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 Les reines du faubourg

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epistophélès

epistophélès


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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyLun 8 Juin - 16:23

Avant-propos


Encore le faubourg est-il un bien grand mot !
Souvent c'est la rue, le pavé, le ruisseau même qui les ont vu naître ! Aucune n'éclôt dans la soie ou le velours et les couleurs de la vie que découvraient leurs yeux d'enfants étaient le plus souvent bien grises, parfois sinistres.
Mais toutes, à l'exception d'une seule à qui une voix immense en tenait lieu, avaient reçu ce que lord Byron appelle "le don fatal de la beauté". Une beauté exceptionnelle pour la plupart dont elles usèrent pour survivre d'abord - et dans des conditions parfois sordides ! - puis pour tirer des hommes les moyens de s'ouvrir les chemins de la réussite. Des chemins qui les ont hissés jusqu'au sommet où brille le soleil - pas toujours le même pour toutes d'ailleurs ! - Là où coulent des rivières de diamants et où le carrosse de Cendrillon ne redevient jamais citrouille.
Oui, elles ont régné ! Sur les hommes asservis, sur Paris et souvent bien au-delà par la magie de leur éclat joint à une intelligence certaine, à un talent, à un irrésistible besoin de revanche et aussi à la chance. L'une d'elles n'est-elle pas passée d'un tablier de servante à la couronne impériale de Russie ?
Ont-elles été heureuses ? C'est une autre histoire.
Les feux de la rampe, les illuminations des fêtes, l'excitation du plaisir et le fracas de la renommée n'ont jamais créé un climat propice au bonheur. Il est une plante fragile qui s'épanouit souvent dans l'obscurité et le silence. Certaines - pas beaucoup ! - ont réussi ce coup de maître d'une existence heureuse une fois éteints les projecteurs qui les épinglaient au pilori d'une célébrité de bon ou de mauvais aloi comme le papillon sur la planche de l'entomologiste.
Alors enviables ces petites reines sorties de rien ?
Peut-être ou peut-être pas. C'est à vous de juger...
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epistophélès

epistophélès


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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyLun 8 Juin - 19:46

JEANNE DE TOURBEY

On l'appelait "La Madone aux violettes"

La rinceuse de bouteilles

La pièce d'or brille dans sa main comme un petit soleil. D'ailleurs plus elle la regarde et plus Jeanne a la sensation qu'elle dégage de la chaleur. Elle resserre autour d'elle ses doigts minces, crevassés par les lavages incessants et serre, serre comme si elle voulait incruster la pièce dans sa chair puis ferme les yeux un instant pour effacer le paysage fis de pluie, les maisons lépreuses de son faubourg misérable.
- Eh, la Jeanne ! appelle une voix. Tu dors debout ? Tu ferais mieux de te dépêcher parce que si t'es en retard, le chef caviste ne te ratera pas !
Lucien, son voisin, un jeune ouvrier charpentier qui lui fait les yeux doux, vient de l'interpeller. Avec hâte, elle enveloppe la pièce dans la lettre où elle se trouvait, fourre le tout sous son corsage et croise étroitement son châle de laine noire. Puis elle s'élance dans les rues de Reims vers la grande maison de champagne où, à longueur de journée, elle rince des bouteilles dont elle ne connaîtra certainement jamais le contenu. Mais, ce jour-là, ses pieds volent plus qu'ils ne courent car cette pièce d'or, ce louis de vingt francs c'est le "sésame ouvre-toi" d'un univers enchanté. Tout au moins c'est la clef des champs.
Toute la journée, elle relit dans sa tête la lettre de son amie Germaine : "Laisse tout tomber et viens me rejoindre à Paris. Je t'envoie ce qu'il faut pour t'acheter une robe et prendre la diligence. N'hésite plus. A Paris une belle fille comme toit peut gagner de l'or. A Reims, tu ne feras que crever la misère..."
La misère ? Il y a déjà un moment qu'elle la connaît la petite Jeanne Detourbet, bien qu'en cet hiver 1853, elle vienne tout juste d'atteindre ses dix-huit ans. Sa mère, Marie, ouvrière "épinceteuse" dans une fabrique de feutre l'a eu d'un amoureux tout de suite refroidi quand la maternité s'est annoncée. Par chance, quatre ans après la naissance de Jeanne, Marie a rencontré Louis Rixe, un charpentier qui l'a épousée et, pendant quelques années, on aurait presque pu parler de bonheur dans la petite maison de la rue de Courlancy. Jeanne dont les grands yeux gris, les épais cheveux noirs et la frimousse rose conquièrent tous les coeurs a été à l'école. Elle y a si bien travaillé qu'à treize ans elle remporte le le certificat d'études et que sa maîtresse déclare à sa mère que l'on pourrait en faire une institutrice.
Institutrice, sa Jeannette ? Marie Rixe ne demande pas mieux car ce serait pour l'enfant l'assurance d'une vie meilleure. Malheureusement le destin en a décidé autrement. Le brave Louis Rixe tombe d'un échafaudage et se tue. La misère suit de près. Il ne peut plus être question de payer des études à Jeanne et celle-ci, désolée, doit abandonner ses livres pour les caves Pommery tandis que sa mère, incapable de vivre sans un homme, s'éprend d'un serrurier qui a, pour la bouteille, un penchant certain.
Pour la bouteille et aussi pour la chair fraîche. Il a tôt fait de s'apercevoir que la petite Jeanne est exceptionnellement jolie et, dès lors, la vie de l'adolescente devient une sorte d'enfer. Elle doit faire face à la convoitise du serrurier et à la vague jalousie d'une mère dont les charmes commencent à décliner et qui n'a rien à gagner à la comparaison.

Le désespoir gagne Jeanne qui, un jour sans doute, sans l'arrivée providentielle de Lucien, aurait cherché dans le canal la fin de ses ennuis. Il sut la réconforter et trouver les mots qui rassurent :
- Si tu veux on se mariera dès que j'aurai mis un peu d'argent de côté. Comme ça tu échapperas au Fernand...
Jeanne a souri même si la perspective de travailler toute sa vie pour élever difficilement une nichée de gosses ne la tente guère. Néanmoins, elle n'a pas enlevé tout espoir au jeune homme afin de se donner le temps de voir venir et c'est alors qu'elle reçut la première lettre de Germaine, une belle fille rousse ancienne compagne de classe. Fille de boulanger, Germaine n'a jamais eu q'un goût très modéré pour la farine et les mitrons. En revanche, la vue d'une robe de soie la fait entrer en transes ! Une belle nuit, "empruntant" un peu d'argent à la caisse de la boulangerie et laissant derrière elle quelques phrases explicatives, Germaine a quitté la maison paternelle sans espoir de retour pour aller tenter sa chance à Paris.
Jeanne a rêvé longtemps sur les lettres de son amie, de plus en plus tentée. Puis, la "Parisienne", décidément bonne fille, a porté le coup décisif : la pièce de vingt francs. Ce soir-là, Jeanne prend sa décision et quelques jours plus tard, munie d'un baluchon contenant le peu qu'elle possède et les livres qui lui restent, elle quitte à son tour sa maison après avoir disposé, bien en vue sur son lit, une lettre affectueuse mais ferme destinée à sa mère : elle ne reviendra qu'une fois fortune faite. Et le ciel de Reims disparaît définitivement pour elle.

A Paris où Germaine partage d'abord avec elle son logis du quartier Notre-Dame-de-Lorette, les débuts ne sont pas roses. Prudent autant qu'ambitieuse, Jeanne refuse de s'encanailler dans les lieux de plaisir qu'affectionne Germaine, tel le fameux bal Mabille.
Consciente de sa beauté et de sa distinction naturelle, les amours de rencontre, la vie de Germaine et autres grisettes du quartier ne la tentent pas. Ce qu'elle veut, c'est arriver et s'il faut absolument en passer par la galanterie du moins entend-elle appartenir au sommet de la profession.
Après quelques mois, elle décide que le théâtre est encore le meilleur moyen de se faire connaître. Bien renseignée par Germaine que les ambitions de son amie amusent sans éveiller de jalousie, elle se présente un jour au théâtre de la Porte-Saint-Martin et demande à parler au directeur.
Marc Fournier, journaliste, dramaturge, est riche, célèbre, vit fastueusement et occupe une place en vue dans la vie parisienne. En outre, il adore les femmes pour lesquelles il est toujours prêt à toutes les folies.
L'audace de cette inconnue qui, sans recommandation et sans relation, prétend être reçue par lui l'amuse et puis son portier lui a dit qu'elle était "bigrement jolie!" Mais il est positivement foudroyé par cette ravissante fille brune, si distinguée dans une discrète toilette de velours gris clair sur laquelle, pour tout ornement, elle a épinglé un bouquet de violettes. Il prête à peine l'oreille quand elle déclare souhaiter "faire du théâtre".
Faire du théâtre ? Il est bien question de cela !
Victime du plus brutal des coups de foudre, Marc Fournier expose calmement à sa visiteuse qu'elle a beaucoup trop de distinction pour monter sur les planches, quelle est faite pour l'éclat des lustres et non pour celui de la rampe et fait tant si bien qu'arrivée à la Porte-Saint-Marin par l'entré des artistes, Jeanne se voit offrir par cet amoureux inattendu de vivre désormais dans l'appartement de fonction qu'il y possède et dont elle va devenir la maîtresse absolue.
Heureux comme il ne l'a jamais été, Fournier la rebaptise en une nuit Jeanne de Tourbey - cela fait plus anglais donc plus chic - et présente sa trouvaille à ses amis.
Ceux-ci s'appellent Alexandre Dumas, Emile de Girardin, Aurélien Scholl, Henry Murger, le peintre Courbet, Sainte-Beuve, Gustave Flaubert et composent bientôt autour d'elle une cour d'écrivains et d'artistes dont elle sera bientôt la reine. C'est en effet une femme du monde née. Douée d'un charme extrême, d'un tact sans défaut, sachant d'instinct s'habiller à la perfection et recevoir comme si elle n'avait fait que cela toute sa vie, la belle amie de Fournier pratique surtout et avec un rare talent l'art difficile de savoir écouter.
Bientôt toux ceux qui la connaissent la portent aux nues et comme, dédaignant les bijoux dont cependant Fournier est prêt à la couvrir, elle orne immuablement ses robes d'un bouquet de violettes, elle sera bientôt surnommée tout naturellement "la Madone aux violettes..."
Curieuse Madone d'ailleurs ! Si elle en a le visage pur et les grands yeux limpides, si elle en a la grâce, Jeanne n'en a pas vraiment l'âme. La plupart des hommes d'esprit qui l'entourent sont plus ou moins épris d'elle et elle ne se montrera cruelle avec aucun, partant de ce principe que cela ne lui coûte guère de faire plaisir et qu'un contact étroit avec des hommes d'une telle valeur permet toujours d'apprendre quelque chose. Même sur un oreiller !

Une grande dame ...

En dépit des succès qu'elle rencontre, Jeanne Detourbey est consciente de ce qui lui manque encore pour devenir une femme du monde. Aussi déclare-t-elle un jour à Alexandre Dumas fils :
- Tu devrais me trouver un professeur... de civilisation. J'entends par là quelqu'un qui achèverait mon éducation et m'enseignerait ce que j'ignore encore.
Un autre eût ri peut-être de ce souhait qui trahit cependant une certaine hauteur d'esprit. Dumas, lui, prend les choses au sérieux, se met à la recherche de l'oiseau rare capable de jouer les Pygmalions, le trouve en la personne de Sainte-Beuve que Jeanne d'ailleurs connaît déjà et qui se lance dans des cours de "perfectionnement" qu'il se fera payer de la plus aimable façon du monde.
Tout cela nous a fait perdre un peu de vue le bon Marc Fournier qui pourrait se montrer jaloux mais il n'en est rien. Volage lui aussi il vient de s'éprendre de l'actrice Delphine Bon et sa liaison avec Jeanne s'achève le plus courtoisement du monde et se transforme en une solide amitié. S'il récupère son appartement de la Porte-Saint-Marin il a du moins l'élégance d'offrir à "Jane" une contrepartie extrêmement confortable sur la place Vendôme.

De Sainte-Beuve, la jeune femme apprend l'art de choisir ses lectures, de cultiver un esprit avide de connaissances sans tomber dans le travers insupportable des bas-bleus. Elle sait trop bien écouter pour cela
Un autre "ami" se charge de donner à la statue le poli final. C'est Emile de Girardin veuf depuis peu de l'éblouissante Delphine Gay et plein de tristesse car il vient de perdre à la fois une épouse, une collaboratrice, une extraordinaire maîtresse de maison - le salon de Delphine de Girardin était célèbre - et même une maîtresse tout court ! Grâce à Jeanne, Emile trouve un autre salon en formation et d'autres consolations moins spirituelles mais infiniment délectables :"Je vous aime exceptionnellement, écrit-il en toute simplicité à la jeune femme, et cependant, ma bien-aimée, je trouve que je ne vous aime pas assez..."
Il y a du vrai là-dedans car cet amant "exceptionnellement épris" ne résiste pas à la vanité de présenter sa maîtresse au Prince Napoléon, fils du roi Jérôme et neveu de l'empereur. C'est un joyeux fêtard assez mal marié à une princesse italienne beaucoup trop pieux et prude pour les goûts folâtres de son époux. "Plon-Plon", ainsi que l'ont surnommé ses compagnons de plaisir, trompe abondamment la princesse Mathilde avec tout ce que le demi-monde parisien compte de jolies femmes : Cora Pearl, Anna Deslions et même la grande Rachel.
La belle Jeanne l'enthousiasme au point qu'il se hâte de l'installer dans un grand appartement de la rue de l'Arcade où elle peut, enfin, réunir les écrivains, les poètes et les artistes qu'elle aime tant. Tout ce que Paris compte d'illustre dans le monde des Lettres se presse autour de la bergère où Jeanne, toujours délicieusement vêtue et une broderie aux doigts, reçoit avec grâce et toujours... écoute. Est-ce pour elle que Flaubert écrit Salammbô ?

Seuls les frères Goncourt restent obstinément éloignés et, dans le salon de la princesse Mathilde dont ils sont les principaux ornement, ils ne se privent pas de dénigrer "la Tourbet".
Cependant l'amour, le vrai, guette Jeanne. Elle a rompu avec Plon-Plon et s'est offert un intermède oriental avec le richissime Turc Khalil-Bey lorsqu'elle rencontre Ernest Baroche. C'est un charmant garçon, fort riche d'ailleurs et d'excellente famille. Son père est garde des Sceaux, président du Conseil d'Etat mais tout cela n'intéresse pas la jeune femme. Elle aime vraiment pour la première fois et le jeune homme de on côté est épris au point de songer au mariage.
Pour Jeanne se serait le paradis car cette union lui apporterait enfin le sceau de respectabilité dont elle rêve depuis toujours.

Certes, sa situation d'égérie a grandement atténué sa réputation de courtisane, mais un beau mariage ne serait pas pour lui déplaire. Le malheur veut que la porte ouverte devant elle se referme brutalement. La guerre est venue. Les coups de canon étouffent les flonflons du second Empire et, le 30 octobre 1870, le chef de bataillon Ernest Baroche trouve, au Bourget, une mort aussi glorieuse que prématurée.
Jeanne s'effondre... Désespérée, inconsolable et refusant de voir s'installer dans Paris ceux qui ont tué son amour, elle quitte la France, passe en Angleterre et y demeure terrée sous ses voiles noirs jusqu'à ce que l'ennemi ait repassé les frontières. Alors seulement, elle rentre rue de l'Arcade où ses amis reviennent peu à peu. Mais elle sait bien qu'elle ne pourra jamais combler le vide de son coeur.
Ce retour lui réserve néanmoins une surprise de taille : avant de partir pour la guerre, Ernest Baroche lui a légué par testament toute sa fortune : plusieurs millions et l'usine de sucre de Villeroy, près de Meaux.
Cette fois elle est sûre de pouvoir renoncer à jamais à ce qui fut son "métier".
Seulement Jeanne n'est pas le moins du monde une femme d'affaires. Elle ne se sent aucune vocation pour le gouvernement d'une sucrerie. Pour cette tâche, il faut la main ferme d'un homme. Mais quel homme ?
Elle croit l'avoir trouvé en la personne d'un ami d'enfance d'Ernest : le comte Edgar de Loynes, membre du Jockey club qui, durant la désastreuse guerre, a eu en tant que capitaine de cuirassiers, une conduite fort brillante. C'est au demeurant un bel homme à l'oeil vif et à la moustache conquérante. Fort désargenté bien sûr mais sa qualité d'ancien ami semble le désigner tout naturellement pour remplacer Baroche auprès de son héritière. Il fait à Jeanne une cour discrète et de bon goût à laquelle celle-ci se montre sensible. Plus encore lorsqu'il lui propose de devenir comtesse.
C'est alors qu'Emile de Girardin tient à la prévenir : Loynes est séduisant, fort honnête aussi mais c'est un joueur, un viveur, bref : un gouffre d'argent. L'épouser serait folie... Hélas, Girardin arrive trop tard : Jeanne a déjà décidé qu'elle serait comtesse.
Que peut-elle en effet rêver de mieux en fait de respectabilité ? En outre, elle est loin d'être insensible au charme de son prétendant. Le mariage est conclu mais par un reste de prudence elle refuse de se marier civilement. C'est dans la chapelle de la Nonciature qu'elle épouse Edgar.
La lune de miel ne dure pas longtemps. Girardin a eu raison sur toute la ligne : à peine marié, Loynes, bien loins de s'intéresser à la fabrication du sucre et taux de la rente, commence à puiser dans la fortune de sa femme pour en faire bénéficier les cercles de jeu et quelques jolies filles. Trompée, bafouée quasi publiquement et en grand danger d'être ruinée si elle n'y met bon ordre, la comtesse a plusieurs scènes violentes avec son époux qui aboutissent d'ailleurs à une séparation de fait : Edgar qui s'est épris d'une rpincesse sicilienne quitte le domicile conjugal et Paris pour s'en aller respirer les oranges au pied de l'Etna. Soulagée de quelques millions mais aussi d'un grand poids, Jeanne se tourne alors vers le banquier Joly afin qu'il remette de l'ordre dans ses affaires. Ce qu'il ne manque pas de faire : pour lui donner plus d'ardeur au travail, Mme de Loynes en a fait son amant.
Ce sera le dernier. Jeanne a trouvé la paix du coeur. L'âge, bien sûr, y est pour quelque chose mais elle garde ce charme profond qui a séduit toute une époque. En outre, sa renommée littéraire demeure intacte et dans son salon les anciens rencontrent les nouveaux venus des Lettres.
En 1900, elle abandonne la rue de l'Arcade pour les Champs-Elysées où elle s'installe au coin de l'actuelle rue Arsène-Houssaye. Elle y tient le salon littéraire le plus coté et le plus influent. Toutes les nominations à l'Académie française et de nombreuses distinctions honorifiques passent par les mains de celle qui est demeurée la Madone aux violettes, violettes qui emplissent ses salons par vasques entières.
Amie discrète et précieuse, Mme de Loynes sera à l'origine de toutes les gloires littéraires de la Troisième République pendant une trentaine d'années.
Quand elle s'éteint, le 15 janvier 1908, il ne viendra à l'esprit de personne d'évoquer la silhouette frileuse et fragile d'une petite rinceuse de bouteilles à qui, un jour, une amie a fait cadeau d'un louis de vingt-francs...



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Berengere

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MessageSujet: Re: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMar 9 Juin - 11:17

J'aime bien Very Happy
Merciii !
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Martine

Martine


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MessageSujet: Re: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMar 9 Juin - 19:13

study
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epistophélès

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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMar 9 Juin - 19:26

LA GUIMARD


Une mère abusive..
.

