aveux...

Le procès de Pascal s'ouvre le 27 novembre 1989. A l'audience, il ne montre aucun trouble, reste parfaitement impassible. Une attitude qui n'est pas pour lui attirer la sympathie, d'autant que les psychiatres le jugent "ni curable ni réadaptable". A l'issue des débats, et après une délibération d'une heure et demie, il est condamné à la réclusion à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de trente ans.
Son avocat, maître Bernard Rippert, se pourvoit en cassation et la Haute Cour trouve un motif d'annulation dans la procédure de Chambéry, le renvoyant devant les assises de Grenoble.
Telle est la brève et tragique histoire de celui qu'on va juger aujourd'hui... Il faut pourtant y ajouter un dernier épisode : hier, dans la journée du 9 mars, Pascal a tenté de s'évader. Il l'a fait avec une folle témérité, au cours de la promenade. Il a couru devant lui et n'a été rattrapé que sur le chemin de ronde.
Mais cette audace est-elle bien surprenante ? Qu'avait-il à craindre, lui qui ne peut pas être plus lourdement condamné ? Et qu'avait-il à perdre, lui qui doit encore rester vingt-sept ans en prison ?
Car c'est bien la peine de sûreté et ses conséquences qui vont être au centre des débats. Créée pour remplacer la peine de mort, elle est loin de faire l'unanimité. Les gardiens de prison, en particulier, y sont très hostiles. Elle risque d'engendrer des êtres désespérés, prêts à tout, à risquer aussi bien leur propre vie que celle des autres pour s'en sortir. "L'évasion ou la mort" : telle pourrait être leur devise.

Après l'interrogatoire d'identité et le rappel des faits, les débats s'ouvrent par l'audition des psychiatres. Et c'est peut-être le moment essentiel, car ce sont sans doute eux qui ont joué le rôle décisif lors du précédent procès. Ils ont employé alors des qualificatifs extrêmement graves à l'égard de Pascal : "incurable, irrécupérable, terriblement dangereux". Ces jugements sont rarissimes devant une cour d'assises lorsque l'accusé n'est pas déclaré irresponsable et ont certainement pesé d'un grand poids dans la peine de sûreté de trente ans.
Voici d'abord le docteur Boudard, de Grenoble, nouvel expert, entendu en vertu du pouvoir discrétionnaire du président Buet. Il avoue son trouble et même son incompréhension.
- Pascal est un homme assez banal, mais il présente une absence d'émotion, de vie affective. On ne peut pas mettre d'étiquette su rlui ni rien expliquer. C'est une énigme, une frustration.
Le second expert, le docteur Lemmel, de Lorient, qui a déjà examiné Pascal en 1986, reprend lui, les jugements très sévères du procès de Chambéry.
- Il présente une très grande dangerosité. Il est intelligent, mais ni curable ni réadaptable, sauf si son comportement est modifié par une longue psychanalyse faite à sa demande.
Après ce tableau "très noir", selon l'expression du président Buet, une visiteuse de prison vient témoigner en faveur de Pascal. Cette mère de famille âgée de soixante-huit ans est loin d'être aussi savante que ceux qui l'ont précédée, mais ses paroles frappent l'assistance par leur simplicité et leur humanité.
- J'ai été bouleversée par le premier verdict. Je viens voir Pascal régulièrement depuis. Il a repris ses études. il essaie de comprendre ce qui'l a fait... J'ai un fils qui est tombé dans la drogue et qui s'en est sorti à vingt-cinq ans. Qui d'entre nous peut qualifier un garçon de vingt-cinq ans d'incurable ?...

La parole est à l'accusé et l'impression favorable provoquée par cette déposition risque fort de s'évanouir, car, à la demande du président, il fait le récit de son premier meurtre, celui d'Angeline, la vieille dame assassinée à coups de bûche. Il le fait à sa manière, c'est-à-dire froidement, sans émotion apparente.
- J'ai acheté un foulard et des gants et je suis allé observer la maison. Quand je n'ai plus vu la camionnette du fils, Monsieur D., je suis entré en passant par la fanêtre. Madame D. a crié. J'ai frappé avec le morceau de bois. Elle est tombé. J'ai continué, puis, j'ai fermé les volets.
Le meurtre est d'autant plus odieux qu'Angeline s'était montrée particulièrement bonne et généreuse avec Pascal. C'est pour ainsi dire sa bienfaitrice que le jeune homme a tuée. C'est ce qui explique que Jean, le fils de la victime, n'ait pas de mot trop dur pou lui.
- C'est un fauve sous une peau de mouton, un serpent, un ordinateur du crime, la dernière des bêtes doublée d'une intelligence au service du mal...
Le 11 mars 1991, deuxième jour du procès de Pascal. Il est à présent question de son second meurtre, celui d'Hervé. L'ami le plus proche de la victime, le dernier à l'avoir vu vivant, vient le premier à la barre.
- Nous faisions des jeux de rôle. J'allais le voir au magasin avec son père. Je pense tous les jours à lui...
Le jeune homme ne peut pas aller plus loin. Il éclate en sanglots. Le président Buet l'invite à se retirer et se tourne vers l'accusé :
- Cela fait trois ans qu'Hervé est mort. Vous voyez que son souvenir est présent, que l'amitié est restée. Et à vous, cela vous fait quoi ?
Pascal se lève et ne répond pas. Le président attend un moment, avant de conclure :
- On ne le saura pas. Asseyez-vous.
Il y a un murmure sourd dans le public. L'effet produit par tant de froideur est tellement désastreux que maître Rippert demande une suspension d'audience pour s'entretenir avec son client...
A la reprise, c'est au tour de monsieur T. de venir à la barre. Le malheureux père fait sa déposition un mouchoir à la main.
- La voix du correspondant anonyme était déterminée. Les instructions étaient précises et minutieuses. J'ai obéi. L'inconnu m'avait affirmé que mon fils serait libre dans l'heure. J'ai donc déposé l'argent et je suis parti. Puis j'ai attendu...
Ce qui s'est passé pendant ce temps, Pascal le précise à la demande du président et chacun retient son souffle devant cette terrible évocation :
- J'ai ramassé le sac derrière la cabine téléphonique et j'ai repris la route. A l'intérieur du coffre, le jeune homme se plaignait. J'ai trouvé un petit chemin forestier boueux, désert, bordé de hêtres. J'ai ouvert le coffre. Je jeune homme a commencé à se dégourdir les jambes puis a fumé une cigarette. Je lui ai dit : "Tu peux t'en aller." Mais il avait peur que je lui tire dans le dos. Pour le faire partir, j'ai tiré un coup d'intimidation au-dessus de sa tête. Il est tombé par terre. Je lui ai demandé si je l'avais blessé. Il a répondu que non. Mais il a ajouté qu'il m'avait reconnu qui'l le dirait à son père. Alors, j'ai réarmé mon revolver et je lui ai tiré une balle dans la tête, puis une seconde.
Le récit est terminé. Le président Buet tente de nouveau de comprendre la psychologie du meurtrier. Il l'interroge :
- Il y a deux morts dans votre vie. Comment vit-on avec ?
Pascal se lève. Il sait qu'il doit absolument répondre. Il hésite et finit par lâcher quelques phrases dont il faudra se contenter :
- Ma vie est compliquée. Je pense toujours à ce que j'ai fait. C'est comme si j'avait dévasté une famille...
Premier à prononcer son discours, maître Serge Billet, partie civile, représentant à la fois messieurs T. et D. :
- Vos regrets sonnent faux, dit-il. Dans les cercueils, vous avez enfermé deux symboles : la jeunesse et le respect qu'on doit à la vieillesse. Je ne crois pas que la justice des hommes puisse vous le pardonner...
Le troisième et dernier jour du procès commence avec le réquisitoire de l'avocat général Jean-Michel Tissot. Il a des formules cinglantes :
- Cet homme est un commando à lui tout seul. C'est un serpent. Un reptile, c'est froid et ça fuit quand ça a peur. Il s'est attaqué à Madame D., quatre-vingt-quatre ans, et à Hervé à peine sorti de l'adolescence... Non, vous ne lui trouverez pas de circonstances atténuantes, parce qu'il avait le pouvoir de s'arrêter.
Mais dans sa conclusion, il récuse explicitement le verdict de Chambéry, en demandant la perpétuité "assortie d'une période de sûreté de vingt ans pour qu'il ne tue pas de nouveau".
Maître Bernard Rippert en voit sa tâche facilitée. Il reconnaît la responsabilité de ce "solitaire égaré dans le troupeau des humains", mais il s'en prend vivement à la peine prononcée contre "le recordman de la sanction pénale".
- Heureusement, cette peine de trente ans a ému les honnêtes gens, parce qu'elle a jeté un jeune de de vingt-cinq ans au fond du trou. A des actes barbares, on a répondu par une sanction barbare. La prison est un endroit où on ne vit pas, où le temps est suspendu. La justice doit ouvrir les yeux, y compris ceux du coupable.
Conformément à la loi, Pascal a la parole en dernier :
- En prison centrale, je serai entouré de psychiatres. Sans doute pourrai-je m'expliquer avec les personnes que j'ai blessées. Je n'oublie pas le mal que j'ai pu faire. Quand j'arriverai à comprendre, je leur demanderai pardon.
Tout est dit et les jurés se retirent pour délibérer. Ils reviennent avec un verdict qui suit exactement les réquisitions de l'avocat général : la perpétuité, avec vingt ans de sûreté.
Pascal n'est plus l'homme le plus condamné de France.


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MessageSujet: La lettre d'Arthur   Pierre Bellemare EmptyMer 24 Jan - 22:31

Helen Rogers et Arthur Fosbury se rencontrent dans une vente de charité au grand hôtel Savoy, à Londres, en 1923. Elle a vingt-cinq ans, il en a vingt-huit et ils appartiennent tous deux à la meilleure bourgeoisie. Helen est est la fille de professeurs d'université et elle enseigne elle-même la littérature dans une institution chic de la capitale. Arthur est industriel. Son père est mort quelques années plus tôt dans un accident de chemin de fer et, depuis, il est à la tête de la considérable fabrique de meubles familiale.
Pourtant, Arthur Fosbury n'a pas l'âme d'un homme d'affaires. Il a repris l'entreprise de son père parce qu'il le fallait bien, mais si on lui avait donné le choix, il aurait exercé un métier du genre de celui d'Helen. Il aime les lettres, les arts, la culture... Bref, les deux jeunes gens ne se découvrent que des affinités et décident de se revoir.
La deuxième rencontre a lieu dans un musée, la troisième au restaurant et la quatrième se termine à l'hôtel. Pas chez Arthur ou chez Helen, car malgré leur âge, ils habitent chez leurs parents et, d'un côté comme de l'autre, on n'a pas les idées larges. Mme Fosbury, surtout, qui, depuis la mort de son mari, se comporte avec Arthur en véritable mère abusive... Ce dernier s'en ouvre à sa compagne :
- J'ai très peur de maman. Elle ne cesse de me dire : "Un fils doit rester auprès de sa mère pour la soutenir et l'aider. Je n'accepterais jamais qu'une autre femme t'enlève à moi."
Helen tente de le réconforter.
- Quand elle saura que nous nous aimons, elle changera d'avis... Parle-lui et tu verras !

Arthur prend son courage à deux mains et parle à sa mère, mais le résultat dépasse ses pires appréhensions.
Mise au courant de sa relation amoureuse et de ses projets de mariage, Mme Fosbury entre dans une fureur démente.
- Tu ne l'épouseras jamais ! Tu m'entends ? Jamais !
- C'est ce qu'on verra !
- C'est tout vu. En attendant, je vais m'en occuper, de ta traînée ! On va voir ce qu'on va voir !
Et on voit, effectivement... A partir de ce moment, c'est l'enfer qui commence pour Helen et Arthur.
Quelques jours plus tard, M. et Mme. Rogers, les parents d'Helen, ont la stupéfaction de trouver la lettre suivante à leur courrier : "Madame et Monsieur, je tiens à vous faire savoir que mon mari était épileptique, qu'une de mes soeurs est alcoolique et que l'autre est internée dans un asile. Voila la famille de celui que votre fille veut épouser !"

L'excès même de ces affirmations fait que les Rogers ne les prennent pas au sérieux. Mais quelques jours plus tard, Helen a la désagréable surprise de se voir convoquée par la directrice de son établissement... Cette dernière lui tend une lettre. Helen reconnaît l'écriture : elle l' déjà vue chez ses parents.
- Voici ce que j'ai reçu. Je vous dis tout de suite que je n'en tiens aucun compte. Je sais que vous êtes irréprochable et je vous fais confiance.
Helen ouvre la missive : c'est bien une lettre de Mme Fosbury... C'est un tombereau d'ordures, un ramassis des accusations les plus basses et les plus viles ! Helen est bouleversée, mais elle garde confiance.
Mme Fosbury perd la tête. Ses outrances se retournent contre elle. En continuant ainsi, elle peut leur faire passer des moments très pénibles à Arthur et à elle, mais en fin de compte l'amour sera vainqueur. C'est alors que M. et Mme Rogers reçoivent un nouveau courrier de Mme Fosbury. Il est très différent du précédent : "J'ai peur ! Arthur a une mentalité d'assassin et, depuis que je m'oppose à son mariage, il veut ma mort. S'il m'arrivait malheur dans les jours qui suivent, ce ne serait pas un accident, mais un meurtre !"
Chez les Rogers, il y a un grand silence. Personne ne sait que dire et Helen ne peut s'empêcher de frissonner. Elle n'aime pas cela. C'est comme si la mort venait de faire irruption dans cette histoire. Elle a un très désagréable pressentiment.
Il est malheureusement justifié. Le lendemain, en arrivant à l'école, elle voit une de ses collègues lui tendre un journal.
- Tu es au courant ?
Helen Rogers blêmit. Elle vient d'apercevoir la photo de Mme Fosbury. Et le texte qui figure en dessous la glace de terreur : "Mme Fosbury, veuve de l'industriel bien connu, a été retrouvé asphyxiée par le gaz dans son hôtel particulier londonien. Son fils Arthur a été arrêté. De graves soupçons pèsent sur lui."
Helen rentre chez elle dans un état second. Mais à la maison, c'est une épreuve pire encore qui l'attend. Son père lui brandi le journal sous le nez.
- Elle l'avait dit ! Elle avait raison !
La jeune fille se révolte.
- Comment peux-tu dire une chose pareille ? C'est une machination, au contraire. Elle s'est suicidée pour qu'on accuse Arthur et empêcher qu'on se marie !
- Parce que tu veux l'épouser ? Il est en prison, accusé de meurtre, et tu veux te marier avec lui ? Jamais ma fille n'épousera un criminel !
- Il est innocent, papa. Toute personne qui n'a pas été condamnée est innocente !
- Si tu l'épouses, tu n'es plus ma fille...
Helen court s'enfermer dans sa chambre. Elle est bouleversée. Il n'est bien sûr, pas question pour elle de renoncer à Arthur, mais elle aime profondément ses parents et elle ne veut pas non plus les heurter de front. Elle se décide pour un compromis : elle n'ira pas voir Arthur en prison et, dès qu'il sortira - car il ne peut pas en être autrement, il est victime d'une erreur -, elle lui proposera de se marier au plus tôt.
C'est d'ailleurs ce qui ne tarde pas à se produire. Arthur Fosbury est libéré, l'enquête n'ayant retenu aucune charge contre lui. Mais Helen se heurte encore une fois à l'opposition de son père.
- Tu n'iras pas voir ce garçon !
- Mais enfin, on sait maintenant que Mme Fosbury s'est suicidée.
M. Rogers a malheureusement toujours été très rigide et sa mentalité est profondément marquée par la religion. Il lui répond en lui citant les Saintes Ecritures.
- "Malheur à celui par qui le scandale arrive !"
Ce garçon ne mettra jamais les pieds chez moi.
- Papa, tu n'as pas le droit !
Helen perd une journée entière à discuter ainsi. Elle se décide enfin à passer outre, mais c'est trop tard. Quand elle se présente dans le luxueux hôtel particulier qu'habite Arthur à Mayfair, le quartier chic de Londres, elle est reçue par le majordome.
- Vous ne trouverez pas M. Fosbury, Mademoiselle. Il vient de partir pour l'Australie.
- L'Australie ! Mais pourquoi ?
- Puor s'y fixer définitivement. C'est ce qu'il m'a bien précisé... Il m'a également remis une lettre pour vous.
Le majordome lui tend la missive et s'incline respectueusement. Une fois dehors, Helen la décachette et lit, dans un état second :

"Helen chérie,

Après ce qui s'est passé, je ne peux plus vivre avec vous. Je vais à l'autre bout de la terre, mais cela ne m'empêchera pas de penser à vous et de vous aimer. Je peux vous jurer deux choses : premièrement, que je ne me marierai jamais, et ensuite, que je vous écrirai. Je ne peux pas vous dire quand, mais je vous jure que vous recevrez une lettre de moi."

