Mosaïque
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Mosaïque

Détente - amitié - rencontre entre nous - un peu de couleurs pour éclaircir le quotidien parfois un peu gris...
 
AccueilAccueil  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le Deal du moment : -17%
Casque de réalité virtuelle Meta Quest 2 ...
Voir le deal
249.99 €

 

 Le roman noir de l'Histoire...

Aller en bas 
5 participants
AuteurMessage
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyMar 15 Oct - 20:30

... de Didier Daeninckx

Les passeurs de liberté

Le chef se tenait dans l'ombre, tassé sur un fauteuil en retrait de la fenêtre basse, et devant lui le soleil oblique traçait comme une flèche sur la table du cabaret. Puebla, en parlant, agitait des mains tavelées qui brisaient la pointe de lumière. Il retint ses mots au passage de deux marins et attendit qu'ils soient installés au fond de la salle pour reprendre, à mi-voix, le cours de la conversation. Il repoussa son verre et se pencha vers l'avant, les bras posés sur le bois auréolé de vin. De temps à autre, il cherchait à croiser le regard de l'homme qui lui faisait face, mais les paupières masquaient, en une fraction de seconde, le moindre éclat. Puebla se forçait à perler lentement pour maîtriser l'accent cantabrique, évitait de hérisser son discours de mots espagnols comme d'autant de récifs, bien qu'il sache que son interlocuteur maîtrisait le castillan et entendait la catalan.
- C'est la troisième fois, en moins d'un mois que la douane se dirige droit sur les marchandises et les hommes lestés de  notre contrebande. Plus rien ne passe, toutes nos ruses sont déjouées. La côte est à l'affût de Granville à Cherbourg : les mailles du filet sont tellement serrées que même l'eau a du mal à couler... Presque tout ce que nous avions caché sur le vapeur a été saisi dès le débarquement. Aux dernières nouvelles, à Chandol, Lenoir et Renaud ont été amenés dans l'arrière-pays, à Saint-Lô, et dorment en prison.
Le chef l'approuva d'un mouvement de la tête, depuis son obscurité.
- On m'en a déjà informé. Monsieur Falle attendait sur le quai pour prendre le navire en sens inverse. Il a tout vu, la ruée des gabelous, l'arrestation des nôtres. Il m'a assuré qu'au moins ils n'avaient pas été molestés. Qu'est-ce que tu penses exactement ? Qu'on nous trahit, que tout est écrit d'avance ?
Puebla avait navigué sur tous les océans du monde,  toutes les mers, Aral et Balaton compris. Pas une rade d'Orient, pas une crique atlantique qui n'aient vu au mouillage ses barques, ses bateaux ou ses radeaux d'après naufrage. En un demi-siècle de transports clandestins, de fraude à l'octroi, c'est plus que la surface émergée de l'île qui avait transité par ses cales, du drap grossier aux soieries argentées, du sel de morue acheté pour rien au retour des terres-neuves, jusqu'aux lingots précieux mis en sûreté par des trônes vacillants. Il avait amassé autant de fortune qu'il en avait dilapidé, tué à peu près le nombre d'hommes que so âge comptait de mois et séduit plus de femmes qu'il n'additionnait de jours. La légende qui l"entourait avait valeur de vérité pour tous ceux qu'on croisait sur le port de Saint-Pierre, et quand on disait "Puebla", il fallait entendre "Monsieur". Il avait définitivement amené le pavillon dix ans plus tôt et vivait d'une maigre rente que lui servait le produit d'un ultime trafic de tabac entre la Corse et l'Ecosse.
- Pardonnez ma franchise, mais nous n'avons pas même besoin d'être dénoncés. Les fonctionnaires ont l'oeil exercé. Je les connais bien ; ils vous fixent du regard et c'est plus redoutable, pour un honnête homme, que s'ils lui faisaient subir la question. Il faut avoir un sacré métier, alors qu'on a les poches pleines, pour prendre l'air dégagé de celui qui n'a rien à se reprocher. On ne devient pas hypocrite par nécessité , c'est une vocation. Je n'ai pas à faire beaucoup d'efforts pour imaginer Chandol, Lenoir ou Renaud sur la passerelle de La Galande ancrée à Granville ! J'entends même les pistons, les cames au ralenti, le chuintement de la vapeur, les cris des cormorans...
Epaules rentrées, tête baissée, front plissé, ils font déjà le dos rond pour amortir les coups alors que les douaniers n'ont pas encore sorti leurs bâtons... Un froncement de sourcils sous le bicorne, et ils portent la main à leurs hauts-de-chausses où sont dissimulés vos trésors. Pas un mot n'a été prononcé, et pourtant tout est dit. Je vous avais mis en garde, on ne transforme pa
s du jour au lendemain des négociants en contrebandiers... Une vie souvent n'y suffit pas. Le chemin inverse est beaucoup plus facile...
Revenir en haut Aller en bas
MARCO

MARCO


Nombre de messages : 8346
Date d'inscription : 09/12/2008

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyMer 16 Oct - 20:39

bounceOn attend la suite merci!
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyJeu 17 Oct - 0:26

