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Détente - amitié - rencontre entre nous - un peu de couleurs pour éclaircir le quotidien parfois un peu gris...
 
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 SAN-ANTONIO

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epistophélès

epistophélès


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MessageSujet: SAN-ANTONIO   SAN-ANTONIO EmptyLun 26 Fév - 15:17

L'enquête de San-Antonio va le mener dans une ferme :

"Une ferme transformée ! La pierre est vieille et le lierre luxuriant. Une vaste prairie cerne la maison. On accède à l'habitation par une allée garnie de gravillons de carrière ocre. Depuis la route je retapisse les lieux.
Il y a trois chignoles parquées sur la terrasse. Et c'est pas de la tire de congés payés ! Une Cadillac crème décapotable, une Alfa Roméo et une Mercedes 230 SL.
La moindre des choses. Je perçois de la musique, des rires, un ronron de conversation ponctué parfois de cris quasi hystéros. Malgré la prodigieuse imagination que vous me connaissez, je cherche un prétexte valable pour m'annoncer dans la taule. Ca me paraît un brin coton. Mais rien n'arrête le pèlerin lorsqu'il a pour blaze San-Antonio.
Courageusement, je pousse la barrière blanche et m'annonce vers le livinge où semble régner un vent de folie. Par les larges portes-fenêtres béantes, j'aperçois une faune assez clitoresque. Il y a là sept personnes : quatre frangines et trois matous. Trois des quatre souris sont jeunes, soûles et décolletées, la quatrième est vachement vioque et fardée à la truelle. Ca fait au moins cinquante ans qu'elle a remplacé son maquilleur par un maçon. Les trois hommes réussissent l'exploit délicat d'être aussi antipathiques les uns que les autres.
On devrait désigner la plus sale brouille qu'il faudrait au moins quatorze tours de scrutin pou y parvenir.
Il y a là un jeunot à face de belette ; un gros adipeux, façon importé d'Orient, à la peau comme de la peau de grenouille ; et un troisième avec plus de carats, cheveux presque blancs, teint rose, oeil vicelard.
Au moment où je me pointe, tout ce populo est mélangé de surprenante façon. Les trois messieurs sont vautrés sur un divan grand comme l'esplanade des Invalides, et les trois jeunes bergères se trouvent en travers de leurs jambes, les jupes retroussées beaucoup plus haut qu'à la cour d'Angleterre. La vioque se tient assise en face d'eux et paraît se délecter au spectacle de ces couples empilés. Tout le monde me paraît soit chlass, soit en passe de le devenir rapidement.
Mon arrivée provoque le silence. Y a que le tourne-disque qui continue à moudre du Johnny Hallyday comme s'il ne m'avait pas vu.
Je me force un peu et je virgule à la ronde un sourire qui ensorcellerait un essaim de frelons.
- Mande pardon, m'sieurs-dames, susurré-je de ma voix à inflexions reconverties, pourrais-je parler à Mme Soubise ?
L'une des trois pétasses décolletées jusqu'au nombril lève le bras, ce qui m'offre une découverte imprenable sur une aisselle marquée de roux comme les grands boeufs de Pierre Dupont.
- C'est moi, ponctue-t-elle niaisement.
Les autres nanas gloussent. Les bonshommes se fendent le pébroque. J'ai la nette, la très nette impression que ces foies-blancs me prennent pour un lavedu.
- De quoi s'agit-il ? Poursuite la rouquine.
- Je venais vous proposer un gala, madame Soubise, dis-je. Je m'occupe du comité des fêtes de la ville de Paris et nous aimerions avoir un récital de vous pour le mois prochain.
- Cela dépend de vos conditions, fait mon interlocutrice. Je suis très chère, vous savez.
Mais la vioque peinturlurée se met à bramer d'une voix plus acide qu'une jus de citron nature :