Un soir de novembre 1760 une mansarde sous les toits de la rue Neuve-Saint-Gilles abrite deux jeunes gens qui, installés dans le même lit, oublient totalement qu'il fait froid, qu'il pleut et même qu'il existe un monde en dehors de leur amour. Elle a dix-sept ans, lui dix-neuf et il leur est bien égal que leur chambre soit sans feu tant ils s'aiment. Elle est brune et ravissante, il est blond et joli garçon. Elle se nomme Marie-Madeleine Bernard, il s'appelle Francis Léger et tous deux sont danseurs à la Comédie-Française qui vient de voir naître leur amour...
Pendant ce temps, un scène d'un tout autre genre se joue chez le lieutenant de police, M. de Sartines, où une femme entre deux âges pleure comme une fontaine sans paraître s'apercevoir de la mine dégoûtée de son interlocuteur. C'est que Marie-Anne Bernard, qui vient déposer une plainte contre le sieur Léger pour "rapt et séquestration" fait partie de ces mères bizarres, comme il s'en trouve quelques-unes dans les milieux du théâtre et qui, nanties d'une jolie fille, entendent en tirer tout le parti possible. Il était d'ailleurs de bon ton, chez les hommes riches et plutôt âgés de payer l'entretien, voire l'éducation de la belle enfant afin de s'en réserver les faveurs une fois la fleur épanouie. Sartines jetterait la femme Bernard à la porte sans le moindre ménagement si elle n'avait obtenu une recommandation du fermier général Beaujon pour ne pas avoir à mettre en cause M. de l'Epinay qui subvient habituellement aux besoins de la mère et surtout de sa fille.

Mais Sartines sait tout cela et il se hâte de renvoyer la pleureuse en l'assurant qu'il retrouvera la fugitive.
Ensuite, il appelle son meilleur limier, un certain Marais qui sait d'ailleurs déjà où se cachent les tourtereaux et, le lendemain à l'aube, il débarque dans leur nid d'amour. Sans éclat d'ailleurs. Ces deux petits l'attendrissent plutôt et c'est paternellement qu'il conseille à la jeune furie drapée dans une couverture de rejoindre le logis maternel.
Il va avoir du mal. Marie-Madeleine clame qu'elle déteste sa mère et encore plus ce M. de l'Epinay avec lequel on voulait qu'elle aille souper après le théâtre.
En outre, elle aime son jeune amoureux. Alors, Marais va discuter pendant de longues minutes jusqu'à ce qu'il trouve le trait de génie : veulent-ils vraiment renoncer au théâtre qui les réclame ?
Tout est vite réglé alors et Marais ramène la récalcitrante au logis maternel où le retour est plutôt orageux. Mais, devant la détermination de sa fille, Marie-Anne Bernard change de ton : elle "doit" payer ses dettes envers ses protecteurs.
De plus, elle doit savoir aussi qu'une danseuse, si elle veut être célèbre, est richement entretenue. Marie-Madeleine serait bien sotte de renoncer à porter bijoux et toilettes pour un garçon sans le sou... qu'elle pourra d'ailleurs voir en cachette.
Cela cl^t le débat mais la jeune femme a décidé de prendre elle-même son destin en main. Pour ce faire, elle conclue elle-même un accord avec un troisième larron, le financier Bertin puis s'en va consoler son petit amoureux qui finit lui aussi par se résigner.
Mais au cours des débats avec Marais, la danseuse a appris un curieux détail la concernant : elle se croyait la fille d'un honnête commerçant, mort depuis longtemps et nommé Bernard. Or, ce Bernard vit toujours, pour la plus grande gloire de la Marine royale, puisqu'il rame sur une de ses galères sans espoir de changer jamais d'emploi. Colère de Marie-Madeleine : comment sa mère a-t-elle pu ?

Fidèle à ses principes, celle-ci commence par pleurer et s'évanouir puis avoue : Bernard est bien son mari mais il n'est pas le père de sa fille. Le vrai est un homme marié. Il est inspecteur des toiles de la manufacture de Voiron et se nomme Fabien Guimard.
Veuf à présent et retiré des affaires, sans enfants d'ailleurs, il vit à Paris, rue de Bourbon. La jeune danseuse décide incontinent d'aller le voir. Ce qu'elle veut, c'est pouvoir se servir de son patronyme. La Guimard, pense-t-elle, cela sonne tout de même mieux que la Bernard. D'ailleurs, elle ne veut plus de ce nom déshonoré.
Le bon Guimard accueille avec joie cette fille ravissante qui lui tombe du ciel :
- Prenez mon nom, ma chère, lui dit-il et faites-en bon usage. Quand nous nous connaîtrons mieux je vous le donnerai peut-être officiellement. Mais, par pitié, ne me demandez pas de revoir votre mère !
Cinq ans plus tard, il tenait parole. Il faut dire que la Guimard était déjà célèbre. Elle a quitté la Comédie-Française pour l'Opéra où son talent s'est imposé avec éclat car elle était véritablement douée.
Ses amours avec François Léger venaient de s'éteindre tristement. Le jeune homme à qui elle avait juré de ne jamais le quitter se crut trop sûr de lui et se permit quelques infidélités. Le jour où elle l'apprit, la danseuse rompit tout net avec lui, la mort dans l'âme. Elle opta pour une tout autre politique.
- Il faut prendre les hommes pour ce qu'ils sont, disait-elle volontiers. En tirer le maximum et ne rien demander de plus.
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epistophélès

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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMar 9 Juin - 19:45

LA GUIMARD (suite)

Dès lors, elle collectionna les amants et en obtint beaucoup. Il y eut le comte Boutourline, le comte de Rochefort, le comte de La Borde qu'elle aima bien et à qui elle donna une petite fille. Néanmoins, elle se sentait insatisfaite aussi bien dans son coeur que dans son orgueil car elle se voulait la reine de Paris et, pour ce titre-là, il lui fallait prendre dans ses filets, sinon le Roi, au moins un prince et qui plus est très riche. Cet oiseau rare apparut quand, après la création du ballet Galatée, la Guimard reçut le jolie titre de Danseuse du Roi. Il se nommait Charles de Rohan, prince de Soubise, maréchal de France et il était l'un des deux ou trois hommes les plus riches du royaume. Il entama les hostilités en adressant à la danseuse une énorme gerbe de fleurs et un fabuleux bracelet de diamants. C'est alors qu'elle choisit de lui tenir tête.
Moins par rouerie féminine d'ailleurs qu'à cause d'un visiteur qu'elle n'attendait plus : l'amour. Il venait de se manifester sous les aspects infiniment séduisants de Jean-Baptiste Despréaux, danseur lui aussi, de deux ans plus jeune que Marie-Madeleine mais follement amoureux d'elle. Le prince de Soubise risquait d'attendre longtemps en dépit des bruyantes lamentations de Mme Bernard toujours dans la coulisse.
Et puis, vint le soir tragique.
C'est le 11 janvier 1766 et la première représentation d'un nouveau ballet : Les Fêtes de l'Hymen et de l'Amour. La salle, comble, est suspendue aux évolutions d'un couple éblouissant tout en satin et plumes blanches. Et soudain, dans un énorme cri d'horreur, un décor s'abat sur les deux danseurs. On se précipite. On redresse le décor mais Despréaux, lui, ne se relève point : il a perdu connaissance. La Guimard tente de l'aider mais son bras cassé retombe avec un gémissement (un bras qui gémit ? ... tongue )
Dans la salle Guérin, le chirurgien des mousquetaires accourt. Il diagnostique une fracture de l'humérus avant que l'on emporte Despréaux inanimé.
Guérin veut faire porter la danseuse dans sa loge mais elle refuse de quitter la scène : la douloureuse opération se fera sur place et sans même lui arracher un cri. Bien mieux : une fois bandée elle a même la crânerie de se relever et de saluer un public survolté qui l'acclame follement et c'est seulement revenue à l'abri des coulisses qu'elle s'accorde le droit de s'évanouir.
Oh, pas bien longtemps ; tout juste quelques minutes et, à peine revenue à elle, Marie-Madeleine veut courir chez Despréaux mais elle n'est pas assez solide et c'est sa mère qui va aller "prendre des nouvelles".
Le moins que l'on puisse dire est qu'elles ne sont pas bonnes. Avec une fracture de la hanche, le malheureux garçon doit dire adieu à la danse. Et la dame Bernard réfléchit : si sa fille apprend la vérité, elle va s'attacher plus que jamais à ce jeune homme, vouloir l'aider, le prendre à sa charge et cela, cette mère au dur sens pratique ne le veut pour rien au monde. Alors ce qu'elle dit est simple : tout va bien. Despréaux n'est que légèrement blessé et, surtout, il y a près de lui, une jeune et jolie fille qui pleure et jure de se dévouer à jamais pour lui...

Elle pourrait discourir ainsi longtemps. La Guimard n'écoute plus. Dans l'ombre rose des rideaux de soie qui abritent son lit, elle garde un silence lourd de douleur tandis que de grosses larmes roulent lentement sur ses joues.
Le lendemain, elle reçoit la visite du prince de Soubise, un mois plus tard, elle devient sa maîtresse.
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMar 9 Juin - 20:59

LA GUIMARD (suite)


Fragonard ou les folies de l'amour

Depuis l'accident de l'Opéra, deux années se sont écoulées. Grâce au prince de Soubise, éperdument amoureux et follement généreux, la Guimard est véritablement devenue la reine de Paris.
Elle a tout : toilettes, bijoux, équipages et une merveilleuse maison à Pantin pourvue d'un grand parc et d'un théâtre privé.
Elle a aussi le talent, une sorte de génie de la danse qui fait un miracle de chacune de ses apparitions. Elle a aussi... le plaisir car d'amour il ne saurait être question pour elle.
Or, un matin de 1768, comme elle arrive à la répétition, elle voit soudain venir à elle, un violon sous le bras, un jeune homme élégant dans un simple habit de soie grise. Mais, à mesure qu'il approche le sourire s'efface de son visage. Ce jeune homme c'est Despréaux, celui qu'elle a tant aimé et à qui elle voulait tout sacrifier. Son sourire, alors, se teinte de sarcasme : comment ? c'est lui ? Ne disait-on pas qu'l avait définitivement renoncé au théâtre ?
Il répond sur le même ton. Sa blessure l'a obligé à abandonner la danse mais au théâtre, si sa convalescence a été longue, on ne l'a pas oublié pour autant. Il vient d'obtenir le poste de premier violon et il aura désormais la joie de la faire danser...
Déjà il s'éloigne, distant, glacé mais quelque chose pousse la danseuse à le retenir. Un question, une seule mais qui lui brûle les lèvres depuis deux ans : est-ce sa jolie cousine qui lui a si bien rendu le goût de la vie ?
Une cousine ? Il n'a jamais eu de cousine... Alors une amie, une fiancée ! Il fallait bien qu'elle soit quelques chose cette fille qui pleurait à son chevet au soir de l'accident ? Mais Despraux a compris :
- Avec tous le respect que je lui dois, Mademoiselle, votre mère a menti. Mon père et ma mère seuls étaient à mon chevet.
- Menti ?... Pourquoi l'aurait-elle fait ?
Sans un mot, Despréaux conduit la Guimard devant l'une des hautes glaces du vestibule. La réponse est là,  tout entière car la danseuse s'y voit éblouissante, mieux parée qu'une princesse, étincelante de tout ce luxe dont Soubise l'entoure. Alors elle comprend pourquoi sa mère a inventé cette histoire et une vague de bonheur l'envahit. Elle tourne le dos à la glace : il faut qu'ils parlent tous les deux... mais il n'y a plus personne. Despréaux a disparu à sa grande colère car, cet entretien, il le lui faut ! Elle l'attendra longtemps...

Dans sa loge, elle trouve le prince de Soubise en compagnie d'un homme jeune, pas très grand mais d'aspect vigoureux et qui porte hardiment une physionomie intelligente et joyeuse, des cheveux noirs sans poudre et des yeux sombres qui scintillent. Il s'appelle Jean-Honoré Fragonard, il est l'évlèce de Boucher et revient de Rome avec beaucoup d'idées charmantes. Il sera le décorateur idéal pour le bel hôtel que le rpince fait construire pour son amie à la Chaussée d'Antin. L'architecte Ledoux, en recevant la commande, a aussi eu l'ordre de ne rien épargner pour en faire une merveille d'élégance et de goût.
La danseuse éclate de rire. La demeure n'est même pas sortie de terre. Qu'a-t-elle à faire d'un décorateur ? Mais Soubise a réponse à tout : la maison d'une étoile ne peut s'ordonner qu'autour de son portrait. C'est par là que Fragonard commencra. Et, le lendemain, la danseuse se rend au Louvre où le peintre vit avec femme et enfants dans le plus joyeux des désordres.
Les séances de pose se succèdent alors sans que le portrait avance et cela pour la meilleure des raisons : le peintre et la danseuse sont tombés amoureux l'un de l'autre et pensent à tout autre chose qu'à la peinture... Ce seront les amours les plus folles, les plus tumultueuses du monde. Malgré son tempérament volage "Frago" s'est pris de passion pour son modèle et la Guimard a trouvé en lui l'amant idéal : il dévore la vie à belles dents et ne cesse de crayonner de petits dessins de sa maîtresse. Il ne voit qu'elle. Il en est fou.

Néanmoins, comme ils se ressemblent trop, les scènes sont fréquentes. Fragonard compte autant de succès féminins que la Guimard moissonne de coeurs.
Parois, celle-ci, par-dessus les quinquets de la rampe, croise le regard de Despréaux devenu maître de ballet, mais elle n'imagine pas qu'il pût subsister la moindre trace de l'ancienne flamme.
Quand vient le printemps de 1772, le fameux hôtel est enfin achevé et livré aux décorateurs, Fragonard y met ses meilleurs élèves. Or, parmi eux, la danseuse remarque un jeune homme mince et brun au regard tragique, à la mine sombre, chargé d'un travail plutôt obscur : peindre une infinité de rinceaux et d'arabesques sur les murs de la maison. Alors, un matin où la danseuse fait le tour du chantier, elle s'approche de ce garçon qui, la mine plus lugubre que jamais, exécute de charmantes volutes vertes.
Croyant lui faire plaisir, elle le compliment et voilà que, jetant ses pinceaux à terre, il se met à les piétiner avec fureur : ce travail est indigne de lui, Louis David, qui a tellement plus de talent que Fragonard !
Seulement celui-ci le tient dans des ouvrages subalternes par peur d'être éclipsé par un trop grand génie !
Cette sortie amuse la Guimard. Elle invite le révolté à souper et s'offre même le plaisir de lui démontrer qu'il peut plaire à une femme raffinée. Ils s'entendent si bien qu'elle accorde une pension mensuelle de deux cents livres au jeune David ce qui lui permet de quitter l'atelier de Fragonard et de préparer le prix de Rome qu'il obtiendra d'ailleurs deux ans plus tard.
Hélas, le malheur veut que "Frago" apprenne son infortune la veille même du jour où la danseuse doit faire visiter sa maison au prince de Soubise et à ses amis. Avec quelque vanité, elle l'a baptisée "Le Temple de Terpsichore"... Or, si le prince est assez grand seigneur pour ignorer les nombreuses infidélités de sa maîtresse, Fragonard n'en est pas encore là et, décidant de donner à celle-ci la leçon qu'elle mérite, il revient, à la nuit close dans l'hôtel encore désert. Le concierge, bien sûr, le laisse passer : il le connaît si bien.

Le lendemain, entourés d'une foule élégante et joyeuse, le prince et la danseuse franchisent le seuil de la nouvelle demeure. Des exclamations admiratives, un peu envieuses, les portent en avant. Et l'on arrive au grand salon que domine le portrait de la Guimard.
Et là, c'est le silence, un silence que trouble soudain un cri d'horreur : là, dans le grand cadre doré, à la place de l'adorable déesse de la danse, une Gorgone couronnée de serpents grimace, brandissant d'une main un flambeau et de l'autre un poignard ensanglanté. Le tout dans un style qui rappelle assez celui de David...
Une pulsion de colère emporte la danseuse. Saisissant une statuette sur un meuble elle va la jeter contre la toile quand une main qu'elle n'avait pas vue retient son bras : celle de Despréaux. Et le langage qu'il tient est celui de la sagesse. Qu'a-t-elle pu faire au peintre pour qu'il se venge de si horrible façon ? Et comme elle ne répond pas, il ajoute que la seule attitude convenable est le rire. Et la Guimard écoute son conseil : elle rit plus fort que tout le monde ... Fragonard, un peu penaud devant la colère de Soubise, remettra le tableau en l'état mais le temps des amours est terminé.
Pendant dix ans encore la Guimard va régner sur Paris et, pendant dix ans, Jean-Etienne Despréaux va veiller discrètement sur elle sans jamais lui parler d'amour mais il sera là quand, en 1779, elle perd son unique enfant, quand en 1782, la fortune du prince de Soubise est engloutie en grande partie dans la banqueroute de son gendre le prince de Guéménée. Grand seigneur, Soubise rend sa liberté à la danseuse en lui laissant tout ce qu'il lui a donné et elle ne le remplacera pas. Un an après, c'est pire encore car la Guimard pense mourir de la variole.
Elle n'en sera pas marquée mais son moral est atteint. De plus, elle a des dettes : il faut réduire le train de vie mais, au lieu de vendre le fabuleux hôtel, la Guimard a un dernier geste de reine : elle l'offre en loterie à l'issue de la dernière fête qu'elle y donne, le 22 mai 1785. C'est la comtesse du Lau, la bien-nommée qui gagne.
Aussitôt après, la danseuse part pour Londres, y connaît encore quelques triomphes mais elle regrette Paris qu'elle a toujours tant aimé et elle y revient, un peu triste, un peu inquiète de la solitude qui s'annonce.
C'est alors que le destin lui offre son précieux cadeau : Despréaux est toujours là. Il l'aime. Il veut l'épouser, si elle accepte un inspecteur des théâtres de la Cour doublé d'un professeur au Conservatoire...
Mais ce qu'il offre, c'est surtout un grand, un pur amour et, un mois après la prise de la Bastille, le curé de Sainte-Marie-du-Temple bénit une union qui ne cessera jamais d'être heureuse.
- La Guimard est morte. Vive Mme Despréaux ! dit tendrement la danseuse en embrassant son époux à la sortie de l'église...
Ce fut le début d'une nouvelle vie. La Révolution était là. Le faste n'était plus. Le couple s'installa dans un petit appartement de la rue Menars pour y vivre une existence souvent difficile mais pleine d'amour, grâce à laquelle on traversa la tourment mais aussi l'Empire. On vieillissait doucement en recevant seulement quelques vieux amis pour lesquels on organisait des spectacles touchants : dans un coin de l'appartement, il y avait une petite scène dont le rideau se relevait juste assez pour laisser voir les jambes, toujours alertes, exécutant les pas gracieux des anciens ballets.
Et puis un matin, la Guimard ne se leva pas. La fin était là. Trois jours de maladie et l'ancienne étoile s'éteignait dans les bras de son mari : c'était le 4 mars 1816, elle avait soixante-treize ans...
Despréaux ne lui survécut que quelques mois, incapable de vivre sans celle qui, jusqu'au bout, avait illuminé sa vie.
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMer 10 Juin - 0:15

Vais faire mon possible pour vous finir "Les reines du faubourg" avant le 17 juin, date de mon départ pour Paris.
Ben vi ! Ma mère me "réclame".
Au risque de blesser J2, j'avoue que pour moi, c'est une corvée déprimante.
J'ai pardonné le passé, jusqu'à devenir indifférente à l' égard d'une mère, qui n'en a jamais eu le comportement envers moi.
Si j'y vais, ce n'est pas par pitié, - même à son âge, avec sa personnalité, je peux dire, que c'est le dernier sentiment qu'elle pourrait inspirer à quiconque - encore moins par amour, mais mes fils, de façon subtile, me culpabilise, alors que je ne ressens absolument aucune culpabilité envers une femme qui m'a carrément rejetée. Je crois que c'est surtout pour faire plaisir à mes garçons que j'y vais.

Ceux qui ont lu "Poil de carotte" pourront peut-être comprendre. Sauf que Mme Lepic, bien qu'effroyable, n'a jamais atteint les degrés de cruautés, que ceux que ma mère utilisait pour essayer de me détruire. Ses coups de ceinture ou de talons aiguille, n'étaient rien face aux humiliations publiques, commencées, alors que je n'avais que 6 ans ... Avant, j'étais "cachée" chez une nourrice.