La lettre d'Arthur... De ce moment, elle devient le centre, le sens de la vie d'Helen Rogers. Elle ne pense qu'à elle, elle l'attend chaque jour. Elle se dit d'abord que c'est une question de mois. Et puis les années passent, alors slle se dit que c'est une question d'années, mais elle ne perd pas confiance. Elle non plus ne se marie pas ; elle repousse les avances de ses collègues enseignants et plusieurs riches partis que lui présentent ses parents. Pendant vingt ans, elle habite chez eux, guettant chaque matin le facteur.
Et puis ses parents finissent par mourir. Ils vivaient dans un joli cottage de la proche banlieue de Londres et, avec son salaire de professeur, elle est incapable de faire face aux charges. Elle est obligée de vendre.
Mais tous les mois, elle revient à son adresse et demande aux nouveaux propriétaires :
- Est-ce que vous n'auriez pas reçu une lettre d'Australie ?
Ceux-ci, qui ont fini par la considérer comme gentiment toquée, lui répondent chaque fois la même chose :
- Non, mademoiselle. Mais ne vous inquiétez pas : si elle arrive, nous vous la ferons suivre.

Octobre 1974... Cinquante et un ans se sont écoulés depuis le départ d'Arthur Fosbury. Helen Rogers est à présent une vieille demoiselle de soixante-seize ans au chignon blanc et aux lunettes dorées. Mais on ne sent nulle aigreur, nulle tristesse en elle. Elle attend, tout simplement... Son Arthur ne peut pas l'abandonner. Il écrira, il l'a promis.
Aussi nem arque-t-elle pas de surprise sans le facteur sonne à sa porte et lui dit :
- Un recommandé pour vous, en provenance d'Australie. Si vous voulez bien signer ici...

Il s'agit d'une grosse enveloppe, qui en contient une plus petite, sur laquelle Helen reconnaît l'écriture d'Arthur, et une lettre. helen commence par la lettre. Elle porte l'en-tête de maître Jonathan Jones, notaire à Melbourne : "Mademoiselle, j'ai le regret de vous informer du décès, le 16 septembre dernier, de mon client Arthur Fosbury."
Helen Rogers a un pincement douloureux au coeur, mais elle se force à poursuivre : "M. Fosbury a fait un testament en votre faveur. Du fait qu'il ne s'est jamais marié et qu'il n'avait pas de famille collatérale, vous êtes la seule héritière de sa fortune."

Suit la liste des biens en question, qui est impressionnante : une chaîne de magasins, des bateaux de commerce, des immeubles, un journal et même une mine d'or ! Helen ne s'attarde pas à cette énumération. Elle n'a pas d'héritier non plus, cet argent ne l'intéresse pas. Elle le donnera à des oeuvres... Non, c'est la lettre seule qui compte, la lettre d'Arthur, qu'elle attend depuis cinquante et un ans. Elle a la certitude qu'elle va enfin comprendre.
Et elle ne se trompe pas... La lettre contient le secret d'Arthur, qui est l'explication de tout.

"Helen chérie,

Je ne vous ai pas menti : vous avez ma lettre. Si je ne vous ai pas dit qu'elle vous serait remise à ma mort, c'est que je ne voulais pas vous faire de chagrin.
C'est moi qui ai tué ma mère. Je l'ai fait pour que nous puissions nous marier. Mais en prison, je me suis rendu compte de mon erreur. J'étais un criminel et j'étais devenu indigne de vous épouser. Alors, je me suis enfui au bout du monde. Pour tromper mon ennui, je me suis jeté dans le travail et j'ai fait fortune, mais pas un instant je n'ai cessé de penser à vous.
J'espère que vous me pardonnerez. Je vous aime.

Arthur."
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MessageSujet: Re: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyJeu 25 Jan - 16:58

Merci miss, je viens de lire la première histoire ! I love you
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyJeu 25 Jan - 18:25

La première, je ne l'ai pas trouvée terrible, DOmi. La seconde est plus belle.
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyVen 26 Jan - 21:11

Les deux "G"

27 mars 1995, 15 h 15. Un homme élégant pénètre dans un immeuble de la via Palestro, dans le quartier des affaires de Milan. Il s'agit de Maurizio Gucci, quarante-quatre ans, l'un des dirigeants de la fameuse marque de luxe italienne. Le concierge, Giuseppe Onorato, qui se trouvait dans le hall, s'empresse d'aller à sa rencontre, pour le saluer avec respect.
La suite va très vite. n homme robuste, de taille moyenne, âgé d'une trentaine d'années, fait irruption, sort un revolver et tire à trois reprises à bout portant dans la nuque de l'industriel, qui s'effondre. Courageusement, Giuseppe Onorato se jette sur l'agresseur, qui tourne son arme contre lui et le blesse au bras. Après quoi, il prend la fuite, monte dans une voiture de couleur verte qui l'attend dans la rue et disparaît...
Lorsque les secours arrivent, ils ne peuvent que constater le décès de Maurizio Gucci, tué de trois balles de 7,65. En raison de la personnalité de la victime, l'affaire connaît tout de suite un retentissement considérable. Et, pour les policiers, c'est une tâche très délicate qui commence. Elle va les conduire à enquêter au sein de la famille Gucci, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'est pas ordinaire.
A l'origine de la fortune des Gucci, il y a la trouvaille d'un homme de génie. Né en 1853, dans un faubourg de Florence, Guccio Gucci émigre à cause de la pauvreté, comme tant de ses compatriotes. Il va en Angleterre où il trouve un modeste poste de bagagiste au Savoy, le place londonien. Pendant trente-cinq ans, il exerce ce métier ingrat et fatiguant, mais qui lui permet, avec des pourboires, d'accumuler un joli pécule.
En 1904, il rentre à Florence, s'installe dans un petit atelier et se met en devoir de réaliser l'idée qui lui est venue : à force de colporter les valises, il s'est rendu compte qu'elles étaient bien trop lourdes et manquaient de raffinement. Bien sûr, les gens de la haute société ne les portent pas eux-mêmes, mais cela peut exceptionnellement arriver, et puis, il leur plairait certainement d'avoir avec eux quelque chose de plus esthétique. Il réalise donc, avec des matières nouvelles, des bagages souples, coud en travers une sangle vert et rouge et signe le tout par ses initiales, deux "G" entrelacés, qui deviennent la griffe de la firme.
L'idée était bonne et le succès est immédiat. A tel point que Guccio demande de l'aide dans sa famille. Il est bientôt assisté par ses fils Vasco, Ugo et Aldo, son frère Rodolfo et le fils de ce dernier, Rodolfo junior. Et, lorsqu'il meurt centenaire, en 1953, l'atelier artisanal de Florence est devenu une entreprise de taille mondiale, qui occupe l'une des toutes premières places dans le domaine du luxe.
Mais s'il avait du génie, Guccio Gucci avait aussi un caractère épouvantable. Très autoritaire, il s'est employé toute sa vie à monter les uns contre les autres ses divers descendants pour continuer à gouverner sans partage. Si bien que la famille Gucci est devenue très vite un véritable panier de crabes et qu'elle l'est restée.
A sa mort, c'est la troisième génération qui prend les commandes : ses petits-fils Giorgio, Paulo et Roberto, ainsi que leur cousin Maurizio, fils de Rodolfo junior, qui a préféré être acteur. Et l'état d'esprit détestable qui avait existé dans la famille du vivant de Guccio continue de sévir. Les héritiers ne cessent de s'insulter publiquement, de se faire chanter, de s'évincer à tour de rôle des divers conseils d'administration
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyVen 26 Jan - 22:40

De tous, c'est Maurizio Gucci qui a la personnalité la plus marquée. C'est lui qui mène la vie la plus active et la plus tapageuse. Très jeune, il a épousé Patrizia Reggiani, une superbe brune aux yeux violets, qui n'est pas sans ressemblance avec Elizabeth Taylor, tant par le physique que par le tempérament volcanique. Le couple est une des plus en vue de lahaute société italienne, mais, comme toute la famille Gucci, il reste boudé par la classe dirigeante traditionnelle, groupée autour de Giovanni Agnelli.
Les élites traditionnelles le snobant, pour se faire remarquer plus encore, Maurizio Gucci rachète le trois-mâts de Stavros Niarchos, Le Créole, considéré comme le plus beau voilier du monde. Cela n'empêche pas les démêlés avec sa famille de se poursuivre. Ses cousins l'attaquent en justice et font la preuve qu'il s'est offert Le Créole en exportant illégalement des capitaux. Peu après, Maurizio contre-attaque, en dénonçant au fisc son oncle Aldo. Ce dernier, âgé de quatre-vingts ans, est condamné par la justice et finit ses jours en prison !
Entre-temps, Maurizio a divorcé de Patrizia, qui, furieuse d'avoir été évincée, rejoint le clan de ses cousins contre lui... Les hostilités continuent. En 1989, afin de récupérer 53 % de Gucci, Maurizio s'allie à l'un de ses cousins, Giorgio, pour éliminer les autres. En représailles, ceux-ci, aidés par Patrizia Reggiani, l'accusent d'avoir falsifié la signature de son père Rodolfo, pour se soustraire aux droits de succession, estimés à deux milliards de lires. Maurizio s'enfuit en Suisse et il est finalement innocenté par la Cour de cassation.
Il reste pourtant en pays transalpin où il se plaît et où il décide de faire des affaires. Il a élu domicile à Suvretta, le quartier chic de Saint-Moritz. Sa propriété L'Oiseau bleu est un ensemble de trois chalets en bois ancien noir et aux volets bleus, reliés entre eux par des galeries souterraines. Il y collectionne les meubles Charles X et les porcelaines chinoises. En février 1995, il crée à Lugano Grands Jeux, une société de casinos, dont il détient 51 %. Il veut, en outre, fonder à Crans-Montana un complexe de jeux et d'hôtellerie, pour en faire le Monte-Carlo des neiges. Il entre ainsi dans le monde des jeux où la concurrence est féroce et où gravitent toutes sortes de gens dangereux, y compris ceux liés à la mafia... C'est un mois plus tard qui'l est assassiné.
Dans ces conditions, pour le juge d'instruction Carlo Nocerino, chargé de cette difficile enquête, les choses sont claires. Il y a deux pistes possibles : soit un concurrent dans le monde du jeu, soit unmembre de la famille Gucci. Mais pour plusieurs raisons, le magistrat, approuvé en cela par les journaux dans toutes leurs analyses, privilégie la première hypothèse.
D'abord, Maurizio Gucci avait fondé le complexe de casinos Grands Jeux en février 1995 et il est assassiné en mars : il est difficile de croire que ce soit une coïncidence. Ensuite, il y a la manière dont s'est déroulé le meurtre : le sang-froid de cet homme, qui agit en plein jour et abat sa victime de trois balles dans la nuque. Tout cela indique un professionnel et, malgré le climat détestable qui règne dans la famille, on voit mal les Gucci faire appel à un tueur. En revanche, cela correspond tout à fait aux pratiques existant dans le milieu du jeu.
Des investigations sont donc menées en Suisse, conjointement avec la police helvétique. Or non seulement elles se révèlent infructueuses, mais elles ne tardent pas à être abandonnées. Il apparaît très vite, au contraire, que c'est l'autre direction, la piste familiale, qui est la bonne. C'est bien chez les Gucci qu'on doit chercher l'assassin de Maurizio Gucci...
C'est un avocat milanais, maître Malvini, qui va faire changer d'opinion le juge d'instruction Nocerino. Il vient le trouver quelques jours après le meurtre pour lui faire une stupéfiante révélation.
- Patrizia Reggiani était ma cliente et je suis obligé de vous dire la vérité : l'année dernière, elle est venu me demander si je connaissais un moyen de la débarrasser de son ex-mari.
Le juge d'instruction n'en revient pas. Il demande :
- Quelle a été votre réaction ?
- Je l'ai éconduite, bien sûr. Et j'ai immédiatement prévenu Maurizio Gucci.
- Et lui, comment a-t-il réagi ?
- Il n'a pas rpis la chose au sérieux. Comme Patrizia Reggiani est une adepte de la magie, il a pensé qu'elle voulait lui jeter un sort et il a engagé un exorciste. Peut-être aurait-il mieux fait d'engager un garde du corps...
Du coup, tandis que les recherches se poursuivent vainement en Suisse, Carlo Nocerino s'intéresse de très près à Patrizia Reggiani, et ce qui'l découvre est pour le moins troublant.
Elle est d'un tempérament passionné et violent. Bien qu'après son divorce elle soit passé envers son ex-mari de l'amour à la haine, elle continuait d'être jalouse de lui comme un tigresse. Or, depuis peu, Maurizio Gucci s'était mis en ménage avec une jolie décoratrice, Paola Franchi et, en février 1995, au moment même où il créait sa société de casinos, il avait annoncé officiellement leur mariage.
Et le comportement de Patrizia Reggiani ne fait que conforter les soupçons du juge. Le lendemain du meurtre, elle est allée dans l'appartement milanais de Maurizio, pour intimer à la compagne de celui-ci l'ordre de partir, étant donné que ce logement appartenait à ses filles Alessandra et Allegra. Paola Franchi a dû s'exécuter. Par la suite, Patrizia n'a cessé d'accorder des interviews, dans lesquelles elle manifestait sans détour ses sentiments. Elle a ainsi déclaré au quotidien Corriere della serra :"Humainement, je sui sdésolée. Mais je ne peux pas en dire autant sur le plan personnel." Enfin, elle venait de publier un roman, dans lequel l'héroïne disait à son mari : "Il y a aura un tueur pour toi !"
Dans un premier temps, le juge d'instruction préfère ne pas interroger l'intéressée elle-même, mais puisqu'il s'avère qu'elle consultait une voyante, il décide de convoquer celle-ci, une nommée Giuseppina Auriemna. Et son choix se révèle bon car, après avoir résisté quelque temps, la femme finit par passer aux aveux.
- C'est vrai, Mme Reggiani m'avait offert six cents millions de lires pour l'exécution du cotnrat.
- Et vous avez accepté ?
- Dame, pour un esomme pareille ! Je connaissais un mauvais garçon, Benedetto Ceraulo. C'est lui qui a fait le coup. Et, comme chauffeur, j'ai recruté une autre personne du milieu, Orazio Cigala.
Confronté au concierge de l'immeuble, Benedetto Ceraulo est formellement reconnu par ce dernier. Patrizia Reggiani est aussitôt arrêtée et inculpée d'assassinat, ainsi que toute la bande.

Au procès des meurtriers de Maurizio Gucci, qui s'ouvre trois ans plus tard, en juin 1998, Patrizia Regggiani attire, bien sûr, tous les regards, au milieu de ses ternes comparses, une femme comme tout le monde qui se disait voyante pour se faire quelque argent et deux petits voyous milanais. L'ex-épouse de la victime est plus belle que jamais, il y a même en elle quelque choses d'éclatant, mais sur le plan moral, c'est autre choses. Au fil des débats, on découvre avec effarement la violence de la haine qui l'habitait.
Bien que, à la différence de ses complices, elle ait toujours nié, sa culpabilité est évidente. Le témoignage de la gouvernante de ses deux filles est particulièrement accablant pour elle.
- Un jour, déclare-t-elle, Madame m'a demandé de trouver un tueur pour son mari.
- Pourquoi vous ? s'étonne le président. Comment a-t-elle pensé que vous pouviez faire une chose pareille ?
- C'est ce que je lui ai dit. J'étais stupéfaite et indignée. Elle m'a répondu : "Je le demande à tout le monde. Je le demanderai même au charcutier. Je ne pense qu'à cela. C'est une obsession..."
Face à cette situation, la défense fait ce qu'elle peut. Dans un premier temps, Patrizia Reggiani ayant subi une opération au cerveau, son avocat essaie de la faire passer pour folle, mais des médecins viennent démentir cette thèse à la barre. Alors, l'avocat de Patrizia charge ses coaccusés : elle est victime d'un complot, c'est Giuseppina Auriemna qui a organisé suele le meurtre dans l'espoir de faire chanter ensuite sa cliente.
- Certes, s'écrie l'avocat dans sa plaidoirie, Patrizia Reggiani n'a cessé de déclarer vouloir se débarrasser de son ancien époux. Si elle avait vraiment voulu le tuer, elle ne l'aurait pas claironné sur tous les tons. non, c'est Giuseppina Auriemna qui est la seule coupable !