- Ca suffit comme ça, Lola !
Puis se tournant vers moi :
- Je suis Léocadie Soubise.
Je ravale ma surprise. Elle est centenaire, la vedette !
Les autres doivent vivre plus ou moins aux crochetons de la douairière car ils ne se marrent plus.
- Je feignais de couper dans ce que cette personne estime être une plaisanterie, fais-je en désignant la rouquine. Je pense, chère madame, que vous voudrez bien m'accorder un entretien particulier afin que nous discutions... sérieusement.
J'appuie très fort sur le sérieusement, au point que je l'entends craquer aux jointures. Mais il ne casse pas.
- Allons dans mon boudoir, décide la divavioqua. Votre bras, cher monsieur...Heu ?... Comment avez-vous dit ?
- Antoine, me présenté-je, je ne l'avais pas encore dit d'ailleurs !
A petits pas - car la vieille est drôlement constipée des cannes - nous gagnons la pièce voisine. C'est une sorte de mausolée plutôt qu'un boudoir. Il y flotte une lumière vénéneuse, tamisée par d'épais rideaux. Les murs sont entièrement recouverts de photos dédicacées. Réjane ! Sarah Bernahardt ! Mayol ! Dranem ! Le maréchal Sprountzbul ! Le président Glotmutche !, etc. Une bergère véritablement Louis XV accueille nos derrières.
- Excusez-les, fait Mme Soubise en désignant le living d'un hochement de menton, ils sont jeunes et aiment la plaisanterie.
- Je ne la déteste pas non plus à condition qu'elle soit bonne, assuré-je.
La bonne dame hoche la tête.
- Votre histoire de gala, c'est sérieux ?
- Très sérieux, fais-je... sérieusement.
- Il y a douze ans que j'ai abandonné le chant, objecte-t-elle.
M'est avis que le chant, par contre, l'a abandonnée depuis beaucoup plus longtemps.
- C'est pourquoi il serait bon de vous remanifester, dis-je avec autorité.
Elle hoche la tête.
- Très franchement, dit-elle, je suis certaine que je n'ai rien perdu de mes qualités vocales.
- J'en suis également certain !
- Vous n'ignorez pas que je me suis toujours taillé un triomphe avec Madame Butterfly.
- Je ne l'ignore pas.
- D'ailleurs, j'ai un faible pour Puccini.
Le faible en question, ça doit être sa voix, à la pauvre chérie. Jamais vu encore une vieille tarte pareille. En voilà une qui a dû mener une vie pas racontable. Et qui continue.
Je vous parie ce que vous savez contre ce que je ne vous dis pas qu'elle continue à organiser des parties de jambons chez elle. Maintenant elle est spectatrice.
La retraite, quoi, à tous les étages. Une drôle de bonne femme ! Je me demande si elle a plus ou moins de cent dix ans.
- Combien m'offrez-vous ? s'inquiète-t-elle.
Et grippe-oseille avec ça !
- Quatre cent mille francs ! risqué-je.
Elle fait la moue.
- Vous vous moquez de moi !
- Tous vos frais payés, bien entendu, m'empressé-je.
- Je ne me déplacerai pas à moins d'un million.
Non, mais vous vous rendez compte d'une petite gourmande ! C'est à l'état de fossile, ça n'a pas plus de voix qu'une carpe enrhumée, ça a fait une carrière inconnue en province et ça veut palper un cacheton de super-vedette ! Si je m'écoutais, je lui répondrais que Pont-aux-Dames est bourré de personnes de son âge qui accepteraient de se déplacer pour trois francs : mais c'est elle qui m'écoute. Et comme de toute manière je lui dévide des bobards, je ne risque rien à doubler son "cachet".
- Je n'irai pas au-dessus de huit cent mille, déclaré-je, catégorique.
- Eh bien d'accord, fait mon hôtesse. Qui avez-vous au programme ?
- Frank Sinatra !
- Connais pas.
- En fin de première partie seulement.
- Ah bon !
- Je vais câbler à Paris pour qu'on prépare le contrat. Je pense l'avoir d'ici deux à trois jours...
Je me lève.
- Vous avez une maison bien agréable madame Soubise.
- J'y passe tous mes week-end. Le reste du temps, j'habite Lyon
.