L'homme, dans la pénombre manifesta son impatience.
- Tout ce que camouflaient les hommes a été découvert, mais tu m'accorderas qu'il y en avait deux fois plus dans les entrailles des volailles de la ferme du Citel, et que personne appartenant au comité de réception n'a eu l'idée d'inspecter les croupions. Rappelle-toi que l'idée te semblait folle. D'ici demain cette partie du butin sera en vente dans Paris. Le vendredi, ce sont des carcasses de moutons que l'on achemine sur le continent, et j'ai calculé qu'on pouvait au minimum tripler la mise... Tu peux t'en occuper ? Le matériel est entreposé à l'endroit habituel.
Il avait levé la main en direction du patron de l'auberge pour lui signifier que les consommations devraient être portées sur son compte, et il était établi que cela mettait un terme à l'entrevue. Puebla aurait dû se lever, se saisir de sa canne torsadée et rejoindre la rue sans se retourner tandis que le chef gagnait, par l'escalier, une porte dérobée. Ce n'est pas ce qu'il fit.
- Les arrestations des vivants ont servie de diversion aux cadavres des oies, des canards et de chapons.Chacun connaît le sort de nos passeurs entre les murs de force de Saint-Lô. Je ne pense pas que vendredi les volontaires se presseront avant l'embarquement pour revêtir nos manteaux à fausses doublures ou chausser nos bottes à talons creux. La douane se retroussera les manches pour plonger les bras dans la viande, et je vous prédis que rien, pas une bribe, ne prendra la route de la capitale. Tout sera pris et nous serons les seuls fautifs. Je voulais vous soumettre une idée qui m'est venue...
L'homme s'était redressé et le trait de lumière effleurait son gousset où brillait une montre tenue par une chaîne d'argent. Il l'ouvrit du bout de l'ongle pour lire l'heure française au cadran.
- Il est temps que tu te mettes en route pour la ferme du Câtel, dans une heure on égorge les bêtes. Prends soin d'entourer nos produits de linge ou de papier enduits de paraffine pour éviter que le sang ne les tache. Nous nous reverrons lundi, et sil 'avenir t'a sonné raison, j'écouterai ta proposition.
Il se coiffa d'un chapeau à large bord qui accentua l'ombre sur ses traits et disparut dans l'ascension des marches. La maison s'appuyait sur un rocher de granit, et tandis que l'auberge ouvrait ses salles sur la rue des Cornets, on pouvait accéder aux chambres de deux étages par des sentiers taillés dans la pierre. En fait, et c'était là une partie du mystère, il ne sortait pas aussitôt à l'air libre :en échange de quelques pièces, à la fille du cuisinier, une rousse effrontée au nez en trompette, le laissait s'agiter en elle tout en récitant des Pater. Il partait à la nuit.

Désolée, j'ai sommeil. J'essaierai de continuer demain, en début d'après-midi.

Bisous. .......
Sleep
Revenir en haut Aller en bas
MAINGANTEE

MAINGANTEE


Nombre de messages : 7887
Date d'inscription : 17/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyJeu 17 Oct - 12:46

T'as fait de beaux rêves Miss?
Revenir en haut Aller en bas
Jean2

Jean2


Nombre de messages : 12501
Date d'inscription : 10/12/2008

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyJeu 17 Oct - 16:41

Je lis ce soir .... merci!
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyJeu 17 Oct - 17:31