Vous allez commencer votre journée dans la joie, grâce à moi ! ...... Suis pas géniale ? ....... Laughing

Bibizzzzzzz et bonne et douce nuit. .....
Sleep
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MessageSujet: Re: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMer 10 Juin - 11:46

son bras cassé retombe avec un gémissement (un bras qui gémit ? ... tongue )"
lol!
Ah oui, que tu m'as fait commencer la journée dans la joie.
Moi, c'était mon père...
Et aussi (de Fragonard) :
Les reines du faubourg N-VYjNaZ4h5LCm-sS85eGcka4bU
D'autres peintres célèbres l'ont peinte, notamment Boucher.
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMer 10 Juin - 17:32

Bon, Bérengère, oublions les papa'z et les mama'z, et plongeons-nous dans la lecture. ......... Very Happy Wink
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMer 10 Juin - 18:19

Une reine de la mode[/size]

ROSE BERTIN


La passion des chiffons

Cet hiver 1759 était affreux et la vie de bohème en souffrait visiblement. Il y avait plus d'un mois que les rues d'Abbeville gardaient un tapis de neige sous lequel se cachaient de sournoises et meurtrières plaques de verglas.
Les gouttières prolongées de stalactites ressemblaient à des loques brillantes et chaque matin, dans les quartiers misérables, on ramassait des corps gelés.

Bien sûr, chez les Bertin on n'était pas riche, loin de là : le père n'était qu'un modeste cavalier de la maréchaussée et la mère était garde-malade. Néanmoins, avec leurs trois enfants, ils arrivaient à manger à leur faim. Aussi la détresse de cette vieille femme aux doigts bleuis, rencontrée dans la rue, émut-elle la jeune Marie-Jeanne et, en revenant de chercher le pain de la famille, elle lui en tendit spontanément un morceau.
Surprise, la femme la regarda et vit qu'elle était charmante : quinze ans peut-être ; un visage rond, rose et frais de fille du Nord, d'épais cheveux blond cendré et de jolis yeux bleus. Elle était mise bien simplement pourtant mais sa robe de laine bleue n'en était pas moins pleine de goût et d'élégance naturelle.
La vieille prit le pain encore chaud et la main de Marie-Jeanne en même temps en lui disant qu'elle pouvait lui prédire son avenir. C'était un remerciement naturel pour une femme de sa sorte néanmoins ce qu'elle vit lui inspira autre chose que les habituelles promesses de bonheur, d'amour et d'enfants aussi nombreux que biens faits :
- Toi, ma petite, lui dit-elle, non seulement tu auras beaucoup d'argent mais tu iras à la Cour et l'on te portera la queue de ta robe.
Les yeux de l'adolescente s'arrondirent. La Cour ? De l'argent ? Elle ouvrait la bouche pour poser d'autres questions mais déjà la femme s'éloignait dans la rue enneigée, serrant contre elle le pain que l'on venait de lui donner. Néanmoins, à quelque distance, elle se retourna :
- N'oublie pas ! La Cour !

Marie-Jeanne avait beau savoir qu'il ne fallait pas attacher de l'importance aux paroles des femmes de Bohême qui sont toujours inspirées peu ou prou par le Malin, elle n'en dormit tout de même pas de toute la nuit. Et pas beaucoup des nuits suivantes mais, comme elle était une fille sage et pourvue d'un certain bon sens, elle employa ses insomnies à chercher les moyens de réaliser ce que l'on venait de lui promettre.
La première chose, bien sûr, c'était de gagner un peu d'argent et de le gagner honnêtement car elle n'était pas de celles qui souhaitent faire commerce de leurs charmes et se faire payer pour leurs faveurs.
Et puis, elle avait le goût du travail à condition que ce travail fût lié aux chiffons pour lesquels elle éprouvait une véritable passion. Ainsi, le dimanche à la messe, elle examinait toujours d'un oeil critique les toilettes des élégantes abbevilloises trouvant d'ailleurs chaque fois quelque chose à reprendre car, en général, ces femmes-là ne savaient pas s'habiller. Pour Marie-Jeanne, en effet, s'habiller c'était avant tout se mettre en valeur.
Il y avait aussi cette affaire de Cour qui la tourmentait. Comment y être reçue sans habiter dans le voisinage ? Or, la Cour c'était Versailles et Versailles était près de Paris. Et pour cela convaincre ses parents.
Ce fut avec beaucoup de timidité d'abord qu'elle leur fit part de son projet qui consistait à entrer en apprentissage chez une marchande de modes de la capitale. L'idée leur parut d'abord folle et irréalisable mais plusieurs malades de la mère Bertin lui ayant laissé entendre que sa petite avait de l'or dans les mains, elle commença à envisager la chose de façon plus favorable. Surtout lorsque l'une d'elles proposa de l'envoyer, à ses frais, chez la célèbre Mlle Pagelle, à l'enseigne du Trait galant. Les hésitations s'envolèrent et Marie-Jeanne s'embarqua sur la première patache en partance pour la capitale avec un bagage fort mince mais un espoir immense.
Mlle Pagelle était alors la bonne faiseuse en vogue.
Entendez par là qu'elle habillait Versailles et Paris, d'atours riches, précieux, somptueux parfois mais qui, selon la nouvelle apprentie, manquaient singulièrement de fantaisie.
Néanmoins (décidément, l'auteur adore ce mot... tongue ), Marie-Jeanne se sentait parfaitement à son aise dans l'élégante boutique du quartier Saint-Honoré où l'on rencontrait tout le beau monde.
Elle s'y sentait dans son élément au milieu des satins, des plumes, des rubans, des broderies et des mille et un colifichets qui, de tout temps, ont fait la joie des jolies femmes et même des autres.

Elle débute d'abord comme trottin, véhiculant à longueur de journée les longs cartons de livraison renfermant des toilettes précieuses. Cela lui permet d'apprendre les beaux quartiers et de ne pas confondre l'hôtel de Choiseul avec celui de Richelieu. Ensuite, elle entre à l'atelier. On la met aux interminables finitions, ourlets et autre bordures. Compte tenu de la dimension des robes, c'est un travail fastidieux, éreintant mais elle l'accomplit sans se plaindre. Elle sait bien que c'est l'a b c d'un métier qu'elle adore et dans lequel elle se veut la meilleure quand le temps en sera venu. Et peu à peu, comme elle s'entend comme personne à bouillonner le tulle, à coudre les dentelles et à piquer des fleurs un peu partout, elle monte ne grade : Mlle Pagelle en vient à lui confier des travaux plus délicats.
Bientôt la clientèle chez qui elle livre fait sa connaissance. De grandes dames comme la princesse de Conti et la duchesse de Chartres, belle-fille du duc d'Orléans, s'intéressent à elle et la prennent sous leur protection. Les années passent au bout desquelles la petite Abbevilloise en vient à posséder son métier comme personne. Grâce aux deux princesses, elle peut même quitter Mlle Pagelle et s'installer à son propre compte dans un petit magasin de la rue Saint-Honoré qu'elle baptise Au Grand Mogol.
Entre-temps, elle trouve que son prénom de Marie-Jeanne sent par trop sa province et le change pour celui de Rose plus au goût du jour ce qui, d'ailleurs, convient bien à sa blonde fraîcheur.
Néanmoins (encore un !... tongue ), peut-être Rose Bertin eût-elle mis un certain temps à évincer son ancienne patronne et à gravir les échelons du succès si un petit événement à la fois frivole et mondain, un de ces potins comme Paris les a toujours aimés n'était venu la mettre en pleine lumière : le duc de Chartres, grand amateur de jolies filles et qui n'avait pas été sans remarquer celle-là, s'intéressa à elle de beaucoup plus près.
Sans être tout à fait aussi coureur que l'avait été son aïeul le Régent, le futur Philippe-Egalité ne cessait de chercher des nouveautés et n'aimait guère rencontrer des cruelles. D'ailleurs, la vertu des filles, il n'y croyait pas. Aussi, rencontrant sans cesse sur son chemin cette Rose si appétissante, il entreprit de lui faire une cour en règle : entendez par là cette approche galante qu'un prince du sang pouvait se permettre vis-à-vis d'une jolie modiste : quelques compliments négligents, un menton pincé au hasard d'un couloir, une invite à peine voilée, un corsage que l'on caresse d'un doigt léger et enfin un petit billet glissé dans le même corsage.
Imperturbablement souriante, Rose se montrait fort gracieuse envers Monseigneur... mais finissait toujours par tirer sa révérence et s'esquivait d'un pied léger dès que le prince prétendait mettre la conversation sur un plan plus intime.
Ce n'était pas que Philippe lui déplût, on peut même assurer qu'il aurait pu lui plaire si Rose ne s'était juré de n'arriver jamais que par son seul talent.
De même, elle avait décrété un jour, non sans sagesse, qu'il lui faudrait choisir entre son métier et le mariage et comme, si l'on ne veut pas se retrouver mariée, il vaut mieux éviter l'amour, Rose, avec une fermeté quasi romaine entreprit de chasser l'amour de sa vie ; même celui d'un prince.
A ce jeu irritant, le duc se pique. Le fait qu'il essuie un échec donne du prix à cette conquête qu'il espérait plus facile. Alors, il braque sur Rose tout l'arsenal de la tentation féminine, lui fait porter des parures, va jusqu'aux perles et aux diamants... mais sans aucun résultat.
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMer 10 Juin - 18:21

Jeanne-Marie, n'oublie pas d'avertir ton papa. ........ Wink
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMer 10 Juin - 19:22

"Je viens de travailler avec la Reine..."

Le duc de Chartres ne se tient pas pour battu.
Cette petite Rose l'agace.Il lui offre des chevaux, des voitures, un hôtel particulier, une maison des champs, bref tout le grand jeu... que Rose refuse sans perdre un instant son sourire. Philippe alors se fâche car il en est souvent ainsi des princes qui n'aiment guère se voir traités en simple mortels. Quelque bonne âmes suggèrent même à l'entêtée qu'il pourrait être dangereux de tenir tête à si puissant personnage et qu'un prince peut, en quelques mots, détruire une clientèle naissante. Et cette fois Rose s'inquiète. Puis, comme peu après l'indiscrétion d'un valet lui apprend que l'on songe à la faire enlever, elle prend vraiment peur.
Elle n'est rien en face d'un si haut seigneur ! En fait, elle ne sait plus à quel saint se vouer quand le destin lui offre une rencontre véritablement providentielle qu'elle aura l'audace et l'esprit de saisir au vol.

Un jour de l'été 1774, alors qu'elle se trouve chez l'une de ses bonnes clientes, la comtesse d'Usson, pour y débattre de toilettes de cérémonie destinées à un mariage, un valet entre et annonce le duc de Chartres.
Avec une exclamation de surprise, Mme d'Usson se précipite pour offrir au prince la révérence rituelle oubliant la présence de Rose. D'abord fort ennuyée, celle-ci reprend vite ses esprits et, au lieu de sortir, va tranquillement s'asseoir près de la cheminée.
Cette attitude scandalise la duchesse qui demande à la jeune fille de disparaître mais celle-ci n'en fait rien et comme sa cliente s'indigne, elle déclare calmement qu'elle ne doit aucun respect à un prince qui s'est comporté avec elle de façon odieuse : il lui a offert tout ce qui pouvait tenter une pauvre fille mais comme elle refusait ses avances, il l'a menacée : d'abord de l'empêcher de travailler puis de l'enlever purement et simplement. Comme le prince vexé lui fait remarquer qu'elle oublie à qui elle s'adresse, Rose se lève enfin et plonge dans une irréprochable révérence :
- Que Monseigneur n'oublie pas lui-même son rang et je me souviendrai toujours de l'extrême distance qui existe entre lui et moi...
Puis sans se retourner, elle quitte l'hôtel d'Usson.
Naturellement dès le lendemain l'histoire fait le tour de Paris et atteint Versailles. Quelques jours plus tard, la nouvelle reine de France, Marie-Antoinette - Louis XV vient de mourir - fait appeler Rose Bertin pour se faire montrer ses dernières créations.

Cette attitude qui pourrait paraître bizarre s'explique assez bien lorsque l'on sait que la Reine déteste de duc de Chartres : la crânerie de Rose lui a plu. Ce que la jeune modiste va lui montrer lui plaît encore davantage. En présence d'une jeune femme aussi belle, Rose va donner toute la mesure de son talent en faisant confectionner en un temps record quelques robes de rêve. Dès lors, les deux femmes seront inséparables car Rose est nommée modiste de la Reine.
Presque chaque jour, à Versailles ou à Trianon, on voit arriver la voiture de Mlle Bertin, débordante de cartons d'où elle sort des choses ravissantes.
Rose passe chez la Reine en priorité, laissant les duchesses attendre. En général, elle reste une heure avec la souveraine et ressort ensuite, l'air plus important que jamais pour regagner Paris à bride abattue.
Elle rentre alors dans son Grand Mogol devenu en un rien de temps la première, la seule maison de Paris où les élégantes s'entassent patiemment en attendant leur tour de s'entretenir avec "Mademoiselle".
Il n'est pas rare alors d'entendre la grande modiste lancer à la cantonade tout en traversant son magasin en coup de vent :
- Je viens de travailler avec la Reine !

Une respectueuse rumeur emplit alors la maison et Rose, l'air absorbé, consent enfin à recevoir dans son salon privé la première cliente. Avec elle, ce sera le triomphe des linons légers, des mousselines tendres, des taffetas changeants, des plumes immenses, des fleurs de tulle et de soie et des gigantesques paniers si difficiles à faire entrer dans un carrosse.
La clientèle s'accroissant chaque jour, Rose d'accord avec la Reine décide de ne se rendre à Versailles que deux jours par semaine mais on lui accorde une audience à faire rêver un ambassadeur et c'est alors qu'elle se rend à l'un de ces rendez-vous enviés que la prédiction de la bohémienne se réalise ; lorsqu'elle arrive à Tiranon, Mlle Bertin se voit offrir le bras par le duc de Duras tandis qu'un petit page noir se précipite pour porter la courte traîne de la modiste afin qu'elle ne se mouille pas dans l'herbe du jardin.
L'imagination de Rose Bertin se donnant libre cours, la Reine peut avoir chaque jour une nouvelle robe ou une nouvelle coiffure. Ce sera le temps des poufs "au sentiment", à l'"Inoculation", à la "Belle Poule", au "Janot", à la "Cagliostro", des polonaises à la "Poulette", à l'"Héroïsme d'Amour", des bonnets aux "Soupirs étouffés", à l'Esclavage brisé", aux "Relevailles" (celles de la Reine) aux "Plaintes amères", à la "Bonne Maman", etc.
Ce fut aussi le temps des coiffures à la "Quès Aco" sommées de plumes si longues que pour les porter, les élégantes ne pouvaient se tenir qu'à genoux dans leurs carrosses.
Une folie de colifichets, une tempête de fanfreluches et d'idées folles soufflèrent sur les têtes féminines car, naturellement, toutes les femmes rêvaient de copier la Reine et cela leur coûtait fort cher.
Imperturbable, Rose continuait à accumuler sur la tête de ses clientes fleurs, légumes, bateaux, tout ce que l'actualité lui inspirait plus, bien entendu les plumes, toujours les plumes, encore plus de plumes au point que l'impératrice Marie-Thérèse, soupirant sur les folies de sa fille, l'appelle dans une lettre "la tête emplumée".
Marie-Antoinette aime beaucoup sa modiste et lui réserve toujours le plus charmant accueil, d'où des jalousies que la vanité de Rose ne fait d'ailleurs rien pour adoucir.
Elle règne, un point c'est tout et c'est ainsi que Marie-Antoinette devra s'entremettre personnellement pour que Mlle Bertin consente à travailler pour la princesse de Lamballe qu'elle n'aime pas.

Bientôt, elle habille presque toute l'Europe.
Chaque saison, des poupées revêtues de ses dernières créations partent pour la Russie, le Portugal, l'Angleterre. Elle prépare le trousseau de l'infante de Portugal, habille la duchesse de Marlborough, des princesses espagnoles, la princesse de Wurtemberg, la Cour de Suède, celle de Savoie et bien d'autres. Elle finira par arracher à Mlle Pagelle sa dernière cliente : la comtesse Du Barry toujours ravissante.

Tout cela bien sûr représente beaucoup d'argent mais Rose devient moins riche qu'on pourrait le croire car ses clientes ne sont pas toutes bonnes payeuses et la Reine elle-même fait un peu traîner ses factures.
Néanmoins (tiens, y'avait longtemps !... Razz ), Rose s'offre une belle propriété à Epinay, une maison rue du Mail et transporte le Grand Mogol, devenu trop petit, rue de Richelieu... en avril 1789.
Hélas, le 14 juillet n'est pas loin et bientôt les belles clientes prennent le chemin de l'émigration en oubliant bien sûr de payer leurs dernieres notes.
Néanmoins, ( Rolling Eyes ) Rose Bertin reste fidèle à sa Reine avec un beau courage. Quand elle est prisonnière, c'est elle qui continue à la fournir, mais il n'est plus question de luxe. Le dernier bonnet livré en mars 1793 sera celui que Marie-Antoinette portera pour marcher sur l'échafaud... Aucun fournisseur, jamais, n'aura eu ce geste royal : quand le danger est venu rôder autour de la Reine, Rose Bertin a entassé ses factures dans sa cheminée et y a mis le feu afin que l'on ne puisse trouver chez elle d'autres motifs d'accusation. Mais après la mort de la Reine, Rose enfin s'éloigne.
Quand elle revient en 1795 et se fait rayer des listes d'émigration, elle n'a plus guère d'argent et aimerait rouvrir sa maison mais, avec la nouvelle mode gréco-romaine, Mlle Bertin fait un peu figure de vieille lune.
Elle le comprend, ne s'obstine pas et, quittant définitivement Paris, elle s'installe dans son domaine d'Epinay où, entourée de ses neveux et des quelques amis fidèles que son coeur généreux a su lui donner, elle regarde se dérouler sous ses yeux la grand aventure de l'Empire. Lorsqu'elle meurt, le 22 septembre 1813, c'est Leroy qui règne sur la mode...
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMer 10 Juin - 20:22

On l'appelait : "Imperia"

LUCREZIA COGNATI


Un diamant brut...

Au cours de la dernière année du XVe siècle, on ne parle, à Rome, que de la mystérieuse maîtresse du vieux Polo Trotta que ce Crésus cache jalousement.
Ce qu'on en sait est peu de chose : elle s'appelle Lucrezia Cognati, elle vient du Borgo Nuovo où sa mère, la Dianora, exerce toujours le métier de courtisane. Son père, un amant de passage, était un Grec dont la mère prétendait qu'il était prince mais dont elle ne connaissait qu'un nom : Pâris. Il est vrai qu'avec un nom pareil... Mais au Borgo Nuovo, personne ne voyait jamais Lucrezia, cachée dans l'espoir de trouver le riche amateur de chair fraîche. Ce fut Trotta qui, en échange d'une grosse somme, emmena la petite chez lui où elle vit depius gardée par des serviteurs muets achetés au marché aux esclaves de Venise.
Rome grille de curiosité et plus que tout autre le pape Alexandre VI. Pour ce Borgia amateur de femmes qui remplit le Vatican de ses enfants naturels, ce genre de mystère est prodigieusement excitant. Aussi le Saint-Père ("le Saint-Père" ! ... Razz ), intrigué par la merveille cachée décide-t-il d'en inviter le protecteur à un petit souper intime dans le but d'en savoir un peu plus. Si cette Lucrezia (il aime ce nom-là qui est celui de sa fille) était aussi belle qu'on le prétend ?
Connaissant son hôte, le vieil homme pourrait s'efforcer d'en minimiser l'écho mais il emploie une autre tactique. En effet, on n'est jamais certain de sortir vivant d'un souper chez le Pape et celui-ci pourrait fort bien se débarrasser de lui pour envoyer ensuite chercher la jeune femme. Alors il rayonne de satisfaction. Il exulte : sa trouvaille est cent fois, mille fois plus belle que tout ce que l'on peut imaginer mais s'il la cache c'est parce qu'elle n'est pas encore prête à tenir la place à laquelle il la destine. C'est un diamant brut qui, une fois poli et taillé, illuminera la nuit romaine. Lucrezia est encore gauche, ignarde presque fruste, indigne en tout cas d'être présentée à un prince aussi raffiné que le Pape. Pour l'instant, on lui apprend les arts, la danse, le chant, l'art de s'habiller... et de se déshabiller. Encore quelques mois et, Trotta en fait le serment, il viendra lui-même la conduire au pied du trône pontifical...