Mais pas un instant les jurés ne croient à cette thèse. Il ne leur faut pas une heure pour rendre un quadruple verdict de culpabilité : Benedetto Ceraulo, le tueur, est condamné à la perpétuité. Patrizia Reggiani à vingt-neuf ans de prison, Giuseppina Auriemna à vingt-six ans et, enfin Orazio Cigala, le chauffeur, à vingt-cinq ans...
Au moment où est prononcé le verdict, éclatent dans la salle des anglots déchirants. Ce sont Alessandra et Allegra, les filles de Patrizia qui semblent comprendre soudain ce qu'elles s'étaient refusé à admettre jusque-là : que leur mère a tué leur pqère et qu'elels-mêmes font partie de cette famille Gucci qui, en même temps que la fortune, apporte aux siens la haine et, parfois, la mort.
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptySam 27 Jan - 20:39

Madame Wu, empereur de Chine


En cette année 649, la Chine vit une des plus brillantes périodes de son histoire, celle de la dynastie Tang. Bien protégée par la Grande Muraille, elle est à l'abri des invasions turques ou mongoles ; c'est elle, au contraire, qui multiplie les annexions et les conquêtes. Le pays est prospère, la sécurité règne, les récoltes sont bonnes. La vie intellectuelle et artistique est tout aussi brillante : on assiste à une floraison de poètes et de philosophes.
Mais pour l'instant, l'heure est à la tristesse. Après un long et glorieux règne, l'empereur Taizong vient de s'éteindre. Dans tout le palais, ce ne sont que des pleurs et les lamentations sont particulièrement vives du côté du harem. En effet, selon la loi, les favorites du souverain défunt doivent se retirer dans un monastère. Après avoir connu la vie brillante de la cour, le maquillage raffiné et les éclatantes parures, elles vont avoir la tête rasée et revêtir la méchante robe de drap blanc des nonnes, pour finir leurs jours dans le silence et la solitude...
Parmi les favorites, Wu Zetian est peut-être la plus amère. D'abord parce que c'est la plus ancienne. Elle a vingt-sept ans, elle est entrée au palais à quatorze ans et elle va devoir le quitter après treize ans d'enchantement. Ensuite, c'était la préférée du souverain et pas seulement à cause de sa beauté sans pareille, car elle éclipsait toutes les dames de la cour, par son esprit, sa culture. Elle était une personnalité, qu'on admirait et qu'on flattait, car on savait qu'elle pouvait tout ou presque obtenir de l'empereur.
Deux nonnes venues spécialement au palais ont commencé la coupe rituelle des cheveux. Madame Wu voit les longues tresses noires de ses compagnes, naguère parées de perles et diamants, tomber sous les ciseaux et le rasoir s'attaquer au crâne, pour le mettre totalement à nu. Bientôt ce sera à elle... Bien sûr, elle savait cela en arrivant : l'empereur était déjà âgé, il mourrait tôt ou tard, mais c'est si triste et si injuste ! Elle ne peut s'empêcher d'éclater en sanglots déchirants...
- Tu as donc tant de chagrin, Wu Zetian ?
La jeune femme lève les yeux et sursaute. C'est lui, c'est le nouvel empereur, Gaozong !... Parmi ses nombreux fils, Taizong l'a choisi pour lui succéder parce que c'était son préféré. Mais on peut se demander s'il ne s'agit pas d'une erreur politique. A vingt-deux ans, Gaozong a encore des allures d'adolescent.
Certes, il ne manque pas de charme, avec son visage délicat, orné d'une fine moustache tombante et ses yeux rêveurs, mais ila plus l'air d'un poète que d'un empereur. Gaozong se tient gauchement devant l'ancienne favorite en pleurs. D'ailleurs, il est toujours gauche dans son maintien, spécialement avec les femmes.
Wu Zetian le considère à travers ses larmes. Pendant la longue maladie de son père, elle s'est trouvée très souvent en sa présence dans la cahmbre impériale et elle a parfaitement remarqué que le jeune homme rougissait quand elle arrivait ; parlois, il lui lançait des regards à la dérobée... Elle sent que si elle a une seule chance d'échapper au sort qui l'attend, c'est maintenant ! Elle cesse ses larmes et pousse un long soupir.
- Je pleure ton père, Fils du Ciel ! Et je pleure surtout....
Elle lève ses grands yeux noirs vers lui, en y mettant toute la sensualité dont elle est capable.
- Je pleure surtout parce que je vais te quitter.
Gaozong ne peut cacher son émotion.
- Hélas, c'est la loi ! Nul ne peut s'y soustraire.
- Je ne m'y oppose pas et je vais partir. Mais toi, rien ne t'interdit de venir me voir au monastère. Tu es empereur, tu as tous les droits.
Le jeune souverain fixe les yeux noirs, le visage sensuel rendu plus troublant encore par les larmes, hésite un instant et finit par déclarer :
- Je viendrai...
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptySam 27 Jan - 21:22

Gaozong ne tarde pas pour mettre sa promesse à exécution. La semaine suivante, il se présente au monastère. La supérieure se prosterne devant lui, le conduit à la cellule de Wu Zetian et les liasse seuls. Wu a du mal à contenir les battements de son coeur tant sa joie est violente, mais elle se permet quand même d'être coquette.
- Pars, Fils du Ciel ! Je ne veux pas que tu me voies ainsi, sans mes cheveux.
- Qu'importe le feuillage, il repousse. C'est l'arbre qui compte.
L'empereur a la voix douce, il approche d'elle sa main fine, son regard exprime toute l'émotion du monde.
- Je t'aime depuiis toujours, Wu.
Il revient encore et de plus en plus souvent, à mesure que le temps avance. Wu se rend compte que l'empereur est follement épris d'elle, mais elle préfère ne rien lui demander, elle laisse faire les événements, persuadée que son heure viendra. Et elle ne se trompe pas ; au bout de quelques mois, elle s'aperçoit qu'elle est enceinte. Quand elle l'apprend à son impérial amant, ce dernier est fou de jioe, c'est son premier enfant ! Mais il manifeste également sa contrariété.
- Tu ne peux pas accoucher au couvent, ce ne serait pas convenable.
- Que faire alors ?
- Je vais demander que tu sois relevée de ta condition religieuse et tu viendras au palais.
- Que va dire l'impératrice ?
- Elle sera d'accord...
Gaozong ne ment pas. En apprenant que Wu est enceinte, l'impératrice Wang propose même spontanément qu'elle vienne accoucher à la cour. Wang est une charmante jeune femme, très douce, remarquable par son teint de nacre et ses cils immenses, mais qui est frappée par une terrible infortune : elle est stérile. Elle sait que ce n'est pas elle qui donnera un héritier à l'empereur, il l'aura avec une favorite.
Or, justement, elle redoute beaucoup l'une d'elle, Xiao. Aussi belle qu'arrogante, Xioa ne cache pas son intention de prendre sa place sur le trône. Wang sait que l'empereur est faible et tout à fait capable de lui céder. En faisant venir à la cour Wu, qui va avoir un enfant, elle portera un coup décisif à sa rivale. Bien sûr, il y aura Wu elle-même, mais Wang ne pense pas avoir quelque chose à craindre d'elle ; du temps de l'ancien empereur, elle était louée de tous pour sa sagesse. Elle aura dans l'ancienne religieuse une alliée et non une rivale.
Et il semble que Wang ne se soit pas trompée. Madame Wu devient même vite pour elle plus qu'une alliée, une amie. Non seulement elle n'est pas hautaine, comme Xiao, mais elle est l'image me^me de la modestie, de l'humilité. Toujours les yeux baissés, la voix douce, elle ne quitte pas sa compagnie, multipliant les attentions à son égard. Bien sûr, l'empereur semble très épris d'elle, mais elle n'en profite pas. Elle lui fait, au contraire, les déclarations les plus touchantes.
- Lorsque cet enfant sera né, tu pourras le considérer comme le tien, Wang. Celui de l'empereur est aussi celui de l'impératrice.
Xiao n'a évidemment pas la même attitude vis-à-vis de Madame Wu. Dès son arrivée à la cour, elle la prend en haine, non seulement parce qu'elle va avoir un enfant de l'empereur avant elle, mais parce qu'elle se rend compte des sentiments que ce dernier lui porte. Elle ne peut pas s'empêcher de la menacer publiquement.
- Prends garde, Wu, un jour, ce sera moi l'impératrice et tu retourneras au couvent !
Wu ne répond rien, elle se contente de baisser la tête et toute la cour se répand en louanges devant tant de retenue et de douceur. A une exception, cependant : le poète Lo Ping Wang. Ce vieux sage aux yeux perçants et à la barbe blanche longue comme une corde, dont on dit qu'il a le pouvoir de lire dans les âmes, s'approche d'elle avec un sourire.
- Tu ne devrais pas baisser la tête, Wu. Tu montres tes sourcils.
- Qu'ont donc mes sourcils, noble Lo Ping Wang ?
- Ils sont comme les antennes dressées de l'insecte qui va dévorer sa proie.
Le vieux poète ne se trompe pas : seul de toute la cour, il a percé le secret de Madame Wu. Bien sûr qu'elle veut prendre la palce de l'impératrice et plus que cela encore : son ambition est sans limites ! Mais elle se garde bien de le montrer. Elle n'est pas une écervelée comme Xiao. Menacer est la dernière des sottises. Il faut se taire, attendre d'être la plus forte et, à ce moment-là, frapper !
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyDim 28 Jan - 14:37

Pour être la plus forte, le meilleur moyen serait de donner un fils à l'empereur. Lorsque l'accouchement arrive, Wu prie de toutes ses forces le ciel pour que ce soit un garçon et... c'est une fille. Sa déception est à la mesure de ses espoirs, immense. Elle va être forcée d'attendre d'être de nouveau enceinte, en espérant que Xiao ou une autre n'aura pas, entre-temps, donné un héritier à l'empereur.
Malgré tout, Wu ne se laisse pas abattre. Son naturel combatif reprend le dessus. Elle réfléchit et, peu à peu, le sourire lui revient. Le fait qu'elle ait une fille peut, au contraire, la servir. Pour cela, il suffit de ne reculer devant rien... Bientôt, elle a mis au point un plan absolument monstrueux, qui faire d'elle une des plus effrayantes criminelles de l'histoire !

Elle s'adresse aux servantes qui, déjà, emportent l'enfant dans son berceau, pour l'emmener dans la chambre qui lui est réservée.
- Donnez-moi ma fille !
Elle la prend dans ses bras, la couvre de baisers, l'appelle "lumière de ma vie", "chair de ma chair", rit avec elle et, quand les servantes veulent la prendre pour l'emmener, elle se fâche.
- Jamais ! Je veux la garder avec moi. Elle ne quittera pas ma chambre...
Lorsqu'elle est connue à la cour, cette manifestation d'amour maternel provoque la plus grande surprise. En découvrant qu'ils s'agissait d'une fille, Madame Wu aurait dû sombrer dans le désespoir et, d'ailleurs, Xiao a explosé de joie en l'apprenant. Mais non, pour elle, c'est son enfant, il n'y a que cela qui compte ! Une telle preuve de ses qualités de coeur et de sa sagesse renforce encore l'admiration qui l'entourait.
L'impératrice Wang partage le sentiment général et, deux jours plus tard, elle fait annoncer à Wu qu'elle va rendre visite à l'enfant. La jeune maman, qui vient tout juste de se lever, l'accueille dans sa chambre avec effusion. Wang prend le bébé dans ses bras et félicite Wu, tant pour la beauté de sa fille que pour la noblesse de ses sentiments... Celle-ci s'incline profondément pour la remercier et lui adresse un sourire.
- Me permets-tu de te laisser un instant, Wang ? J'ai fait la promesse que dès que je pourrais me lever, j'irais faire une prière à la pagode impériale.
L'impératrice n'est pas surprise, Madame Wu ayant toujours fait preuve de la plus grande piété. Elle acquiesce et la jeune femme la laisse seule... Dans l'antichambre, elle trouve la nourrice et les servantes, les siennes comme celles de Wang, qui s'étaient retirées pour les laisser en tête à tête. Elle leur dit, avant de s'en aller :
- L'impératrice veut rester seule avec l'enfant. Vous ne devez entrer sous aucun prétexte !
Puis elle va se promener dans le palais. Elle y rencontre l'empereur, qui la prend dans ses bras et l'assure plus que jamais de son amour. Elle se dégage doucement.
- Ton épouse est en ce moment auprès de notre fille. Viendras-tu lui rendre visite toi aussi ?
- Je viendrai tout à l'heure.
Lorsque Wu retourne dans sa chambre, l'impératrice est partie. Il n'y a personne, l'enfant dort dans son berceau... Alors, elle n'hésite pas : elle met les mains sur son cou et serre de toutes ses forces ! Après quelques soubresauts, le nouveau-né devient mou comme une poupée de chiffon. Il est évident que la "chair de sa chair", la "lumière de sa vie" a cessé de vivre, mais elle continue quand même à serrer. C'est qu'il ne faut pas qu'on puisse croire à une mort naturelle. Il faut que le crime soit évident, qu'on voie les traces de doigts, et plus précisément, de doigts de femme... Enfin, elle repose le petit corps inerte dans les draps et elle attend l'empereur.
Gaozong ne tarde pas à paraître. Elle se dirige vers le berceau.
- Tu vas voir comme elle est belle, notre trésor !
Elle la prend dans ses bras et pousse un cri déchirant :
- Elle est morte !
Elle lui montre les traces violacées sur le cou.
- On l'a tuée ! Regarde : on voit encore les doigts. Ils sont petits. C'est une femme !
Et Madame Wu hurle, sanglote, déchire ses vêtements, se griffe le visage. On entend ses cris à l'autre bout du palais impérial.
- Je l'aimais plus que ma vie ! C'était mon enfant, ton enfant, ton seul enfant !
Gaozong est bouleversé lui aussi. Lorsque le désespoir de sa favorite se calme un peu, il l'interroge.
- Qui a fait cela, selon toi ?
Madame Wu a sa réponse toute prête. Elle ne va pas accuser Wang, ce serait trop direct, trop grossier. Elle est beaucoup plus subtile que cela.
- Ce ne peut être qu'une servante. Fais-les interroger, torturer au besoin, il faut qu'elles parlent !
L'interrogatoire a lieu peu après, en présence d'une bonne partie de la cour. L'impératrice est là, légèrement tremblante. Le bourreau est présent également, avec son grand sabre à la ceinture.Mais il n'y aura pas besoin de torture. Toutes les domestiques parlent et toutes disent la même chose :
- L'impératrice a voulu rester seule avec l'enfant. Elle a interdit qu'on entre tant qu'elle serait là.
Les courtisans poussent des cris scandalisés. Gaozong va vers son épouse, devenue blanche comme la mort.
- Tu as tué ma fille !
Wang se jette à ses pieds.
- Je suis innocente. Pourquoi aurais-je commis une monstruosité pareille ?
- Parce que tu ne peux pas avoir d'enfant et que, quand tu as vu celui de Wu, tu es devenue folle de jalousie. Voilà pourquoi !
- C'est un mensonge ! Je le jure sur ce que j'ai de plus cher !...
Le plus monstrueux de Madame Wu vient de réussir de bout en bout, mais celle-ci décide de lui ajouter une touche finale. Si Wang est répudiée maintenant, elle est pratiquement certaine de prendre sa place. Mais "pratiquement" ne suffit pas, elle ne veut agir qu'à coup sûr. Après tou, elle n'est revenue au palais que depuis six mois et sa position est encore fragile. D'autre part, elle a vu que certains courtisans ne partageaient pas l'avis général. Lo Ping Want, en particulier, ne s'est pas joint aux cris scandalisés contre Wang. Lui ou un autre est capable de parler contre elle à l'empereur et il est tellement influençable !... Il faut qu'elle soit plus insoupçonnable encore. Elle se jette à son tour aux pieds de Gaozong.
- Je t'implore moi aussi, Fils du Ciel. Ne châtie pas ton épouse. C'est mon amie, je ne peux pas la croire coupable !
Gaozong hésite, considère ces deux femmes prostrées devant lui et va relever Wu Zetian.
- Pour toi, pour toi seule, je veux bien faire grâce...
Cette fois, Madame Wu a parachevé son oeuvre.
Son triomphe est total, mais elle se garde de le montrer. Normalement, maintenant, elle devrait être reprise par son chagrin, elle se remet donc à pleurer et toute la cour vient l'assurer avec ferveur de sa sympathie.
Non, pas toute la cour. LO Ping Wang est resté à l'écart, silencieux, impénétrable. Délaissant tous les autres, elle va vers lui, les yeux encore pleins de larmes.
- Eh bien, Lo Ping Wang, regrettes-ru maintenant tes méchantes paroles ?
Mais le poète secoure sa tête de vieux sage...
- Je me suis effectivement trompé, Wu Zetian. Tu n'es pas un insecte, tu es bien pire.
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyDim 28 Jan - 15:51

L'empereur fait faire à la petite morte des funérailles émouvantes et grandioses et la vie reprend à la cour. Wang est toujours officiellement impératrice, mais dans la réalité, elle n'est plus rien. Gaozong a cessé brutalement et définitivement de l'aimer, les courtisans s'écartent d'elle avec horreur. Elle est devenue une pestiférée dans le palais impérial.
La vraie souveraine, même si elle n'en a pas le titre, c'est Madame Wu. C'est elel qui partage le lit et la vie de l'empereur, au grand désespoir des autres favorites, de plus en plus tenues à l'écart, Xiao la première. Malgré cela, Wu garde sa douceur et son air modeste. Elle reste simple également dans son habillement. L'empereur la couvre d'or, elle pourrait, si elle le voulait, s'acheter des bijoux et des robes précieuses, mais elle n'en fait rien. Quand, une fois, Gaozong lui en fait tendrement le reproche, elle lui répond :
- L'amour de mon souverain est ma plus belle parure.
En fait, avec l'argent qu'elle reçoit, Wu Zetian corrompt les domestiques du palais. Elle se constitue ainsi un très efficace réseau d'espions et d'agents à sa solde...