Puebla se mit en chemin, calant sa jambe tordue entre deux pavés disjoints avant de planter la pointe de la canne et assurer sa progression vers la place de l'église. Un mât brisé s'était abattu sur l'équipage et la cargaison de whisky alors que, partis de Limerick, ils passaient l'embouchure du Shannon. Seul survivant, il avait dérivé trois jours avant de s'échouer sur Inisheer, la plus petite des îles d'Aran. Un pêcheur silencieux lui avait bricolé une attelle au moyen de deux planches et d'un cordage détressé. L'alcool, pendant des semaines, avait tenu la douleur à distance. L'os s'était ressoudé, les chairs refermées, et il s'était juré de tout abandonner après un dernier exploit destiné à subvenir aux besoins de ses vieux jours. Il avait tenu parole dix années pleines, avant que l démon le reprenne.
Cela faisait trois mois qu'il s'était lancé dans cette aventure de laquelle pas un sou n'était né. S'il respirait à nouveau le parfum du risque, son bénéfice se limitait aux pichets de vin rouge que le chef payait alors que lui-même ne buvait que de l'eau. Il s'adossa à un porche pour reprendre son souffle, et c'est de là qu'il vit Allix accroupi au beau milieu d'un carré de terre où la mousse le disputait à l'herbe, près de la fontaine publique. Il s'approcha en raclant le sol sans que l'agenouillé s'en alerte, absorbé qu'il était par le spectacle de deux escargots, des gros gris, qui rampaient côte à côte le long d'un tuyau d'évacuation.
- Les paris sont ouverts ? Je mise sur celui de droite...
Allix tordit le cou et lui montra un visage plus émacié encore qu'à l'ordinaire. De la peau grise et des nerfs tendus sur du cartilage d'où pointaient deux yeux incandescents, le tout encadré par de longues mèches de cheveux ternes.
- Ne parle pas sifot, ils sont sensibles aux ondes, aux vibrations. Regarde comme leurs cornes se sont rétractées... Approche-toi, tu es trop loin...
Puebla daigna se pencher.
- J'ai de bons yeux, mais la jambe est raide. Qu'y a-t-il de si remarquable ?
Allix promena un doigt décharné au-dessus des baves parallèles qui brillaient faiblement au soleil couchant.
- Tu ne constates rien, c'est pourtant évident ! Observe le mucus qu'ils déposent dans leur sillage : ils font les mêmes mouvements comme un couple qui s'accorde pour la danse...
Gémissant, Puebla porta à la main à ses reins, pour se redresser.
- Et tu en tires quelles conclusions, si ce n'est pas indiscret ?
Un afflux de sang colora les pommettes et le front de l'épieur de gastéropodes. Il se releva à son tour puis emboîta le pas du contrebandier.
- Il y a là, sous ces coquilles de quoi bouleverser le monde. Il est bien tôt, tu rentres déjà au Havelet ?
- Non, je vais farcir la viande fraîche du Câtel. Le chef veut tenter un nouveau passage de marchandise sur le vapeur de vendredi, et bien que ce soit voué à l'échec, j'obéis. Prends garde Allix, un de ces jours, il exigera de toi que tu fourres tes colimaçons non de beurre aillé, mais avec son matériel. Ce sera moins digeste... Je ne comprends jamais rien à ce que tu racontes, c'est quoi, au juste, ta révolution escargotière ?
Bien que l'allusion au destin comestible de ses protégés l'ait heurté, il n'en laissa rien paraître.
- Les prétendus mystères de la nature sont touts, constamment, sous les yeux de tous et chacun peut, en conséquence, les découvrir. Ces animaux ne cheminent pas de manière aussi symétrique par le simple fait du hasard : ils communiquent entre eux au moyen de messsages que captent leurs antennes.
Des savants, Benoît et Biat-Chrétien, l'un de l'Hérault et l'autre des Amériques, ont identifié ce fluide vital qu'ils ont baptisé "commotion escargotique" et construit des "boussoles pasilaliniques sympathiques" habitées par des gastéropodes qui ont pu transmettre, à petite distance, il est vrai, des mots, des sons, des couleurs. Un jour viendra où nous saurons domestiquer ces échanges à la perfection et y placer nos propres pensées. Les nouvelles traverseront le monde de coquille en coquille, à la vitesse de l'éclair... On détruira les sémaphores et tous ces poteaux télégraphiques de Chappe et de Morse qui encombrent le paysage
!

JE REVIENS Exclamation

Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyJeu 17 Oct - 19:12

Ils se quittèrent à proximité d'une maison en pierre, courtaude, dépourvue de fenêtres où les marins îliens entreposaient les voiles, cordages et filets des bateaux mis en cale sèche. Courbant le dos, Puebla entra après avoir scruté les environs pour s'assurer qu'aucune curiosité ne s'y manifestait. Il frotta une allumette avec laquelle il alluma une lampe sourde, et se mit en devoir de dégager un alignement de rondins qui dissimulaient des paquets recouverts de papier gris, de la grosseur d'une brique. Il en compta vingt qu'il enfourna dans un sac de jute, replaça le bois en camouflage et sortit alors que les premiers traits du phare du Havelet déchiraient les ténèbres naissantes. Il demeura la tête enfouie dans les carcasses de moutons du Câtel, une partie de la nuit, protégeant la marchandise au moyen de linges enduits de paraffine, puis la maintenant aux os des cages thoraciques par des fils de raphia cousus dans la chair. Au matin, depuis son refuge du Cornet, debout sur un rocher qui dominait l'anse, son meilleur oeil collé à la longue-vue, il ne perdit pas une seule phase de l'embarquement des ovins dépecés. Le battement grave des pistons de La Galande parvenait jusqu'à lui qu'accompagnaient les ordres des marins, au cabestan, et les cris de gamins en partance pour le continent. Il ne rentra qu'un moment où les cheminées du vapeur furent absorbées par la ligne d'horizon. Le soir, tête nue sous le crachin, il se tenait au même endroit, dans la même position et observait les visages de ceux qui retrouvaient les quais de Saint-Pierre, au retour d'une journée de commerce à Granville. Jusqu'au dernier instant, il espéra reconnaître la silhouette massive de Serques le boucher, mais il lui fallut bien se rendre à l'évidence quand on releva la passerelle : le redoutable manieur de merlin de l'abattoir du Câtel ne faisait pas partie du voyage. Le capitaine en second confirma que Serques avait rejoint les appréhendés du milieu de semaine, derrière les murs de la forteresse de Saint-Lô. Il raconta jusqu'à plus soif, dans les cabarets de la rue des Cornets, que les douaniers étaient allés droit sur lui comme s'il s'était appelé Panurge. Deux jours plus tard, il exhibait une lettre manuscrite à l'orthographe maladroite que Puebla récupéra pour la remettre au chef. Elle émanait d'un gendarme départemental appartenant à la 4e légion de la Compagnie de la Manche, lieutenance d'Avranches, Brigade de Granville :

Vais préparer le repas, je reviens après. ...
Wink
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyJeu 17 Oct - 20:21