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epistophélès

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MessageSujet: SAN-ANTONIO   SAN-ANTONIO EmptyLun 26 Fév - 16:11

Un brusque frémissement me parcourt. Imaginez-vous que cette vieille momie vient de poser négligemment sa main sur mon genou. Moi, j'aime bien qu'une dame ait de ces initiatives, mais pas quand elle a doublé le cap des quatre-vingts ans.
Plutôt funèbre comme caresse. Ma parole, mais cette vieille gloire décharnée se fait encore expédier au septième ciel en attendant de toucher son ticket de croisière pour le vrai, l'unique et définitif ! La pensée que des gars puissent lui livrer de l'extase à domicile me donne une nausée carabinée.
- C'est vous qui avez eu cette idée de m'engager ? roucoule-t-elle.
- C'est moi, madame !
- On ne m'a donc pas oubliée, là-haute ?
Je pense qu'elle fait allusion à Paris. Je ne sais si on l'a oubliée définitivement à Paname, en tout cas, au paradis, le gars qui fait l'appele a dû paumer son blaze (son nom).
- La preuve, madame Soubise.
- Vous pouvez m'appeler Léo, dit-elle, tous mes amis m'appellent ainsi. Savez-vous que j'ai chanté à Paris, au Châtelet...
- Je le sais.
M'man ne devait pas encore être née.
- Allons rejoindre les autres. Vous regagnez Lyon ?
- Heu, ma voiture est tombée en panne dans le village voisin et...
- Alors, vous allez loger ici !
J'hésite. L'occasion est formidable. Evidemment rien n'indique que cette very old lady ait trempé de près ou de loin dans l'affaire qui m'intéresse, et pourtant... Vous le connaissez votre San-A., hein, mes chéries ? Vous savez comment il aime fouinasser. Son renifleur est exceptionnel. Or depuis que j'ai mis les nougats (les doigts) dans cette crèche, je sens quelque chose de bizarre en suspens dans l'air.
- Je ne voudrais pas abuser, Léo, vous avez du monde et...

- Plus on est de petits fous, plus on rit ! assure-t-elle.
Après tout j'en ai vu d'autres !
- En ce cas...
- Quel est votre prénom ?
- Antoine.
- Je croyais que c'était votre nom ?
- Je m'appelle Antoine Antoine.
- Comme c'est original. On va aller raconter tout ça à ces garnements.