Six mois s'écoulent encore et, cette fois, elle décide de passer à l'action. La pauvre Wang, délaissée de tous, n'est plus que l'ombre d'elle-même : elle peut maintenant l'abattre à coup sûr.
Elle profite d'une indisposition de Gaozong. Ce dernier se plaint de violentes douleurs à la poitrine, qui sont heureusement passagères. Elle fait alors placer sous le lit de l'impératrice une figurine représentant l'empereur, avec un clou planté à la place du coeur. Puis, elle fait en sorte qu'une domestique la découvre par le plus grand des hasards. Ce dernier va aussitôt la porter à l'empereur, qui entre dans une violente colère. Il fait convoquer Wang.
- Tu as voulu me tuer. Regarde ce qu'on a trouvé sous ton lit ! Qu'as-tu à répondre ?
Comme la fois précédente, l'impératrice se traîne à ses pieds et jure son innocence, avec des torrents de larmes... Ils ne sont pas seuls dans la salle du trône, où se déroule la scène. Deux proches de l'empereur se permettent d'intervenir en faveur de Wang. D'abord le vice-chancelier Shang Guan Yi. Cet ancien ministre du défunt empereur Taizong est réputé pour sa sagesse et Gaozong tient toujours le plus grand compte de ses avis. Il est catégorique.
- Je ne crois pas ton épouse coupable. Quel intérêt aurait-elle à ce crime ? Si elle te perd, elle perd tout.
Lo Ping Wang est également présent et, lui aussi, jouit de la considération du souverain.
- C'est ailleurs qu'il faut chercher, Fils du Ciel. Pour moi, cette statuette a été placée là par quelqu'un qui veut du mal à l'impératrice.
Hésitant, comme à son habitude, Gaozong semble troublé. Mais Wu est là, elle aussi. Il se tourne vers elle.
- Et toi, que penses-tu ? Me demandes-tu encore une fois la clémence ?
Wang lance à la jeune femme un regard suppliant.
- Pour l'amour du ciel, Wu, aide-moi !
Mais celle-ci parle d'une voix dure.
- Il y a un temps pour la clémence et un temps pour la fermeté. S'il est vrai qu'elle a tué ta fille, pourquoi n'aurait-elle pas essayé de te tuer ? Si tu l'épargnes, elle recommencera. Châtie-la, je ne veux pas te perdre !
Gaozong n'attendait que cela. Il prend sa décision.
- Wang, je te répudie et je te condamne à l'exil.
Wu, je t'épouse, tu seras mon impératrice !

Quelques semaines plus tard, après la répudiation de Wang selon l'étiquette impériale, a lieu le couronnement de Madame Wu. La cérémonie est magnifique et la nouvelle impératrice plus encore. C'est une véritable métamorphose dans sa tenue. Elle qui n'était vêtue jusque-là que de vêtements modestes apparaît dans une lourde robe de satin bleu nuit, sur laquelle sont brodés des dragons ; elle est couronnée d'un diadème d'or rose ; elle porte un collier et des bracelets faits de rubis d'une taille inimaginable.
Mais c'est elle-même qui est la plus changée. Elle a quitté son air doux et soumis. Elle ne baisse plus les yeux. Elle fixe l'assistance d'un regard dur, impitoyable, sous ses sourcils d'insecte tueur. Elle se montre enfin telle qu'elle est et que seul Lo Ping Wang avait su la voir, dans sa clairvoyance de vieux sage. Ce dernier, d'ailleurs, n'est pas là. Il a préféré se retirer pour toujours dans un monastère, soit qu'il n'ai pas voulu voir la suite des événements, soit qu'il ait jugé que, s'il restait à la cour, ses jours étaient comptés.
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyDim 28 Jan - 16:40

Le premier souci de la nouvelle impératrice est de régler le sort de Wang. Elle n'a rien dit, mais elle n'a pas admis sa condamnation à l'exil, qu'elle jugeait beaucoup tro douce. Pour le moment, la souveraine déchue est toujours enfermée dans une chambre du palais, en attendant son départ : il n'y a pas un instant à perdre. Wu va trouver Gaozong. Avec lui aussi elle a changé de comportement ; elle n'a plus rien de la favorite timide et énamourée ; elle est directe, brutale.
- Tu as tort de condamner Wang à l'exil ! Une fois partie, elle est capable de fomenter une révolte. Il faut la mettre hors d'état de nuire.
- Je ne peux tout de même pas la condamner à mort...
- Il te suffit de la mettre en prison.
- Tu crois ?
Gaozong hésite, comme à son habitude. Alors, elel lui lance :
- Fais-moi confiance : je m'en charge.
Et elle tourne les talons...
Un peu plus tard, elle arrive, entourée de gardes, dans la pièce où Wang est détenue. Elle lui dit simplement :
- Suis-moi !
Et elle la conduit dans la prison du palais, vers la cellule qu'elle a choisie pour elle. C'est la prie de toutes, dans le dernier et le plus humide des sous-sols : une sorte de silo, dont la seule ouverture est un trou en haut, par lequel le geôlier jette la nourriture.
En voyant ce véritable tombeau, la malheureuse Wang pousse un cri d'effroi. Sa remplaçante sur le trône lui sourit :
- Ta nouvelle demeure ne te plaît pas, Want ? Il faudra pourtant que tu t'y habitues, tu ne la quitteras plus.
- Je t'en supplie, Wu ! Tu étais mon amie.
- Ton amie, tu crois ?
Wu Zetian semble prise d'une idée. Après avoir réfléchi un instant, elle lui déclare toujours souriante :
- Tu as raison, je suis ton amie, Wang, et je vais faire quelque chose pour toi ; je vais te donner de la compagnie...
Peu après, elle pénètre dans le harem, toujours entourée de ses gardes. Elle ordonne aux soldats d'arrêter Xiao et la fait conduire dans la cellule. Le cri d'horreur des deux femmes, quand elles découvrent qu'elles vont être enfermées ensemble dans ce lieu abominable, la fait éclater de rire. Une fois que le couvercle est remis sur le silo, elle s'adresse au geôlier :
- Tu les nourriras à peine. Tu leur donneras juste ce qu'il faut pour ne pas mourir.

Plusieurs mois passent, pendant lesquels Madame Wu affermit plus encore son pouvoir. A la cour, chacun tremble devant elle. De plus en plus, c'est elle qu'on flatte, elle dont on essaie d'obtenir les faveurs et non Gaozong, qui apparaît chaque jour davantage comme un jouet entre ses mains.
L'empereur a pourtant conscience de l'abaissement qui est le sien. Il a aussi du remords au sujet des prisonnières. Quoi qu'elles aient fait, quel que soit le danger qu'elles représentent, il ne peut oublier qu'il les a aimées et il ne veut pas pour elles un sort trop cruel. Jusqu'à présent il n'a pas osé aller les voir, par crainte de Wu. Car c'est ainsi : maintenant, il a peur de l'impératrice.
Aussi, un jour qu'elle a quitté le palais, il s'arme de courage et se rend à la prison. Madame Wu est allée faire ses dévotions dans la principale pagode de la capitale. Elle prend soin d'afficher publiquement sa piété pour augmenter sa popularité et, d'ailleurs, elle est populaire. Le peuple admire sa prestance, sa majesté...
Quand le geôlier, sur son ordre, extrait les deux femmes de leur prison, Gaozong fait un bond en arrière tant ce qu'il voit est abominable. Ces deux êtres n'ont plus rien d'humain. Ce sont deux squelettes vêtus seulement de quelques lambeaux d'étoffe. Un peu partout sur le corps s'étalent des plaies purulentes et nauséabondes. Elles ont perdu leurs cils, leurs sourcils une partie de leurs cheveux. Elles n'ont plus de dents. L'obscurité les a rendues presque aveugles. Elles le reconnaissent pourtant et se jettent à ses pieds. Celle qui a été Want l'implore, avec ce qui lui reste de force.
- Je n'ai pas tué ta fille, Fils du Ciel. Et je n'ai pas tenté de te tuer non plus. Je le jure sur la mémoire de tous mes ancêtres !
Celle qui a été Xiao le supplie avec les mêmes accents déchirants.
- Et moi, qu'ai-je fait, Fils du Ciel ? Je n'ai rien fait, rien fait !...
Gaozong, totalement bouleversé, reste longuement muet, pouis il finit par leurd éclarer, d'une voix étranglée :
- Je vous jure de vous délivrer au plus tôt !
Et il quitte la prison, dans un état second, tandis que le geôlier leur fait réintégrer leur silo... Pourquoi "au plus tôt", alors qu'il n'avait qu'un mot à dire pour les faire libérer, lui, l'empereur, le souverain absolu ? La réponse à cette question tient, bien sûr, en une seule syllabe : Wu !
Or il se trouve que, parmi les nombreux espions que Madame Wu paie au palais, figure le geôlier. Dès qu'elle est rentrée de ses dévotions en ville, ce dernier court l'informer de ce qui s'est passé. Elle court à son tour à la salle du trône où Gaozong est en train de donner audience à des visiteurs étrangers. Elle fait sortir tout le monde et marcher vers lui, hors d'elle-même.
- Qu'est-ce que j'apprends ? Tu as été rendre visite aux prisonnières ?
- Qui t'a dit cela ?
- Peu importe. Est-ce vrai ? Réponds-moi !
Le tremblement de Gaozong est nettement visible.
- Non, je n'y suis pas allé ! C'est faux. Je te le jure !
Madame Wu reste un moment silencieuse, tant sa stupéfaction est grande... Elle savait que son mari était un faible et un lâche, elle savait qu'elle l'aurait un jour sous sa coupe, mais elle ne pensait pas que cela arriverait si vite et si totalement. L'empereur de Chine lui ment, comme un enfant pris en faute ! Le Fils du Ciel tremble devant elle !... Conformément à ses principes de prudence, elle avait imaginé plusieurs étapes soigneusement calculées pour s'emparer du pouvoir, mais tout cela n'a plus de raison d'être : Gaozong n'existe plus, elle peut tout se permettre et elle va tout se permettre !

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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyDim 28 Jan - 18:57

Elle le quitte sans ajouter un mot, pour reprendre le chemin de la prison.Mais cette fois, elle se fait accompagner du bourreau, tandis que des serviteurs apportent des tonneaux de vin.
De nouveau, les prisonnières sont extraites de leur cellule. Elles s'attendaient à voir l'empereur leur annoncer leur délivrance. Le cri d'horreur qu'elles poussent en découvrant à sa place l'impératrice comble d'aise cette dernière. Elle s'adresse au bourreau.
- Tu vas leur donner cent coups de fouet à chacune. Mais ne frappe pas trop fort : je ne veux pas qu'elles meurent sous le fouet.
L'ordre est exécuté. Tandis que les lanières déchirent les chairs, elle tient à narguer une dernière fois ses victimes.
- Want, où sont les longs cils dont tu étais si fière ? Où sont-ils passés ? Réponds-moi ! Xiao, tu avais dit que tu m'enverrais au monastère. Qu'est-ce que tu attends pour le faire ?...
Au bout des cent coups, elles ne sont plus que deux corps déchiquetés, mais elles respirent encore. L'impératrice s''adresse de nouveau au bourreau.
- Coupe-leur les pieds et les mains et jette-les dans les tonneaux !
L'affreuse boucherie s'accomplit. Bientôt, les deux martyres s'agitent faiblement dans le vin, mêlant leur sang au breuvage. Penchée sur elles, Madame Wu ne perd rien de leur agonie et, lorsqu'elles ne bougent plus du tout, elle s'en va, satisfaite...
Lorsque la nouvelle est connue au palais, c'est la terreur et la stupeur. Un monstre se trouve sur le trône de Chine. La vie de chacun est menacée. Désormais, il suffira de déplaire à Madame Wu pour connaître le sort de Wang et de Xiao. Une seule question occupe les esprits : que va faire l'empereur ? S'il ne comprend pas en quel état d'abaissement il est tombé, tout est perdu ; s'il réagit, il reste encore un espoir !
Cette réaction, ce sursaut, sans lequel il abandonne à jamais toute dignité, un homme s'emploie à l'obtenir de Gaozong, le seul qui en ait le courage et le pouvoir, l'ancien ministre du roi Taizong, le vice-chancelier Shang Guan Yi. Lorsqu'il a appris le double meurtre, il a couru chez l'empereur et s'est enfermé avec lui.
- Qui a donné l'ordre qu'elles soient torturées et mises à mort ? Est-ce toi ?
- Non, c'est elle, elle seule ! Elle est cruelle.
- Elle n'est pas seulement cruelle. Elle se comporte comme si c'était l'empereur et non toi. Elle te bafoue, elle te défie !
- La répudier : voilà ce que tu dois faire !
De nouveau, Gaozong s'est mis à trembler. Du temps de son père, Shang Guan Yi avait été chargé de son éducation. Il reste pour lui un maître, qu'il respecte et craint.
- Tu a sans doute raison. Mais la réaction de Wu risque d'être terrible...
- Quelle réaction ? Un mot de toi et j'envoie les gardes l'arrêter. Elle prend la place de ces malheureuses et toute la cour vient se jeter à tes pieds pour te remercier !
Gaozong marche de long en large dans la pièce. Il ne sait que faire ; il a peur de Wu, mais aussi de son ancien précepteur. Face à lui, il se retrouve dans la position de l'enfant qui'l était dix ou quinze ans plus tôt... Ce dernier en est bien conscient et il se fait aussi pressant qu'il peut.
- N'hésite pas, Gaozong ! Pense à la Chine. Cet être est un monstre. Dieu sait quel mal elle pourrait faire au pays, si tu la laisses faire.
- Je me suis décidé. Je vais la répudier...
- Quant cela ?
- Dès que tu m'auras fait un projet.
- Un projet ? Quel projet ?
- Eh bien, résume-moi tout ce que tu viens de me dire : la date de la répudiation, la manière dont tu vas la faire arrêter. Il ne faut pas qu'elle ait le temps de réagir, tu comprends ?
Oui, Shang Guan Yi comprend. Il comprend que tout est perdu. Il va faire ce que lui demande l'empereur, mais il sait déjà que jamais celui-ci ne passera à l'acte...
Quelques heures plus tard, il revient avec le document demandé, le lui remet et se retire.Mais Madame Wu a déjà été prévenue par ses espions. Elle fait irruption dans la salle du trône.
- Qu'est-ce que tu es en train de lire ?
- Rien je t'assure... Rien du tout.
Elle lui arrache le papier des mains et le parcourt des yeux.
- Ma répudiation !... Tu appelles cela rien du tout ?
- C'est un projet, seulement un projet. Je ne l'ai pas signé. Je ne le signerai jamais !
- Et d'où t'est venue cette idée ?
- C'est Shang Guan Yi qui a tout fait. Moi, je n'ai rien fait...
- Shang Guan Yi ? Ainsi donc Shang Guan Yi préparait ma perte !... D'après toi, quel châtiment mérite-t-il pour cela ?
- La mort, certainement !
- Donc, tu le condamnes à mort ? Dis-le clairement. Je vois, sur ce document, qu'il me reproche d'avoir fait exécuter les prisonnières sans ton ordre.
- Je le condamne à mort.
- Parfait ! Et moi, je vais m'occuper de son exécution...
Et peu après a lieu la décapitation de Shang Guan Yi. Madame Wu a fait en sorte qu'elle soit la plus spectaculaire possible ; elle a lieu dans la cour du palais en présence de tous ses occupants, jusqu'au dernier des domestiques. Son présents également les membres de la famille du condamné, qui assistent à son supplice à genoux, avant d'être vendus comme esclaves. Lorsque la tête saute sous le sabre du bourreau, chacun a conscience que c'est le pouvoir de l'empereur qui vient d'être décapité. Gaozong n'existep lus ; il n'y plus désormais, sur le trône, que l'impératrice.

Effectivement, à dater de cet instant, commence le règne, la dictature de Madame Wu. Elle fait suivre la mort de Shang Guan Yi d'une vaste épuration. Tous ceux qui, à la cour, avaient eu le malheur de lui déplaire son impitoyablement éliminés. Dans le meilleur des cas, ils sont exilés, dans le prie, exécutés, après avoir avoué sous la torture des crimes imaginaires, parfois, ils sont tout simplement assassinés.
Wu dirige la Chine d'une main de fer, sans que, il faut le reconnaître, la puissance et la prospérité du pays en soient affectées. Elle est d'ailleurs presque unanimement aimée et respectée du peuple. Dans un pays aussi vaste, bien peu savent ce qui se passe au palais impérial ; les gens ne voient que leurs conditions de vie et elles n'ont jamais été aussi bonnes.
D'autant que Madame Wu soigne toujours a popularité. Elle organise de grands pèlerinages, dont elle prend personnellement la tête. Elle rédige un ouvrage, qui jouit tout de suite d'un grand prestige : La Conduite à tenir par les femmes dans leur foyer.
Elle y démontre que les qualités primordiales d'une bonne épouse sont la douceur, l'humilité et la totale soumission à son mari.
Les années passent... Wu a donné quatre fils à l'empereur, qui ne cesse de s'abaisser devant elle. Un jour, elle décide qu'il n'a plus besoin de favorites et elle dissout son harem. Gaozong ne dit rien. Désormais, il se passera d'autres femmes que son épouse et même il se passera de femmes tout court, car elle le délaisse pour ses amants... A la cour, les femmes se font rares, il n'y a plus que les familières de l'impératrice et encore, ces dernières ne sont pas toujours à l'abri. Elle a fait venir sa soeur et sa nièce et les a couvertes d'honneurs. Toutes deux ne tardent pas à mourir, dans d'horribles souffrances, à la suite d'un banquet. Madame Wu les pleure beaucoup.
Peu après, elle remplace les médecins de son mari par d'autres, qu'elle a choisis. A partir de ce moment, il est pris de maux de tête continuels, qui l'empêchent d'assister aux conseils et elle les préside à sa place...
Son fils aîné, le prince ayant atteint sa majorité, vient l'y rejoindre. Tout va bien jusqu'au jour où il se permet de s'opposer à l'une de ses décision. Il meurt, le lendemain, d'indigestion. Son second fils devient le nouvel héritier et le remplace au conseil. Lui aussi se permet de la critiquer et subit le même sort...
A la cour, les courtisans, terrorisés, ne se posent plus qu'une question : quand Madame Wu va-t-elle se débarrasser de son mari ? Il y a longtemps qu'elle peut le faire, il est entre les mains de ses médecins et elle n'a qu'un ordre à leur donner. De l'avis général, elle a attendu parce que ses deux fils aînés avaient trop de personnalité et qu'elle craignait de les mettre sur le trône. Mais maintenant qu'ils sont morts tous les deux, elle ne devrait plus tarder...
Et effectivement, l'empereur Gaozong meurt peu de temps après, le 26 décembre 683. Madame Wu a soixante et un ans. Il y a quarante-sept ans qu'elle est venue pour la première fois à la cour et trente-quatre qu'elle y est retournée, au sortir du monastère... Elle assiste, avec beaucoup d'émotion, au sacre de son troisième fils, mais peu après, ce dernier a l'idée saugrenue de vouloir régner véritablement. Sans y mettre la moindre forme, elle le fait exiler à l'autre bout du pays, puis, se ravisant, elle envoie là-bas un homme de main pour l'assassiner...
Il ne reste plus que son quatrième fils. Il est nommé empereur, mais il reçoit l'ordre de ne pas quitter sa chambre au palais et de ne communiquer avec personne. Il obéit, terrorisé. Cela ne l'empêche pas de mourir peu après, vraisemblablement de mort naturelle.
Et c'est alors que Madame Wu donne toute sa mesure ! Puisqu'elle n'a plus de fils, elle va gouverner elle-même. Et d'abord, elle va fonder sa propre dynastie. Elle abolit celle des Tang et la remplace par la sienne, nommée Zhou !
Mais elle est allée trop loin. Pour la première fois, elle se heurte à une résistance. Les neveux de l'ancien empereur Taizong se soulèvent. Il s'ensuit des combats acharnés, au bout desquels la révolte est noyée dans le sang. La répression est, on s'en doute, impitoyable.
Pour l'ancienne favorite qui aurait dû finir ses jours au couvent, c'est l'apothéose ! Au début de l'année 690, l'ancienne dynastie des Tang est abolie en faveur de celle des Zhan et elle-même en est le premier empereur. Oui, "empereur" et non impératrice, ce qu'elle est déjà... En Chine, comme dans la plupart des monarchie, seuls les hommes montent sur le trône. Mais qu'à cela ne tienne ! Par décret impérial, Wu Zetian, Madame Wu, fait proclamer qu'elle est un homme "selon l'esprit céleste".