Procès-verbal de saisie d'objets prohibés

Ce jour 16 septembre, à deux heures de l'après-midi, nous Mauny Paul, maréchal des Logis, et Ferret Jean-Pierre, gendarme à la brigade de Granville (Manche) revêtus de notre uniforme, soussignés, rapportant qu'étant de service vers les dix heures du matin, pour la visite du vapeur des îles à Granville, monsieur Villedieu Gustave, sous-inspecteur des Douanes, m'a dit au moment où le vapeur accoste l'escalier de la jetée où l'on descend pour faire la visite du vapeur :
- Avez-vous visité les bêtes au dernier voyage ?
J'ai répondu, moi, maréchal des Logis :
- Non.
A quoi il me fut rétorqué :
- Cette fois ne l'oubliez pas.
Au voyage précédent, nous avions saisi, en flagrant délit, des marchandises illicites sur des hommes vêtus de pantalons très larges qui les tenaient maintenues à l'aide de ficelles, ainsi que dans leurs chausses. Elles étaient cette fois dissimulées en fragments dans des cadavres de moutons appartenant à un marchand du Câtel nommé François Serques qu'il expédie chaque semaine à une maison de confiance, les Salaisons Coutançaises, dont l'honorabilité doit être mise en cause
.


Ainsi qu'à son habitude, l'homme se tenait dans l'encoignure, les traits obscurcis par l'ombre du mur. Une chienne au poil cendré était couchée à ses pieds, et quand elle remuait il prononçait son nom sur un ton de reproche : "Chougna. A un moment, la feuille de papier blanc capta un rayon de soleil qu'elle renvoya vers son visage, éclairant les mèches de cheveux gris qui enserraient des joues impeccablement rasées. Il reposa le rapport sur la table, y plaqua la main pour le faire glisser vers Puebla.
- Tu ne m'enlèveras jamais le doute que nous avons été donnés. Il suffit de lire la prose de ce Mauny, et je ne parle pas de son ignorance de l'apostrophe, de ses "fragments" un peu trop généreux, pour constater que c'est tout sauf une flèche. Pourtant, au débarcadère, il se dirige droit sur le coeur de la cible sans la moindre hésitation... Ce furent nos moutons, mais l'innocence d'un agneau n'y aurait pas survécu. A mon avis, on a parlé. Bien sûr, cela ne remet pas en cause la promesse que je t'ai faite d'écouter tes conseils. Propose et j'ordonnerai...
Puebla se saisit du pichet pour emplir son verre de vin. Il se lança, la rasade lui donnant l'illusion du courage.
- Cela ne servirait à rien d'essayer par les lignes de Cherbourg ou Port-Bail, d'envoyer des barques vers les plages. Le Cotentin est hérissé de casemates, la douane tient la Manche dans sa main, c'est tout juste s'ils ne connaissent pas les prénoms des poissons. En comptant sur la chance, on pourrait tout au plus faire franchir la frontière, en un mois, à un petit dixième de ce que nous avons en stock. Le reste serait irrémédiablement perdu. Je ne vois qu'une solution : il faut nous tourner vers vos amis de Trégastel et Ploumanach... La route est plus difficile...
Le chef l'interrompit :
- Nous nous y sommes déjà frottés, Puebla, rappelle-toi ! Dans cette tentative nous avons abîmé Le Salem sur les écueils des Douvres. La mort de ces deux marins me hante encore. On m'avait rapporté ce proverbe bien avant le naufrage : "Si tu doubles de nuit les Douvres, les portes de l'Enfer tu ouvres", et ne n'y avais pas prêté attention. Depuis, j'ai consulté les cartes. Les roches tranchantes affleurent, cachées par l'écume, au-dessous les épaves s'accumulent. C'est le cimetière le plus profond au monde. Je ne tenterai rien qui mette la vie des hommes en péril. Aucune contrebande ne vaut ce prix, et tiens-toi-le pour dit.


Laughing ... Je ne terminerai pas ce soir... re
-
Laughing Bisous.
Revenir en haut Aller en bas
Martine

Martine


Nombre de messages : 11577
Date d'inscription : 22/11/2008

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyVen 18 Oct - 7:33

study
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyVen 18 Oct - 23:46

Je suis désolée, mais un problème important m'empêche de me concentrer sur la fluidité de mes écrits. Ne m'en veuillez pas. Héééééééééééé, je n'abandonne pas Exclamation Jamais !

Je vous rassure, ce n'est pas une question de santé ou financière.

Il faut que je règle ce souci et ensuite, je vous reviens aussi dynamique qu'avant.
... I love you
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptySam 19 Oct - 14:44

Puebla savait ces escarpements contournés dans sa jeunesse et, des dizaines d'années plus tard, nourrissaient encore ses cauchemars, transformaient ses nuits en tourments. Il n'y avait rien d'autre que les abîmes de mer et le vent qui semblaient naître ici et y mourir. Un seul homme disait-on, avait survécu quelques jours accroché à un piton après un sinistre. Les crabes avaient attendu l'heure du festin, comme des vautours marins.
- Dans l'obscurité, personne ne peut échapper à ce piège mouvant. Je vous l'accorde. Mais de'jour, une attention de tous les instants suffit à passer le cap et à échapper aux remous. Les embarcations des gabelous sont désavantagées à la manoeuvre sur ces hauts-fonds, elles sont trop lourdes, trop pataudes. Il faudrait pouvoir disposer d'un petit bateau à faible tirant d'eau, muni d'une voilure puissantes et taillé de telle façon qu'il reste stable sur la boule... Il leur filerait sous le nez...