Tout ce qu'il veut, au fond, c'est gagner du temps et ce temps, Alexandre VI le lui accorde benoîtement.
Quelques mois... mais pas plus ! Or, Dieu, lui, ne les lui accorde pas et peu de temps après, le vieil homme meurt subitement dans les bras de Lucrezia, laissant à son neveu une grande fortune, des terres, un palais... et sa belle maîtresse ! Lorsque le jeune Trotta vient prendre possession de tout cela, il est subjugué par cette créature véritablement hors du commun. Lucrezia est plus que belle. Son corps digne du ciseau de Praxitèle présente un visage aux traits infiniment purs, couronné d'une invraisemblable chevelure d'or qui, dénouée, l'enveloppe tout entière ; son teint est d'ivoire rosé et ses yeux immenses ont la couleur des plus belles aigues-marines. En outre, on lui a donné une éducation digne d'une princesse.

Gian-Paolo Trotta est donc tombé follement amoureux de son héritage mais il n'a pas la prudence de son oncle et ne résiste pas à l'orgueilleux plaisir de l'exhiber dans un festin qu'il donne pour célébrer son bonheur. Le premier convié sera le Pape qui viendra sous un déguisement de cavalier qui ne trompe personne.
Et Lucrezia paraît vêtue d'une robe de brocart d'or qui sert d'écrin à des épaules et à des seins parfaits.
Ses cheveux dénoués, à peine retenus par un cercle de pierreries coulent derrière son dos comme une rivière dorée. A son entrée, un grand silence s'est fait. Stupeur, émerveillement, en un instant, elle a cent cinquante amoureux, mais il y en a un parmi eux chez qui le coup de foudre va tourner au délire passionnel et, dans la nuit même, Francesco Beccuto fait enlever la jeune femme par une bande de spadassins à sa solde qui laissent le jeune Trotta sur le carreau.
Lucrezia ne le regrette guère. Beccuto d'ailleurs est beau même s'il est brutal et un peu trop sauvage pour son goût. Mais elle sait manier un homme et elle pose ses conditions : elle sera fidèle mais elle ne peut être ravalée à ce rôle d'objet que l'on fait admirer. En outre, elle refuse de vivre chez lui. Elle veut sa maison et le droit d'y recevoir qui elle veut.
Beccuto promet tout. Il est riche. Mais il ajoute tout de même que si elle rompt son serment de fidélité, il y aura du sang versé. Quelques jours plus tard, Lucrezia s'installe dans un petit palais situé près du Tibre et entreprend de se faire un cercle d'amis, dignes d'elle.

Au premier rang vient le Pape, suivi des cardinaux les plus mondains, puis des poètes dont l'Arioste.
Le succès de la jeune femme est tel qu'elle sera invitée aux noces de Lucrèce Borgia et du duc de Ferrare.
Mais se seront les écrivains, les poètes qui lui donneront la consécration suprême : après la mort d'Alexandre VI et une fois que Jules II, tenant Rome sous sa poigne de fer, permettra aux arts et à la beauté de s'épanouir plus librement, un grand concours poétique a lieu au Capitole.


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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyMer 10 Juin - 21:46

C'est là que Lucrezia Cognati va cesser de vivre en tant que telle, car, en lui offrant la couronne symbolique de Rome - un laurier d'or que l'on pose sur ses beaux cheveux, on lui décerne le nom d'Imperia, qui va lui rester à jamais et faire entrer dans l'Histoire la petite-fille du Borgo Nuovo.
C'est un vrai triomphe auquel participe Beccuto, fou d'orgueil et toujours admis au privilège de pourvoir au luxe de la souriante souveraine. Il n'en deviendra que plus jaloux...
Tant qu'Imperia se laissait adorer par une ville entière, il n'y voyait pas d'inconvénient. Mais tout change le jour où, pour la première fois de sa vie, elle tombe réellement amoureuse. Il s'agit d'un Vénitien, Giacomo Stella, de très ancienne, très noble et très riche famille. Il est venu des bords de l'Adriatique tout exprès pour voir la jeune femme et, quand il la rencontre chez le prince Colonna, il s'éprend d'elle sur-le-champ. Quant à Imperia, elle ne parvient pas à cacher son émotion.
Par chance, Francesco Beccuto est absent de Rome pour quelques jours. Mais, à peine rentré, il trouve des centaines de jaloux pour lui apprendre sa disgrâce. Pour la première fois, Imperia essuie une scène d'une rare violence : si elle ne renonce pas à cet homme, il mourra de sa main à lui. Beccuto en fait le serment...
Malheureusement, les deux amants ne prennent pas ses menaces au sérieux et Imperia se croit assez habile pour le tenir à distance... Or, un soir où elle attend Giacomo, elle entend du bruit dans la rue et comprend qu'on se bat. Au-dehors, elle entrevoit des ombres imprécises et des épées brillent... La peur la prend et elle envoie ses valets à la rescousse. Il n'est que temps : les serviteurs ramènent peu après Giacomo Stella, les vêtements déchirés, blessé à la poitrine, heureusement sans gravité, mais Imperia pleure : tout cela est de sa faute.

Alors, elle supplie le jeune homme de fuir : ce qui n'a pas réussi cette nuit peut réussir demain. Il faut qu'il rentre à Venise.
- Je partirai, dit-il, mais pas seul. Viens avec moi ! Là-bas nous serons libres de nous aimer car je t'épouserai...
Imperia croit rêver. Il l'épouserait, lui, un patricien alors qu'elle n'est tout de même qu'une courtisane ?
Mais ce mot-là, il ne veut plus l'entendre. Imperia n'est-elle pas souveraine ? Dans deux jours ils partiront. Qu'elle se prépare !
Hélas, quand se lève le soleil de ce jour qui va la libérer, la jeune femme voit accourir sa servante en larmes : le portier du palais vient de découvrir, allongé sur le montoir à chevaux, le cadavre de Giacomo Stella transpercé d'une dizaine de coups de dague...

Mourir d'aimer...

Dans les jours qui suivent la mort de l'homme qui voulait l'épouser, Imperia vit un cauchemar car cette mort fait scandale et, curieusement, le peuple l'en rend responsable. On la jalouse trop pour ne pas voir là une bonne occasion de l'anéantir. Elle sera même arrêtée plus pour éviter une émeut que pour instruire un procès qui n'aurait ni queue ni tête. Pas pour longtemps ! Un ordre du Pape l'autorise bientôt à regagner son palais, mais ce retour est sans joie et si elle n'avait une petite fille - née de Paolo Trotta et qui est élevée dans un couvent - elle se retirerait du monde. Mais l'enfant a besoin d'elle. Elle se contentera donc de fermer ses portes et de chercher dans la prière et l'austérité un apaisement à sa douleur.
Cela non plus ne durera guère : elle n'est faite ni pour l'une ni pour l'autre. C'est alors, qu'entre dans sa vie l'homme qui va en faire une sorte de conte enchanté : le banquier Agostino Chigi qui est l'homme le plus riche d'Italie. C'est un grand seigneur raffiné et lettré, la quarantaine, de taille moyenne, les cheveux blonds épais et des yeux bleus qui ont le charme flou des regards myopes. C'est aussi un mécène qui patronne des artistes.

Le soir où, par simple curiosité, il se fait conduire chez Imperia, il s'avoue ébloui par sa beauté, mais garde la tête froide, car elle lui paraît être une femme hors du commun, capable d'accepter un marché intelligent : elle vivra dans le faste d'une impératrice et aucune reine ne pourra rivaliser avec elle. En échange, elle sera le sourire d'une vie qui n'en a guère - Chigi est veuf - et l'ornement des demeures et des fêtes de son protecteur :
- Je ne vous demande pas de m'aimer ni même de m'appartenir, lui dit-il, mais seulement de laisser croire que vous m 'êtes fidèle...
- Et si j'en venais à vous aimer ?
- J'en serais infiniment heureux... mais rien ne vous y oblige.

Engagée de cette façon, la liaison va durer et donner naissance à une amitié amoureuse très reposante pour Imperia dont le coeur n'est pas encore guéri. Une autre petite fille va naître tandis qu'Imperia règne réellement sur la Ville Eternelle. Les navires de Chgi courent les mers pour lui rapporter des trésors. Des artistes travaillent pour elle. Chez la "divine" Imperia on rencontre Léonard de Vinci, Michel-Ange et surtout celui qui l'adorera sans jamais oser le lui dire : Raphaël, qui fixera sa beauté sur la toile.

En 1509, le prince Chigi lui fait construire une admirable demeure, celle qui est de nos jours la Farnesina du nom de ce Farnèse qui succédera à Imperia.
Le banquier dépense tant d'or qu'on chuchote qu'il se ruine, que la panique est à sa porte. Il n'en est rien et l'on procède bientôt à l'inauguration du nouveau palais. Ce sera un festin dont la splendeur doit couper le souffle au monde...
On ne l'oubliera pas de sitôt car, après un étonnant défilé des mets les plus rares, Chigi, en "hommage propitiatoire aux anciens dieux lares" jette dans le Tibre un grand plat d'or et invite tous ses hôtes à en faire autant. C'est une ruée : la précieuse vaisselle vole vers les eaux grises et quand se termine cette nuit, Chigi peut embrasser celle qui à eu cette idée folle en apparence, mais qui fait taire tous les mauvais bruits sur la ruine du banquier. Qui oserait douter de sa fortune après cela ? Il est vrai qu'avant le jour on relèvera discrètement le grand filet tendu au préalable dans les profondeurs du fleuve...

On est à l'aube du 9 octobre 1511 et cette date va néanmoins marquer la fin du bonheur d'Imperia car, une fois encore, elle vient de rencontrer la passion.
Angelo del Bufalo, un homme entrevu à la fête... il l'aime lui aussi, avec ardeur, mais aussi avec une jalousie sans cesse croissante. Bien qu'il soit riche il ne peut rivaliser avec Chigi et, peu à peu, viennent les reproches à cause de ce luxe insensé qu'il ne peut offrir. Un soir, il lui a demandé de se parer de tous ses bijoux et la vue de cette fortune déchaîne chez lui une folle colère...
Autre souci : Angelo est marié, à une très jolie femme d'ailleurs, Vittoria de Cuppis, soeur d'un cardinal et qui ne supporte pas de se voir négligée. Les scènes sont fréquentes entre les époux et Vittoria ne se prive pas d'accuser son mari de vivre aux crochets de Chigi, le riche amant d'Imperia.
Celui-ci est bien discret pourtant. Ferme-t-il les yeux par tendresse pour Imperia ? Il part même pour Venise où l'appellent des affaires, mais ce départ ne calme pas Angelo qui voudrait qu'Imperia rompe sans d'ailleurs rien offrir en contrepartie. Comment s'entendre avec un tel homme ? La nouvelle du retour du banquier déchaîne une crise plus violente que les autres : Angelo maltraite la jeune femme et finalement part en claquant les portes après l'avoir bassement, ignoblement insultée...
Lorsque Chigi revient, il la trouve dans un état pitoyable mais, pour la première fois, son chagrin le laisse indifférent. C'est qu'à Venise il a rencontré une toute jeune fille, Francesca Ardeosia dont la grâce l'a enchanté. Alors, Imperia décide qu'il est temps pour elle d'oublier la scène qu'elle a si frauduleusement occupée...
Sans avertir Chigi, elle quitte sa belle villa neuve et rejoint son ancien palais du Corso. Elle veut y donner une dernière fête pour célébrer son départ mais, à ce repas raffiné et intime, elle ne convie que des amis sûrs, ceux qui n'ont jamais été ses amants, mais qui l'aiment avec le coeur : Castiglione, Bembo, Navaggero, d'autres encore et, bien sûr, Raphaël.
A la fin du repas, elle se lève mais demande à ses hôtes de rester à leur place : ils viendront tout à l'heure la rejoindre car elle leur réserve une surprise. En effet, au bout de quelques instants, les serviteurs noirs qu'elle affectionne viennent chercher les invités et les conduisent dans le joli cabinet tendu de brocart qui est sa pièce préférée. Imperia les attend là, vêtue d'une simple tunique de mousseline blanche qui ne cache rien de sa beauté. Elle a ôté tous ses bijoux et dénoué sa chevelure.
D'une main, elle s'appuie au dossier d'un sofa et tous, principalement le peintre dont le coeur sent bien des choses, trouvent qu'elle est tout à coup bien pâle.
Ils vont poser des questions, mais elle les retient d'un geste et leur sourit :
- C'est un adieu que je veux vous dire, à vous qui êtes mes amis et grâce à qui j'ai vécu mes plus douces heures. Dans un instant j'aurai cessé de vivre. Le poison que j'ai pris ne pardonne pas, ajoute-t-elle en montrant, posée sur une table, une coupe d'or où demeurent quelques gouttes d'un liquide verdâtre.
Elle entend à peine le cri de stupeur et de douleur de tous ces hommes car elle vient de chanceler. Navaggero a tout juste le temps de la retenir dans ses bras.

On s'empresse, alors, on court prévenir Chigi, qui arrive, affolé - quoiqu'elle ait pu en penser, il l'aime encore - traînant après lui des médecins qui seront impuissants, même à adoucir une atroce agonie, singulièrement plus longue que la malheureuse ne l'imaginait.
Durant deux jours, il va, désespéré, regarder mourir celle qui était la plus belle créature de son temps.
Il sait qu'avec elle s'en va la plus magnifique part de lui-même. Néanmoins, le martyre de la mourante lui permet d'obtenir le pardon de l'Eglise, qui lui évitera la fosse des suicidés. Jules II lui envoie, in extremis, sa bénédiction. On est le 15 août 1512, et Rome étouffe de chaleur, guettée par les miasmes des marais voisins.
Néanmoins (et vlan, un autre !... tongue ) cette mort va bouleverser la ville comme si Imperia en était réellement la souveraine et c'est au milieu d'un cortège immense, pompeux et tout fleuri qu'elle sera déposée dans l'église San Gregorio du mont Caelius, où son tombeau est toujours visible...



Vous m'excuserez s'il manquent des ponctuations. Certaines ont pu m'échapper. J'en ai rajouté moi-même, car elles étaient nombreuses à être absentes du texte.
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyJeu 11 Juin - 2:09

La tragédienne de l'Empire

MADEMOISELLE GEORGE


Une Clytemnestre de quatorze ans...

Le pauvre Georges Weimer, modeste "directeur" du théâtre d'Amiens ne s'était jamais trouvé dans pareille situation en ce soir de décembre 1799.
Au prix de tractations nombreuses et de sacrifices bien lourds pour sa bourse légère, il a réussi à faire venir chez la grande Raucourt, la fameuse tragédienne du Théâtre-Français pour jouer Didon. Or, à peine la Parisienne est-elle arrivée qu'elle menace de repartir en claquant les portes. La raison : la jeune comédienne retenue pour jouer Elise à ses côtés est en piteux état, un rhume affreux lui bouche la voix, le nez et lui interdit absolument de paraître en scène sous peine de faire hurler de rire toute la salle. Ce qui n'est pas le but recherché.
- Arrangez-vous comme vous voulez, dit la Raucourt, mais il me faut une Elise ou je rentre à Paris !
Alors, le bon Weimer tente une timide proposition : il a une fille, Joséphine-Marguerite, qui a quatorze ans, mais en paraît facilement trois ou quatre de plus et qui étudie pour être actrice. Elle ne s'en tire pas si mal, selon le père, et en outre elle connaît le rôle... Mais que pèse l'avis d'un père auprès d'une Raucourt pour qui, d'ailleurs, les souvenirs amiénois se ressemblent...
En effet, quelques années auparavant, elle était venue jouer Athalie dans le même théâtre et, cette fois, le jeune garçon chargé du rôle de Joas s'était trouvé défaillant. Pour éviter la catastrophe, on en avait trouvé un autre, très beau d'ailleurs et qui, une fois revêtu de la longue robe des lévites, ne manquait pas d'allure. Hélas, quand, au second acte, Athalie se rend au temple pour interroger le mystérieux adolescent et demande : "Comment vous nommez-vous ?" le vers de Racine n'éveilla aucun souvenir dans l'esprit simplet du garçon qui répondit avec un beau sourire et une grande politesse :
- Nicolas Branchu, Madame ( Razz )
La salle s'est étouffée de rire et Raucourt de fureur.
Aussi n'a-t-elle pas envie de revivre une soirée analogue. Une fois lui a suffi... Mais Weimer, au bord des larmes la supplie : elle ne risque rien de pareil avec sa Joséphine et, comme il faut à tout prix une Elise, elle consent à écouter un instant. Le théâtre fait le plein ce soir.
C'est un argument auquel Raucourt est sensible.
Elle n'est plus toute jeune et à Paris elle a un petit peu moins de succès : d'où cette tournée dans le Nord. Alors, elle accepte : "Voyons cette gamine !"

Un instant plus tard, elle reste stupéfaite devant une magnifique adolescente : Joséphine a de grands yeux noirs, une beauté classique, un peu sévère même et pour ainsi dire romaine. On lui donnerait dix-huit ou vingt ans sans hésiter. En outre, elle possède une voix chaude, pleine et sonore qui, sur le vers fait merveille. Et, bien sûr, la débutante va jouer Elise avec un plein succès. La soirée est un triomphe et Raucourt décide qu'elle emmène "la gamine" :
- Elle a le théâtre dans le sang, déclare-t-elle. Je me charge de son éducation et lui ferai une pension de douze cents francs en attendant qu'elle se suffise à elle-même.

Et voilà Joséphine-Marguerite partie pour Paris.
Pas toute seule d'ailleurs. Sa nourrice et sa brave femme de mère ont tenu à l'accompagner pour s'efforcer de protéger sa vertu. Autant le dire tout de suite cela ne servira à rien. A peine franchi le seuil de la Comédie-Française, la nouvelle va tomber dans les bras du séduisant Lafont, l'un de ses camarades.
Le trio, un peu désorienté, s'est installé rue Dauphine, dans une pension plus que modeste appelée hôtel de Thionville. Il est même si misérable qu'on le quitte bientôt pour celui du Pérou, rue Croix-des-Petits-Champs, qui l'est un peu moins et, en outre, plus proche du théâtre. C'est à ce moment d'ailleurs que Joséphine y entre : jusque-là elle se contentait d'aller prendre des leçons chez Mlle Raucourt qui habitait du côté des Champs-Elysées, l'ancienne demeure de Mme Tallien.
C'était assez loin mais la fillette et sa nourrice possédaient de bonnes jambes.
Ces visites quotidiennes ont d'ailleurs eu l'avantage de développer sont goût pour les belles choses et de constater à quel degré de luxe pouvait atteindre une comédienne de renom. Elle apprend ainsi à se tenir en société et à employer le juste ton avec ses admirateurs. Enfin, le 28 novembre 1802, elle est admise à faire ses débuts. Elle s'appelle désormais Mlle George, en hommage à son cher papa et elle va débuter dans Iphigénie en Aulide, rôle de Clytemnestre, ce qui ne va pas aller de soi.
C'est évidemment une drôle d'idée de confier un rôle essentiellement maternel et dramatique à une fille qui n'a pas encore seize ans, mais la stature de George peut permettre cette bizarrerie.
En revanche, le public, lui, n'est pas du tout d'accord et cela dès le lever du rideau. Avec, il faut bien le dire une excellente raison : le rôle de Clytemnestre était l'apanage de Mlle Duchesnois et il ne voyait pas pourquoi on le retirait à une artiste qui avait sa faveur, pour le confier à une débutante.
Autre sujet de mauvaise humeur : Talma tient le rôle distribué jusque-là à l'irrésistible Lafont. Aussi, en dépit de la présence du Premier Consul et de sa femme, la salle est-elle houleuse quand Mlle George fait son entrée.
Cris, sifflets, toutes les démonstrations d'une cabale en règle secouent le théâtre. La "nouvelle" va-t-elle se retirer ? Point du tout ! Laissant peser sur les agités son regard de velours sombre, elle entame son texte d'une voix de violoncelle qui fait courir un frisson dans le dos de ceux qui veulent bien se donner la peine d'écouter. Bonaparte est de ceux-là et séduit autant par la voix que par l'allure royale de cette enfant, il se met à applaudir à tout rompre.
Un si vigoureux soutien entraîne une partie de la salle mais sans calmer les enragés. Au quatrième acte, ils se déchaînent et George devra recommencer trois fois sa tirade. La troisième fois, elle l'achève sous un tonnerre d'applaudissements unanimes. La partie est gagnée.
Ce soir-là, c'est un autre membre de la famille Bonaparte qui va offrir ses hommages à la nouvelle étoile : Lucien Bonaparte lui envoie un nécessaire en vermeil et cent louis d'or. Il sera récompensé selon ses mérites et Mlle George va s'installer dans un bel appartement de la rue Saint-Honoré où elle va vivre enfin dans le luxe.