Pourtant, elle reste bel et bien femme et, malgré ses soixante ans passés, dotée d'appétits particulièrement exigeants. Tout de suite après sa nomination en tant qu'empereur, elle fait venir Feng, un hercule de foire qu'elle a remarqué, lorsqu'il s'est produit à la cour. Et Feng devient son favori officiel, sous le nom de "Petit Trésor". Pour qu'il ait le privilège d'entrer de jour comme de nuit dans toutes les pièces du palais, ce qui n'est réservé qu'aux religieux, elle en fait un moine bouddhiste. L'homme est violent, vantard, insupportable ; de plus, il prend ses fonctions sacerdotales au sérieux et déclare que l'impératrice, ou plutôt l'empereur, est une réincarnation de Bouddha.
Madame Wu finit par se lasser. Elle disgracie Petit Trésor, qui est aussitôt mis en pièces par les courtisans et elle décide qu'elle n'aura plus, désormais, un seul favori, mais plusieurs. Le harem, qu'elle avait supprimé à son mari, elle se le constitue pour elle-même. Elle fait venir des jeunes gens âgés d'une vingtaine d'années, choisis dans tout le pays pour leur beauté. Afin de ne pas trop choquer le peuple, officiellement, ce sont des étudiants en philosophie, qui viennent méditer au palais, sur Confucius et Lao-Tseu...
Une fois ses plaisirs assurés, Madame Wu se penche sur les problèmes de l'empire et sur le plus important à ses yeux ; la succession. Car ce n'est pas tout de fonder une dynastie, elle doit aussi se trouver un héritier, et elle s'aperçoit qu'elle a une fâcheuse tendance à tuer tous ses descendants. Elle est en train de se dire qu'elle risque fort d'être la première et la dernière des Zhou, lorsqu'elle apprend que le troisième de ses fils, celui qu'elle avait exilé, est toujours en vie. L'homme qu'elle avait chargé de le tuer n'a pas eu le courage de le faire. Elle l'appelle auprès d'elle au palais et il devient son héritier désigné. Il ne règnera, bien sûr, qu'à sa mort, puisque l'empereur c'est elle.
Et le plus extraordinaire, c'est que les années passent ainsi !... Madame Wu a soixante-quinze ans, qautre-vingts ans, et elle continue à partager son temps entre son harem et l'administration de l'empire, qu'elle dirige d'une main de fer, mais avec une incontestable maîtrise.

A la longue, pourtant, des murmures se font entendre, non dans le peuple, mais dans les couches cultivées de la société. Les lettrés et les religieux sont choqués par le harem et la mascarade des pseudo-étudiants en philosophie. On reproche surtout à Wu celle de ses mesures qui est restée la plus contestée : l'abolition de la glorieuse dynastie Tang. C'est ainsi que, début 705, un complot est formé pour remettre les Tang sur le trône. Car un Tang, il y en a un au palais. Si le prince est le fils de sa mère, il est aussi, par son père, l'héritier direct de la dynastie Tang.
Un matin de janvier 705, un groupe d'hommes armés se glisse dans le harem, qui se situe dans les mêmes pièces que, jadis, les harems féminins des empereurs. Ils égorgent silencieusement les jeunes gens et s'emparent de l'impératrice, qui dormait parmi eux. L'un d'eux s'adresse à elle :
- Tu as trop longtemps régné, Wu. Il est temps que tu rendes le pouvoir à ton fils, et que tu disparaissent...
Mais la dispartion dont il s'agit n'aura rien de brutal. Le prince a exigé qu'on ne fasse aucun mal à sa mère. Madame Wu ne connaîtra pas le sort de ses rivales, elle ne mourra pas, les pieds et les mains coupés, dans un tonneau de vin, il va seuelement lui arriver ce qu'elle avait subi, exactement au même endroit, cinquante-six ans plus tôt.
Une nonne est présente avec les conjurés. Elle est porteuse des ciseaux et du rasoir rituels et commence à s'attaquer à sa chevelure. Une heure plus tard, revêtue de la robe blanche des religieuses, Wu Zetian quitte la palas pour le même monastère où elle avait été enfermée. Elle y mourra quelques mois plus tard, âgée de quatre-vingt-trois ans.
Tel a été l'extraordinaire destin de Madame Wu, empereur de Chine. Par l'importance et la durée de son règne, elle appartient, non pas à la petite histoire, mais à l'histoire tout court et on trouve aisément son nom dans les dictionnaires et les manuels. Pourtant, c'est encore dans l'histoire du crime qu'elle s'est le plus distinguée. Elle y mérite assurément l'une des premières places.
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyDim 28 Jan - 21:31

L'enfer au paradis


Il y a des endroits, dans le monde, où la fortune se concentre de manière inimaginable. On peut citer la princiaputé de Monaco, certaines îles des Caraïbes et, bien sûr, les environs de Hollywood. Et, dans ce dernier cas, rien n'égale le quartier de Mulholland.
C'est incontestablement l'endroit le plus prestigieux de cet univers de riches. Il s'agit d'une colline surplombant Santa Monica, que se partagent en tout et pour tout deux propriétés de eux hectares chacune, une immensité dans ce secteur où le terrain vaut une fortune ! Et elles sont si bien cachées qu'elles ne sont visibles que depuis les airs. L'une appartient à Jack Nicholson et l'autre, dont l'adresse officielle est 12900 Mulholland Drive, est la propriété de Marlon Brando...
La villa Brando comporte douze pièces, toutes de plain-pied. Un peu plus loin dans le parc se dresse la maison des invités, plus petite, mais qui a tout de même six pièces. Entre les deux s'étaient une immense piscine et, tout autour, un parc à la végétation luxuriante. Mais ce lieu de rêve est aussi une forteresse, protégée par des gardes, des caméras de surveillance, des chiens, des murs de clôture surmontés de fils de fer barbelés.A première vue, on a du mal à associer ce petit paradis à l'idée de meurtre. Et pourtant, si on y réfléchit bien, quoi d'étonnant ? Le bonheur ne se mesure pas à la longueur d'une piscine. Le milieu des acteurs de cinéma est, au contraire, instable, violent, propice à tous les excès. Quant aux caméras de surveillance, aux vigiles et aux chiens, ils protègent des étrangers, pas des dangers venant de l'intérieur.
Oui, il s'est bien produit un drame au 12900 Mulholland Drive et son récit n'évoque pas du tout le paradis. Il est, au contraire, très proche de l'enfer.

Nous sommes le 16 mai 1990. Le soir tombe doucement sur cette longue journée de printemps. Dans l'immense villa, tous les acteurs de la tragédie sont en place.
Et d'abord le maître des lieux, le patriarche, Marlon Brando, le plus grand acteur américain vivant, une légende, un monument ! Il est alors âgé de soixante-quatre ans. Il a fait trente-neuf films et obtenu deux Oscars. Au fil des ans, le jeune séducteur de l'écran qui'l était s'est empâté. Il est devenu presque obèse, avec une tête énigmatique, qui fait penser à un sphinx ou à un chat. Sa santé également n'est plus ce qu'elle était : il a le souffle court, des problèmes cardiaques.
S'il a beaucoup tourné, il a beaucoup procréé aussi.
De ses mariages successifs, il a eu neuf enfants, sur lesquels il exerce une autorité écrasante. Il les veut le plus possible près de lui et entend diriger leur existence. Un de ses amis d'enfance a confié à une revue américaine ce qui est sans doute le plus mauvais côté de l'acteur : "Le véritable problème avec lui, c'est la manière dont il traite depuis toujours les autres, particulièrement ses proches. Il est un peu comme une araignée, qui piégerait les gens dans sa toile. Quand on lui dit cela, il a l'habitude de sourire. On pouvait effectivement, en plaisanter autrefois, mais depuis qu'il est devenu célèbre, depuis qui'l a acquis ce monstrueux pouvoir, il est devenu dangereux. Ceux qui entrent dans son cercle sont sous une perpétuelle menace, y compris et surtout ses enfants."
Ses enfants sont au nombre de deux en cette soirée du 16 mai 1990. D'abord, la préférée de tous, Cheyenne, âgée tout juste de vingt ans. C'est la fille de Tarita Tariipia, une Tahitienne que Marlon Brando a rencontré en tournant Les révoltés du Bounty. Elle doit ce prénom insolite à la passion qu'a l'acteur pour les indiens. Il a toujours été l'ardent défenseur de leur cause et il a voulu ainsi leur rendre hommage.
Cheyenne ne ressemble pas aux autres enfants de Brando. D'abord, comme sa mère, elle est de nationalité française. Elle est restée très attachée à sa Polynésie natale où elle retourne souvent auprès des siens, ce qui ne l'empêche pas d'éprouver une véritable fascination pour son père et de passer le plus clair de son temps en sa compagnie. Ensuite, il y a son physique. Cheyenne a tout hérité de sa mère. A la différence de ses autres frères et soeurs, qui sont de jeunes Américains comme les autres, elle possède la beauté exotique des vahinés, elle semble sortie tout droit d'un tableau de Gauguin. Elle a un charme étrange aussi, et presque inquiétant, dû au regard sombre qu'elle a parfois. Car Cheyenne a, de temps à autre, de longues périodes d'abattement. Les médecins lui ont dit que son psychisme était fragile.
Pour l'instant, en tout cas, tout devrait lui sourire. Elle va bientôt avoir un enfant : elle est enceinte de sept mois. Le futur père s'appelle Dag Drolett. Il est tahitien comme elle et l'a rencontrée lors d'un de ses séjours à Papeete. Dag Drolett fait partie d'une famille influente de Tahiti ; son cousin, Jacky Drolett est délégué à la Santé et à l'Environnement en Polynésie française. Lui-même a travaillé trois ans dans une firme important des pièces détachées de France. Mais Dag est surtout un play-boy, aux innombrables succès féminins, et Cheyenne, qui n'avait que dix-neuf ans quand elle l'a connu, est tout de suite tombée dans ses bras.
Leur union n'a pas été sans nuages. Ils ont eu de fréquentes disputes. Ils se sont même séparés une fois, avant de reprendre la vie commune. A la demande de Marln Brando, ils sont venus tous deux habiter au 12900 Mulholland Drive, car le patriarche veut que son petit-fils naisse près de chez lui...
Il s'est produit récemment un drame dans la vie de Cheyenne. Peu après son arrivée en Californie, elle a eu un grave accident de voiture, qui lui a abîmé le visage. La chirurgie a réparé les dégâts, mais elle a manifesté, à la suite de cela, des troubles du comportement. Son psychisme, qui inquiète depuis longtemps ses médecins, semble avoir été ébranlé. Elle s'est mise à mentir de manière pathologique et, qu'il s'agisse ou non d'un mensonge, à accuser auprès de son entourage Dag Drolett de lui donner des coups. Elle s'est plainte, en particulier, à son frère Christian, qui est, ce soir-là, le deuxième des enfants Brando présent dans la villa.
Il est âgé de trente-deux ans et il est lui aussi le fils d'une beauté exotique, l'actrice britannique d'origine indienne Anna Kashfi. Mais à la différence de Cheyenne, il ressemble plutôt à son père sans rien d'oriental dans ses traits.
On ne peut pas dire que l'union d'Anna Kashfi et de Marlon Brando ait été une réussite. Ils ne sont restés ensemble que deux ans, à peine plus que le temps de donner naissance à Christian. Leur séparation a été suivie d'une procédure interminable, qui n'a pas duré moins de douze ans. En 1972, en plein tournage du Dernier Tango à Paris, Anna Kashfi a enlevé son fils, estimant que "le film lui avait causé une honte irrémédiable", et l'a emmené dans une communauté hippie de Californie. On l'a retrouvé quelques semaines plus tard souffrant d'une pneumonie et on l'a sauvé de justesse. Cet épisode dramatique a convaincu ses parents de se mettre enfin d'accord. Il vivra avec son père et sa mère pourra le voir quand elle voudra.
Des débuts aussi chaotiques dans l'existence n'ont évidemment pas contribué au développement harmonieux du jeune Christian. Ce qui lui plaît le plus, dans son enfance, c'est jouer au indiens. Il aime se surnommer le "Sauvage" et porte en toutes circonstances des peintures de guerre. Pourquoi une telle passion ? Peut-être pour réunir en lui des parents séparés et déchirés. Les Indiens font partie de leur existence à tous les deux ; son père milite pour leur cause et sa mère, même si ce n'est pas exactement de la mêê manière, est indienne...
Mais on ne joue pas toute la vie, il faut étudier et là, c'est la catastrophe. Christian se révèle très vite incapable d'avoir une scolarité normale, sans doute moins par mauvaise volonté que par incapacité ; il a un QI très failbe. A seize ans, il quitte l'école sans avoir obtenu le moindre diplôme.
Comme il ne sait pas, en apparence, ce qui'l veut faire dans la vie, mais qui'l a un vif penchant pour la nature, son père lui achète une propriété immense, dans l'Etat de Washington, au nord-ouest des Etats-Unis, pour qu'il y joue les gardes forestiers. C'est durant cette période qui'l rencontre Mary McKenna, une maquilleuse qui n'a pas, elle non plus, achevé ses études. Que ce soit pour cette raison ou pour une autre, il se trouvent de telles affinité qu'ils ne tardent pas à se marier.
Le mariage de Christian Brando dure encore moins que celui de ses parents ; un an et demi. Mais à cette occasion se révèle un aspect inconnu de sa personnalité ; une violence extrême. Le jour où sa femme lui tend les papiers du divorce, il casse tous les meubles de la maison et lui crie :
- Je te conseille d'appeler la police ou je vais te tuer !
Et peu après, il brandi une arme chargée au visage de sa belle-mère... Tout se termine heureusement sans drame et Christian revient habiter avec son père, dans la luxueuse villa de Mulholland Drive.
Il mène, dès lors, une vie confuse... Il serait facile de le traiter de raté, mais il faut reconnaître que le sort n'a guère été indulgent avec lui. Avec les moyens limités qui sont les siens, il aurait pu exercer un métier simple, peut-être proche de la nature, et mener une vie modeste. Seulement voilà ; il est le fils de la plus grande vedette américaine vivante. Alors, comment ne pas se sentir écrasé par lui ? Comment ne pas être la proie de complexes épouvantables ?
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyDim 28 Jan - 22:09

D'autant que, si Cheyenne est la préférée de Marlon Brando, on ne peut pas en dire autant de lui. Il voue une admiration démesurée à son père, il cherche désespérément à attirer son attention et son affection, sans rien rencontrer d'autre q'une apparente indifférence. Il dit de lui aux journalistes : "Je sais qu'il m'aime, mais il me l'a rarement montré..." En désespoir de cause, Christian Brando s'ssaie aux activités artistiques. Il est musicien dans un groupe de rock de Los Angeles, puis il va en Italie pour faire de la sculpture. Chaque fois, c'est un fiasco.
C'est en 1987 qu'il se décide à franchir le pas, à réaliser le rêve secret qui est le sien depuis toujours : devenir acteur. Il met un point d'honneur à ne pas se faire aider par son père. Il quitte la villa de Mulholland et s'installe dans un modeste bungalow à Hollywood. Les résultats sont malheureusement plus que décevants. Il n'obtient que quelques tout petits rôles dans des séries B de télévision et, malgré tous ses efforts, ne décroche pas le moindre contrat dans un film.
Alors, au bout de deux ans, il renonce. En 1989, il revient à Mulhlland, plus déçu et complexé que jamais. Il se découvre deux passions très dangereuses, compte tenu de l'état de violence latent qui est le sien : l'alcoo et les armes, et il semble se consacrer, désormais, uniquement à sa famille. Il est vrai qu'il a hérité de la mentalité tribale de son père... Malgré ses problèmes, il est fier d'être un brando et il s'est toujours fait le défenseur du clan. Marlon a dit de lui : "Il ne supporte pas qu'on touche aux siens."
Christian a toujours pécialement défendu sa jeune demi-soeur Cheyenne. Il s'est mis en tête d'être son protecteur et de faire fuir tous les play-boys qui tournent autour d'elle, tant en raison de son nom que de sa beauté. Un jour, étant à la plage avec elle, il a crié aux jeunes gens qui l'importunaient :
- Ne la touchez pas ! C'est la préférée, le joyau de papa !...
Lorsque celle-ci commence sa liaison avec Dag Drolett, Christian éprouve immédiatement la plus vive aversion à son encontre. Pour lui, ce n'est qu'un profiteur, un séducteur professionnel, qui n'en veut qu'à la fortune de sa demi-soeur. Quand il débarque à Mulhlland, en compagnie de la jeune femme enceinte, les rapports entre les deux hommes sont d'emblée exécrables. Et ils s'aggravent encore lorsque Cheyenne, après son accident, dit à Christian que Dag la bat.