- J'ai observé depuis des mois ce qui s'amarre au port... Quand un voilier possède deux des qualités que tu décris, la troisième lui fait défaut. Cela nécessiterait de le dessiner, le donner à construire. Le temps nous manque, hélas.
Un sourire effaça les rides du contrebandier.
- Pas besoin d'affûter les rabots, il existe déjà ! N'entreprenez rien pendant mon absence. Laissez-moi deux semaines, et je serai de retour avec l'homme et le matériel qui régleront l'ensemble de nos problèmes.
Puebla s'embarqua sur le vapeur de Granville dès le lendemain, lesté d'un sac de marin et de quelques billets destinés à payer les malles-postes, plus rapides que les lignes régulières de voyageurs, ainsi que les aubergistes bretons. Les douaniers affectés à la porte du continent étaient jeunes pour la plupart. Ils ne le connaissaient que de réputation, et le regardaient comme on le fait pour une vieillerie soudain exhumée d'un placard. L'un d'eux, plus dévoué à sa cause ou plus ambitieux, se dirigea vers lui en se présentant comme maréchal des Logis et Puebla comprit qu'il avait affaire à Mauny, le gabelou orphelin d'apostrophes. Il se laissa fouiller, on ausculta même sa canne torsadée. Il vit naître de l'envie au comptage des valeurs, et salua la maréchaussée depuis son siège surélevé tandis que le cocher fouettait les chevaux du service postal de Rennes. On changea de montures à Avranches puis à Autrain où l'on dormit. Une autre voiture partait à l'aube pour la cité des Ducs de Bretagne et de là, après une journée de repos, de retrouvailles avec un capitaine qui l'avait sauvé d'une mort certaine au large de Valparaiso, il fila vers Vannes dont il atteignit les remparts avant que ne tombe le soir sur le quatrième jour. Le reste du chemin, il avait décidé de l'effectuer à pied en longeant tout d'abord les eaux douces de la rivière Noyalo qui partageaient en deux cette partie du golfe du Morbihan, puis en bifurquant vers la presqu'île de Séné, terme de son voyage. Des haies tremblantes d'ajoncs séparaient le sentier des baules, ces prairies inondables couleur d'argile sur lesquelles paludiers et sauniers prélevaient la fleur de sel. Il en croisa quelques-uns qui ratissaient la fine couche liquide à l'aide du las et le regardèrent par en dessous tout en confortant leur tas nacré sur le trémer. Tout inconnu est une menace. Pour ces culs-salés, la vie avait le même attrait qu'a la saumure pour une plaie, et de tout temps on échappait à la misère au moyen de la contrebande. Ici, la méfiance était une seconde nature. Dans ce pays de marais, de vasières, de canaux, de rivières incertaines, la fraude devait disposer d'embarcations accordées au paysage et à ses éléments. Des générations s'étaient relayées pour mettre au point une chaloupe non pontée dont des dizaines d'exemplaires sillonnaient le golfe et la baie de Quiberon. Yann Le Bris appartenait à cette lignée, et c'est à sa porte que Puebla était venu frapper. A bord de son sinago, coque en bois noir et voilure rouge, il braconnait dans les parcs ostréicoles, emplissait des sacs de sel et transportait toutes les marchandises dont la différence de taxation, d'une province à une autre, procurait un bénéfice. Il parlait surtout le vannetais, mais avait fait l'effort d'acquérir le français. Au-dessus de l'entrée de sa masure, un cadran solaire hérité de son père évoquait l'implacable enchaînement des heures, en latin "Omes vulnerant, ultima necat". Toutes blessent, la dernière rue
.
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptySam 19 Oct - 14:46

Rectification : "Toutes blessent, la dernière tue". ... Laughing
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptySam 19 Oct - 18:20