La romance avec Lucien ne dure guère. Celui-ci rencontre bientôt une jolie veuve, Mme Jouberthon, dont il s'éprend passionnément et qu'il épouse en dépit de la fureur de son frère. Celui lui vaudra d'être exclu, plus tard, de certaines distributions de couronnes princières voire royales. Il sera prince un jour, mais grâce au Pape.
Lucien disparu, Mlle George le remplace par un Polonais, le prince Sapieha, qui la comble de tout ce qu'une fille d'Eve peut désirer. Néanmoins, la toute jeune femme en est encore à attendre la grande aventure de sa vie.

Ce soir-là, on a joué de nouveau Iphigénie en Aulide et Mlle George est Clytemnestre. Bonaparte est dans sa loge, accompagné de Joséphine, merveilleusement parée à son habitude, mais beaucoup moins souriante que de coutume. Visiblement, elle trouve qu'une édition d'Iphigénie devrait suffire pour une vie entière et elle s'ennuie d'autant plus visiblement que son époux participe à l'action. Dieu sait qu'il y met du coeur ! Jamais on ne vit spectateur plus chaleureux. Et, à l'issue de la représentation, il tient à se faire présenter les artistes. Puis il s'en va mais, en rentrant chez elle, George constate qu'une voiture attend devant sa porte et qu'un inconnu est installé dans son salon.
Elle comprend tout de suite quand l'inconnu se nomme : Il est Constant, le valet de chambre du Premier Consul et son message est fort clair : il vient inviter la tragédienne à se rendre le lendemain au palais de Saint-Cloud. Une voiture viendra la prendre.
Un éblouissement brouille, un instant, les yeux de George. Va-t-elle donc devenir l'amie... peut-être plus du maître de l'heure ? L'idée est plutôt grisante, mais son prince polonais ne mérite pas qu'on lui joue un vilain tour, car il est généreux, tendre et empressé...
Seulement Bonaparte plaît à la jeune femme et elle sait qu'il n'aime guère qu'on le repousse. Enfin, il y a en elle une curiosité bien féminine : comment est-il dans l'amour ce foudre de guerre ?

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MessageSujet: Re: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyJeu 11 Juin - 9:13

Néanmoins Laughing Benzoni est une fameuse conteuse study
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyJeu 11 Juin - 15:01

Toutes ces hésitations ne prennent pas beaucoup de temps. Enfin, George se décide : elle ira à Saint-Cloud mais que la voiture vienne la prendre au théâtre, à huit heures comme prévus, et non chez elle.
Constant s'incline et se retire. C'est entendu : demain, huit heures à la Comédie-Française...
Une fois parti l'émissaire de Bonaparte, Mlle George a regretté de lui avoir donné rendez-vous au théâtre. Elle craint la publicité obligatoire que lui fera la venue d'une voiture du Consul, surtout vis-à-vis de son ami, le prince Sapieha. Et puis, elle n'aime pas dissimuler. Si elle doit devenir la maîtresse de Bonaparte, eh bien ! elle le sera, quitte à rompre avec le Polonais. Néanmoins, une fois dans la voiture un trac affreux s'empare d'elle et elle supplie Constant de rebrousser chemin.
Le valet de chambre de Bonaparte ne peut s'empêcher de rire : il serait bien reçu s'il revenait seul.
D'autant qu'elle n'a aucune raison d'voir peur. Le Premier Consul est d'une grande bonté et il saura d'autant mieux la rassurer qu'il l'attend avec impatience.

Naturellement, une fois à Saint-Cloud, ce n'est pas dans un salon du palais que l'on introduit la tragédienne. Après avoir laissé la voiture dans le parc, Constant conduit George à travers l'Orangerie et l'amène vers une porte-fenêtre de la terrasse devant laquelle veille Roustan, le mamelouk de Bonaparte. Le palais est tranquille, les salons sont obscurs.
Sans un bruit, la visiteuse est conduite dans une chambre élégante mais sévèrement meublée d'acajou sombre.
De grands rideaux de soie verte pendent devant les fenêtres, assortis à ceux qui drapent le lit.
Constant se hâte de les tirer, puis déclare qu'il va avertir son maître.
Assise sur un divan qui occupe un coin de la pièce, George s'efforce de dominer son trouble. Jamais elle n'a eu aussi peur ! Et quand la porte s'ouvre, elle sursaute : Bonaparte vient d'entrer. Et c'est avec beaucoup de gaieté et de gentillesse qui'l salue sa visiteuse. Il la fait rasseoir sur le divan, prend ses mains dans les siennes et s'étonne de les trouver si froides.
- Auriez-vous peur de moi ?
- Oh oui ! Depuis hier soir, je meurs de trac.
- Quel enfantillage ! Mais vous n'avez aucun rôle à jouer ici. Dites-moi votre prénom, celui dont on ne parle jamais.
- Joséphine-Marguerite...
- J'aime bien Joséphine mais ici c'est un nom redoutable. Je vous appellerai Georgina.
- Je veux bien mais... ne pourrait-on éteindre ces lumières ? Elles me blessent la vue et il me semble q'un peu d'ombre...

Il se lève alors pour ordonner à Roustan d'éteindre le lustre. Puis ce seront les candélabres.
Après quoi le dialogue, sur lequel, à partir de cet instant la tragédienne se montre beaucoup plus discrète dans ses. Mémoires, va se poursuivre jusqu'à cinq heures du matin. Tout ce qu'elle raconte encore de cette soirée c'est le coup de colère de Bonaparte qui déchire en petits morceaux le voile qu'elle porte sur la tête, quand il apprend qu'il lui a été donné par Sapieha. Après quoi, il envoie Constant chercher un grand cachemire bleu et un voile en point d'Angleterre, qu'il offre à sa nouvelle amie en se gardant bien de lui dire que ces objets viennent très certainement de chez sa femme. Mais celle-ci en possède tant !

Quoi qu'il en soit, la nuit de Saint-Cloud marque le début d'une aventure qui durera plusieurs mois.
Une aventure gaie : les deux amants jouent comme des enfants à chat-perché ou à cache-cache à moins que Bonaparte ne s'amuse à essayer, pour la faire rire, les coiffures de Georgina. Il trouve un vrai plaisir dans la compagnie de cette belle fille heureuse de vivre, simple et franche.

Hélas, cette agréable liaison n sera pas longtemps ignorée de l'autre Joséphine, la Consulesse. Celle-ci est trop femme pour n'avoir pas deviné que Mlle George ne procure pas seulement un plaisir esthétique à son mari. Une petite enquête discrète - elle est au mieux avec Fouché - achève de la renseigner et un soir où la porte de Bonaparte semble mieux gardée que d'habitude, elle n'y tient plus.
- Cette fille est chez Bonaparte ! déclare-t-elle à Mme de Rémusat, sa dame d'honneur et confidente.
Voilà assez longtemps qu'ils se moquent de moi tous les deux. Cette fois, je vais les surprendre !
Mme de Rémusat tente en vain de la dissuader : si d'aventure le Premier Consul travaille, sa femme sera au moins mal reçue, mais Joséphine tient à son idée.
Elle est certaine que son époux ne travaille pas. Il est dans sa chambre et il n'y est pas seul. Aussi toutes deux vont-elles y aller voir.
La créole est impossible à raisonner quand elle est en colère. Aussi, Mme de Rémusat, fort empêtrée de son personnage, se résigne-t-elle à prendre un flambeau et à escorter l'épouse outragée. A pas de loup, toutes deux s'engagent dans l'escalier dérobé qui conduit directement à la chambre du Consul. Le silence est complet et, sur le mur, la flamme du bougeoir jette des lueurs inquiétantes. Soudain Joséphine tressaille : elle a entendu quelque chose, quelque chose qu'elle ne parvient pas à définir.
Elle n'est pas très brave et sent même ses cheveux se dresser sur sa tête :
- C'est peut-être Roustan, chuchote-t-elle. S'il garde la porte, ce malheureux est capable de nous égorger toutes les deux sans se donner le temps de nous reconnaître...
Du coup, Mme de Rémusat, franchement épouvantée, fait demi-tour et redescend l'escalier avec la chandelle sans penser qu'elle abandonne Joséphine dans l'obscurité. Elle se précipite dans le salon qu'elles viennent de quitter et se laisse tomber dans un fauteuil, les jambes coupées. A ce moment, la Consulesse arrive à tâtons et, devant sa mine effarée, éclate de rire :
- Je crois qu'il vaut mieux renoncer à notre projet.Nous ne sommes ni l'une ni l'autre assez braves pour affronter Roustan...
C'est la sagesse. D'autant que les aventures de Bonaparte ne sont jamais de très longue durée. Peu à peu, il se laisse gagner par la lassitude ou par un désir de changement. Fidèle à son principe de franchise dévastatrice, il le fait entendre un soir à Georgina : elle lui plaît moins et il ferait peut-être mieux de la marier.
La marier ? Mais avec avec qui, grands dieux !... Eh bien, avec un général : elle quitterait le théâtre et mènerait enfin une vie honorable.
Le mot est maladroit. George déclare qu'elle juge sa vie présente fort honorable. D'ailleurs, cette proposition n'est pas sérieuse ? Et pourtant, si. Alors la tragédienne se fâche. Elle refuse un mari de convention pour qui elle n'éprouverait ni estime ni amour. Du coup, Bonaparte se met à rire :
- Tu as raison, Georgina : tu es une brave fille !

Mais la fin est proche. Quand Georgina le revoit, c'est aux Tuileries où il l'a invitée à se produire. Il est maintenant l'Empereur. Néanmoins leurs relations seront toujours imprégnées de cette amitié affectueuse qui succède si rarement à l'amour.
Toute la vie de la tragédienne sera marquée du sceau de Napoléon, auquel, contre vents et marées, elle demeurera fidèlement attachée, même lorsqu'elle lui donnera comme successeur, en Russie, le tsar Alexandre Ier qui, pour elle, fera copier l'un des diadèmes de la Grande Catherine.

Bien sûr, elle aura d'autres amants, dont Jérôme Bonaparte, le frère de Napoléon, mais aucun ne prendra en elle la petite place qu'elle gardait si pieusement.
A la chute de l'Empire, ses convictions lui vaudront quelques ennuis, mais ne l'empêcheront pas de devenir la grande étoile de l'Odéon et de la Porte-Saint-Martin dont, d'ailleurs, elle épouse le directeur, Harel, en 1818. Cet Harel est une sorte de bohème dépenaillé mais plein de charme

et c'est peut-être lui, qui, au fond, aura été son plus grand amour. Lorsqu'il meurt, en 1846, elle demeurera inconsolable.

La fin de sa vie est plaine de tristesse. Elle jouera tant que ce sera possible mais, devenue vieille et très grosse, il lui faudra quitter le
théâtre. Dès lors, elle ne vivra plus que de quelques expédients et de la maigre pension que lui avait fait verser Napoléon III.
Enfin, à près e quatre-vingts ans, le 11 janvier 1867, meurt dans la misère celle qui a été la reine du théâtre impérial et l'une des maîtresse préférées de Napoléon.

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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyJeu 11 Juin - 18:39

LA GRANDE RACHEL


Chanteuse des rues


Un soir de l'automne 1836, deux adolescentes chantent en se tenant par la main, devant la porte du café Procope. La plus grand, qui est aussi l'aînée, a dix-sept ans, mais l'autre est petite pour ses quinze ans.
Maigre aussi et, sous ses cheveux noirs, sa petite fugure pâle semble dévorée par de très grands yeux sombres, sa seule vrai beauté. En dépit d'une misère évidente, le groupe serait charmant, si les deux innocentes ne chantaient l'une de ces chansons gaillardes tout au plus bonne pour un corps de garde.
Un homme s'arrête alors. Environ trente-cinq ans, bien habillé avec un visage passionné. Il demande aux deux fillettes pourquoi chantent-elles cette affreuse chanson qu'elles ne devraient jamais avoir entendu. La réponse est navrante : elles n'en connaissent pas d'autres. L'inconnu alors sourit, prend dans sa bourse une pièce d'or, un rouleau de papier et les met dans la petite patte maigre de la plus jeune :
- Tiens, dit-il. Voilà quelques couplets qu'un de mes amis devait mettre en musique. Chantez-le sur un air ancien. Vous en connaissez bien un ?
Je vous les donne...
Et il s'éloigne sur un signe d'encouragement. la petite Rachel saura, plus tard, que l'inconnu s'appelait Victor Hugo...
C'est seulement après la révolution de 1830 que la famille Félix s'est installée à Paris. Ce sont des juifs de Metz qui pendant longtemps ont arpenté les routes dans une roulotte. Le père fait un peu de brocante, la mère, revendeuse à la toilette, des raccommodages, et les trois enfants aident comme ils peuvent.
Rachel, qui est la deuxième après Sarah et avant Rebecca - est née le 21 février 1821 à Mumpf (à vos souhaits !...), dans le canton d'Argovie.
Un garçon fermera la série des habitants de la roulotte qui, d'ailleurs, est devenue trop petite. On se fixe d'abord à Lyon puis à Paris, sous les combles d'une maison de la rue Traversière, et le cours des jours recommence à couler. Le soir on fait les comptes, car le père est aussi économe que fidèle à la loi juive.

La rencontre avec Victor Hugo porte bonheur à Rachel. Une autre nuit suit, avec un certain Choron, qui fait entrer ses protégées à l'Institut royal de Musique religieuse. Mais le chant n'est pas ce qu'elles préfèrent, et Choron les confie à un ami, Saint-Aulaire, qui dirige un cours d'art dramatique. Là, Rachel est tout de suite dans son élément. Tellement qu'elle fait ses débuts au théâtre du Gymnase, le 24 avril 1837, dans La Vendéenne.
Elle pourrait y rester, mais le théâtre de boulevard n'est pas vraiment son fait et Poirson, le directeur du Gymnase repasse sa trouvaille à Samson qui est la vedette de la Comédie-Française.
Cette fois, elle est arrivée à sa vraie place, celle d'une tragédienne-née, et après un an d'études, elle débute enfin le 12 juin 1838, dans le rôle de la Camille d' Horace.
Elle a dix-sept ans et c'est son premier succès. Un succès qui va vite devenir un triomphe.
Elle gagne quatre mille francs par mois et les finances de la famille s'en trouvent bien. Trop bien peut-être, et les choses commencent à se gâter quand le vieux Félix refuse de laisser à sa fille la plus petite part de ce qu'elle gagne. Elle disposera de son argent quand elle sera majeure. Pas avant. Or, Rachel est lassée de porter toujours la même robe en jaconas jaune à fleurs lilas et le même chapeau garni d'une rose défraîchie, qui font sourire ses camarades. Seul avantage : la famille s'est transportée dans un petit appartement de l'impasse Vero-Dodat.
Sa soeur Sarah lui donne alors un conseil : se marier !
L'idée séduit Rachel et, tout de suite, elle trouve des candidats. Le premier est un écrivain sans succès qui voit en elle un bon moyen de se faire jouer, le second, un journaliste sans talent. Un troisième personnage lui ouvre les yeux. C'est, à vrai dire, un assez triste sire, un certain Charles Maurice, qui vend très cher, aux comédiens, ses articles louangeurs. Rachel a trop de talent pour le craindre, mais il est beau et elle se met à l'aimer. C'est un mot qu'il ignore et, bien loin de songer au mariage, il fait de la jeune fille sa maîtresse, lui soutire de l'argent, puis la trompe cyniquement.
Longtemps après, la tragédienne dira de lui :
"Je me sentais salie, avilie et je me haïssais d'autant plus que j'étais sans forces contre cet homme..."
Elle caresse même un instant l'idée de le tuer et cache une arme sous sa robe de scène, mais recule au dernier moment : un scandale apprendrait à son père qu'elle a perdu sa "pureté originelle". Non, décidément, c'est une erreur que de chercher le mariage.
Sarah, alors, lui conseille de se trouver un protecteur riche... et discret. Il y en a peut-être un : et qui ne manque pas une de ses
représentations. Qui donc ? Mais le docteur Véron !
Ce n'est pas n'importe qui : il est directeur de l'Opéra - après avoir fait fortune dans les produits pharmaceutiques. Il est très riche, mais au physique ingrat, si l'on en croit Ponsard : "Il était gros, laid et avait les écrouelles..."
Rien qui puisse séduire une jeune femme au tempérament ardent. Seulement Rachel tient de son père l'amour de l'argent et Véron obtient ce qu'il désire. La tragédienne en sera récompensée par une belle maison à Montmorency où toute la famille se transporte à la belle saison. Véron d'ailleurs jure de faire de sa "petite diablesse" une reine de Paris. Il n'aura guère de peine : Rachel allie à la finesse d'un Tanagra le charme d'une voix profonde et émouvante, qui soulève la passion des foules, cette même passion dont elle est elle-même habitée et qui ne saurait se suffire d'un Véron. Les occasions ne manquent pas.

Dans la même année, elle va le tromper - oh, discrètement ! - avec Alfred de Musset, et à son retour de Venise, avec le marquis de Custin et avec le prince de Joinville, fils aîné du roi Louis-Philippe, qui revient tout juste de Sainte-Hélène, où il est allé chercher les cendres de Napoléon. C'est peut-être l'homme le plus séduisant de Paris, mais aussi un militaire, et il en a les manières.

Ce soir-là, Rachel, qui vient de jouer, dans Andromaque le rôle d'Hermione, trouve dans sa loge un billet ainsi conçu :"Où ? Quand ? Combien ?"...
Chose étrange, cette littérature à la hussarde ne blesse pas l'artiste. Sans même se donner le temps de réfléchir, elle pren du papier, une plume et répond, dans le même style :"Chez toi. Ce soir. Pour rien..."
Et, une heure plus tard, une voiture discrète, qui attend non loin de la sortie des artistes, conduit Rachel aux Tuileries... Elle déménagera bientôt : une favorite quasi royale ne peut habiter impasse Véro-Dodat. Désormais, ce sera au 23, quai Malaquais.

Cependant, les amours avec joinville ne vont pas durer très longtemps. L'orgueil et les sens y entrent pour beaucoup, mais n'engagent pas vraiment le coeur, en dépit des billets tendres, que Rachel envoie à son prince : "Je t'aime tant fort que je puis..."
La liaison s'use d'elle-même, mais elle a fait assez de bruit que que Véron apprenne son infortune. Il ne fera pas de tapage - ce n'est pas dans sa manière - et d'ailleurs la tragédienne avait pris soin de rompre avec lui, mais il n'en a pas moins ressenti une blessure d'amour-propre, dont il va se venger, à sa manière de gros matou sournois, d'une bien vilaine façon.
Un soir où il reçoit des amis recrutés comme par hasard parmi les pires langues de Pris, il ouvre devant eux, au dessert, entre les vapeurs du café turc et la fumée des cigares, un paquet de lettres, celles que Rachel lui a écrites au début de leur liaison et il va les lire une à une, à haute voix au milieu des plaisanteries grivoises, car il sait bien qu'une femme peut se couvrir de ridicule en employant certains mots, certaines phrases pour un homme de sa tournure. Il espère que Rachel ne s'en relèvera pas. En fait, il se flatte et son calcul est mauvais : Paris aime trop sa tragédienne, pour s'arrêter à cet assez répugnant déballage. Quant à Rachel, après s'être livrée à une colère de bohémienne, elle décide de ne pas réagir. Véron est mort pour elle.
D'ailleurs, elle vient de rencontrer celui dont elle pense qu'il sera l'homme de sa vie ; il est jeune, beau, riche, noble et, qui mieux est, il porte la plus éclatante des auréoles car il est le fils de Napoléon Ier et de son "épouse polonaise" : c'est le comte Alexandre Walewski...