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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyDim 28 Jan - 23:33

Telle est la situation, ce 16 mai 1990... A part le personnel, cinq personnes sont présentes dans la villa.
Marlon Brando est allé dans sa chambre aux alentours de 22 heures. Dans la salle à manger, Cheyenne, Tarita Tariipia, sa mère et Christian achèvent de dîner. Dag Drolett, lui, est dans le petit salon, qui se situe exactement à l'opposé de la maison, et regarde la télévision.
Que se disent les trois personnes autour de la table ? Il est difficile de le savoir, leurs témoignages ayant été, par la suite, assez confus. Selon toute vraisemblance, Cheyenne accuse, encore une fois, son compagnon de mauvais traitements. En tout cas, Christian Brando quitte le repas et traverse toute la villa, en direction du petit salon...
Il est 22 h 30, lorsqu'il fait irruption dans la chambre de son père. Il paraît hébété. Il lui dit seulement :
- Papa, Dag Drolett est mort...
Un peu plus tard, dans sa déposition aux policiers, l'acteur racontera de façon saisissante comment il a vécu la scène.
- Je ne savais pas ce qu'il voulait dire. C'est seulement quand j'ai vu son visage et qu'il m'a montré l'arme que cela m'est tombé dessus. C'était comme une sorte d'explosion au ralenti...
Christian Brando sort de son état de torpeur. Il s'exclame :
- Devant Dieu, papa, ce n'est pas moi ! Il s'est jeté sur l'arme, nous avons lutté et le coup est parti. C'est un accident !
Marlon court au salon... Son fils n'a, hélas, pas menti. Dag Drolett est étendu sur le canapé, avec une balle dans la tête. Il a la commande de la télé dans une main et un briquet dans l'autre. Marlon Brando tente de le ranimer, mais n'y arrive pas. Entre-temps, Cheyenne est arrivée et pousse des cris déchirants.
L'acteur compose le 911, le numéro de la police.
- Mon fils a tiré sur quelqu'un. C'est un accident. Venez vite, 122900 Mulholland Drive !
Au bout du fil, on ne prend pas au sérieux cette voix énervée. On lui demande de se calmer et de commencer par dire son nom. L'acteur entre en fureur. Il hurle :
- Marlon Brando, cela vous dit quelque chose ? Voulez-vous que j'épèle ?
Cette fois, la police a compris. L'agent réplique :
- On arrive !
Et, en un temps record, la police est sur place. Elle trouve tout le monde attendant sur le perron. Marlon Brando se détache des autres. Il se dirige vers l'officier qui commande le groupe et tente de le convaincre de sa version des faits.
- C'est un accident. Il y a eu une dispute à propos de ce que faisait subir la victime à Cheyenne. Cheyenne a dit à Christian que son petit ami lui donnait des coups. Ils se sont battus pour s'emparer du revolver et le coup est parti tout seul...
Le policier ne répond rien et se rend sur les lieux du drame. Dag Drolett est effondré sur le canapé, la tête rejetée en arrière. Il a reçu une balle dans la joue, qui a dû se loger dans le cerveau, car il a visiblement été tué sur le coup. L'arme du crime a été déposée auprès de lui : c'est le colt 45 de Christian, calibre 11,43.

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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyDim 28 Jan - 23:35

Vais Sleep Bo-onne nuit Exclamation Very Happy
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyLun 29 Jan - 15:19

Les policiers ne disent rien mais pas un instant ils ne croient à la thèse de l'accident. La victime tient encore, entre ses doigts crispés, la télécommande de la télévision dans une main et un briquet dans l'autre.
Comment aurait-elle pu se battre dans ces conditions ? D'autre part il n'y a pas la moindre trace de lutte dans la pièce. Tout cela ne fait aucunement penser à une altercation qui aurait tragiquement tourné, mais bel et bien à un meurtre.
La police procède alors à une fouille en règle de la villa, ce qui lui permet de mettre la main sur un silencieux, ainsi que sur quatre armes à feu non répertoriées, dont une mitraillette Uzi. Ensuite, malgré les protestations de son père, Christian Brando est emmené, menottes aux poignets.
Lorsqu'elle est connue, la nouvelle du drame a un retentissement immense et les journalistes s'écrasent, deux jours plus tard, dans la salle du tribunal municipal de West Los Angeles où va avoir lieu, selon la loi californienne, le débat sur la mise en accusation.
Christian Brando arrive, en jean noir et chemise grise, les bras menottés dans le dos. Il regarde les caméras d'un air incrédule. Il a des cernes sous les yeux. Il semble hagard. Il demande aux journalistes, comme si c'étaient eux qui allaient pouvoir lui répondre :
- Est-ce que je vais passer le reste de ma vie en prison ?...
Une personne se précipite pour lui adresser un signe de soutien et de réconfort. C'est son éphémère épouse Mary McKenna, qui a traversé l'Amérique en apprenant la nouvelle. Décidément peu rancunière, elle déclare aux journalistes :
- C'est un gentil garçon !...
Mais déjà l'audience commence, présidée par Rosemary Schumsky. La magistrate tient sans doute à montrer qu'elle ne se laisse pas impressionner par le nom du prévenu, car elle adopte un ton de voix particulièrement sévère pour s'adresser à lui :
- Monsieur Christian Brando, vous comprenez la gravité des charges requises contre vous ? Vous savez que vous avez droit à un examen préliminaire de votre dossier avant l'audience ?
En réponse, le fils de la vedette ne bredouille qu'une syllabe :
- Oui.
A ses côtés, son avocat William Kunstler, lui adresse un regard d'encouragement. C'est un vieux routier du barreau new-yorkais et un ami de longue date de Marlon Brando. Libéral, comme lui, il a été le défenseur des gauchistes américains, dans les ann'es soixante. Il ne peut pourtant pas empêcher son client de se comporter de la manière la plus maladroite. Lorsque la juge lui demande s'il a prémédité son geste, Christian à cette réponse stupéfiante :
- Si j'avais voulu tuer Dag Drolett, je n'aurais pas tiré sur lui. Je l'aurais emmené dans les collines de Franklin Canyon et je lui aurais pulvérisé la tête à coups de batte de base-ball.
On ne saurait avouer plus clairement ses intentions meurtrières et sa haine de la victime... Après cela, personne ne s'étonne que Rosemary Schumsky prononce son inculpation pour meurtre. Elle refus, en outre, sa liberté sous caution, ce qui était moins attendu...
L'enquête continue. Cheyenne Brando y apporte sa contribution personnelle, en allant, dans les jours qui suivent, faire aux policiers des révélations qu'elle veut fracassantes. Selon elle, ce n'est en aucune manière un accident, c'est un meurtre ! Les enquêteurs enregistrent sa déposition, mais pour eux, elle n'apporte rien : ils ont toujours été persuadés que c'était le cas.
Marlon Brando, lui, prend très mal la chose. Il veut empêcher sa fille de faire des déclarations intempestives et la soustraire aux autorités américaines. il la convainc d'aller à Tahiti pour accoucher. Elle quitte les Etats-Unis le 15 juin et, le 27, donne naissance à un fils, Tuki...
Par la suite, la libération sous caution de Christian Brando finit par être accordée, contre la somme astronomique de dix millions de dollars. Pour la payer, son père est obligé d'hypothéquer sa maison. Peu après, William Kunstler, l'avocat, décide de changer de tactique. Il renonce à la thèse devenue intenable de l'accident, qui aurait pu entraîner la condamnation à perpétuité de l'accusé, et décide de plaider coupable. Dans ces conditions, Christian n'encourt plus que de six à seize ans de prison.

Son procès s'ouvre le 14 janvier 1991, devant la cour d'assises de Los Angeles. Jacques-Denis Drolett, père de la victime, partie civile, s'est déplacé depuis Tahiti. Marlon Brando lui a offert un million de dollars pour retirer sa plainte, mais il a refusé, scandalisé. Il a déclaré, dans une lettre ouverte publiée par un journal de Tahiti : "J'en ai marre de ces gens qui se disent bons voisins, bons citoyens, mais qui rendent la vie impossible à leurs enfants et tuent ceux des autres..."
Le moins qu'on puisse dire, c'est que Christian Brando a été bien inspiré de plaider coupable, car les débats ne font que confirmer la thèse du meurtre. En particulier, le problème des empreintes sur le revolver est longuement évoqué et tourne à la confusion. Sur le colt 45, on n'a retrouvé que celles de Christian. S'il y avait eu, comme il le prétend, bagarre pour s'en emparer, on aurait dû y découvrir aussi celles de Dag Drolett. Pour se justifier, Christian Brando dit qu'il les a effacées involontairement en glissant le revolver sous les coussins, après avoir désarmé la victime. Cela ne convainc personne. C'est puéril et ce n'est pas loin d'être risible.

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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyLun 29 Jan - 15:30

Mais le grand moment est la déposition de Marlon Brando lui-même. L'acteur apparaît comem un homme brisé, terriblement affecté par le drame. Il nie avec force qu'il y ai eu un complot dans la famille pour éliminer Drolett. Il proteste de ses sentiments pour lui.
- J'aimais Dag. Il allait être le père de mon petit-fils. Quand on a emporté son corps, les policiers m'ont laissé l'embrasser une dernière fois..
Mais il éclate carrément en larmes lorsque, répondant à une question du président, il admet qu'il porte une part de responsabilité dans le drame, en raison de la manière dont il a élevé ses enfants.
- J'aurais pu agir différemment en tant que père, reconnaît-il, mais je ne l'ai pas fait...
Enfin, avant de quitter la barre des témoins, il tient à s'adresser à Jacques-Denis Drolett en français :
- Je sais que vous me détestez, lui lance-t-il, mais j'espère de tout coeur que notre petit Tuki nous réunira de nouveau.
Et, à l'issue du procès, le 28 février 1991, c'est sans surprise que Christian Brando est condamné à dix ans de prison.

L'affaire n'est pourtant pas entièrement terminée sur le plan judiciaire. Dag Drolett étant français, les autorités françaises estiment qu'elles ont aussi leur mot à dire. Selon elles, toute la lumière n'a pas été faite sur le meurtre, il faut pousser plus loin les investigations. Or Cheyenne, au moment où se termine le procès de Los Angeles, se trouve en France, précisément dans une clinique du Vésinet où elle est soignée.
En juillet 1991, à la suite d'une plainte de Jacques-Denis Drolett, elle est inculpée de complicité de meurtre par un juge de Tahiti. Ce n'est pas que le père de la victime croie qu'elle porte la moindre responsabilité dans l'affaire, au contraire, elle a toute son affection, mais il pense que l'entendre est la seule mani
ère de faire progresser la vérité...
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyLun 29 Jan - 15:59

Il s'ensuit un épisode rocambolesque. Le juge se déplace de Tahiti au Vésinet, pour entendre Cheyenne à sa sortie de clinique. Mais Marlon Brando vient lui aussi en France et enlève sa fille. Tous deux se cachent d'abord chez un ami de maître Vergès, leur avocat, pouis dans une maison de Sologne. Pour justifier son acte, l'acteur fait parvenir un message aux journalistes : "Elle est innocente, mais fragile. Je veux la protéger."
Finalement, Cheyenne Brando est arrêtée le 15 novembre 1991 et emmenée à Tahiti, dans un avion militaire... Elle sera libérée trois jours plus tard, contre une caution d'un million de dollars et, par la suite, disculpée. Elle bénéficie d'un non-lieu, le 21 mai 1993, sans qu'on n'ait rien appris de plus sur la mort de Dag Drolett...
A la demande de son père, elle retourne alors en Californie, pour la première fois depuis le drame.
Celui-ci découvre combien son état mental s'est aggravé. Il loue à prix d'or les services d'une clinique psychiatrique, dont elle est la seule malade.
Mais Cheyenne ne va pas bien. Il n'y a pas besoin d'être médecin pour s'en rendre compte. Elle a sacrifié son opulent chevelure brune. Elle s'est coupé les cheveux très court, à la militaire, ce qui la rend presque laide et lui donne un air inquiétant. Elle n'est pas enfermée à la clinique. Elle fréquent l'université de Berkeley, fait de vagues études d'art, écoute à longueur de journée Jacques Brel dans son walkman. Et elle profite aussi de cette liberté pour accorder une interview à Paris Match.
Le texte en est pathétique. On y découvre une personnalité profondément perturbée. Elle donne des détails poignants sur le meurtre. Elle évoque l'image de son fiancé emporté dans un sac plastique. Elle raconte comment, dans les jours qui ont suivi, elle a gratté son sang sur la moquette... Elle dit sa haine de son père. Elle l'appelle, faisant allusion au plus célèbre de ses films, l" "véritable parrain". Elle l'accuse, sans en apporter la moindre preuve, d'avoir organisé le meurtre de Dag Drolett. Elle l'accuse aussi d'attouchements sur elle, quand elle était petite. Elle dit qu'elle le rejette, qu'elle a rompu tous les ponts, mais on la sent en même temps fascinée par lui, et cet article, qu'il va forcément lire, est peut-être un appel au secours qu'elle lui envoie.
En tout cas, elle prend effectivement ses distances.
En août 1993, peu de temps après, elle retourne à Tahiti. "Là-bas, dit-elle avant de partir aux journalistes, j'aurai moins peur. J'ai une maison et toute ma famille. Il ne peut rien m'arriver..."
Ce n'est malheureusement pas si simple. A l'autre bout de la terre, on emporte ses problèmes avec soi et les proches, malgré tout leur amour et leur volonté de bien faire, se révèlent souvent impuissants... A Tahiti, Cheyenne ne va pas mieux. Elle se drogue, elle boit. Elle sort beaucoup, cherchant un divertissement, un apaisement qu'elle sent elle-même impossibles. Les Tahitiens prennent l'habitude de la voir traîner son spleen dans les boîtes de nuit et rentrer au petit matin, chaque fois plus désespérée.
Un an après son arrivée, elle une overdose de LSD. Après s'être teint les cheveux en bleu, elle va faire la circulation sur la route. La police la recueille et la rend à sa famille. Sa mère Tarita et son frère Teihotu, qui s'occupent d'elle depuis le début, redoublent de vigilance. A partir de ce moment, ils ne relâchent plus leur surveillance.
Marlon Brando, lui aussi, réagit à ce grave incident. Il la presse d'aller en Californie, pour être traitée. Il mettra à sa disposition les meilleurs médecins. Il réquisitionnera, comme la première fois, une clinique psychiatrique pour elle seule. Mais il se heurte au refus définitif de sa fille, qui lui déclare au téléphone :
- Je ne veux pas aller chez les fous !
Décidée à rester à Tahiti et à ne plus en bouger, elle mène une vie de plus en plus instable. Quand on demande à ses proches comme va Cheyenne, ceux-ci répondent avec désabusement : "Elle va bien quand elle prend ses médicaments."