Retour au living où ces messieurs-dames palabrent ferme. Léo fait les présentations. Il résulte de celles-ci que le jeunot à face de belette est la partenaire de la fille blonde qui se prénomme Violette tandis que lui s'appelle Jérôme. L'un et l'autre sont danseurs mondains à Lyon. Le gros adipeux a pour blaze : Ambistrouyan, il est arménien et marié à Berthy, la brune idiote qui réussit à avoir une jambe entre celles de Jérôme et une autre entre celles de mister Léopold, le dabe aux crins blancs.
Ambistrouyan tient un bar de nuit à Lyon, M. Léopold s'occupe d'import-export tout en protégeant Lola, la rouquine qui essayait de se payer ma fiole ! Ces bonnes gens m'accueillent civilement maintenant qu'ils me prennent pour un authentique imprésario. La vieille demande à Jérôme de se mettre au piano car, sans plus attendre, elle veut me cloquer le grand air de la mère Butterfly.
Le danseur se met au piano pour faire des pointes avec ses doigts. Il prélude.La daronne se racle le gargoulet et, un coude sur la queue du piano, se met à vociférer !
Ah ! les gars, faut avoir les trompes d'Eustache bien arrimées et se faire étayer les tympans. Avec une voix commak, la mer clamée va sûrement virer sa cuti et d'ici pas bien longtemps ça va être le typhon signé Paramount !
Je ne sais pas si vous avez déjà entendu un ciseau à froid mordre dans du marbre, un tramway prendre un virage dans une descente, un couteau ébréché trancher une pomme verte et un évier bouché se dégager brusquement. J'ignore aussi si vous avez entendu le bruit que fait une scie à métaux attaquant une ferrure rouillée, et s'il vous est arrivé de voir un chat dont on a coincé la queue dans une portière de voiture. En tout cas, il vous est arrivé, à tous, de faire un viron près d'une clinique d'accouchement, d'écrire avec de la craie trop dure sur une ardoise mouillée, de fermer un volet dont les gonds n'avaient jamais été huilés, d'entendre se plaindre une chèvre enfermée, de marcher dans de la boue avec des bottes trop grandes, d'avaler de la soupe trop chaude, de rouler sur une bicyclette dont le pédalier se déglinguait, de monter des oeufs en neige et d'actionner un moulin à café électrique. La voix de Léocadie Soubise c'est tout à la fois, plus certaines inflexions qu'on ne peut comparer à rien.
Les autres se retiennent de rigoler. Moi, je me cramponne aux accoudoirs de mon fauteuil pour m'empêcher de décamper.
Dans sa tombe, Puccini doit faire du ramdam sur l'air des lampions, bien que celui-ci ne soit pas de lui. Je regrette de n'avoir pas un tampon de chloroforme sous la main. Et puis je regrette de ne pas être sourdingue.
Ca serait bath de fermer le robinet de son sonotone en ce moment ! Et y a pas que le son : faut voir ses mines, à Léo ! Paupières baissées, une main sur le coeur, les lèvres comme un cul de poule qui articulerait bien les syllabes !
Elle finit enfin ; mains jointes, visage dévasté par le recueillement.
Ses aminches applaudissent et ça me donne l'idée d'en faire autant.
- Alors, votre opinion ? Me roucoule la dame de l'ère secondaire.
- Divin, fais-je, catégorique.
- Quand je vous disais que ma voix était restée la même !
- Il faudra profiter de votre séjour à Paris pour enregistrer des disques, assuré-je.
- Vous croyez ? s'humecte-t-elle.
Je me dis que ça pourrait rendre de grands services dans les cas d'opération sans anesthésique. De plus, ça doit pouvoir remplacer l'électrochoc !
Elle parle de nous virguler La Tosca, mais le père Léopold s'oppose et du coup me devient presque sympa.
- Pas d'excès, Léo, fait-il sérieusement, songez que notre bon Jérôme n'est qu'un pianiste d'occasion, soit dit sans vouloir l'offenser. Vous devez engager un accompagnateur de première classe, sinon vous risqueriez de...
Elle dit banco et supplie le suifeux de servir à boire.
Champagne pour tout le monde. Et du Dom Pérignon, s'il vous plaît.
Tout en éclusant, je pense que Béru va se demander ce qui m'est advenu, et je songe en outre à mon rencard avec Rosette. J'aime pas poser de lapinos à une gentille souris, surtout lorsqu'elle a des taches de rousseur et son brevet supérieur.
Je mate ma pendule individuelle.
- J'ai juste le temps d'aller au bureau de poste pour mon courrier ! dis-je.
- Gaston, mon valet de chambre, peut y elle ? propose la vioque.
- Je vous remercie, mais je dois également m'occuper de mes bagages.
- Un de ces messieurs va vous accompagner !
- Pas la peine, j'adore le footing. A toute à l'heure...
Comme je disparais par la porte-fenêtre, j'entends Léo qui proclame à la ronde :
- N'est-il pas exquis !
Voilà que je remplace l'Eleska, à c't'heure !"


Extrait de San-Antonio chez les gones*

* les gones désignent les enfants à Lyon et alentours.
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MessageSujet: Re: SAN-ANTONIO   SAN-ANTONIO EmptyLun 26 Fév - 17:45

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MessageSujet: SAN-ANTONIO   SAN-ANTONIO EmptyJeu 26 Juil - 21:28

Je n'avais plus rien à lire, et Diego m'avait prêté ce San-Antonio. Quand je suis arrivée à ce chapitre, j'étais écroulée de rire. Je n'ai pas résisté au plaisir de vous en faire profiter. ... Wink
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