Le fils de l'Empereur

1843. Les débuts de la liaison avec Walewski sont éclatants. Amoureux comme un collégien, Alexandre enlève Rachel du quai Malaquais pour lui offrir un magnifique hôtel particulier au n°4, rue Trudon. Malheureusement, il la laisse le décorer à son idée et elle en fait une rétrospective des styles à travers l'histoire. On y trouve un escalier gothique, une chambre Louis XV, une salle à manger et une salle de bains étrusques, un grand salon Louis XIV et un petit salon chinois. Tout ce que Paris compte de gloire et d'esprit viendra le visiter : Lamartine, Béranger, Chateaubriand, Musset - encore lui ! - Alexandre Dumas (père !) qui tente de séduire la maîtresse de maison, et aussi le ménage de Girardin, dont la femme, Delphine Grey, est la reine de la presse parisienne.
Au bout d'un an, un petit garçon vient au monde, que l'on nomme Alexandre. Le père est tellement heureux qu'il songe même au mariage, en dépit des différences profondes qui le séparent de sa maîtresse.
Rachel est habitée par un appétit de vivre qui suffoque le diplomate épris, avant tout, de calme et de modération. Cette femme excessive, pour qui la vie n'est qu'une suite de plaisirs, le déroute. Elle est géniale et mal élevée, inculte et inspirée. Elle aime brûler l'existence jusqu'à en tomber de fatigue et oblige son amant à une perpétuelle gymnastique intellectuelle : il ne sait jamais, quand il arrive, s'il va trouver Phèdre, Chimène, Marie-Stuart... ou Jeanne d'Arc.

Ce jeu l'essouffle, mais il s'en accomoderait peut-être, si au bout de trois ans, Rachel ne commettait une grave erreur : celle de prendre pour amant Emile de Girardin, le roi des journalistes, mais aussi le mari de Delphine la redoutable. Qui d'ailleurs ne se doute même pas de ce que son époux a déjà une maîtresse, une certaine Esther Guimond, lionne à la mode, jolie, spirituelle et intelligente, qui a élevé le métier de grande courtisane jusqu'à des hauteurs extrêmement rémunératrices et qui n'a aucune envie de se faire couper l'herb e sous le pied par Athalie. Et elle écrit :
"Ne vous ai-je pas surprise en fiacre, à deux heures du matin, revenant de souper mystérieusement avec M. de Girardin, hier 17 mars 1846 ? Retenez bien cette date, car c'est à compter de ce jour qu'il m'a juré ne plus vous revoir. En échange de la parole qu'il m'a donnée, je promets le silence et, pour cette fois, Mme de Girardin ne saura rien, ni les visites que vous a faites son mari, ni vos parties de campagne, i vos soupers, ni le reste. Car, quoi qu'oj en ait pu dire, ces scandales ne sont pas de mon goût et me sont interdits à jamais par mes sentiments pour M. de Girardin. Renoncez courageusement à une de ces coquineries si savoureuses pour les femmes : moi je déposerai les armes..."

Au reçu de cette lettre Rachel, passé la première colère réfléchit. Girardin lui plaît, mais pas à ce point-là et se mettre sa femme à dos
pourrait être lourd de conséquences. Elle accepte donc le marché et rompt sans bruit, espérant ainsi acheter la paix. Mais elle a compté sans la perfidie d'Esther Guimond. Celle-ci ne dira rien à Delphine, mais Walewski, lui, aprendra sa mésaventure.
La rupture est immédiate. En dépit des larmes de Rachel, Walewski s'éloigne, laissant à la coupable son hôtel et tout ce qu'il lui a offert, mais il emmène son fils. Il part pour Florence où, le 4 juin suivant, il épouse Marie-Madeline de Ricci, une éblouissante jeune fille.
La nouvelle du mariage frappe Rachel plus cruellement qu'elle ne le pensait. Elle l'avoue simplement dans une lettre à une amie :"Je suis si accablée, si étourdie du coup affreux que j'ai reçu par la nouvelle du mariage de W... que je ne puis trouver assez de sang-froid pour vous écrire longuement. les torts sont trop de mon côté. Il me faut pleurer et non me plaindre : j'ai tout fait et Dieu m'a punie. Tout est fini pour moi..."

Heureusement, il n'en est rien. De sa douleur sincère la tragédienne tire un surcroît de talent. Jamais ses cris de souffrance n'ont été si
beaux... Mais elle trouvera aussi la consolation après avoir obtenu le retour de son fils, car elle n'est pas femme à pleurer longtemps. Un beau garçon passe à sa portée. Il se nomme Arthur Bertrand et il est le fils de ce général qui suivit si fidèlement Napoléon à Saint-Hélènbe.
Décidément, la légende de l'Aigle continue à poursuivre Rachel. Elle aime Bertrand pour sa beauté dans chercher à en savoir davantage, ce qui est une bonne chose, car c'est un assez mauvais sujet.

En 1848, Louis-Philippe tombe, mais Rachel reste. De la poussée républicaine qui secoue la France, elle retire même un supplément de popularité, redevient chanteuse pour un temps et parcourt le pays en chantant La Marseillaise drapée dans un drapeau tricolore : un triomphe !

Mais ce serait s'avancer beaucoup que croire solides ses convictions politiques toutes neuves. Elles ne résistent pas à une présentation au prince Louis-Napoléon. Après le fils de l'Empereur, Rachel fera les délices de son neveu, pendant quelque temps. Juste celui de s'éprendre de Mlle de Montijo et de lui offrir de partager sa couronne impériale toute neuve. Rachel sera en bons termes avec l'impératrice puis, pour rester fidèle à elle-même, elle remplace l'Empereur par son cousin, le prince Jérôme Napoléon, que les Parisiens ont surnommé Plon-Plon, ce qui est tout un programme.

Ce débauché marque le début du déclin de Rachel. D'abord sa santé n'est pas des meilleures ; les premières atteintes de la phtisie commencent à se faire sentir. Au théâtre, le public, toujours instable se trouve une nouvelle idole : Adélaïde Ristori, qui ne vaut pas Rachel, et deloin, et qui ne laissera d'ailleurs pas son nom à l'Histoire. Enfin, la tragédienne, par ses caprices, s'est fait de nombreux ennemis. En tête, l'affreux Charles Maurice, le premier amant. Ecoeurée, elle part en tournée et retrouve le triomphe : l'Angleterre d'abord, où la reine Victoria lui offre un bracelet, puis la Hollande et enfin la Russie où elle use encore un peu de ses forces dans les excès de la vie nocturne.
De retour à Paris, elle s'aperçoit que son étoile est ternie. Sur les conseils de son frère Raphaël, qui a pris le relais du père et se révèle homme d'affaires, elle part pour l'Amérique avec toute sa famille. Malheureusement, la tournée est un fiasco, dont Rachel revient épuisée.
Après avoir essayé de la campagne - elle a acheté un superbe domaine à Thun, sur la route de Mantes, elle se décide, à l'automne 1856 à suivre les conseils de son médecin qui recommande l'Egypte.
Elle sait qu'elle n'a plus grand-chose à attendre, sinon la mort. Et pourtant, c'est alors que l'amour lui tend une dernière perche : la plus solide.
Il s'appelle Gabriel Aubaret et il est commandant en second sur le navire qui emmène la tragédienne à Alexandrie. Il est de cinq ans plus jeune qu'elle, mais il est bon, loyal, sincère et cette femme diaphane, qui porte sur ses épaules le poids de tant de gloire l'émeut. Cette émotion se change vite en amour et Rachel croit revivre. Est-ce que, vraiment, on peut encore l'aimer à ce point ? Alors, elle ne va pas rester en Egypte, où Gabriel ne la verrait pas souvent. Elle rentre en France, son amant loue pour elle une propriété près de Montpellier, non loin de sa propre famille. Il espère l'épouser, mais chrétien et même pieux, il essaie de convertir Rachel au catholicisme. Ce qui déchaîne la fureur de la famille Félix et, le jour où Rachel doit abjurer le judaïsme, elle reçoit un télégramme - faux ! - qui la rappelle à Paris ; son fils est malade. Elle quitte Gabriel désespéré.
A Paris où elle a vendu son hôtel de la rue Trudon, elle s'est installée Place Royale où, dans un très bel appartement, elle reçoit encore le Tout-Paris. L'Empereur et l'Impératrice lui ont conservé leur amitié.
Mais le mal empire. La toux destructrice la mine. Elle ne veut pas retourner à Montpellier et elle accepte l'offre de la villa Sardou, au Cannet, une villa de style pompéien où sa chambre à l'air d'un mausolée antique.
Elle s'y rend avec Sarah : quelques jours de joie au milieu des orangers. Ses fidèles viennent la voir et surtout Gabriel refuse de la quitter. Il y a aussi, bien sûr, la famille, l'envahissante famille. Et c'est au chant des psaumes hébraïques, au milieu des siens que, le dimanche 3 janvier 1858, la Grande Rachel s'éteint dans les bras de son médecin, le docteur Czernicki. Elle n'a pas trente sept ans et elle emporte avec elle l'une des plus hautes gloires du théâtre.
Ramenée à Paris, elle aura des obsèques presque nationales comme, plus d'un siècle plus tard, la grande Edith Piaf, qui lui ressemble par bien des points. Une foule immense l'accompagne au Père-Lachaise, où elle repose toujours, cependant que la Comédie-Française révère encore en elle celle qui fut peut-être sa plus grande tragédienne.

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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyVen 12 Juin - 0:59

LA DAME AUX CAMELIAS

Un soir aux Variétés

Un jour de septembre 1844, deux jeunes "lions" c'est-à-dire deux jeunes gens appartenant à cette jeunesse parisienne élégante, romantique et dorée par intermittence, se rencontrent à la promenade à cheval en forêt de Saint-Germain et, comme cela arrive aisément lorsque l'on a vingt ans, ils se sont tout de suite liés d'amitié et décident de continuer la journée ensemble : l'un se nomme Eugène Déjazet et il est le fils de la célèbre comédienne Virginie Déjazet, mais l'autre porte un nom encore plus célèbre : on l'appelle Alexandre Dumas fils pour le distinguer de son monumental père, le grand Alexandre Dumas qui vient tout juste de faire paraître Les Trois Mousquetaires, le roman vedette que les foules s'arrachent.
Les deux nouveaux amis pourraient d'ailleurs aller dîner chez lui, à la Villa Médicis où il tient table ouverte mais préférant leur seule
compagnie, ils optent pour un autre programme ; ils iront au théâtre et ensuite souperont dans un endroit à la mode. Alexandre propose des Variétés, un peu boudé par les femmes du monde mais où celles du demi-monde souvent plus belles viennent volontiers. C'est donc là qu'ils dirigeront leurs pas.
Ayant réussi, non sans peine, à s'assurer deux fauteuils dans une salle déjà bien remplie ils se livrent tout d'abord à l'occupation habituelle des jeunes élégants au théâtre ; examiner à la lorgnette les femmes qui ornent les loges. La pièce, en effet, ne les intéresse que médiocrement.
Les jumelles d'Alexandre Dumas ne vont pas loin et se fixent sur l'une des deux grandes loges d'avant-scène, illuminée par une femme
merveilleusement belle, vêtue d'un robe de satin blanc largement décolletée avec, autour du cou, une rivière de diamants.
Quelque temps plus tard, devenu un dramaturge célèbre il la décrira ainsi : "Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d'émail comme une Japonaise mais vifs et fiers, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde. On aurait dit une figurine de Saxe..."
Pour l'instant, elle l'éblouit et il remarque à peine l'homme âgé et richement vêtu qui l'accompagne ; il ne voit qu'elle et le bouquet de
camélias blancs posé devant elle sur le velours rouge de la loge. Et, naturellement, il demande à son compagnon s'il la connaît.
Déjazet se met à rire. Comment ? Le fils du grand Dumas ne connaît pas la plus célèbre des courtisanes de Paris ? Eh bien non, il ne la connaît pas mais comblerait volontiers cette lacune. Déjzet alors s'exécute : la belle se nomme Marie Duplessis. Elle n'a que vingt ans mais elle est déjà célèbre par sa beauté, son luxe, son élégance et même sa culture, car elle lit beaucoup.
Quant au vieil homme, c'est l'ancien ambassadeur de Russie, le comte Stackelberg, fabuleusement riche qui dépense pour elle une fortune. Chaque jour, il lui offre ces camélias que l'on commence à associer à son nom et qu'il paie très cher parce qu'elle ne supporte pas les fleurs parfumées.
En réalité, la belle enfant s'appelle Alphonsine Plessis, née en Normandie, à Nonant-le-Pin, le 15 janvier 1824, fille d'un mercier ivrogne qui, dès l'âge de treize ans, la vendait à ses clients contre quelques verres. A quinze ans, elle a fui cette horreur, est venue à Paris et s'y est placée comme lingère puis comme modiste et, pour se distraire, elle a fréquenté le fameux bal Mabille.
C'est là qu'elle rencontre, un jour, le journaliste Nestor Roqueplan qui lui fait changer de nom et lui conseille de s'intéresser uniquement aux hommes fortunés. Cela commence mal : un restaurateur du Palais-Royal l'installe dans un petit appartement de la rue de l'Arcade où il prétend la séquestrer. Elle s'échappe, devient la maîtresse du jeune duc de Guiche et, grâce à lui, grâce aussi à ceux qui lui succèdent : Edouard Delessert, Henri de Contades, Fernand de Montguyon, Marie va acquérir les manières parfaites et le vernis de culture qui vont lui donner son image définitive. Elle est, en outre, une excellente maîtresse de maison et dans son grand appartement du 11, boulevard de la Madeleine (le 16 actuel) Marie va recevoir toute la noblesse masculine et tout ce que Paris compte d'illustrations littéraires... dont le père Dumas.

Il y a, dans la salle, une autre femme avec laquelle Marie semble avoir établi une sorte de télégraphie discrète. C'est une modiste en vogue nommée Clémence Prat, une entremetteuse aussi mais elle est pour la jeune femme non seulement une voisine mais aussi une amie fidèle. Si Dumas veut se faire présenter, c'est elle qu'il faut aller visiter l'entracte. En dépit d'une certaine répugnance, Alexandre accepte et la Prat l'invite chez elle après le spectacle : Marie, qui ne se couche jamais avant deux heures du matin y passe toujours un moment, car elle souffre de la poitrine, mais la fièvre en général la quitte vers cette heure tardive.
Dumas est atterré ; malade, une si jolie femme ? Mais, à la savoir menacée, elle lui paraît plus attirante encore. Et il se laisse conduire chez Clémence où ils vont attendre, lui et Eugène, que Marie vienne ou appelle son amie par la fenêtre. C'est ce qui se passe et il peut bientôt s'incliner sur une petite main pâle ornée de fort beaux diamants.
Quant à Marie, il est visible que ce grand garçon brun aux manières parfaites lui plaît beaucoup. Elle le lui dit d'ailleurs sans ambages. Après quoi, on organise un petit souper très gai. Un peu trop peut-être !
Alexandre souffre de voir sa créture de rêve boire le champagne sans retenue et répondre joyeusement aux plaisanteries les plus fortes. A mesure qu'elle boit d'ailleurs, ses joues se colorent d'une rougeur fiévreuse et, finalement, secouée par une brusque quinte de toux, elle quitte la table en courant. Dumas la rejoint dans un petit salon et la trouve étendue, les yeux clos, sur un canapé. Dans une cuvette posée à terre il y a des traces de sang. Alors il s'assoit près d'elle, prend sa main et dit son inquiétude. Il la connaît à peine et pourtant il lui est intolérable de la voir souffrir. Cette vie insensée la tue et il voudrait tant l'aider, la soutenir... l'aimer enfin. Il ne prononce pas le mot mais elle a deviné :
- Ainsi vous êtes amoureux de moi ? Dites-le tout de suite, ce sera plus simple.
- Si je dois vous le dire un jour, ce n'est pas aujourd'hui.
- Alors vous ferez mieux de ne le dire jamais car il ne peut résulter que deux choses de cet aveu : ou bien je ne vous accepte pas et vous m'en voudrez, ou je vous accepte et vous aurez alors une triste maîtresse. Une femme nerveuse, malade, triste ou gaie d'une gaieté plus triste que le chagrin ; une femme qui crache le sang et qui dépense cent mille francs par an. C'est bon pour un vieux richard mais bien ennuyeux pour un jeune homme comme vous...
Ce fut ensuite le silence. Dumas regardait avec une compassion pleine de tendresse cette femme ravissante qui disait des choses si navrantes fuyant la réalité dans l'ivresse et l'insomnie.
Il voulut parler encore mais elle le fit taire. Il disait des enfantillages et mieux valait retourner dans la salle a manger. Il obéit, déjà trop amoureux pour la contrarier en quoi que ce soit, mais dans les jours qui suivirent, il revint assidûment boulevard de la Madeleine, décidé à l'impossible pour arracher Marie à cette existence désastreuse et pour conquérir son amour.

Il se fit son compagnon de chaque jour, l'ami tendre et prévenant qui entoure de mille soins, qui soutient et qui console. Tant et si bien qu'un jour Marie dit à celui qu'elle avait surnommé "Adet" en additionnant ses initiales A et D :
- Si vous me promettez de faire toutes mes volontés sans dire un mot, sans la moindre observation, surtout sans me questionner, je vous aimerai peut-être...
Naturellement, il promit tout ce qu'elle voulait. Et Marie, alors, décida très calmement qu'elle allait en effet aimer le "cher Adet"...

Un papillon affolé

Comme il arrive chaque fois qu'un amour commence, les jours qui suivirent l'abandon de Marie furent merveilleux pour elle et Dumas. Rompant avec

ses riches protecteurs, la belle aux camélias vécut exclusivement pour son nouvel amant. On les vit ensemble dans les bois de Meudon, cueillant

des fleurs ou se roulant dans l'herbe. Marie Duplessis abandonnait ses satins et ses diamants pour s'habiller de mousseline candide ou de percale fleurie et, chaque matin, elle faisait porter à son cher Adet le programme de la journée. Des programmes qui étaient pour elle le comble de la simplicité mais qui se révélaient finalement très onéreux pour un jeune homme peu riche. Chaque soir, en effet, il fallait aller au spectacle, souper dans un endroit gai. Rien que les camélias à renouveler chaque jour le ruinaient en dépit de l'aide de son père, toujours généreux mais souvent à court d'argent.
Alors incapable d'accepter la moindre diminution de son train de vie, Marie revit en secret le vieux comte Stackelberg mais, surtout, un nouvel adorateur se présent et elle ne lui résista guère. Celui-là, jeune, noble et très riche. Petit-fils du célèbre banquier Perregaux, il est régent de la Banque de France et porte à Marie une folle passion. Grisée, celle-ci se laisse adorer et couvrir de joyaux que le pauvre Dumas admire d'un oeil chaque jour plus irrité car il ne croit guère à la génération spontanée de ce genre de colifichets. Marie a beau lui dire que "le mensonge blanchit les dents !" il sait bien qu'elle lui ment et il le prend de plus en plus mal. Des scènes éclatent et Marie reproche à son amant de vouloir l'abaisser à une existence bourgeoise.
Le malheureux en souffre. En outre, ses dettes atteignent le chiffre de 50 000 livres. Alors, dans la nuit du 30 août, il écrit cette lettre :

"Ma chère Marie, je ne suis ni assez riche pour vous aimer comme je voudrais ni assez pauvre pour être aimé comme vous le voudriez. Oublions donc tous deux, vous un nom qui doit vous être à peu près indifférent, moi un bonheur qui me devient impossible..." L'hiver sera triste pour le jeune homme mais, au printemps suivant, son père l'emmènera en Espagne et en Algérie en pensant que le voyage sera un bon antidote.
Pendant ce temps, Marie poursuit sa vie insensée.
La lettre d'Adet lui a fait un peu de peine mais pas beaucoup : elle sait qu'elle n'a pas de temps pour les regrets. D'ailleurs, à peine Dumas disparu, elle s'attache Franz Liszt que lui a présenté le Dr Koreff, son médecin ; une passion rapide, violent, uniquement sensuelle et que le musicien fuira pour n'en être pas victime. Il écrira plus tard : "Je ne suis parti ni pour les Marion Delorme ni pour les Manon Lescaut mais celle-là était une exception : elle avait beaucoup de coeur..."
De cette affirmation Dumas pourrait douter mais au fond aucun de ses adorateurs ne songe à lui offrir ce dont elle rêve : le mariage.
- Vous autres hommes, dit-elle à Perregaux, vous prenez tant qu'il y a à prendre puis vous partez sans regrets, sans un souvenir.