Dimanche 16 avril 1995... C'est le jour de Pâques. Tarita va à la messe avec Teihotu, chez qui Cheyenne habite. Cheyenne choisit de ne pas les accompagner. Que se passe-t-il alors en elle ? Est-ce que ce jour de fête lui est insupportable, dans sa détresse et sa souffrance ? Ce genre de question est sans objet. Un suicide n'a pas d'explication véritable, surtout dans l'état de délabrement mental qui est le sien. Lorsque sa mère et son frère rentrent de l'office religieux, ils la trouvent pendue dans sa chambre...
Quelques jours plus tard, Cheyenne Brando a rejoint Dag Drolett, dans un petit cimetière de campagne, sous les frangipaniers. Son père n'était pas là. En apprenant la nouvelle, il a eu un malaise, on a cru qu'il fallait l'hospitaliser, on a même cru qu'il allait mourir, mais il a surmonté le choc et il s'est enfermé dans sa chambre de Mulholland Drive, écrasé par le chagrin et le remords.
A l'enterrement, chacun a vu un petit bonhomme de cinq ans qui suivait sans comprendre le cercueil de sa mère. C'était Tuki et chacun a pu constater qu'il ne ressemblait pas à ses parents ; il n'avait rien de tahitien, c'était un blondinet au charme occidental, qui ressemblait à son grand-père. Il semblait si fragile aussi, cet orphelin de père avant sa naissance et maintenant orphelin de mère. Alors, souhaitons-lui de ne pas quitter son île et de ne pas avoir un jour la tentation de s'approcher de ces paradis qui ressemblent si fort à l'enfer.
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyLun 29 Jan - 20:51

Double vie


Philibert Delamare est un homme honorable. C'est même une caricature du bourgeois français des années trente. Depuis son mariage, il s'habille exactement de la même manière ; pantalon rayé, gilet avec montre de gousset, redingote gris anthracite, chemise à col dur et cravate à système.
C'est que Philibert Delamare est issu d'une famille respectable où le culte des traditions est un principe qui va de soi. A vingt-deux ans, Philibert a quitté ses parents, de riches industriels du Nord, pour épouser une Parisienne d'excellente famille. Dans la capitale, il exerce la profession d'expert-comptable au sein d'un important cabinet de gestion, une activité dans laquelle il brille par sa rigueur.
Lorsque arrive l'année 1939, Philibert Delamare a quarante ans. Il a deux grands enfants ; une fille et un garçon. C'est cette année que son père meurt. Il aurait sans nul doute les capacités nécessaires pour prendre sa succession, mais cela ne l'intéresse pas. Il n'a pas envie de retourner dans le Nord. Paris lui plaît. Il vend les parts dont il a hérité et, avec le capital qui lui revient, il achète un café-restaurant boulevard Saint-Michel, en plein Quartier latin.

Le prix qu'il a payé pour cette acquisition est élevé, mais rapidement, il se rend compte qu'il a fait une excellente afaire. Si les étudiants, qui ne prennent q'une consommation par jour, n'entretiennent guère la recette, il y a, le soir et la nuit, une clientèle de noctambules, car le café-restaurant est ouvert jusque fort tard ; de plus ce quartier très touristique attire beaucoup d'étrangers. La réussite est même telle que Philibert estime qu'il n'a plus besoin de travailler comme expert et donne sa démission du cabinet de gestion.
La guerre arrive sur ces entrefaites et, avec l'Occupation, rien ne change. La période est pour beaucoup synonyme de privations et de malheur, mais pas pour Philibert Delamare. Son établissement marche tout aussi bien qu'avant. Bien sûr, il y a le couvre-feu, plus question de noctambules, mais dans la journée, la clientèle aisée est toujours aussi nombreuse et on voit arriver en plus de nouveaux consommateurs en uniforme, attirés par cet établissement si parisien.
Dès le début, Philibert a refusé de prendre lui-même la direction de l'établissement. Il a choisi de placer son capital dans la restauration parce que, d'après les études minutieuses auxquelles il s'était livré, c'était le secteur le plus rentable, mais pas question pour lui de vivre dans ce monde-là. C'est contraire à la conception qu'il a de son existence, faite de retenue, de discrétion, de dignité. Il se contente de vérifier les comptes et de passer deux ou trois fois par semaine, pour voir si tout va bien.
Philibert Delamare, dont la coquette fortune s'enrichit de mois en mois, ne fait donc plus rien. Une vie de riche oisif était, dans son esprit, l'idéal auquel il pouvait aspirer, mais il se rend bientôt compte que tout ne se passe pas comme il l'avait imaginé ; il s'ennuie...
Tant que dure la guerre, les événements dramatiques accaparent suffisamment son attention pour le distraire de sa propre existence, or, en 1945, tout change d'un coup. C'est la victoire et son fils et sa fille se marient. Les grands bouleversements ont cessé d'agiter le monde et il se retrouve seul avec sa femme.
Rapidement, il s'perçoit qu'il n'a pas grand-chose à lui dire. Alors que faire ? Ils ne vont pas rester toute la journée ensemble dans le grand appartement qu'ils habitent à Passy. Sortir, aller au concert, au théâtre, voir des amis ? Philibert Delamare n'y songe pas : tout ce qui est culturel l'ennuie et il ne s'est pas fait d'amis : il est trop renfermé, trop solitaire. Alors, pour meubler son désoeuvrement, il se met à faire de longues promenades sans but à traver Paris. C'est là que l'attend son destin.
En ce beau jour d'automne 1946, ses pas l'ont conduit dans le parc des Buttes-Chaumont, où il n'était encore jamais allé... Il fait doux, les arbres sont magnifiques, avec leurs feuilles jaunes et rousses. Il se sent, il ne sait pourquoi, d'une humeur particulièrement joyeuse, d'une humeur, malgré la saison, printanière. Il s'assied sur un banc et sort son journal, pour faire les mots croisés. C'est en cherchant l'inspiration entre deux définitions que son regard se pose sur le banc d'en face. Une charmante blonde de vingt-cinq ans environ y est assise. Elle porte une robe brune, un peu de la couleur des feuilles.
"Une jolie fille, se dit-il. Elle ferait une excellente serveuse et, justement, vu l'accroissement de la clientèle, le gérant en cherche une."
Sans s'en apercevoir, son crayon à la main, Philibert lui sourit. Immédiatement, l'inconnue lui rend son sourire. Il éprouve un choc. C'est la première fois qu'une jolie fille lui sourit ! Et la suite se passe presque malgré lui. Alors qu'il a été jusque-là la réserve et la froideur faites homme, il se lève et va lui parler.
- Mademoiselle, pardonnez mon audace, mais si vous recherchez un travail, je pourrais vous en proposer un. Un emploi de serveuse vous conviendrait-il ?
Pour toute réponse, la jeune femme se met à rire, d'un rire léger, charmant. Puis elle secoue la tête et prononce :
- Non merci.
Mais elle ne refuse pas qu'il s'installe auprès d'elle et leur conversation continue. Après quelques mots sur le temps qu'il fait et l'actualité quotidienne, Philibert décline son nom et sa qualité. La jeune femme dit s'appelr Rosemonde Dubois.
Rosemond... Pour Philibert, ce prénom à lui seul est un dépaysement. C'est la première fois qu'il l'entend. Rosemonde, c'est tout un univers qu'il n'a jamais approché.
Alors, il s'enhardit plus encore. Il lui fait des compliments, qu'elle accepte sans déplaisir. Visiblement, elle n'est pas farouche et, peu après, ils quittent le parc ensemble. Lorsque Philibert aperçoit un petit hôtel et lui propose d'y aller, elle ne dit pas non...
C'est sa première expérience extraconjugale. Au sortir des bras de la jeune femme, il est bouleversé. Cette aventure toute simple, toute naturelle est une révélation. Il a compris tout à coup qu'elle pouvait meubler le vide de sa vie. Il ragarde sa compagne avec fascination. Non, cela ne peut pas être une rencontre sans lendemain, cela ne peut pas se terminer ainsi ! Il demande :
- Vraiment, tu ne voudrais pas être serveuse chez moi ?
Rosemone Dubois répond avec un sourire gêné :
- Mais non. J'ai unmétier...
Philibert s'apprête à demander naïvement lequel, et c'est alors seulement qu'il comprend : femme de mauvaise vie, prostituée... Jusqu'ici, il s'était imaginé que c'étaient des êtres, au pire diaboliques, au mieux méprisables. Et voilà que Rosemonde vient remettre en question toutes ses idées établies.
En rentrant chez lui, Philibert Delamare ne laisse rien paraître de l'événement qui vient de bouleverser sa vie. Mais à partir de ce moment, rien n'est plus pareil. Il est tombé amoureux de Rosemonde. Il est transfiguré. Il est prêt à faire n'importe quoi pour elle.
Et justement, Rosemonde lui demande son aide. C'est une petite provinciale. Elle a débarqué seule l'année précédente à Paris. Elle ne connaît personne à part lui. Or, dans sa profession, elle a besoin d'un protecteur, d'un homme.
Et Philibert accepte : il accepte que Rosemonde continue à se prostituer et de lui servir de souteneur. Il se lance dans cette activité avec le même soin, la même conscience qu'il mettait naguère dans sa profession d'expert-comptable. Il a maintenant un but, pour ses escapades dans la capitale : Strasbourg-Saint-Denis, le quartier où opère sa protégée. Et, à mesure que les jours passent, il se transforme...
C'est la passion qu'il éprouvait pour Rosemonde qui l'a poussé à s'aventurer dans cette jungle. Mais peu à peu, il oublie Rosemonde. Il se plaît dans le milieu, en compagnie des mauvais garçons. Et, contrairement à toute attente, il parvient à se faire rescpecter. Son instruction, ses manières de bourgeois surprennent au début, mais rapidement elles en imposent.
De jeunes voyous viennent le trouver spontanément, pour lui demander conseil. Et c'est ainsi que Philibert Delamare a l'idée de constituer sa propre bande.
Tout cela a duré un peu plus de six mois. Philibert, extérieurement, est toujours le même : bourgeois caricatural, patron d'un café-restaurant prospère, bon père de famille et bon époux. Mais à l'intérieur la métamorphose est complète.
Il a déjà oublié Rosemonde. Il n'est plus question de passion ni même de sentiments envers elle. Elle travaille pour lui et il veille à son rendement. Pourtant, les revenus que lui procure sa protégée ne sont plus que de la routine. Avec sa ande, il va se lancer dans le vol à grande échelle, mais à sa manière : rigoureuse, ordonnée, méticuleuse.
Pourquoi fait-il cela ? Car il n'a pas besoin d'argent. Les revenus de son restaurant sont largement suffisants pour le faire vivre et les placements qu'ila faits en Bourse avec beaucoup de discernement lui rapportent plus encore... La réponse à la question n'est pas aisée. C'est sans doute par désoeuvrement, pour occuper son existence de riche oisif. Mais c'est sans doute aussi parce que, d'une certaine manière, il a trouvé sa vocation ou, du moins, la seconde partie de sa vocation, car il était tout aussi fait pour les chiffres et la comptabilité. En définitive, on est obligé de conclure que Philibert Delamare présente un cas très rare de double personnalité...
En tout cas, sa psychologie si particulière se retrouve dans la façon dont il organise son premier coup. Philibert décide de ne rien laisser au hasard. Pas question de cambrioler des inconnus. Pour agir à coup sûr, il trouve une idée aussi simple qu'efficace : il va voler... sa propre famille !

C'est le 25 avril 1947 qu'il met pour la première fois ses théories en pratique. Ce jour-là, il a invité chez lui son frère et sa belle-soeur. La soirée est conventionnelle, un peu ennuyeuse, comme à l'accoutumée chez les Delamare, mais elle se prolonge fort tard. Philibert insiste pour que ses invités restent encore un peu... A la fin du repas, il leur propose une partie de cartes. C'est inattendu, mais on accepte. Et l'on ne se sépare que bien après minuit.
Pendant ce temps, sous la direction de Tony, un mauvais garçon d'une trentaine d'années, qui est l'adjoint de sa bande, l'appartement de son frère et de sa belle-soeur est consciencieusement cambriolé. Les malfaiteurs n'ont d'ailleurs aucun mal. Philibert leur a donné un double de la clé et leur a indiqué précisément l'endroit où se trouvait l'argent. C'est un coup sûr, méticuleux, rentable, un cambriolage d'expert-comptable en quelque sorte...
Le lendemain matin, Philibert vient toucher sa part dans un café de Strasbourg-Saint-Denis. Rosemonde est là, tout admirative devan tl'audace de son protecteur. Il ne fait même pas attention à elle. Il pense déjà au coup suivant.
20 juin 1947. Philibert Delamare est maintenant bien établi dans sa double vie. Pour sa famille et ses amis, il est un bourgeois irréprochable, propriétaire de restaurant et rentier confortable, mais, du côté du faubourg Saint-Denis, il est le protecteur de Rosemonde Dubois, le chef incontesté d'une des bandes du quartier.

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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyLun 29 Jan - 21:31

Et ce jour-là, précisément, la bande de Philibert Delamare s'apprête à faire un nouveau coup. Comme pour le premier, Philibert a choisi la facilité et la sécurité. Il s'agit de cambrioler sa seconde belle-soeur, qui habite dans un appartement cossu du faubourg Saint-Honoré.
Cette dernière est veuve. Son mari, le frère de Philibert, a été tué à la guerre, en 1940. Comme elle est malade et qu'elle ne peut pas sortir de chez elle, il n'a pas été possible de l'inviter pendant le déroulement de l'expédition. Il faudra donc agir en sa présence, ce qui augmente les risques. Mais en comptable consciencieux, Philibert Delamare a estimé que ceux-ci étaient faibles par rapport au gain et il a monté l'opréation dans ses moindres détails.
A 20 h 30, Tony, le lieutenant de Philibert Delamare, se présente chez la veuve. Le scénario est parfaitement au point. Il sonne suel à sa porte. Ses complices attendent dans l'escalier. Quant à Philibert lui-même, il est dans la rue, sur le trottoir d'en face, et guette le signal convenu pour monter à son tour.
Après avoir sonné, Tony attend un moment. La dame n'ouvre pas. Elle est méfiante. Ce n'est pas une surprise pour lui, son chef le lui a dit. A travers la porte, il l'entend enfin lui demander :
- Qu'est-ce que c'est ? Que voulez-vous ?
Tony n'a plus qu'à réciter son rôle.
- Je suis un camarade de votre mari. Nous avons fait la guerre ensemble. Je viens de rentrer de captivité. Et il m'avait demandé de venir vous voir à mon retour.
Comme la veuve ne lui ouvre toujours pas, Tony sort une enveloppe. Elle contient des photos du mari. C'est bien sûr, Philibert Delamare qui les lui a données. il les glisse sous la porte.
- Tenez. Si vous ne me croyez pas, voici la preuve...
Il y a encore une minute d'attente et, cette fois, la porte s'ouvre. D'un bond, Tony se précipite, suivi rapidement par les hommes de la band. En quelques secondes, la femme est maîtrisée, ficelée et bâillonnée sur son lit. D'une fenêtre, on fait signe à Delamare de monter. On jette une couverture sur la tête de la victime, afin qu'elle ne puisse pas reconnaître son beau-frère. Et on se met à fouiller, ce qui est d'autant plus facile qu'on sait exactement où se trouve ce qu'on cherche.
Philibert Delamare entre à son tour dans l'appartement. Négligeant les pièces principales, il va directement à la cuisine. Tous ses hommes y sont déjà. A voix basse, il demande :
- Alors, vous avez trouvé ?
Pour toute réponse, Tony exhibe un panier à salade.
Oui, c'était bien cela, le magot était dedans ; cent quatre-vingts louis d'or.
Philibert ne s'attarde pas à les compter.
- Allez. Ne perdons pas de temps. Il reste encore les bijoux et les fourrures.
Silencieusement, suivi de ses hommes, il revient dans la chambre à coucher et il s'arrête net à la porte...
Sa belle-soeur est à moitié dressée sur son lit. Elle a réussi à se défaire de la couverture qui lui recouvrait le visage et elle le regarde, l'air horrifié.
Que se passe-t-il à ce moment en lui ? Sans doute a-t-il la sensation que tout est en train de s'écrouler. Sa double vie est terminée. Sa belle-soeur va le dénoncer. Lui, le bourgeois irréprochable, tout le monde va savoir qu'il n'est en fait qu'un bandit. Mais il n'y a rien à faire, c'est cela... ou devenir un assassin !
Devant ses hommes figés, Philibert Delamare se dirige vers le lit... Il semble hésiter un instant. Et, sous leurs yeux, froidement, il étrangle la prisonnière.
Quelques instants plus tard, il donne ses ordres, d'un ton bref :
- Les manteaux sont dans la penderie. La clé du coffre à bijoux est sous la pile de draps.
mais des hurlements couvrent sa voix. un instant paniquée, les bandits reprennent leur sang-froid : ce sont seulement les aboiements du chien de la maison. Philibert Delamare leur fait signe de continuer à fouiller.
- Il doit être enfermé dans la salle de bains. Je m'en occupe.
Quand ses complices, après avoir découvert et emporté leur butin, repassent devant la salle de bains, ils ne peuvent s'empêcher d'avoir un frisson. Une forme se balance au-dessous du bec de la douche ; Delamare a pendu le chien avec sa laisse...
Le partage du butin à lieu dans l'appartement même. Cette fois, plus question de se revoir avant un certain temps. Après ce qui vient de se passer, ce serait trop risqué.
Renté chez lui, Philibert Delamare reprend sa vie tranquille. il n'a pas d'inquiétude excessive. Qui pourrait s'imaginer que, sous ses chemises à col empesé, se cache un redoutable bandit, que le grand bourgeois habitant Passy n'est qu'un monstre ? Il est insoupçonnable, la police va enquêter dans les endroits où elle a l'habitude d'aller, mais pas chez lui. Quant à sa complices, ils sont bien trop compromis pour parler...
Pourtant, Philiber se trompe. Les policiers sont tout de même intrigués par le fait que les deux belles-soeurs ont été cambriolées en si peu de temps. D'autant que, dans les deux cas, les voleurs semblaient parfaitement renseignés. La veuve avait, en outre, la réputation d'être particulièrement méfiante et il y a tout lieu de penser qu'elle n'aurait ouvert qu'à quelqu'un qu'elle connaissait.
A la longue, Philibert Delamare commence à s'inquiéter... Chaque fois que les policiers viennent l'interroger, il a du mal à dissimuler son trouble.
Comme part du butin, il n'a gardé que les bijoux, ce qui prenait le moins de place. Et, de peur que sa femme ne les découvre, il n'a osé les cacher nulle part dans son appartement. Il es porte sur lui, dans les poches de sa veste et de son gilet. Il sent leur contact dur, tandis qui'l répond aux questions des enquêteurs.
Si au début, sa double vie lui avait procuré un délicieux sentiment de risque et d'aventure, maintenant le jeu n'est pas drôle du tout, il est même sinistre...
Un jour de septembre 1947, Mme Delamare se rend, toute bouleversée, dans le commissariat de son quartier ; son mari a disparu depuis deux jours... Cette fois, les policiers ont compris. Ce n'est pas sur une disparition qu'ils enquêtent, c'est un criminel en fuite qu'ils recherchent. Un manda d'arrêt international est lancé dans les principaux pays, car on suppose qu'avec tout l'argent dont il dispose Delamare a pu essayer de gagner l'étranger...
La supposition est bonne. Les policiers américains arrêtent Philiber Delamare peu de temps après, à New York. Il est rapidement extradé en France pour y être jugé.