Puebla s'avança dans la pièce au sol battu. Une femme attisait le feu, courbée devant la cheminée. Yann Le Bris, un homme d'une cinquantaine d'années, râblé, visage rond et sanguin, désigna le banc à l'arrivant.
- Comme ça, tu es encore en vie, vieille carne ! Je ne croyais jamais te revoir... Quand je t'ai laissé devant Bayonne, tu étais en mauvaise compagnie. Les Guipuscoans ne t'ont pas fait danser sous la grande hune ?
Ce n'était pas son meilleur souvenir. Puebla sentait encore la rèche de la corde sur sa gorge, et il l'effaça d'un geste de la main. Il prit place et serra ses doigts autour du verre empli de vin.
- Je suis venu te proposer une affaire, de l'autre côté des terres, au large de Bréhat...
Il surprit la lueur d'intérêt dans le regard que la femme lança à un Le Bris faussement indifférent.
- Je ne vois pas ce que j'irai chercher à l'autre bout du monde, il y a bien assez de travail par ici.
- Il y a du travail, c'est vrai mais il faut le payer cher. Je me suis laisé dire que la caserne des Quatre-Vents était pleine à craquer, qu'ils étaient plus de cent douaniers dans le cantonnement et le double encore sur tout le périmètre de la Petite Mer... Les bicornes sont plus nombreux que les récifs, et pas moins dangereux... En remontant le long du port, j'ai vu des bateaux sérieusement amochés, preuve qu'ils n'hésitent pas à vous tirer au pierrier. Ils t'ont déjà pris pour cible ?
Le contrebandier dut en convenir.
- Ils ne choisissent plus leurs nouvelles recrues chez les gars du pays, ce sont presque tous des gens qu'ils font monter de Paris. Avant, on se parlait... Maintenant, c'est la guerre. Et toi, qu'est-ce que tu trafiques du côté de Bréhat ?
La question avait valeur d'engagement. Au cours de la soirée, Puebla lui expliqua ce qu'on exigerait de lui sans masquer les difficultés qui l'attendaient. Les guetteurs du Cotentin étaient sur le qui-vive, plus rien ne passait, et les moindres tentatives se soldaient par des arrestations massives.
On a tout essayé, pris tous les risques : appareillage par nuit sans lune, dans la brume épaisse, le brouillard glaçant, par vent de terre ou marée de mote-eau. Rien n'y fait, la maréchaussée est chaque fois au rendez-vous. Il nous faut délaisser les ports normands, nous diriger vers l'Armor, atteindre la pointe de l'Arcouest, les criques de Perros-Guirec.
Le Bris bourra sa pipe, se la ficha entre les dents et l'alluma tout en parlant.
- Pour aller de Saint-Pierre-Port à Bréhat, dis-moi si je me trompe, on pique droit sur les Douvres, non ?
Puebla acquiesça.
- On les a plein nez, et c'est pour ça que j'ai besoin de toi et de ton sinago. Si les garde-côtes te prennent en chasse, tu peux naviguer tellement près des rochers que même le plus intrépide de ces vautours se signera pour faire descendre sur toi la protection de la Vierge ! Ils amèneront les voiles comme on met chapeau bas devant un seigneur.


Revenir en haut Aller en bas
MAINGANTEE

MAINGANTEE


Nombre de messages : 7887
Date d'inscription : 17/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyDim 20 Oct - 6:51

Je lis ca ce soir . Merci!
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyDim 20 Oct - 15:01

Le jour se levait sur le miroir salin des marais, les sternes, les goélands et les mouettes sillonnaient à nouveau le ciel orangé quand Le Bris se décida à conclure leur contrat tacite.
- Il n'y a qu'une denrée que je n'accepte pas de monter à bord : la fausse monnaie. La mise est trop élevée. Pour tout le reste, je suis ton homme, Puebla. Il faut simplement que tu me dises ce que je mets dans mes cales et comment se fait le partage.
Le vieil homme délaissa sa canne et s'aida du bord de la table pour progresser jusqu'à la cheminée où une bûche finissait de se consumer.
- Nous ne sommes que trois à partager le secret : le Chef dont il m'est impossible de te révéler l'identité, un proscrit du nom d'Allix qui tue son temps de relégation à observer la démarche parallèle des escargots, et enfin moi. La marchandise a le poids exact de la fausse monnaie mais ça n'en est pas, elle vaut davantage que l'or et est beaucoup plus explosive que la poudre... C'est tout ce qu'il t'est donné de savoir. Sur le chemin, on m'a confié qu'en pays de Vannes et de Lorient la coutume était d'abandonner un tiers du chargement au passeur. J'ai obtenu qu'on aille jusqu'aux quatre dixièmes qui te seront comptés au moment du débarquement réussi.
Puebla plongea une main dan la poche de son vêtement pour saisir la liasse dont il détacha lentement trois billets devant le regard fiévreux du contrebandier. Il les lui tendit, décourageant toute velléité de marchandage.
- Ceci te dédommagera du voyage vers Saint-Pierre-Port comme du retour... Vérifie ton matériel et procure-toi des vivre pour une semaine, nous partirons demain au premier cri de mouette.
Toute la journée ainsi qu'une partie de la nuit, une pluie si fine qu'elle ne marquait pas la surface de l'eau avait trempé le paysage, alourdi les voiles rouges du sinago. Au petite matin, alors qu'ils appareillaient, un vent de nord s'était levé, avalant l'humidité. Ils doublèrent la pointe d'Arrdon et filèrent sous la brise entre l'île d'Arz et l'île aux Moines avant de suivre les promontoires rocheux de la presqu'île de Rhuys jusqu'au goulet de Port Navalo. Le Bris reconnaissait les navires à leur silhouette, au premier coup d'oeil, saluait les équipages.
- Tiens regarde, c'est l'Impériale, le dundee de Jean Prévédal... Il est armé au thon et retourne à Concarneau. Et là-bas, en route pour Sauzon, c'est la gabare de Reybaut. J'ai navigué dessus pendant toute une campagne. Elle a été construite par un des meilleurs armateurs de Bretagne, le père Keraudren, dans les chantiers de Quelern. Les Vendéens lui ont volé le coup de crayon pour leurs Gazelles des Sables.
L'intérêt qu'il portait aux constructeur n'était pas feint. Il avait lui-même dessiné les plans de son voilier, choisi les arbres de la coque et des mâts dans la forêt de Brocéliande, cousu et tent au cachou les deux grands-voiles rectangulaires, poli le bois dur du gouvernail.
Ils ne quittèrent jamais les côtes des yeu et se relayèrent à la manoeuvre, ne s'accordant que quelques heures de mouillage dans les criques abritées de Bénodel puis de Lannilis, de part et d'autre des fins de terres. Au quatrième jour, ils furent en vue de Trébeurden. Puebla dirigea le sinago entre les rochers roses affleurant et vint accoster à l'écart du port de l'île Grande, près d'une falaise de granit qu'attaquaient les scies des carriers.
- Tu vois l'amas de pierres au bout de ce chemin ? Les gens d'ici l'ont baptisé le Corps de Garde. Le 15 de ce mois, à la nuit noire, j'agiterai une lampe de tempête depuis son sommet et tu te laisseras dériver jusqu'à la grève de Pors Gwen. D'ici là, j'aurai eu le temps de rencontrer certains de nos solides amis et tout sera en place pour emener le chargement vers Paris. Tu as bien retenu ce que tu dois faire dès ton arrivée à Saint-Pierre-Pors ?
- Je te l'ai récité cent fois ! Je demande Allix l'escargoteur, à l'auberge de la rue des Cornets, et je le suis sur la lande où il me remettra les deux coffres que je transporterai jusqu'ici... On a bien dit les quatre dixième
s
?
Revenir en haut Aller en bas
MAINGANTEE