Car à présent elle se sait condamnée. La fièvre la quitte de moins en moins et elle a encore maigri, mais cela ne l'empêcher pas de se jeter vers l'illusion des plaisirs, comme un papillon affolé, pour y consumer sa vie. Et c'est sans doute la pitié qui pousse Edouard Perregaux à lui offrir ce mariage dont elle rêve. Et comme elle s'étonne, allègue le scandale que la famille ne pardonnerait pas, il trouve une solution : il doit partir pour l'Angleterre afin d'y régler quelque affaire et ils se marieront là-bas sans tapage !
Devenir comtesse Perregaux ? Jamais Marie n'a rien espéré de semblable. Elle serait l'une des premières dames de Paris au lieu d'en être la première courtisane ! Elle accepte, bien sûr, et, le 21 février 1846, Perregaux l'épouse devant le Register du comté de Middlesex.
Assurément, le mariage n'est pas tout à fait régulier, car les bans n'ont pas été publiés. En outre, il n'est pas valable en France mais ce que souhaite Edouard c'est parer les derniers mois de Marie d'une douce illusion, l'installer outre-Manche dans une somptueuse propriété où elle pourrait tenir son rang sans scandale et, peut-être, lui faire retrouver un peu de santé au bon air de la campagne anglaise. L'hiver, il propose de l'emmener au soleil de la Méditerranée et demander à l'amour de faire un miracle.
Hélas, Marie ne comprend pas, n'accepte pas. Ce qu'elle veut c'est vivre à Paris pour y reprendre une vie joyeuse et pourquoi pas paraître à la Cour de Louis-Philippe ? Une courtisane chez le roi bourgeois !
Quelle folie !... Alors plantant là son époux, elle s'enfuit, rentre boulevard de la Madeleine et, avec une joie enfantine, fait peindre ses
armes toutes neuves sur les portières de sa voiture.
Malheureusement le mal empire rapidement. il faut quitter Paris et Marie, affolée, court de ville d'eaux en ville d'eaux cherchant à retenir cette vie qui la fuit.
On la voit à Spa, à Ems où, prise peut-être d'un remords, elle écrit à Perregaux : "Pardonnez-moi, mon cher Edouard, je vous en prie à deux genoux. Si vous m'aimez assez pour cela, rien que deux mots : mon pardon et votre amitié. Ecrivez-moi poste restante à Ems, duché de Nassau. Je suis seule ici et très malade.
Donc, cher Edouard, vite mon pardon. Adieu..."
Elle ne recevra pas de réponse ; Perregaux voyage beaucoup et la lettre l'attendra longtemps. Plus malade que jamais, elle regagne Paris puisque c'est le seul endroit où elle peut vivre encore et, durant quelques semaines, on la verra aux avant-scènes des théâtres et dans des fêtes où elle apparaît comme l'ombre d'elle-même. Elle est seule désormais et pour continuer à afficher le même train de vie, elle vend l'un après l'autre ses plus beaux bijoux. Le monde apparemment l'oublie...
Sauf peut-être un seul homme ! De Madrid, Alexandre Dumas lui écrit le 18 octobre. Il dit qu'il a reçu de mauvaises nouvelles par un ami, qu'il part pour Alger et lui demande de lui écrire poste restante là-bas pour lui dire si elle lui pardonne d'être parti... Il l'aime encore tellement que c'est lui qui s'accuse, mais, lui non plus ne reçoit pas de réponse : Marie n'a plus la force ni même l'envie de lui écrire.
Elle ne peut même plus sortir. Veillée par sa femme de chambre et par son amie Clémence Prat, que son état désole, elle erre de son lit à sa chaise longue vêtue d'un peignoir blanc et la tête enveloppée d'un cachemire rouge. Elle ne dort plus et, souvent, la nuit, accoudée à sa fenêtre, elle regarde avec envie passer les gens qui sortent des théâtres et s'en vont souper.
Vient enfin le jour où elle ne peut plus se lever et où elle comprend que tout est fini. Clémence vient alors lui dire que son mari est là et
qu'il demande à la voir, mais elle refuse. Il l'a abandonnée quand elle appelait au secours et d'ailleurs ce mariage anglais n'était qu'une
comédie. Il voulait l'obliger à vivre à l'étranger...


Désolé, Edouard se retire. Une heure plus tard, un fleuriste apporte un énorme, un gigantesque bouquet de camélias, que Marie regarde à peine.
Plus rien ne l'intéresse et elle souhaite seulement que ses souffrances prennent fin.
En dépit de ce qu'elle a dit à Clémence - "Je ne veux plus voir un seul homme !" - elle en laisse cependant un approcher jusqu'à elle : le
vicaire de la Madeleine, qui vient la réconcilier avec Dieu. Etrange confession dont on prétend qu'elle se déroule tandis qu'au dehors Paris fêtait le carnaval. C'est le 3 février 1847 que mourut Marie Duplessis, veillée seulement par sa femme de chambre et par Clémence Prat.
Mais deux jours plus tard, une foule énorme suivit le convoi funèbre. De tous ceux qui l'avaient aimée, deux hommes seulement étaient là : Edouard Perregaux et son ami Delessert. La débauche de camélias blancs qui neigeaient sur le char funèbre était leur oeuvre commune. - Marie fut enterrée au cimetière Montmartre, dans le caveau provisoire d'abord puis dans celui que Perregaux fit élever pour elle.

Quant à Alexandre Dumas, ce fut en arrivant à Marseille qu'il apprit la nouvelle de cette mort et, quand il atteignit Paris ce fut pour assister à la vente publique des meubles et objets qui lui avaient appartenu. Là encore il y avait foule et Adet vit partir avec douleur, aux mains de femmes banales, les robes qui avaient paré si délicieusement Marie.
Poursuivi par le chagrin, un mois plus tard, il écrivait un roman - la pièce viendra ensuite - dédié à celle qu'il avait tant aimée. Ce

fut La Dame aux camélias. Il l'écrivit d'un seul jet mais il ignorait alors, en dépit du succès immédiat, qu'il allait immortaliser
aux yeux du monde entier la pauvre, adorable et folle Marie Duplessis...
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MessageSujet: Re: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyVen 12 Juin - 10:18

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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyVen 12 Juin - 15:07

BLANCHE D'ANTIGNY


Modèle de Nana (pour les ignares, "Nana" est l'héroïne d'un roman d'Emile Zola... Razz clown )

Une enfance à la campagne

Dans les derniers jours du printemps 1868, les Parisiens habitués des Champs-Elysées et du bois de Boulogne ont pu contempler un spectacle aussi plaisant qu'inattendu : une rayonnante et fort élégante jeune femme se prélassant dans une étonnante voiture basse, pourvue de grandes roues et menée par une sorte de moujik coiffé d'astrakhan noir, botté de cuir et vêtu d'une tunique bouffante en satin jaune sur des culottes de velours noir. La voiture était laquée noir, les roues noir et or assorties aux coussins de velours de l'intérieur. Quant à la jeune femme elle arborait une immense crinoline tendue de dentelle noire et une large capeline, assortie absurdement abritée du soleil par une minuscule ombrelle à manche d'or. Et elle souriait à tout le monde.
Belle à ravir d'ailleurs avec un teint de lait, de grands yeux verts abrités de longs cils et une somptueuse chevelure abondante et dorée comme une moisson réussie.

Attelée de trois chevaux nerveux, l'étrange carrosse qui était un droschki russe, filait comme le vent mais pas assez vite cependant pour que certains élégants promeneurs, la première surprise passée, ne l'eussent reconnue. Et d'une monture à l'autre, d'une voiture à l'autre, son nom courut à sa suite comme une traînée de parfum :
- Mais c'est Blanche d'Antigny ? Elle est donc revenue de Russie ?
Et les cancans d'aller leur train, plus rapides encore que le droschki et tournant autour d'une seule question : s'agissait-il d'un simple séjour ou d'un retour définitif ? La belle Blanche avait-elle enfin rompu avec son prince russe ou venait-elle seulement faire le tour des couturières et des modistes ?


Pendant ce temps, la jeune femme se laissait emporter en fermant à demi les yeux pour mieux savourer cette vitesse qu'elle aimait. Parfois, quand elle saisissait un salut au passage, elle répondait d'un sourire mais refusait de s'arrêter : elle ne voulait pas qu'on lui gâchât cette première randonnée dans Paris car elle était infiniment heureuse d'y revenir, elle qui, pourtant l'avait quitté si allègrement quelques années plus tôt. Bien décidée d'ailleurs à n'y revenir que riche, très riche même ! A présent c'était chose faite grâce aux libéralités de son prince mais aussi aux présents fastueux de quelques autres messieurs, moins possessifs et tout aussi généreux.
La richesse ! Le diable seul savait à quel point elle en rêvait lorsqu'elle était toute jeune. A partir de sa dixième année. D'ailleurs, de sa petite enfance, elle ne gardait que des souvenirs pleins de fraîcheur qui avaient beaucoup contribué à lui forger un heureux caractère et une grande joie de vivre.
Cette enfance modeste Blanche l'avait passée à Martizay, un joli village de Brenne où on ne la connaissait que sous son nom de baptême. Marie-Ernestine Antigny née en 1840. Son père était menuisier et sa mère, Florine, s'occupait de son ménage et de ses enfants car la future beauté - que nous continuerons d'appeler Blanche pour plus de commodité - était l'aînée de Jean, un garçon de deux ans plus jeune et d'Adélaïde, la toute petite qui avait huit ans de moins qu'elle.

Or, la naissance de cette petite fille fut marquée d'un sérieux avatar familial : tandis que Florine gisait encore sur son lit d'accouchée, son époux profitant de cette quasi-immobilité pliait bagage et s'en allait joyeusement exercer ses talents à Paris en compagnie d'une fille du village qui avait sut exploiter habilement l'indisponibilité de la future mère (scalope Razz ).
La réaction de l'épouse abandonnée fut immédiate : confiant ses trois petits à sa belle-soeur, la tante Radegonde, elle prit à son tour le chemin de Paris, bien décidée à n'en revenir qu'en compagnie du fugitif.

Les enfants ne pâtirent nullement de son absence. Radegonde était une excellente femme qui adorait ses neveux et s'en occupa avec autant de tendresse que de sa propre fille Clarisse qui était la meilleure amie de Blanche. Et ce fut même une merveilleuse existence faite d'école buissonnière et de ces plaisirs infinis que les gamins point trop surveillés savent tirer de la campagne.
Au bout d'un moment, on eut tout de même des nouvelles d'Antigny : à Paris, Florine avait bien retrouvé son Jean mais celui-ci refusait farouchement de reprendre la vie conjugale et de retourner à Martizay. En foi de quoi, fermement accrochée à son projet, Florine décida de rester sur place jusqu'à la victoire.
En attendant, elle s'installa dans une chambre et travailla comme lingère.

Dans ces conditions, évidemment, il ne pouvait être question de faire venir les enfants mais, au bout de deux années, la mère finit tout de même par obtenir de Jean qu'il s'occupe un peu de ses trois petits :
- Il n'y a aucune raison que ce soit la femme de ton frère qui veille sur tes enfants, lui déclara-t-elle sans trop de logique et en oubliant absolument que les enfants en question étaient aussi les siens. Mais elle aimait cet homme et voulait à tout prix rentrer au village à son bras.
C'est malheureusement un drame qui décide l'époux volage à regagner Martizay : le petit Jean vient de mourir et le bébé d'Adélaïde , qui n'a guère que deux ans, n'est pas en très bonne santé. Alors, un beau matin, Antigny tombe comme la foudre chez Radegonde, récupère ses filles et les emmène à Paris sans presque leur laisser le temps de respirer. Puisqu'on l'exige il va s'occuper mais comme cela lui convient.
Il y en a une, en tout cas à qui cela ne convient pas. Blanche pleure comme une fontaine en quittant sa chère Clarisse, le grenier de la tante Radegonde où elles se faisaient des colliers de raisins secs et de petits oignons et les bords de la Claire où il faisait si bon flâner et regarder courir les nuages, couchées dans l'herbe en écoutant le cri des martins-pêcheurs.
Et puis elle aimait bien sa tante qui chaque soir venait l'embrasser en bordant ses couvertures...

A Paris, cependant, une chance l'attend : parmi les nobles et riches clientes pour lesquelles travaille sa mère, il y en a une qui, séduite par son joli visage et sa gentillesse, décide de se charger de son éducation et la fait entrer, fastueusement, au très célèbre couvent des Oiseaux où elle va recevoir instruction et éducation. Blanche montre un goût prononcé pour la géographie, l'histoire sainte et le chant où elle fait preuve d'une jolie voix.

Peut-être fut-elle devenue institutrice dans quelque château si, sa protectrice venant à mourir d'une fluxion de poitrine, notre future vedette n'avait été contrainte de quitter l'aristocratique couvent où plus personne ne se souciait de payer pour elle. Elle n'en fut pas autrement désolée, préférant déjà le mouvement et la vie des rues et des magasins élégants de la capitale.
D'ailleurs, grâce à la recommandation de la mère d'une camarade, Blanche Antigny entra comme vendeuse dans le très chic magasin de modes "A la châtelaine" qui tenait ses assises au n° 34 de la rue de Bac. Il y avait là de beaux magasins, bien approvisionnés, encore mieux fréquentés comme le fameux Petit Saint Thomas, nouveautés en tout genre et le confiseur Seugnot.


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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyVen 12 Juin - 16:00

BLANCHE D'ANTIGNY (suite)

Sage vendeuse dans la journée, Blanche alors âgée de quinze ans ne voit aucune raison pour que ses soirées soient aussi austères et, le magasin fermé, elle s'en va danser au bal Mabille ou à la Closerie des lilas où elle remporte un vif succès : sa beauté blonde éclate d'autant mieux que la découverte de l'amour lui donne un éclat irrésistible. Les garçons se roulent littéralement à ses pieds et quelques élégants fêtards qui aiment assez fréquenter les grisettes ne tardent pas à trouver fort à leur goût cette ravissante fille qui n'a pas froid aux yeux. Elle a quelques amants et commence à cultiver l'élégance vestimentaire avec goût.
Est-ce en mesurant des dentelles ou en gambillant à la Closerie qu'elle fait, un jour, la conquête d'une sorte de nabab : le prince Paul Mesentsov, chef de la police du tsar Alexandre II qui prend feu pour elle et décide que si elle est faite pour la mode ce n'est certainement pas pour s'en occuper derrière un comptoir ! Et, sans autres explications, il l'extrait de la Châtelaine...

L'art de se faire jeter dehors

Comme il se doit en pareil cas, le prince Mesentsov qui sait ce que l'on doit à une jolie femme commence par installer Blanche dans un bel appartement au n° 1, rue des Ecuries-d'Artois et à la couvrir de présents mais il ne tarde pas à l'enlever à ce petit paradis car son maître le réclame, il faut rentrer à Saint-Pétersbourg pour y assurer ses fonctions : continuer à veiller sur la vie du tsar. Or quitter Blanche lui semble une épreuve au-dessus de ses forces. Il la couvre de zibeline, de loutre et de renard et l'emmène avec lui en Russie. Blanche va faire connaissance avec l'existence fastueuse quoiqu'un peu dépravée des grands seigneurs russes.

Tout de même, le temps passant, Blanche commence à se lasser de la Russie, de ses neiges, de son froid et de la vie fastueuse mais épuisante qu'elle y mène. On se lasse de tout même lorsque l'on vous couvre de diamants et qu'à la fin de joyeuses orgies, on se fait arroser de champagne sur un lit de pétales de roses. Seulement, il y a un inconvénient : le prince Mesentsov n'a aucune envie de se séparer d'une maîtresse dont il est fier, que tous lui envient et dont il est, de surcroît, de plus en plus amoureux. Néanmoins, Blanche d'Artigny - elle s'est ajouté depuis un moment une décorative particule - n'est pas femme à se laisser tenir sous le joug : elle a décidé de quitter l'empire des tsars et elle entend y parvenir envers et contre tout ! Pour cela, une seule solution : il faut obliger son amant à la laisser partir. Blanche, après en avoir mûrement réfléchi, en vient à prendre un parti assez machiavélique mais qui ne manque pas tout de même d'un certain courage, l'issue étant bien incertaine.
Elle est invitée, un soir, à un gala de l'Opéra de Saint-Pétersbourg auquel doit assister l'Impératrice. Blanche, alors, soudoie à prix d'or les couturières de la souveraine pour se faire confectionner une toilette exactement semblable à celle que Maria Alexandrovna portera ce soir-là. Et, ainsi habillée, elle se rend au théâtre.
Inutile de dire qu'elle n'y restera pas longtemps.
A peine s'est-elle rendu compte de la similitude de toilettes, qu'un chambellan, rouge d'indignation vient prier la jeune femme de vouloir bien considérer qu'un malaise subit l'oblige à rentrer chez elle dans les plus brefs délais. Et, dès le lendemain, un ordre d'expulsion parvient chez le malheureux chef de la police désespéré : Blanche, sa Blanche a quarante-huit heures pour repartir vers son pays de révolutionnaires. Mais c'est d'un pas léger, avec quelques larmes de crocodile que la jeune femme, emportant tous ses bijoux et les regrets éternels de Mesentsov, reprend le chemin qui, à travers la Prusse, va la ramener dans son cher Paris, ce Paris où elle vient d'effectuer, sur les Champs-Elysées, une rentrée tellement remarquée.

Tout de suite son succès va être complet : on se l'arrache. Sur la recommandation d'un de ses nombreux amants - et Dieu sait si elle en a, et tous plus riches les uns que les autres, elle débute le 6 juillet 1868 aux Bouffes-Parisiens dans la reprise d'une oeuvrette de Jacques Offenbach intitulée Le Château à Toto.
De là, elle passe au Théâtre du Palais-Royal, où elle joue Mimi Bamboche, une autre oeuvre d'une grande élévation morale mais dont le surnom lui restera.
Enfin, le 25 octobre de la même année, elle débute aux Folies-Dramatiques dans Chilpéric, rôle de Frédégonde, une Frédégonde court vêtue et fort décolletée, mais portant pour deux cent mille francs de bijoux.
C'est presque la gloire. Au point d'inquiéter un instant la reine de l'opérette, l'inégalable Hortense Schneider. Sans suite d'ailleurs. Blanche était trop bonne fille et n'aimait pas se faire des ennemis parmi ses camarades ou le personnel des théâtres. Il lui suffisait de ruiner proprement tous ceux qu'attirait sa chair opulente et sa merveilleuse blondeur.

Le 21 janvier 1869 marque, dans la vie de Blanche d'Antigny une date qui n'a rien à voir avec l 'anniversaire de la mort de Louis XVI : ce soir-là, elle inaugure le magnifique hôtel particulier qu'elle s'est fait offrir rue Lord-Byron, au coin de l'avenue Friedland, un hôtel dont on se répète à l'envi les merveilles.
Par exemple, la seule chambre à coucher renferme pour cinquante-cinq mille francs (or!) de dentelles et de tapis entre ses murs tendus de satin bleu turquoise.
La pendaison de crémaillère est une débauche de luxe : des laquais en habits à la française forment une double haie dans le vestibule décoré de précieuses tapisseries. Un treillage doré tout garni de lilas blanc recouvre les murs des salons, de la salle à manger et de l'escalier. Quant à la table du festin, elle étincelle d'or, d'argent et de cristaux disposés autour d'un énorme samovar d'or massif hérissé de fleurs. Les convives sont composés des hommes les plus en vue et des plus célèbres courtisanes.