Tous ceux qui ont assisté au procès ont été frappés, en voyant l'accusé. Les journalistes et le public se répétaient, en regardant son maintien strict, son noeud papillon et son costume trois-pièces :
- Mais comment est-ce possible ? Comment a-t-il pu faire ça ?...
Oui, comment a-t-il pu ? Les délinquants ordinaires ont des excuses. Mais lui avait été élevé dans des principes de droit et de moralité et il les avait mis en pratique quarante ans durant. Pourquoi a-t-il brutalement basculé dans la délinquance et dans le crime, alors qu'il n'en avait pas besoin ? Comment a-t-il pu tuer la veuve de son frère, mort à la guerre ?
Comment a-t-il pu avoir le sang-froid monstrueux de pendre cette pauvre bête avec sa laisse ?
Les jurés, qui, comme les autres, se sont forcément posé toutes ces questions, y ont répondu sans indulgence : ils ont condamné Philibert Delamare à mort.
Et il a été exécuté. Ce jour-là, de la manière la plus brutale, la guillotine a tranché définitivement sa double vie.
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MessageSujet: Re: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyMer 31 Jan - 13:43

Je préviens mon père ! Merci LAure
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyMer 31 Jan - 13:55

Bonne lecture à ton papa, Jeanne-Marie Exclamation ..... Wink
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyMer 31 Jan - 21:00

La loi de la bourgeoisie


Il n'y a pas d'adresse plus prestigieuse à Bordeaux que le quai des Chartrons. C'est là, dans quelques hôtels particuliers, que sont rassemblées les plus grandes fortunes de la ville. De ce qui se passe derrière ces murs, rien ne doit filtrer...En fait, le quai des Chartrons est plus qu'une artère, c'est une citadelle, celle de l'argent et du pouvoir, surtout en ces années 1900 où la bourgeoisie triomphante est à son apogée.
A Bordeaux, depuis des siècles, les plus prestigieuses familles appartiennent soit à la viticulture, qui fait sa richesse depuis le Moyen Âge, soit au commerce maritime. Or Catherine Canaby, née Sabourin, fait partie de l'une et de l'autre. Fille d'un des plus grands armateurs de la ville, elle a épousé le propriétaire d'un des crus les plus réputés du Bordelais. Cette alliance, qui la place tout au sommet de la pyramide sociale, devrait en faire une femme comblée, d'autant que deux enfants, deux filles aussi jolies l'une que l'autre, sont venus couronner son union. Et pourtant...
Et pourtant, à trente neuf ans, Catherine Canaby s'ennuie. Elle voit bien dans sa glace, son visage prerdre de ses couleurs, prendre un air résigné et austère, qui la rendrait presque laide.Mais qu'importe la beauté désormais ? Dans un an, ce sera la quarantaine, bientôt ses filles se marieront, elle sera grand-mère et c'en sera fini de sa vie de femme.
Mais cette dernière a-t-elle jamais commencé ? Son mariage n'a guère été qu'un rapprochement d'intérêts entre deux familles :  le vin d'un côté et les navires pour l'exporter de l'autre. Emile Canaby s'est occupé d'elle juste le temps de lui faire ses enfants, après il ne s'est plus soucié que de ses affaires. Oh, elle n'a rien à lui reprocher ; il est fidèle, sobre, attentionné, il est d'humeur égale, jamais ou presque elle ne l'a vu se mettre en colère. En plus de cela, il est beau avec sa haute stature, ses yeux bleus,sa barbe blonde impeccablement taillée.
Oui, Emile est irréprochable, mais que c'est triste, un mari irréprochable ! Comme elle l'aurait préféré rempli de défauts, se disputant sans arrêt avec elle, la faisant s'enflammer, bouillir, pour se réconcilier ensuite. Comme elle l'aurait préféré léger, inconstant, frivole, même s'il avait dû la rendre jalouse. Qu'est-ce que c'est qua la jalousie ? Elle ne le sait pas et ne le saura jamais.
Catherine Canaby arpente fiévreusement l'hôtel particulier du 54, quai des Chartrons, aux pièces immenses et lugubres, aussi glacial que le marbre de ses sols, aussi étouffant que ses boiseries et ses tentures... Et dire qu'il y ades gens pour l'envier ! C'est elle, au contraire, qui envie les autres. Pour un peu, elle changerait son existence contre celle des marchandes des halles ou des prostituées du port. Elles sont pauvres, elles sont malheureuses, elles sont tout ce qu'on voudra, mais au moins, elles vivent !...
- Que se passe-t-il, ma fille ? Je vous trouve bien pâle.
C'est Adèle Canaby, sa belle-mère, qui vient de faire son apparition, grande et sèche, tout de noir vêtue. Elle aperdu son mari l'année précédente.
Emile lui a dit d'habiter avec eux et, depuis, elle hante les pièces de leur demeure, silencieuse comme un spectre. Catherine la considère avec horreur. C'est bien ce qu'elle est : un spectre, celui de ce qu'elle sera elle-même plus tard. Car elle sera un jour, elle aussi, cette femme en noir ! Elle se dirige vivement vers la porte.
- Vous avez raison, mère, j'ai besoin d'air. Je vais me promener...
Quelques minutes plus tard, elle est dans les rues de Bordeaux. Il fait beau, en ce mois de mai 1904, et elle a ouvert son ombrelle. Elle n'a pas l'habitude de se promener seule et elle en éprouve une sensation de liberté, qui l'apase un peu. C'est à ce moment qu'une voix l'interpelle dans son dos :i
- Catherine !
Elle se retourne et manque de se trouver mal, tant la surprise est grande.
- Pierre !
Un revenant, c'est un revenant, il n'y a pas d'autre mot !... Catherine Canaby pensait tout à l'heure qu'elle n'avait jamais connu la jalousie, mais l'amour si, elle l'a connu. C'était il y a vingt ans, avec Pierre Rabot.
Ils avaient vingt ans l'un et l'autre, ils étaient amis d'enfance. Longtemps, il n'avait été question entre eux que d'amitié, mais avec le temps, une inclination réciproque les a rapprochés C'est dans ses bras quelle a éprouvé les seuls émois de sa vie. Sans qu'ils aient été officiellement fiancés, le mot de mariage a été prononcé. Catherine le souhaitait de toutes ses forces et sa famille ne sy serait pas opposée. Il n'y aurait eu nulle mésalliance, Pierre était riche, très riche même. Elle entend encore son père lui dire :
- Je suis prêt à lui donner ta main. Encore faut-il qu'il fasse sa demande.
Mais Pierre Rabot n'a jamais fait sa demande. Il se destinait à la carrière diplomatique et il s'en est allé à l'étranger, très loin, en Amérique. Au début, il a donné de ses nouvelles, et puis il a cessé. Les années ont passé, il arrive un âge où les jeunes filles doivent se marier. Emile, lui, a fait sa demande et Catherine Sabourin est devenue Catherine Canaby...
Pierre vient de l'embrasser familièrement sur les deux joues. Il se recule pour la contempler avec un large sourire.
- Tu n'as pas changée. Si, tu es encore plus belle qu'à vingt ans !
Le compliment remplit Catherine de bonheur. Elle sait que ce n'est pas vrai la concernant, mais pour Pierre, c'est parfaitement exact. Il a toujours ses airs d'artiste, avec ses eyux très clairs et ses cheveux sombres un peu bouffants. Les années lui ont apporté quelque chose de plus mûr, il est moins fragile et plus séduisant encore... Malgré l'émotion qu'elle ressent, elle parvient à s'exprimer d'une manière naturelle.
- Que viens-tu faire ici ?
- Le mal du pays, l'envie de revoir la ville. De toute façon j'aurais été vous voir. Comment va Emile ?
- Il va bien.
- Et toi ? Tous se passe bien ? Tu es heureuse ?
- Nous avons eu deux filles. Elles sont très jolies, tu verras... Tu es marié toi aussi ?
- Non, toujours pas. Je ne suis sans doute pas assez sérieux pour cela. A moins qu'aucune femme ne me plaise, quand je la compare à toi...
Ils parlent ainsi quelque temps encore. Catherine rougit aux compliments de Pierre ; lui semble comme transfiguré de l'avoir revue. Ils plaisantent, ils rient, ils ont retrouvé leur jeunesse, leur complicité et, au moment où ils se séparent, elle l'invite à dîner un prochain soir.
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MessageSujet: Pierre Bellemare   Pierre Bellemare EmptyMer 31 Jan - 22:22

Au 54, quai des Chartrons, Pierre Rabot est reçu à bras ouverts. Car il faut préciser qu'il n'est pas seulement l'ami d'enfance de Catherine, il l'est aussi de son mari : Emile Canaby et lui ont fait une partie de leur scolarité ensemble. Pierre devient vite inséparable du couple et Catherine elle-même lui rend souvent visite chez sa tante, où il loge, dans un grand appartement du centre-ville.
L'été arrive. Traditionnellement, pour échapper aux grandes chaleurs. Catherine le passe dans la maison que possèdent les Canaby à Bagnères-de-Bigorre.
Emile ne vient jamais avec elle : il ne prend pas de vacances, son travail l'accapare trop. Et ce qu'elle espérait secrètement se produit alors : Pierre demande et obtient d'Emile la permission de la rejoindre à Bagnères.
On peut s'étonner de cette complaisance, mais Emile Canaby a confiance en son ami d'enfance, voilà tout. D'ailleurs, il ne se passe rien. Ils sont surveillés en permanence par les deux filles et les domestiques et, de toute manière, Pierre ne veut pas faire preuve de déloyauté... Il n'empêche que, pour Catherine, le séjour est bouleversant. Pierre est tout le contraire d'Emile, il est spirituel, anticonformiste, cultivé, il s'intéresse à la musique, à la peinture, à la littérature.
A vivre ainsi à ses côtés, elle a l'impression que c'est avec lui qu'elle est mariée et elle ne peut s'empêcher de faire la comparaison...
A l'automne, tout le onde revient à Bordeaux et la vie se réorganise comme avant. Pierre Rabot fréquente assidûment l'hôtel du quai des Chartrons, Catherine lui rend fréquemment visite dans l'appartement de sa tante. L'année 1905 arrive et Pierre franchit un pas supplémentaire : il propose à Catherine de passer des vacances en Suisse avec lui. Bien entendu, encore une fois, il l'obtient. L'attitude du mari est beaucoup plus étonnante, car les conditions seront différentes, tous les deux seronte seuls, loin de toute surveillance, mais Emile Canaby n'est pas jaloux.
Le couple part... Faut-il dire ce que représentent ces vacances pour Catherine ? C'est quelque chose comme un voyage de noces, même si Pierre reste un parfait gentleman, s'abstenant non seulement de tout geste, mais de toute parole déplacée. Il ne lui fait pas la moindre déclaration, pas la moindre promesse. Il se contente de vivre avec elle ces moments hors du temps et des conventions sociales. Il ne parle jamais d'avenir. Mais Catherine est incapable d'être aussi raisonnable. Elle élabore des projets en secret. Il suffirait de peu de chose pour que ce bonheur de quelques semaines dure toute une vie : son ami d'enfance est toujours célibataire. Bien sûr, elle-même ne l'est pas, mais...

11 mai 1905. Au 54, quai des Chartrons où Catherine est rentrée de Suisse depuis quinze jours, Emile vient brusquement de tomber malade. Il s'est alité et il se tord de douleur entre deux vomissements. Le médecin, appelé en hâte, constate de violentes crampes abdominales, accompagnées de nausées. Il donne son diagnostic à son épouse et à sa mère, qui se tiennent à son chevet.
- Un commencement de grippe infectieuse. Ce ne sera rien.
Mais l'état d'Emile Canaby s'aggrave, au contraire, rapidement. Des spasmes apparaissent, ses jambes deviennent inertes et sons gagnées par la paralysie. Le médecin, rappelé d'urgence, découvre une très inquiétante accélération du pouls, accompagnée d'une chute brutale de température.
Déconcerté par ces symptômes, il demande, dans un premier temps, l'avis de plusieurs de ses collègues. Ils sont unanimes : il s'agit d'un empoisonnement criminel, il faut soustraire le malade à son environnement. Le médecin fait donc immédiatement transporter Emile Canaby dans une clinique. Catherine, qui le soignait avec le plus grand dévouement, proteste :
- Je ne veux pas être séparée de mon mari !
Mais le médecin ne l'écoute pas et il a raison ; une fois hospitalisé, le malade se rétablit aussitôt... Malgré cet ensemble de circonstance plus que suspectes, ni le médecin ni la clinique n'alertent les autorités. Il s'agit des Canaby, évoquer un empoisonnement serait déclencher un scandale... Pourtant, les faits ne vont pas rester secrets longtemps.
Deux jours plus tard, le 13 mai, un pharmacien du quai des Chartrons remarque, en vérifiant ses livres, que de gros achats de produits toxiques : aconitine, digitaline et arsenic, ont été effectués, par Catherine Canaby, au début du mois. C'est d'autant plus curieux que les ordonnances ne viennent pas de son médecin de famille, qui'l connaît bien, mais d'un médecin des Landes, M. Gaube. Il les envoie à celui-ci, qui découvre que se sont des faux. Il porte plainte, déclenchant la machine judiciaire. Elle va aller jusqu'au bout...
Le fait d'habiter quai des Chartrons ne vous place pas au-dessus des lois et Catherine Canaby est interrogée par les polliciers. Sa défense est, pour le moins, peu convaincante.
- Je me suis procuré ces ordonnances pour un inconnu.
- D'où venait-il ?
- Je ne sais pas. Il m'a prié seulement de lui rendre service. Il avait besoin de produits toxiques pour des expériences.
- Et cet homme à qui vous avez remis ces poisons, vous ne l'avez jamais revu ?
- Non, jamais...
La suite de l'enquête est plus accablante encore pour Catherine. On fait faire l'analyse graphologique des ordonnances : c'est son écriture. Des examens sont pratiqués sur Emile : on découvre des quantités énormes d'arsenic dans ses cheveux et sa barbe.
Le doute n'est plus permis : Catherine Canaby a voulu empoisonner son mari. Reste à découvrir la raison... Pourquoi, à quarante ans, cette femme appartenant à la plus haute bourgeoisie bordelaise et jusque-là irréprochable serait-elle devenue meurtrière ? Un brusque accès de dépression ? La folie ?
La question ne reste pas longtemps un mystère, car les domestiques parlent. Ils révèlent l'existence de Pierre Rabot et ils racontent tout : les retrouvailles, vingt ans après les fiançailles, Bagnères-de-Bigorre, la Suisse... Du coup, c'est à l'ami d'enfance de Catherine de se retrouver sur la sellette. Malgré sa position sociale, il est interrogé sans ménagement. Il est peut-être le complice du crime, voire son instigateur.
Mais il est rapidement mis hors de cause. Il peut produire des témoins attestant la parfaite correction de sa conduite. Aussi bien à Bordeaux qu'à Bagnères, personne ne l'a jamais surpris dans une situation équivoque avec Catherine ; en Suisse, ils ont toujours fait chambre à part et tout s'est fait avec le plein accord de son mari, avec lequel il n'a cessé de correspondre.
Les policiers doivent en convenir : Pierre Rabot a peut-être fait preuve de légèreté, en donnant de faux espoirs à son ex-fiancée, il porte peut-être une responsabilité morale dans cette affaire, mais cela concerne sa conscience, pas la justice. Il est disculpé, tandis que, le 1er janvier 1906, après huit mois d'instruction, Catherine Canaby est arrêtée, sous l'inculpation de tentative d'homicide.
Et c'est maintenant que le plus extraordinaire va avoir lieu ! Car la seule plainte dans son dossier est celle du docteur Gaube, le médecin des Landes. La famille Canaby a fait bloc derrière elle. Une empoisonneuse dans la caste des Chartrons, c'est impossible ! La respectabilité avant tout. Emile répète à qui veut l'entendre que Catherine est la plus aimante des épouses. Il a été malade, oui, empoisonné, jamais !
Si les Canaby veulent ainsi éviter le scandale, ils se trompent. Car leur comportement fait la une non seulement des journaux de Bordeaux, mais de la France entière. Ce prodigieux acharnement de la haute bourgeoisie à dissimuler ses vices, au mépris de toute justice et même de toute vraisemblance, fascine l'opinion.
L'affaire devient le symbole d'une mentalité, d'une époque, elle prend presque des dimensions politiques.
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