MAINGANTEE


Nombre de messages : 7887
Date d'inscription : 17/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyMer 23 Oct - 9:52

study
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptySam 26 Oct - 18:28

Le front de Puebla se creusa de mille rides.
- Pourquoi reviens-tu là-dessus ? Je n'ai jamais trahi ma parole... Le Bris donna un coup de talon sur le fond de cale de sa chaloupe.
- Entre l'enfer et moi, il n'ya que cette planche... Un dixième de plus, c'est beaucoup, mais ce n'est pas de trop.
Il se retourna, hissa la plus grande des deux voiles rectangulaires et gagna la haute mer. Une fine bisquine des douanes, dissimulée derrière un îlot noirâtre, fondit sur lui et l'arraisonna en limite des eaux anglaise. Il les avais vus se préparer comme à l'exercice, et aurait facilement pu leur échapper. Il fit semblant de prendre du vent, d'organiser leur poursuite sans même qu'ils s'en rendent compte, pour mieux se mettre à leur disposition aux premières sommations, à quelques milles de son point de fuite. La chasse vite interrompue avait aiguisé l'appétit des gabelous et leur déception n'en fut que plus intense. Il dormit en mer devant les brisants du Tas de Pois d'Aval pour ne débarquer au Havelet qu'au petit jour alors que les pêcheurs vérifiaient leurs filets et préparaient leurs casiers. En ville, l'aubergiste n'avait pas encore soulevé de leur encoches les panneaux de bois qui obturaient les fenêtres de la salle du bas. Le marin s'installa sur le banc de pierre qui courait le long de la façade et attendit en fumant des pipes. Si les passants le dévisageaient, il le leur rendait bien. Il sut qu'il avait trouvé son homme quand un escogriffe habillé d'un complet avachi et d'une redingote fripée, les cheveux raides et ternes dépassant d'un chapeau en forme de tuyau, apparut au milieu du raidillon, les mains retournées comme on le voit sur certaines représentations du Christ, un escargot gris alangui dans chaque paume. Le Bris marcha vers lui et le salua d'un simple mouvement de la tête. Le proscrit lui répondit par un large sourire qui découvrit deux rangées de dents déchaussées.
- Vous êtes l'envoyé de Puebla, n'est-ce pas... Quand on observe les mouvements de leurs cornes, que l'on resent leur tressaillement, l'écoulement de leur fluide, c'est comme si l'événement s'était déjà produit. Ils le savaient et me l'avaient dit. Je vous emmène ?
Le Bris se plaça dans son sillage, à quelques mètres de distance, de crainte de manifester trop de familiarité avec l'origina, aux yeux des habitants qu'ils croisaient. Parvenu devant la maison basse cachée par les ajoncs, Allix posa délicatement ses deux gastéropodes au creux d'un lit d'herbe et engagea une clef dans la serrure. La lumière du jour se posa sur deux coffres de bois, de cuir et de tissu épais, dont les couvercles étaient tenus fermés par des cadrans neufs et imposants. Ils les chargèrent et les assujettirent au moyen de cordes sur une charrette à deux roues à laquelle ils s'attelèrent avant d'emprunter un sentier étroit qui menait au Havelet.
On vint les aider pour les transborder sur le sinage et Le Bris s'en étonna après d'Allix qui haussa les épaules.
- Les Anglais se contrefichent de notre contrebande. Ils laissent faire, ils n'y comprennent rien. C'est en face que ça gêne. Sur le continent...
Le sinago déploya ses voiles pour gagner l'abri des esquifs des Hanois. Dans l'ombre du phare, Le Bris passa la journée à scruter les moindres pièces de son bâtiment et la nuit à dormir, enroulé dans une couverture, entre les deux coffres. Il s'élança au premier rougeoiement du soleil tandis qu'un vent de petite force se levait à l'ouest. Le chaloupe glissait sur une eau presque dépourvue d'écume. La première partie du voyage se déroula sans encombre. Les choses se gâtèrent en vue des Douvres où deux pataches hérissées de bicornes s'étaient mises en embuscade. Le contrebandier se dirigea droit sur les pitons marins protégés par plusieurs lignes de roche coupantes comme le rasoir, pointues comme des lances et se faufila entre les dangers mortels pour la coque avec l'aisance d'un duelliste, la grâce d'une danseuse orientale. Sur les lourdes embarcations des douaniers tenues à distance, les canonniers ajustèrent leurs tirs. Les premières salves creusèrent des cratères vite engloutis par l'océan, puis ce fut le granit noir qui partit en éclats tout alentour. Le faible tirant d'eau du sinago, sa voilure mobile, permettaient toutes les audace et Le Bis dirigeait son étrave là où le meilleur des navigateurs aurait perdu une barque. Il traversa le récif tandis que ses poursuivants étaient contraints d'en faire le tour et se mit toute la voile dès qu'il fut sur les hauts-fonds. La nuit le trouva devant les falaises roses de Poloumanach dont les découpes, en ombres chinoises sur un quart de lune, déroulaient tout un bestiaire fantasmagorique, des silhouettes d'autant plus inquiétantes qu'elles étaient immobiles. Il fut bientôt en vue du corps de garde de l'île Grande et mouilla au droit de la carrière marine jusqu'à ce qu'il distingue, trente mètres au-dessus de flots, la lumière du fanal. Il sortit la rame pour s'approcher des coupes dans la pierre, s'amarrer au montant d'un palan. Puebla était là, enveloppé dans une cape sombre d'où pointait sa canne torsadée. Les quatre hommes silencieux qui l'accompagnaient grimpèrent à bord pour se saisir des coffres. Ils les portèrent à travers la lande jusqu'à un dolmen, une allée couverte, où attendait une voiture tirée par deux chevaux. L'ancien flibustier s'agenouilla pour libérer les serrures. La lampe que tenait Le Bris éclaira des rangées de paquets gris de la taille d'une brique. Les six dixièmes passèrent de main en main pour finir par alourdir la malle arrière du coche. Puebla grimpa sur la marchepieds, se saisit des rênes, du fouet tandis que ses complices prenaient place à l'intérieur.
- Il ne faut pas que l'on s'attarde : la marée va monter et nous interdire la passage du gué...
Le Bris les regarda s'éloigner, puis il s'accroupit à son tour pour prendre l'un des paquets et en déchirer l'enveloppe cartonnée. Une dizaine de petits blocs de couleur marron clair tombèrent sur le sol humide. Il en ramassa un et s'aperçut qu'il tenait un livre d'un format minuscule, la moitié d'un missel... Il le retourna mais la couverture tout autant que le verso et la tranche étaient muettes. Interloqué, nerveux, il feuilleta l'ouvrage et lut l'indication portée en petits caractères sur la page de garde : "Genève et New York, 1853, Imprimerie Universelle, Saint-Hélier, Dorset Street, 19"
Un titre en capitale barrait la page suivante :