Pourtant, au milieu de ce luxe effréné et de tous ces hommes qui se ruinent pour elle, Blanche garde au fond de son coeur une petite fleur bleue, une romance discrète, mélancolique et même pitoyable : l'amour qu'elle porte à l'un de ses camarades de théâtre, le jeune Pierre Luce qui lui voue une adoration sans borne.
C'est un garçon doux, timide... et très malade, car il est miné par la tuberculose. Mais il est le seul au milieu de tous ces hommes plus beaux et plus riches que lui à avoir su éveiller une tendresse dans le coeur de la chanteuse, un sentiment pur, dépouillé, fait d'un amour un peu maternel et de tout ce que sa vie insensée n'a jamais permis à Blanche d'exprimer.
Quand Luce meurt, dans les débuts de la guerre de 1870, Blanche, en larmes, s'en va trouver le caissier de son théâtre pour lui demander de lui avancer 150 francs sur ses cachets.
L'homme s'étonne, s'indigne même, hausse les épaules puis désignant les boucles d'oreilles en diamant qu'elle porte :
- Besoin d'argent, vous ? Et d'une si petite somme ? Mais avec un seul de vos diamants vous aurez dix mille francs tout de suite.
- Je sais... mais c'est pour Pierre. Je ne veux payer les fleurs de sa tombe qu'avec de l'argent honnêtement gagné.
Elle eut ses cent cinquante francs et Pierre Luce les lilas blancs qu'il aimait.

Cependant, cet unique amour va laisser des traces redoutables, ineffaçables à cette époque. Au contact du jeune malade, Blanche à son tour contracte la tuberculose qui va la détruire peu à peu.
La guerre terminée, elle fait quelques tournées, une saison à Londres en 1872, mais qui lui est funeste et dont elle essaie de corriger les effets par un voyage en Egypte. Elle compte sur le soleil pour lui rendre sa belle santé d'autrefois. Si belle, si fraîche, si rose, si ronde, si blonde, elle maigrit et voit avec horreur se creuser ses joues, se plomber son joli teint. Le séjour d'Alexandrie n'arrange rien. En outre, elle doit y faire face à une cabale orchestrée par un riche Egyptien qu'elle a repoussé.

Dégoûtée des voyages, épuisée aussi, elle regagne Paris qu'elle aime toujours plus que tout autre endroit au monde et s'installe à l'hôtel du Louvre. C'est là que la mort va interrompre la course folle d'une destinée vouée tout entière à la gaieté et au plaisir.

Le 27 juin 1874 meurt Blanche d'Antigny... munie des sacrements de l'Eglise, à trente-quatre ans et c'est au cimetière du Père-Lachaise qu'est enterrée cette femme dont la vie tumultueuse vas inspirer à Emile Zola sa scandaleuse et redoutable Nana. Une Nana pas tout à fait fidèle à son modèle car, même si elle le cachait bien, Blanche d'Antigny, elle possédait un coeur.
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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyVen 12 Juin - 20:26

LA "DU BARRY"


Un mariage à la sauvette...


Être la fille naturelle d'un couturière en chambre et d'un moine plus ou moins en rupture de couvent n'a jamais été une bonne carte de visite pour faire carrière dans la société. C'est cependant le lot de la jeune Jeanne Bécu lorsqu'elle naît à Vaucouleurs le 10 août 1743. En religion, son père porte le nom séraphique de Frère Ange, ce qui donne à penser, mais ce père essentiellement épisodique se nommait fort honorablement Jean-Baptiste Gomard de Vaubernier.
Néanmoins, le ciel compatissant eut la bonne idée de doter Jeanne d'une beauté qui éclata aux yeux de tous dès ses premières années, une beauté qui allait grandir avec elle et la doter finalement de cet éclat rayonnant auquel bien peu d'hommes purent résister.
Si peu séraphique qu'il ai pu être, Frère Ange a néanmoins rempli ses devoirs envers sa fille en lui faisant donner, chez les dames de Sainte-Anne, une éducation susceptible de lui permettre de paraître en compagnie. Au point qu'à sa sortie, la jeune Jeanne est engagé comme demoiselle "pour accompagner" chez une veuve suffisamment noble pour avoir souhaité que son nom ne soit pas mentionné dans la suite éclatante d'une carrière galante qu'elle ne pouvait approuver.
Pas plus qu'elle n'acceptait d'ailleurs les nettes tendances de sa protégée pour l'amour libre. Un beau matin, Jeanne se retrouve sur le pavé ce qui lui permet d'entrer comme "demoiselle de magasin" chez Labille, rue Neuve-des-Petits-Champs. Une maison de mode pleine de dentelles, de soieries et de rubans dont la jeune fille fut bientôt le plus joli des ornements.
Et quels ornements ! Dire qu'elle était blonde c'est faire tort à l'éclat d'une foisonnante chevelure dorée. Sa peau était de nacre rose, ses yeux immenses et d'un bleu foncé dont la nuance changeait suivant les circonstances. Quant à son corps, le plus exigeant des statuaires grecs n'aurait pu en trouver de plus parfait, de plus tendre et de plus soyeux.
Un corps dont elle n'est pas avare. L'un de ses amants la conduit dans une maison de jeux où elle va rencontrer celui que l'on pourrait appeler l'homme de sa vie car c'est son astuce qui va propulser cette petite vie modeste et encore cachée jusqu'au firmament de Versailles : il se nomme Jean, comte Du Barry mais on le connaît mieux, dans les endroits où l'on s'amuse sous le sobriquet du "Roué". Car, roué, il l'est comme personne... Mis en présence de Jeanne, il a tôt fait de sentir qu'elle peut aller très loin. Alors il commence par mettre, sur elle, ce que l'on pourrait appeler une option sous forme de lettre suivante : "Ma belle demoiselle, venez demeurer avec moi. Vous serez d'abord la maîtresse de mon coeur ; en cette qualité la souveraine de mon hôtel où vous commanderez à tous mes gens qui seront désormais les vôtres. Vous paraîtrez sur un ton imposant. Vous ne manquerez ni de robes ni de diamants. Je tiens chez moi, une fois par semaine, une assemblée brillante.
Vous en ferez l'honneur ; vous recevrez les voeux et les adorations de ceux qui vous approcheront. Je vous instruirai de la manière dont il faudra vous conduire pour bien mener votre barque..."

Sous le nom de Mlle Lange - agréable retour au nom religieux de son père, Jeanne fera dignement les honneurs de cette maison où tous les hommes se la disputent. En vain d'ailleurs car Jean Du Barry vise beaucoup plus haut qu'une poignée de libertins : il pense au Roi.
En cette année, Louis XV est entré dans sa soixantième année. La mort de la marquise de Pompadour l'a laissé désemparé et, à la Cour, la compétition est ouverte à qui lui procurera une nouvelle maîtresse.
De tout cela, Jean Du Barry n'ignore rien et moins encore que l'homme le mieux à même d'ouvrir devant Jeanne les portes de l'alcôve royale, c'est Lebel, valet de chambre et confident du Roi. Celui-ci, invité à souper et mis en présence de Jeanne, est tout de suite ébloui. Au récit qu'il en fait, Louis XV est plus qu'intéressé : il désire voir cette ravissante créature le plus vite possible. Il s'enflamme même tellement que le vieux maréchal de Richelieu, l'homme aux mille maîtresses, lui demande si un nouvel astre va se lever bientôt sur Versailles :
- Attendez qui'l se couche ! chuchote Jean Du Barry qui a entendu.
Ce qui se produit très vite à la satisfaction absolue du Roi et aussi de Jeanne, car il faut bien dire que même à l'âge qui'l avait atteint, Louis XV demeurait un fort bel homme et gardait beaucoup de charme.
L'aventure rapide avec la "comtesse du Barry" - car Jeanne avait été présentée comme l'épouse du Roué - se mit à tourner à l'histoire d'amour et le Roi de déclarer qu'il entend présenter "la comtesse" à la Cour. D'où embarras des conspirateurs. On ne plaisante pas avec Louis XV et il faut bien en venir à lui avouer la vérité : Jeanne n'est pas mariée du tout.
- Tant pis, dit le Roi, mais qu'on la marie promptement.

Avec qui ? Du Barry, lui, est déjà marié sinon il se serait fait un plaisir mais quand on est le Roué on a plus d'un tour dans son sac et, en particulier, il a un frère, Guillaume, qui lui est toujours célibataire. Et voilà notre homme chevauchant éperdument sur les routes de France pour gagner Lévignac, près de Toulouse où vivent les siens - plutôt chichement - dans une manière de château. Il leur tombe dessus comme la foudre : il faut qu'avant un moi Guillaume ait fait une vraie comtesse Du Barry de la ravissante Jeanne Bécu. Pour arranger un peu les choses il a ajouté à ce nom sans éclat celui de Vaubernier, nom du Frère Ange - qui, au moins, a une particule.
Les cris d'horreur de la mère, des soeurs et de l'intéressé s'apaisent assez vite quand Jean fait miroiter la montagne d'or qui ne saurait manquer de s'écrouler sur la famille. Bien sûr - et il le précise sévèrement - il ne peut s'agir que d'un mariage blanc.
Deux jours plus tard, Jean reprenait le chemin de Paris accompagné de ses deux soeurs, Chon et Bischi, qui allaient avoir désormais pour tâche de veiller sur la précieuse Jeanne. Pendant ce temps celle-ci attendait paisiblement à Versailles, cachée dans l'appartement de Lebel.

Le Ier septembre "à cinq heures du matin" et dans l'église Saint-Laurent à Paris, très haut et puissant seigneur, messire Guillaume, comte Du Barry, épousait demoiselle Jeanne Bécu "de Vaubernier" en présence de témoins qui ne connaissaient pas les époux, de Jean Du Barry et, par Dieu sait quel miracle, de Jean-Baptiste Gomard de Vaubernier, père de la mariée. Les époux se séparèrent à l'issue de la cérémonie sans espoir de se revoir jamais - au grand regret de Guillaume, mais ceci est une autre histoire.
Il eut tout juste le droit de poser un baiser sur le ravissant visage de la nouvelle comtesse qui, nantie d'un vieux et très noble nom, pouvait très légitimement espérer être présentée au Roi et à Mesdames ses soeurs.
En apparence, une présentation donne l'impression d'être une chose fort simple, mais en réalité et, s'agissant de ce que la moitié de la Cour appelait "une fille des rues", c'était beaucoup plus difficile qu'un vain peuple pourrait l'imaginer. Et la présence récente à Versailles de la jeune archiduchesse Marie-Antoinette d'Autriche, toute nouvellement mariée au dauphin Louis, n'arrangeait rien. Présenter l'ex-Jeanne Bécu à la fille de l'impératrice Marie-Thérèse, à la future reine de France était proprement impensable. D'autant plus que la Dauphine était à présent le centre d'une cabale orchestrée par le ministre Choiseul et la maréchale de Mirepoix.

D'abord il fallait trouver une "marraine" et ce fut tout une histoire. On dénicha finalement, au fond de la Gascogne, une comtesse de Béarn, descendant des comtes de Foix et d'un sang aussi illustre que celui des Bourbons qui, moyennant 100 000 livres, le paiement de ses dettes et le gain d'un procès, accepta de mener par la main, la maîtresse du Roi à travers les salons de Versailles. Quant à la Dauphine, Louis XV, à force de cajoleries, réussit à obtenir qu'elle adresserait la parole à la nouvelle venue. Ces paroles demeurées historiques et d'une haute portée intellectuelles furent :
- Il y a beaucoup de monde ce soir à Versailles....

En échange de quoi la princesse reçut une profonde révérence. C'était le 22 avril 1769. Durant cinq ans, presque jour pour jour, l'ancienne maîtresse du Roué, la vendeuse de frivolités, la fille facile d'un salon de jeux va être reine de France ou peu s'en faut. Son royal amant commandera pour elle un fabuleux collier de diamants qu'il n'aura pas le temps de lui offrir mais qui sera la cause d'un terrible scandale dont la boue s'en ira battre les marches du trône.


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epistophélès

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MessageSujet: Les reines du faubourg   Les reines du faubourg EmptyVen 12 Juin - 21:18

Encore un petit moment, Monsieur le bourreau !


Au petit matin du 28 avril 1774, alors que le jour vient à peine de faire revivre les marbres roses du Grand Trianon, le valet de chambre du Roi qui sommeille dans l'antichambre est brusquement réveillé par Mme Du Barry qui se penche sur lui, les cheveux défaits, en vêtement de nuit, les traits tirés par la fatigue et aussi blanche que ses dentelles : le Roi est malade, gravement malade. Il faut ses médecins et tout de suite !
Le diagnostic est vite fait : Louis XV a contracté la petite vérole et ses jours sont si gravement en danger que le médecin ne cache pas son sentiment : "Sire ! C'est à Versailles qu'il faut être malade..."
Ce qui est limpide : un roi de France ne saurait mourir dans sa maison de campagne.

Jeanne pourrait, devrait s'éloigner tout de suite car la contagion est grande mais elle s'y refuse avec une belle crânerie et c'est en tenant dans les siennes la main brûlante de fièvre qu'elle ramènera le Roi chez lui et, durant plusieurs jours, elle va rester à son chevet.
Une rude épreuve : le corps de Louis XV dégage une odeur affreuse et donne l'impression qu'il pourrit vivant. De fait, la mort approche et, dans la soirée du 3 mai, il fait ses adieux à Jeanne qui doit quitter le palais avant que n'y entre le Saint Sacrement porté par l'archevêque de Paris :
- Adieu, Jeanne !... Je vous ai beaucoup aimée...

L'agonie du Roi, une épouvantable agonie supportée avec un rare courage - "C'est la mort la plus ferme et le plus grand triomphe que j'aie vu !" dira plus tard le duc de Croÿ - la jeune femme ne la verra pas et quand, le 10 mai, il rend le dernier soupir, elle quitte Rueil où l'avait accueillie la duchesse d'Aiguillon pour l'abbaye de Pont-aux-Dames tandis que Jean Du Barry est jeté à la Bastille : la prison
pour l'un comme pour l'autre... Cependant, la nouvelle reine de France écrit à sa mère : "La créature est mise au couvent et tout ce qui porte ce nom de scandale est chassé de la Cour." Ce qui vaudra d'ailleurs de la part de l'impératrice d'Autriche une verte mercuriale : la mansuétude et la compassion sont des vertus qu'il convient de pratiquer lorsque l'on est reine de France.
Jeanne va rester "exilée" durant un an et demi : d'abord au couvent où elle va séduire tout le monde puis au château de Saint-Vrain qu'on lui avait permis d'acheter. Mais ce qu'elle regrette surtout c'est sa maison de Louveciennes que Louis XV avait fait construire pour elle. Elle demandera humblement la permission d'y retourner et, vers la fin de 1776, elle reçoit du ministre Maurepas, la lettre que voici :
"Votre douceur, la réserve que vous avez gardée dans la disgrâce vous ont donné le droit à une auguste indulgence. Vous pouvez demeurer à Louveciennes et être libre d'aller à Paris..."

On devine sa joie, d'autant que, peu à peu les anciens amis revenaient vers elle. D'autres vinrent, des curieux bien sûr, vite conquis par la grâce et la décence de l'ancienne favorite et il fut bientôt de bon ton de rendre visite à Mme Du Barry qui ne cessait d'ailleurs de manifester des sentiments de profond loyalisme envers Louis XVI et Marie-Antoinette.
L'apothéose vint quand l'empereur d'Autriche, Joseph II, frère de la Reine, s'annonça un soir chez elle : "La beauté sera toujours reine..." lui dit-il galamment en s'inclinant sur sa main.

Jeanne connut peu après une grande période de bonheur. Après l'amitié vint l'amour apporté d'abord par un voisin, lord Seymour, mais il était marié et le roman tourna court. D'ailleurs, le coeur de Jeanne penchait à présent vers une ancienne connaissance : le duc de Brissac, colonel des Cent-Suisses, qui avait été jadis son voisin à Versailles et qui, au moment de sa disgrâce avait fait partie des rares
visiteurs de Saint-Vrain. Le Roi venait de faire de lui le gouverneur de Paris. Il avait vingt ans de plus que Jeanne, mais la passion qui éclata entre eux allait durer jusqu'à la fin de leur vie.
Malgré le mal extrême qu'ils se donnèrent dans les débuts pour préserver les apparences, leur secret fut bientôt celui de Polichinelle. Peu à peu, ils se cachèrent moins, quand elle venait à Paris la comtesse descendait tout bonnement rue de Grenelle chez son amant. Le besoin qu'ils avaient l'un de l'autre semblait grandir chaque jour comme s'ils pressentaient que le temps leur était compté.

Les relations de Jeanne avec Versailles avaient beaucoup changé. La cible favorite des pamphlétaires c'était à présent Marie-Antoinette et non plus la Du Barry. Cette circonstance avait appris l'indulgence à la souveraine. La comtesse l'en payera par un entier dévouement et c'est ainsi qu'après l'assaut de Versailles, en octobre 1789, c'est à Louveciennes que furent recueillis et soignés les gardes du corps blessés au service du Roi.
C'était prendre délibérément sa part des mauvais jours. Une nuit de 1791, alors que la comtesse était à Paris, Louveciennes fut cambriolé par trois malfaiteurs dont l'un était un ancien valet. Tous les bijoux furent volés et Dieu sait si Louis XV avait été généreux ! Chose étrange d'ailleurs, ce vol attira sur sa victime le ressentiment populaire grâce à la maladresse d'un joaillier qui, dans l'espoir fallacieux de retrouver le trésor, ne trouva rien de mieux que d'en publier une trop exacte description.
Malgré la récompense offerte de deux mille louis d'or à qui permettrait de retrouver les joyaux, ce fut une tollé. Les folliculaires parisiens traînèrent l'ancienne favorite dans la boue et l'austère Saint-Just se déchaîna contre "l'infâme Messaline". Mme Du Barry quitta alors la France pour l'Angleterre à la suite de la visite d'un agent anglais, un certain Parker Forth venu l'avertir que certains de ses bijoux avaient été présentés à un joaillier londonien. Il fallait qu'elle aille les reconnaître.
En pleine Révolution, elle effectue alors plusieurs voyages outre-Manche sans grand espoir cependant de retrouver son bien car la loi anglaise ne permettait pas de poursuivre un coupable pour un délit commis hors du territoire national, mais en fait l'affaire du vol n'était qu'un prétexte et il est certain qu'alors Jeanne assuma le dangereux rôle d'agent secret au service du Roi. Ses voleurs avaient été arrêtés mais ses bijoux étaient sous séquestre et elle ne pouvait obtenir qu'on les lui rendit. Saluons l'honnêteté anglaise !
Par Forth, elle est entrée en contact avec d'autres agents et certains émigrés mais il semblerait qu'elle ait surtout servi d'intermédiaire et de courrier. Evidemment, la sagesse eût commandé qu'elle ne revînt pas en France et restât à l'abri mais elle ne pouvait se passer de Louis de Brissac ni de sa chère maison de Louveciennes.
C'est dans cette demeure qu'elle aimait tant qu'un jour abominable de l'été 1792, des émeutiers vinrent jeter à ses pieds la tête fraîchement tranchée de son amant. C'est là enfin où, bien que la maison eût été mise sous séquestre, elle ne peut s'empêcher de revenir encore et elle fut arrêtée après avoir été dénoncée par Zamore, le négrillon qu'elle avait élevé et gardé longtemps auprès d'elle. On la conduisit à la prison de la Force, le 22 septembre 1793 et, naturellement, elle fut condamnée à mort.

Sa fin fut atroce. Cette jolie femme si bien faite pour les joies de la vie et qui avait su montrer un tel courage en face de l'horrible maladie qui allait emporter Louis XV, tant de constance dans l'adversité et tant de vaillance dans le dangereux rôle d'agent secret qu'elle avait assumé, craqua brutalement en face de la hideuse machine que battaient les éclats d'une féroce joie populacière. Il fallut la hisser sur l'échafaud, la traîner hurlante jusqu'à la guillotine cependant qu'elle ne cessait d'implorer :
- Encore un petit moment, Monsieur le bourreau, rien qu'un petit moment!...

Comme si un bourreau pouvait se laisser attendrir par les larmes d'une femme éperdue. Un instant plus tard, cette tête encore ravissante tombait. C'était le 8 décembre 1793. La Reine était morte depuis près de deux mois...
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