CHÂTIMENTS

Il l'ouvrit au hasard dans la clarté blafarde :

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; se sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front,
Ceux qui d'un haut destin gravissent l'âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour.
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.

Une semaine plus tard, après avoir déposé l'édition clandestine des Châtiments dans une dizaine de librairies parisiennes que la police et les mouchards de Napoléon III n'avaient pas repérées, Puebla fêtait son retour à Guernesey. L'auberge de la rue des Cornets était pleine de proscrits, d'exilés. L'homme qui se tenait rencogné dans l'ombre, le visage auréolé de cheveux gris, l'écoutait raconter les détails de son expédition. Quand il en arriva à l'épisode du dolmen, Victor Hugo s'esclaffa et, comme pour s'excuser, il eut ce mot :
- Je contemple mon temps ; j'en ai le droit, je pense.
Souffrir étant mon lot, rire est ma récompense.

FIN
Revenir en haut Aller en bas
MARCO

MARCO


Nombre de messages : 8346
Date d'inscription : 09/12/2008

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptySam 26 Oct - 20:41

Merci!  cheers
Revenir en haut Aller en bas
epistophélès

epistophélès


Nombre de messages : 13963
Age : 33
Date d'inscription : 15/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyDim 27 Oct - 2:05

Désolée, les amis et Marco : suis pas au mieux de ma forme morale, et j'ai du mal à m'investir dans la frappe de nouvelles histoires.

Vous bibizzzzzzzzzzzzz. ... Wink I love you
Revenir en haut Aller en bas
Martine

Martine


Nombre de messages : 11577
Date d'inscription : 22/11/2008

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyDim 27 Oct - 8:18

Ne te tracasse pas pour ca..
Tu le fais quand tu en a envie ca ne dois pas être une contrainte 



Merci ... je lis lla fin ce soir quand je rentre
Bises
Revenir en haut Aller en bas
MAINGANTEE

MAINGANTEE


Nombre de messages : 7887
Date d'inscription : 17/10/2009

Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... EmptyLun 28 Oct - 11:21

Oui mamzelle , pense à toi d'abord
et merci de ce que tu fais!

bises
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





Le roman noir de l'Histoire... Empty
MessageSujet: Re: Le roman noir de l'Histoire...   Le roman noir de l'Histoire... Empty

Revenir en haut Aller en bas
 
Le roman noir de l'Histoire...
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Un très beau roman...

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Mosaïque :: Bibliothèque :: HISTOIRE D'AMOUR DE ...-
Sauter vers: